1/ 🎨
ㅤㅤㅤ𝐋𝐀 𝐕𝐎𝐔𝐓𝐄 bleue s'étend à l'infini, l'air pollué de la ville vient se heurter à nos peaux. Nous avançons, telles deux ombres dans la ruelle sombre et étroite côte à côte, sous les réverbères. Les hauts buildings de Séoul sont visibles par delà les toits des maisons. La ville a tendance à dévoiler une autre facette encore plus belle, lorsque l'astre du matin se couche à l'horizon.
On s'enfonce un peu plus dans la pénombre, passant devant une supérette à l'enseigne lumineuse, le bruit de la circulation nous parvenant sur le dos du vent.
Je demeure inséparable des cordes de ma capuche.
Mes jambes sont visibles sous mon sweatshirt XXL accompagné d'un short quelconque qui dévoile une peau un peu foncé. Cheveux rouges flamboyants et appréciation pour tout ce qui attire l'œil par ses couleurs vives sont des traits remarquables chez moi. J'observe la rousse qui m'accompagne lorsqu'elle m'interpelle, ses yeux en amande parlant pour elle.
Ses cheveux lisses virevoltent au gré du vent, quelques mèches rousses lui cachant la vue. Ce qui a pour don de la mettre en rogne et de m'amuser.
— J'ai soif. T'aurais pas de la monnaie ?
Je hoche la tête et cède une petite pièce. On s'arrête près d'un distributeur que, je suis sûr, elle a repéré bien avant. Après y avoir inséré la pièce, elle donne un grand coup, obtenant une canette. Giselle ne sait pas faire dans la délicatesse. Pas étonnant qu'elle effraie autant de monde.
— Alors ? Poursuit-elle. Verdict ?
— Il ne valait pas le coup, mais il reste mignon.
— En même temps, tu l'as vu sur Omegle s'il-te-plaît, pouffe-t-elle presque.
— Ouais, comme ton clochard de mec, répliquais-je cyniquement.
— Ex, elle me corirge. Le mien au moins comprenait le coréen !
— Le mien aussi parlait coréen !
Je me retourne vivement.
— Avec un accent douteux, me dit-elle.
La mine blasée, je joue machinalement avec le piercing à ma langue tout en toisant ma jumelle en matière de couleur de cheveux. C'est ensemble qu'on a fait le grand saut dans le monde de la coloration.
— N'empêche, il était mignon, je rétorque avec fierté. Et il ne m'a pas menti. Enfin, sauf pour ses compétences au lit — mais là n'est pas la question ! Le tien vivait comme un rat au sous-sol de la piole de sa mère à trente pige, je te ferais dire.
— Je vais te défoncer, sale nain ! S'exclame-t-elle aussitôt, les joues rosies.
Il faut dire qu'en termes de partenaires trouvés sur les sites de rencontres, nous ne sommes pas si chanceux. C'est en se lançant ce stupide défi que nous avons croisé le chemin de ces deux spécimens.
Je tiens malgré tout à préciser que le mien était meilleur. Parce que entre un mec qui fait l'étoile de mer sur le lit et un autre mythomane accro aux jeux vidéos, il y a de quoi débattre. J'en garde encore des frissons. Mais surtout, la facon dont je me suis foutue de ma meilleure amie et ce, durant des semaines !
Seulement, je n'ai pas envie de rire sur le coup, pas lorsqu'elle s'attaque à ma taille. Giselle est presque aussi petite que moi, me dépassant seulement de quelques centimètres. Enfin, si on veut parler de taille et de standard, elle fait plutôt partie de la moyenne.
— Je fais un mètre soixante-dix-sept ! Ce n'est pas si petit.
— En attendant, je peux toujours regarder le haut de ton crâne.
J'aimerais tant garder mon air mécontent, mais un sourire se faufile sur ses lèvres. Et je sais que les sourires de Giselle sont aussi rares qu'une super lune bleue. Un sourire que je pourrais dessiner toute ma vie.
J'aime les belles choses. Les belles âmes, les âmes poétiques, les âmes chaotiques. Les âmes calmes, doucereuse, tourmentées, ravagées, piétinées, les âme qui ne cessent de me parler. Des âmes qui éveillent une tempête en moi. Et Giselle possède sa corde à elle dans mon cœur, qu'elle joue inlassablement, simplement part sa présence.
