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ㅤㅤㅤ𝐈𝐋 𝐘 𝐀 cette phrase, quand on touche le fond, il ne nous reste plus qu'à remonter. J'ai cru l'avoir touché. À présent, je suis censé regagner la surface. J'ai plus l'impression de stagner entre les eaux, à mi chemin des entrailles de la terre et du ciel. Je crois qu'il n'y a rien de plus frustrant que de se sentir sur place.
Sans jamais évoluer, sans régresser.
Je dois être pathétique à vouloir m'accrocher à n'importe quoi, à feindre la bonne humeur, à tenir debout, tout sourire. Ce n'est pas comme si mes jambes étaient sur le point de se disloquer. Parfois, je me sens bien. Je vis bien et mange bien.
Et d'autres fois, c'est moins joli.
Je ne me souviens plus trop de la veille. Si ce n'est quelques brèves images qui me semblent à la fois proches et distantes; qui me paraissent être des moments fantomatiques que je n'aurai jamais vécu.
Ma tête victime de maux tenaces à force d'user des méninges me fait souffrir. Je tiens avec fermeté la tasse de café censé contribuer à mon regain et secouer mon cerveau.
— Sunoo ? Oh t'es enfin réveillé.
Ni-ki me tire de mes pensées. D'ailleurs, j'ai remarqué quelques cartons prêts, ce matin.
— Hey... dis-je à voix basse.
Je n'ai pas bu une seule goutte d'alcool hier et pourtant, je me sens amorphe.
— Soirée arrosée ?
— Loin de là... Je souffle. Je n'ai pas bu si c'est ce que tu penses.
Ses lèvres s'étirent, loin de paraître moqueur cependant. Je le sais parce qu'avec le temps, j'ai appris à décrypter chaque expression de mon colocataire.
— Je sais ! Je parlais dans le sens littéraire.
Voyant mon état de confusion, il reprend.
— Tu étais trempé hier.
— Ah.
— Ton ami, petit ami, peu importe, t'as ramené.
C'est comme une alerte dans mon cœur. Un courant brusque qui me fait redémarrer.
— Tu veux dire, grand, blond, athlétique ?
— Exactement ça oui, dit-il en hochant la tête.
Je n'ai pas pu m'empêcher de sourire. Même si j'aurais aimé, pour éviter un quelconque sous-entendu de Ni-ki. À mon plus grand damne, c'est le genre de chose qu'on ne peut pas repousser. Au moins j'aurais eus ma confirmation.
Hier était réelle.
— Hé, c'est quoi ce petit sourire ?
Je me désintéresse de ce bel acteur en me reprenant. Il se penche vers moi, me chuchotant à l'oreille. Je grimace à cause des chatouillis causées par son souffle.
— J'ai raté un épisode ?
— Rien qui ne te regarde, tu es trop curieux.
— Allez, spill the tea, je veux tout savoir.
Il se cramponne à mon épaule en battant des cils pour m'attendrir. Je lui jette un coup d'œil. Notre faible proximité ne nous gêne pas. Nous y sommes habitués sans avoir d'arrière pensées. De plus, il est hétéro, ça va plus vite.
— C'est privé au cas où tu n'arrives pas à saisir. Et puis, depuis quand ma vie t'intéresse ?
— Depuis toujours ! C'est ton petit ami ?
Face à ses pommettes rehaussés par un sourire démoniaque, je suis ravagé par la chair de poule. Je le repousse et m'éloigne, circulant dans notre salon.
— Au fait, tu déménages ?
— C'est ça, change de sujet.
Il réprime un soupir et emboîte mes pas.
— Je suis sérieux Ni-ki.
— Wep.
Il me prend ma tasse des mains et se permet une gorgée. Ma paume s'abat sur la sienne en réponse.
— Aïe ça fait mal !
— T'as qu'à te servir toi-même. Et répond à ma question.
— Je t'ai répondu.