Les nuits à Séoul demeurent froides. Ça doit faire une demi heure qu'on déambule dans les rues. Et peut-être qu'on ira s'installer aux abords de la rivière Han pour jeter des éclats de chips dans les flots, qui sait ?
— Je te déteste.
Lorsque le sujet de ma taille est évoqué, mon visage se transforme en une susceptibilité palpable. Cela suscite des émotions enfouies qui ne sont révélées qu'à travers cette zone particulière de mon corps.
Ou plutôt souvenirs.
Enfin bon, ce sont des secrets que je cache au fond de moi, désireux de préserver cette partie de mon jardin secret. Giselle se retient de rire parce que je grommèle dans ma barde inexistante. Dans la catégorie des meilleurs ami.es, elle est du type sadique.
— Allez ! On fait la paix ? Je ne parlerais plus de ta taille.
— Très bien, je souffle en m'arrêtant devant elle. Je ne dirais plus que t'as un rire de hyène alors.
— Hé !
On se lance un sourire amusé et complice, habitués à ce que la plus part de nos discussions se terminent ainsi.
Alors que je comptais me tourner, je me heurte par inadvertance contre un torse imposant. Une moue se forme sur mon visage lorsque je recule en frottant mon nez endolori.
Face à moi se dresse un individu à la stature si colossale que j'aurais pu le confondre avec un réverbère. Un réverbère portant un pull à capuche noir, cachant ainsi son visage au regard des passants, sa silhouette mystérieuse ne manquant pas de me fasciner.
Je ne l'avais jamais vu. J'arrive malgré tout à reconnaître le garçon qui le suit. Un étudiant de notre université, Yosei. Sim Jake. Je ne suis pas prêt d'oublier ce nom. Pas alors que sa chère personne a décidé de jouer les dragueurs invétérés du dimanche. Jake m'ennuie la majorité du temps. Il aime sortir des phrases loin d'être sincères.
Et c'est ce côté qui me gêne le plus.
— Tiens, mais c'est Kim Sunoo !
Rapidement, il contourne le grand gaillard contre lequel je me suis cogné et se jette sur moi. Sa prise est forte et me ferait presque vaciller. Je ne veux pas lui laisser ce luxe. Mon égo me pousse à rester de marbre.
Jake est séduisant et en joue souvent. Une mâchoire solide, des lèvres en arc de cupidon et des mèches silvers raides. Il a aussi un accent, étant originaire de france. Je le sais à cause de sa popularité et des bruits de couloirs.
— Soleil, quelle coïncidence ! Dit-il sur un ton charmeur, cherchant à baiser le dos de ma main.
Main que je retire à la seconde, lui lançant un regard suicidaire.
— Bats les pattes.
Jake fait mine de bouder et s'il pense m'avoir comme ça, il se trompe. Je reste ferme et intransigeant, assez pour l'éloigner. Il finit par abdiquer et jette son dévolu sur Giselle. Mes lèvres s'étirent sur le coin, il ne sait pas ce qui l'attend.
À peine a-t-il le temps de sortir une de ses repliques, qu'il se fait rembarrer à la hâte.
— N'ose même pas me toucher, la prévient-elle, appuyé d'un regard glacial.
Pas de chance, cela ne semble pas ébranler ce fichu dragueur qui ne fait que nous rire au nez.
— Qui sont-ils Jake ? Demande finalement le taciturne.
Une voix qui s'avère plus douce que je ne l'aurais imaginé, vu sa carrure d'athlète incontesté. L'ombre de sa capuche créé par l'ampoule jaune au dessus ne me donne pas l'occasion de voir à quoi il ressemble.
— Des amis à moi.
Étant proche de lui, j'entends un faible son d'exclamation sortir d'entre ses lèvres. Je me sens bien étrange en sa présence et me met à le détailler des yeux sans m'en rendre compte.
Ce n'est qu'au moment où Jake débarque que je quitte mon état transi. Il passe son bras par dessus les épaules du taciturne et s'appuie dessus. La différence entre eux et moi me fait déglutir. Qu'il est dur de se sentir minuscule face à ces deux géants.
— Tu fais peur à mon rayon de soleil et sa copine comme ça Hee ! S'exclame-t-il sur un ton plaintif.
Pas que je sois impressionné par les gens de grande taille, non. En réalité, je suis jaloux de cette poussée de croissance que je n'ai pas su atteindre. Je pense que dans mon cas, il est déjà trop tard.
Et puis, avec ce « Hee » il y a un truc bizarre. Rien avoir avec son accoutrement de psychopathe. Tout en noir. Si je voyais un homme pareil tout seul avancer sur une route déserte, je crois que je prendrais peur.
Au final, il se pourrait que son style vestimentaire m'effraie. Juste un peu. Ajouté à ça, c'est une curieuse envie qui m'empêche de détourner les yeux.
— Remarque, d'habitude, t'es pas aussi coincé du cul soleil !
— Répète et je te brise les jambes.
Jake paraît ennuyé et fini par se placer entre Hee et moi, venant tenir mon menton de ses doigts.
— T'es toujours aussi violent dans tes mots quand tu t'adresse à tes aînés ?
Il a cette manie de me mettre hors de moi et réveiller mon côté violent, attisant mon impulsivité sans relâche. Il arbore ce perfide sourire quand il s'amuse avec mes nerfs.
Mais là tout de suite, je suis surtout mal à l'aise de le voir empiéter sur mon espace vitale.
— C'est vraiment tes potes ? Demande Giselle qui s'est entre-temps glissée derrière moi.
— Non ? La surprise doit se lire sur mon visage je crois. C'est lui qui n'arrête pas de me coller, dis-je en reculant.
— Évidemment que nous sommes amis ! Me contredit Jake. Et tu sais que tu peux me parler directement ? S'adresse-t-il cette fois-ci à Giselle.
— Je ne te connais pas alors non.
— Enchanté, Sim Jake, dit-il, lui tendant la main. Mais pour toi c'est love ou bébé. Au choix.
Je roule des yeux. Qu'est-ce que j'avais dis ? Insupportable et mauvais dragueur. Il devrait sérieusement revoir sa technique. Cette rencontre surprise m'ennuie déjà. Séoul est bien assez grand pour nous deux non ? Pourquoi le mettre sur mon chemin ?
En attendant, je surprend le taciturne rouler des yeux comme moi. On se comprend même sans se parler. Il semble aussi épuisé par les débordements incessants du silver. Je pense que je pourrais bien l'aimer.
S'il n'avait pas autant l'air d'un tueur en série.
— C'est vraiment un blaireau ton pote, me lance la rousse, me sortant par la même occasion dans ma contemplation.
— Ce n'est pas mon pote j'te dis ! Je m'énerve presque, les joues en feu.
Pas de gêne, mais plutôt de colère.
— Tu es mignon quand tu rougis Sunoo, susurre Jake d'une voix mielleuse.
Je croise finalement les bras, abandonnant face à la lutte. Mes limites sont atteintes, je n'ai plus d'énergie. J'ai l'air d'un enfant qu'on aurait disputé là, mais qu'est-ce que j'en ai cure de mon image.
C'est dans ce petit désordre que j'entends Hee rigoler. Ce rire sonne de façon étrange dans mon esprit, me rappelant les mêmes ricanements d'un certain garçon aux yeux de Bambi.
Hee... comme Heeseung.
Ce rire n'a rien d'un carillon. Il semble résonner sous des notes allant du plus grave à l'aiguë. Un mélange entre un rire enfantin et celui d'un homme adulte à présent. Je me perds dans mes souvenirs au fur à mesure qu'il résonne. Même sous de nouvelles tonalités, je reconnais ce ricanement, élément constitutif de mes petits cauchemars d'enfance.
Plus jeune, un bambin aux yeux de biche avait pour habitude de me persécuter avec ses chenilles. Ses moqueries affreuses étaient restées enfouies dans ce bagage mémoriel, cachées aux tréfonds de mes souvenirs. Comme une faille dans l'espace temps, je me retrouve de nouveau confronté à ce parc qui a abrité des morceaux de mon histoire.
Heeseung dans son t-shirt blanc et aux cheveux noirs charbon en pétards. Heeseung, maigre et gringalet, mais doté d'une poigne forte et d'une rapidité hallucinante. Heeseung avec ses éternelles mains tachées de terre qui laissent souvent une trace sur sa joue, lorsqu'il se frotte les yeux.
Je distingue encore cet éclat d'innocence dans ses mirettes sombres comme la nuit, l'étirement de ses lèvres marquant l'esprit de quiconque le regarde. Le parc Dosan a été notre lieu de rencontre durant une poignée d'années. La dernière, marquée par mon entrée au collège.