Il me désespère. Je roule des yeux tandis que lui se décide enfin à se nourrir seul. Il retire une bouteille de lait, buvant à grosses gorgées, le goulot directement collé à ses lèvres.
Malgré mes vaines plaintes, je ne pense pas que ce garçon saisisse les règles d'une colocation en harmonie. Ce petit détail qui n'est que le premier d'une longue et interminable liste ne fait que consolider mon choix : son départ est imminent.
— Ni-ki...
— Ok, ok. Alors, ton cousin m'a passé un coup de fil ce matin et il est intéressé par mon offre.
— Hyunjin ?
Je suis scié. Je ne lui en avait même pas encore parlé.
— Je sais à quoi tu penses. Laisse-moi t'expliquer, il appelait pour toi de base et j'en ai profité pour lui exposer mon projet. Et il avait plutôt l'air partant.
Voilà qui est plus compréhensible.
Alors, si je comprends bien, il a eut son opportunité et étant un homme de parole, il va quitter le dortoir. Honnêtement, je ne pensais pas que l'apprendre me peinerait. Qu'on soit clair, il va de soi que la nouvelle me réjouit en majorité. Finit les soirées trips et l'odeur fétide du tabac froid. Fini les corps entassés au salon et les vêtements jonchant au sol, à l'image d'une décharge.
Il reste d'une bonne compagnie cependant. Je me suis attaché à lui. Malgré ses nombreux défauts, Ni-ki est un charmant jeune homme. Vraiment. Spécial et touchant. C'est la raison pour laquelle je délaisse mon mug pour me blottir contre lui. Ça a l'air de le surprendre, vu qu'il a hésité avant de m'enlacer.
Moi aussi je me surprend.
— Je te manque déjà ?
— Ta gueule, marmonné-je dans le creux de son cou.
— Je peux rester si tu veux, chuchote-t-il en retour.
Je ne le vois pas mais je sens son sourire s'étendre contre ma peau. Je secoue la tête et me détache enfin de lui.
— Toi et moi savons que nous ne sommes pas fait pour vivre ensemble.
Nous fonctionnons différemment.
— Mais, on reste amis.
Il me laisse enfin entrevoir ce sourire que je recherche tant. Celui, sincère, d'un jeune homme qui a compris où je voulais en venir.
— Ne t'en fais pas, j'en ai conscience. Nos chemins se séparent ici donc... J'aurais fini de ramener les cartons quand tu rentreras.
J'opine du chef. L'ambiance est un peu tendu. Nous ne sommes pas si sentimental l'un envers l'autre. Ça reste singulier. Je crois qu'il est du même avis que moi lorsqu'il cherche à détendre l'atmosphère.
— Je suis sûr que ton prochain colocataire ne sera pas aussi cool que moi.
— C'est ça, s'il m'ennuie je viendrai te rappeler, plaisantais-je.
— Ne pense pas que j'accepterai aussi facilement !
Je fais mine de réfléchir, doigts au menton.
— Je trouverai bien un moyen.
Il va me manquer.
***
Les couloirs de Yosei sont bondés, les foulées rapides et peu discrètes.
Les pas résonnent comme une grande armée de conquérants. L'université accueille en son sein des étudiants venus d'ailleurs, bien qu'elle soit bâti en Corée. On ne voit que très peu de coréens.
Lundi rime avec reprise. Le réveil est sévère car il annonce une longue semaine chargée de cours et d'apprentissage. Un parcours lourd et intensif afin de produire à la fin de l'année les meilleurs étudiants dans leur domaine. On ressent quelque chose d'intense et d'étrange dès qu'on pénètre l'allée principale.
Un sentiment d'oppression ? Difficile de le décrire avec clarté.
C'est aussi une bataille silencieuse pour le prestige. Lorsqu'on provient d'une famille de privilégiés, on se doit d'être le meilleur. J'ai vite saisis la politique de Yosei. Elle ne diffère pas de Hanlin, mon ancien lycée.