Heeseung était comme les autres gamins, nos camarades de la crèche.
Bagarreur, tête brûlée, un rire idiot, trouble fête et insolent. Survolté et un peu brute sans cervelle. À la différence qu'il était seul. Tout seul près des buissons.
Je me contentais simplement de l'observer de loin, sans jamais l'approcher. Lui aussi était isolé au beau milieu d'une armée de mini humains. Cela avait toujours été ainsi depuis le premier jour, jusqu'à ce que mon pied se décide à avancer d'un pas. Une curiosité explosive, contre laquelle je n'avais pu lutter, m'avait contraint à sortir de ma zone de confort et m'approcher de ce garçon étrange.
Mes souliers légers avaient foulé l'herbe parfaitement taillée avec une telle douceur que l'on n'aurait senti qu'une légère brise à mon passage; entendu qu'un subtil froissement au fil de mon ascension. La nature, elle aussi badaude, s'était faite toute silencieuse et discrète, nous observant en catimini.
Le vent m'avais presque porté vers l'être accroupi près des buissons. Armé d'un regard en biais, mes orbes de renard se posant au-dessus de la silhouette fine.
D'un geste craintif, mais toujours animé par cette curiosité, je m'étais penché vers l'avant, dépassant la touffe noire, en quête de découvrir quelque chose — sans doute captivant — qui expliquerait le fait que ce garçon bizarre ne daigne jamais bouger de là.
Un escargot. J'avais vu un escargot dont l'ascension sur une tige verte semblait lui prendre une éternité, laissant derrière lui une traînée de bave. Mon visage s'était tordu sous le dégoût, et je crus presque vaciller vers l'avant, tant je m'étais penché.
Heureusement, adroit et chanceux, mes pieds s'étaient comme cramponnés au sol, me ramenant vers l'arrière, dans un mouvement brusque. Un bruit ayant attiré l'attention du noiraud sans pour autant l'effrayer. Dans une posture désinvolte et presque insolente, ses prunelles sombres s'étaient posées sur moi.
Or brusquement, cette expression s'était volatilisée, ne laissant derrière elle que la surprise. Le temps d'un battement d'un cil,je me retrouvais face au gosse aux yeux brillants d'excitation. Mon envie première a été de fuir, tel un petit animal effrayé rencontrant une espèce particulière, venue d'ailleurs.
Une moue s'était formé sur mon visage, ne m'étant absolument pas préparé à converser.
— Qu'est-ce que t'veux ? Avait-il demandé, sa tête se penchant sur le côté.
— Tu fais quoi ?
— J'joue avec mon pote Sangwon !
— Mais, c'est un escargot.
— Ouais, il est super fort et super beau !
— Non, c'est moche, gluant et dégoûtant.
Les phrases s'étaient enchaînées, coulant abondamment et sans fin, comme une cascade. Elles étaient directes, sincères, particulières, étranges, à l'image de nos pensées les plus profondes. Encore enveloppés par cette fine couche d'innocence.
J'étais curieux et dégoûté par le gastéropode. Lui était surexcité et foutrement emballé par l'animal. Et parce que ma langue acerbe avait osé émettre une critique acide sur son ami, je m'étais fait coursé, des minutes plus tard par le gringalet, désireux de me montrer à quel point un escargot pouvait être fascinant.
Tout, absolument tout m'est revenu en mémoire et ce, grâce à un simple rire.
***
Et maintenant, je peux distinguer plus facilement ce à quoi ressemble Hee.
Il a retiré sa capuche plus tôt, laissant à découvert des mèches blondes, ou peut-être cendre. C'est difficile de me faire une idée avec la lumière jaunâtre des lampadaires. Nez et lèvres fines accentuent le côté basique de la beauté de Heeseung; parce que c'est bel et bien Heeseung.
Si je comptais les trois années sans s'être vu, jamais je n'aurai pensé qu'il aurait eut cette apparence. Malgré ses muscles développés et sa grande taille, la bouille de Heeseung est restée figé dans le temps. Les mêmes yeux de Bambi, des pupilles qui semblent briller de malice, un regard tout à fait captivant.
Un tableau, ce type est un putain de tableau somptueux que je pourrais regarder durant de longues heures, comme lorsque je me suis arrêté devant une peinture de Caravage.