Le pouvoir aux plus doués.
Yosei a instauré un écosystème où le nom de famille seul ne mène plus au sommet.
C'est notre propre nom qu'on nous apprend à inscrire dans l'histoire. Se démarquer et se soustraire de l'ombre de nos prédécesseurs. Je ne suis qu'une première année. Ce n'est qu'à l'annonce des premiers résultats que les hostilités seront lancées. J'aimerais me tenir éloigné de cette arène sans pitié.
Or cela me semble inextricable.
Ça peut paraître malavisé comme ça. C'est juste notre réalité. Celle de tous ceux qui se dirigent avec hâte vers leurs amphithéâtre.
***
Giselle enchaîne les insultes.
Ces dernières m'effleurent et se font aspirer par un siphon invisible créé par mon mutisme.
Je crayonne des formes géométriques sur la table, digne d'une œuvre d'art de la maternelle. Mes pensées vagabondes s'éparpillent pour mieux se retrouver. Dans ma phase créative, je la dessine, elle, ma meilleure amie. Ses gestes brutaux éloignent les têtes curieuses. Bavarde, et brute, elle en effraie plus d'un.
Je ne sais par quel miracle, je me retrouve à côtoyer ces âmes qui sont à part. Des mal aimés, parce qu'ils sont en marge.
À notre première rencontre, Giselle semblait être une ombre particulièrement instable, aux vibrations tenaces et violentes. À force de la décortiquer, j'ai découvert qu'à sa manière, elle irradie d'ondes inhabituelles certes, mais d'une fréquence atypique.
— Tu ne m'écoute pas.
Elle tapote des doigts, en rythme, contre le pot en plastique du milkshake, tournoyant de son autre main la paille coincée entre ses lèvres.
— Si. Alors, on tue Marson de quelle façon ?
— Toi, moi, une Chevrolet, un corps dans le coffre. Quelques joints.
— Très poétique, plaisanté-je, un sourire naissant aux lèvres.
— Sérieusement, tu penses qu'il tiendra dans un sac plastique ?
Je hausse les épaules.
— Comment tu veux que je sache ? Je n'ai jamais commis de meurtre.
— Des tentatives par contre...
— Pardon ? M'exclamé-je, la main sur le cœur.
— Ta tentative raté de faire cuir Hyunjin au four, Sunoo.
— Si je dis que c'était une expérience scientifique et que j'avais dix ans, ça passe ? En plus, il l'avait bien cherché.
— Futur assassin en série à un si jeune âge.
Je roule des yeux, m'apprêtant à la contrer lorsque je me fais couper dans mon élan.
— Mais qui vois-je... salut soleil !
Jake. Il me contourne, en allant s'assoir à côté de Giselle.
— On peut se joindre à vous ?
Une seconde, « On » ?
— Salut.
Je jette un coup d'œil furtif au blond qui se dresse sous mes yeux. Un géant d'un mètre quatre-vingt-dix (pure estimation). Il se place à table avec une délicatesse insoupçonnée. Mes orbes s'accrochent à celles de Heeseung, se rassurent qu'il ne s'agit pas d'un mirage. Que mon taciturne n'est pas le fruit de mon imagination.
Tandis que Jake et Giselle se sont engagé dans un sujet — peu importe lequel, mes yeux suivent avec précision les tatouages de Heeseung à découverts. Celui dont je n'avais aperçu que des miettes. Il s'agit de branches et quelques fleurs de mimosa qui s'étalent sur tout le bras.
Je réprime l'envie de retracer le contour de mes doigts.
Outre ce précieux détail, ce sont ses cheveux et sa teinture blonde qui attirent mon attention. Sa crinière dorée est à moitié attachée en queue de cheval et retenue par une barrette en forme de cœur. Je le trouve mignon. Je me mord l'intérieur de ma joue pour éviter de sourire.
— ...et c'est pour ça que le sexisme anti homme n'existe pas ! Ce n'est qu'une invention d'hommes à l'ego fragile.
Quoi ? J'ai raté quelque chose ?
— N'est-ce pas Sunoo ?
— Oh... j'essaie de faire sortir des mots d'entre mes lèvres sans succès. Euh, ouais exactement. C'est vraiment... scandaleux.
— Tu n'as rien suivi, n'est-ce pas ? Pouffe Jake à côté.
Étais-je si visible que ça ? J'espère au fond que personne ne s'est rendu compte de mon regard insistant sur Heeseung. Je risque d'être gêné.
— On parlait du bal d'intégration en réalité.
— Désolé, j'avais la tête ailleurs.
Voici de piètres excuses qui, j'espère, seront rapidement acceptées.
— Le bal de fin d'année à Hanlin, c'était quelque chose, expose Jake en croquant une frite.
Je fixe Heeseung qui ressemble à une illustration piégée sur le papier; que je prend le temps de contempler encore et encore, perdant la notion du temps.
— Tu étais au lycée avec nous ?
— Nope. Je me suis faufilé parmi les invités. J'étais à Cheosan art académie moi.
— Ok. J'ai trouvé ça chiant personnellement, répond Giselle. Le bal d'inté, c'est obligatoire ?
— Ouais, si tu veux réussir dans la vie. On pourrait y aller ensemble ?!
Jake et Giselle sont les seuls à faire la conversation. Heeseung dévore à la limite son riz, une miette oubliée sur le coin de ses lèvres. Un grain de nostalgie qui sème les images d'une enfance chaleureuse, d'un gamin introverti qui fait la connaissance de son opposé.
Peu bavard de nature, mes seuls échanges se résumaient à l'époque, à ceux avec mon ours en peluche; habitué à ignorer mes camarades que je jugeais trop stupides, à colporter des commentaires peu glorieux sur mes joues potelés. J'observais derrière un arbre, le gamin taché de terre et son escargot. Intrigué, malgré ses taquineries.
Encore sur mes gardes, j'hésitais souvent entre l'approcher ou retourner dans ma bulle avec solitude. Dans le doute, le silence s'étirait avec le temps, tel un élastique qui prenait plus de longueur au fil des jours.
Sous les feuillages des arbustes, cachés par un voile opaque mais invisible, les éclats de rire bruyants des autres enfants nous parvenaient comme un murmure. Le doux vent se mettait à siffler à nos oreilles, le chant des roseaux.
Et moi je pensais, serrant plus fort que jamais le bout des manches exagérément longues pour mes bras, cédant à l'envie plus que pressante de comprendre.
Des questions, j'en avais.
À savoir, pourquoi ce garçon qui ressemblait tant aux autres, ne se mêlait pas à eux; ne bougeait jamais de ce buisson; ne courait pas stupidement derrière les papillons; ne pourchassait pas de trésors cachés dans le bois, en compagnie de ses amis.
Heeseung et moi étions à la fois semblables et différents. Un peu bizarres, un peu isolés du monde.
— Sinon Sunoo, tu pourrais y aller avec Karina, propose Giselle.
— Moi ?
— Sunoo ?
— Soleil ?
— Oui, confirme-t-elle.
Le canal de mes souvenirs est brusquement interrompu par cette proposition inattendue.
— C'est bien ton ex non ? Soulève Jake.
— Ils n'sont sortis ensemble que quelques mois aussi, marmonne le basketteur dans sa barbe, croyant que ses mots ne seraient pas entendus.
C'est fou ça, son implication soudaine dans une conversation qui ne semblait pas l'attirer. Comment peut-il savoir ça alors qu'il a fréquenté aux USA à ce moment-là, et moi en Corée ?
Je le fixe, comme lorsque je me plante devant un tableau dans un musée. Heeseung est une œuvre de mon enfance que je redécouvre d'un œil adulte.