Doucement, une de mes mèches de feu viens se heurter à mon œil, soulevé par la brise du soir qui porte sur son dos, une vague de fraîcheur ; parce que bientôt l'automne.
Il fait de moins en chaud en journée.
Giselle m'a bien abandonné. Ses ricanements me parviennent, me sortant en quelque sorte de ma torpeur. Et dire que tout à l'heure, elle semblait prête à égorger Jake. Les voilà, rires et messes basses se mêlant.
C'est quoi le plus étrange ? Que Giselle ne poursuive pas encore le silver avec l'une de ses baskets ? Ou que Jake, au contraire, ait l'air de s'entendre bien trop parfaitement avec ma reine des glaces ?
Après s'être parlés pendant une dizaine de minutes, il a eu assez d'arguments pour nous tirer vers le terrain de basket derrière un entrepôt désaffecté. Il y pousse de l'herbe partout, signe que les lieux ne sont pas entretenus.
La nuit est encore jeune et la ville, plus bruyante que jamais au vu du festival.
Les rues sont occupées par des stands et des jeunes en majorité, profitant de l'ambiance au rendez-vous. Parfois, le vent s'amuse à me rapporter leurs bavardages. Certains aspirent avidement la nicotine autour d'une discussion animée et quelques packs de bière. C'est vivant, joyeux.
Je suis resté seul sur les petits escaliers qui mènent au terrain plus bas. De là, j'aperçois Giselle et Jake se mêler à un autre groupe qui m'est inconnu. Et de l'autre côté, se trouve Heeseung avec son bonnet. Pas un seul instant, son ballon de basket n'a manqué le cerceau.
Je le sais parce que je n'ai pas cessé de le regarder.
Je n'aurai jamais cru que le gamin chétif que j'ai connu puisse se métamorphoser en as de ce sport. Ses mouvements sont fluides et puissants. Ses bonds sont dynamiques, ses gestes imprévisibles, il donne l'air de flotter dans les airs. Le voir jouer est satisfaisant. Pour une fois, je préfère rester en retrait, encore troublé par notre rencontre.
Lui par contre semble bien le gérer.
— Salut Sun'.
Une voix clairsemée me parvient aux oreilles. Je daigne enfin décrocher mon regard du basketteur. Devant moi se tient une femme. Un sourire fier trône sur ses lippes brillantes. Un grain de beauté sur le coin de sa lèvre, une taille aussi fine qu’une guêpe.
Yoo Karina. Aussi longtemps que je l'ai connu, elle a toujours été mince en raison de sa carrière de mannequin. Beaucoup plus maigre par le passé mais heureusement, aujourd'hui, elle semble plus épanouie.
Elle porte d'ailleurs ses lunettes de vue. Ce qui est d'autant plus étonnant car auparavant, jamais elle ne serait sortie avec; privilégiant ses lentilles de contact.
— C'est une surprise de te voir par ici, enchaîne-t-elle.
— Wow, après m'avoir ignoré tout ce temps, tu veux bien m'adresser la parole ?
— Ne soit pas de si mauvaise foi. Je ne t'ai jamais ignoré et tu le sais très bien, poursuit-elle, s'asseyant cette fois-ci.
Je la laisse faire, nullement gêné qu'elle ne laisse qu'un infime espace entre nous. Nous sommes quand même restés assez proches pour que certains gestes ne soient plus ambiguë. Surtout pour deux ex.
— Je sais, je plaisantais.
Je suis de ceux qui sortent ces blagues sarcastiques à chaque occasion. Pour ma défense, j'ai été contaminé par l'humour noir de ma meilleure amie ! C'était bien connu que traîner trop longtemps avec Jung Giselle provoque des conséquences irréversibles.
Karina ramène une de ses mèches en arrière. Un geste gracieux qui la caractérise. Je mentirais si je disais ne pas être heureux de la voir s'épanouir ainsi. Je me souviens de l'époque où nous étions encore en couple. Nous étions jeunes, sous le contrôle des hormones en ébullition, possédés par un sentiment qu'on pensait être l'amour.
Or ce mot n'avait pas grande valeur. Pourtant, notre relation reste un moment précieux dans ma vie. Je revois encore son corps allongé à cœur mien. J'avais mémorisé chaque endroit où se trouvaient ces petits points noirs sur sa peau laiteuse.
Des imperfections, d'après elle. Pour moi, c'étaient plus de belles marques qui la rendaient unique à mes yeux.
Notre relation n'a duré que quelques mois, entre baisers, rapports intimes et discussions profondes. Notre rupture n'a pas été causé par un manque d'amour. De l'amour, il n'y en a jamais eu. Enfin, pas de ce genre là. On s'aime, juste pas comme un couple.
Il est donc naturel qu'on garde notre amitié, bien qu'il nous arrive encore de partager de longs moments d'étreinte.
Lorsque je vois Karina, je vois une femme qui garde encore de grandes cicatrices du passé. Chaque partie de son corps est un morceau de son histoire. Elle m'est inspirante comme n'importe quel tableau l'aurait été. J'aime cette sérénité que je perçois.
Elle qui paraissait si troublée, en constant conflit avec elle même.
— Tu m'as l'air épuisé, Sun'.
— Peut-être que je le suis.
— C'est étrange. Je t'ai toujours connu débordant d'énergie.
De plus, le diminutif de mon prénom est l'équivalent du soleil en anglais. Une des raisons pour laquelle Jake s'amuse à me surnommer Soleil. J'ai toujours été du genre hyperactif. En rentrant au dixième grade, je me suis découvert une passion pour plusieurs choses, et donc, fait partie de plusieurs clubs et autres. Le temps a été l’unique raison qui m'a manqué. C'était l'adolescence, après tout, et il me fallait dépenser toute cette énergie dans des aspects positifs comme me l'a conseillé son père.
— Oh, autant pour moi. J'avais oublié que tu étais en plein hibernation à la mi-saison, me taquine la jeune femme, me faisant hausser les sourcils.
C'est vrai, il m'arrive aussi de me sentir épuisé à force d'avoir absorbé autant d'émotions, après avoir côtoyé autant de gens, après avoir tenu autant de conversation. Je suis une sorte d'éponge. Et lorsque cela se produit, il m'est impératif de retourner me ressourcer. Cela veut dire : m'isoler du monde.
— Tu devrais peut-être rentrer non ? S'enquit-elle.
— Depuis quand tu te soucis de moi, 'Rina ? C'est trop mignon.
— Depuis toujours, espèce d'idiot.
Je prends une grande inspiration avant de lui répondre. Rigoler est pour moi, un moyen de fuir un sujet de conversation. Elle me connaît assez bien. Après avoir été si proches durant des mois, nos mécanismes de défense ne sont plus un secret pour nous.
Je relève la tête, jouant avec le bijou sur ma langue.
— Je n'ai pas envie de voir ma mère.
— Je pensais que tu vivais sur le campus maintenant ?
— Ouais mais c'est le weekend, j'explique. Et mon coloc' a pour habitude de ramener ses potes de la fraternité. La dernière fois, je l'ai surpris avec une meuf et — merde, je ne veux plus y penser !
J'affiche une grimace. De quoi faire rire la demoiselle. Je ne veux pas parler de mon colocataire aussi pourri gâté que moi qui ramène ses aventures d'une nuit dans notre dortoir.
S'agissant d'une université privée et chère, on jouit de chambres séparées. Seuls le salon et la cuisine restent communs. Les murs, à mon plus grand malheur, sont si fins que les gémissements volent depuis sa chambre jusque vers la mienne. Une torture.
— Bah voyons ! On parle vraiment du même mec qui ne sait pas tenir sa queue en place ? s'esclaffe-t-elle presque.
— Je sais me tenir. Je n'ai pas autant de partenaires que tu le penses.
— Je te crois. Bien plus que toutes les rumeurs à ton sujet.
— Des rumeurs ? Soufflé-je. Les gens n'ont vraiment rien à faire de leurs vies.
Et le voilà, mon côté drama Queen.
— Mais c'est quand même fou.
— Quoi ?
Je me tourne vers elle, l'encourageant à poursuivre.
— De tomber sur deux de mes ex au même endroit.
— Pardon ?
La violette soupire et me montre du doigt, le blond au loin qui, à présent, est engagé dans un petit un contre un avec Yeonjun, un garçon que je connais de vue.
— Tu vois le mec élancé aux cheveux blonds ? C'est lui, Lee Heeseung.
— Heeseung est ton ex ? Lâché-je sous l'emprise de la surprise.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top