— Ah ouais Hee, t'es bien informé pour le coup ! Remarque son ami.
— Personnellement, ça me va, leur fais-je comprendre.
Je me remémore le bal de fin d'année à Hanlin qui s'était transformé en escapade nocturne.
Nous nous sommes enfuis, Giselle et moi, avec d'autres élèves, eux aussi en quête d'une distraction bien plus joyeuse que leur ennuyeuse soirée. Ambiance festive, virée sur le pont et feu de joie près de la rivière Han s'en étaient alors suivi. Clopes et bières, à parler de sujets simplistes dans une béatitude authentique.
— La tradition est d'y aller avec quelqu'un de son année non ? Commente de nouveau le blond.
Je roule des yeux, me demandant pourquoi s'investir autant sur une pauvre histoire de cavalier.
— Chico, je peux très bien me passer de la tradition si tu veux tout savoir.
— Ça reste un moment important avec des règles. Je suggère que tu y ailles avec quelqu'un d'autre.
Il dit cela, ses yeux braqués sur ma personne. Aucune faille dans son regard. Il semble fermement en accord avec ses mots.
— Euh, les gars—
Je coupe Jake dans son élan sans même m'en rendre compte.
— Ah oui ? Et d'après toi, qui serait parfait pour m'accompagner dans ce " moment important " ?
— Je sais pas. Juste quelqu'un d'autres, dit-il d'un air détaché.
— Ce n'est pas un argument ça. Et puis, pour quelqu'un que je viens à peine de rencontrer, je trouve que c'est assez personnel comme décision pour que tu t'en mêle.
— Parce que pour toi, nous ne sommes que des étrangers à présent ?
Il m'a l'air sérieux, pourtant je refuse de lui donner satisfaction. Pas quand il a simulé ne pas me reconnaître.
— Je ne suis pourtant pas celui qui a initié ce petit jeu, Ethan.
J'appuie sur ce prénom dont je n'avais aucune connaissance. Étant donné qu'il a vécu aux États-Unis, il s'agit de son prénom américain.
— Ok... nous coupe Jake, qu'est-ce qui se passe là ?
— Rien.
Nos voix se superposent, s'étant exprimées au même moment. J'ai peur d'avoir perdu le fil. Ou alors, je peine à comprendre le sens de notre petite discorde.
Giselle, aussi surprenant soit-il, n'est pas intervenue une seule fois. C'est un phénomène rare. Elle paraît habitée d'un étrange calme. Je souffle et me lève. L'ambiance est tendue. Rien qu'à son menton qui repose dans sa paume, le bras soutenant sa tête, je devine que Heeseung ne regrette rien de ce qu'il a dit.
Je suis loin d'être vexé ou autres. Juste perplexe.
— Je vais y aller. J'ai cours bientôt.
— À plus soleil, me lance Jake de son éternel voix mielleux.
Je lui offre un subtil hochement de tête et quitte le café. Pourquoi Heeseung tient tant à ce que je n'aille pas au bal avec Karina ? Gêné car c'est notre ex à tous les deux ? Ou il comptait l'inviter ?
***
Parfois, quitter mon lit revient à un supplice.
D'ailleurs, je me suis toujours demandé si j'étais le seul aliéné à laisser ma tête glisser sur le bord de mon lit. Ainsi, je vois les choses à l'envers. Percevoir le monde sous cet angle a un effet sur moi que je ne pourrais même pas expliquer. Certains plantent leurs regards sur le plafond à leur réveil, à se perdre entre pensées intensives et imagination débordante. Le monde à l'envers me permet de remettre les idées en place. Un peu paradoxale.
Une semaine. Mon dortoir donne l'air d'être habité par un fantôme.
C'est à peine s'il remarque la trace de mon ombre. J'y circule comme un zombie qui ne traverse le salon que pour piller le frigo. Il me reste un minimum de savoir vivre alors non, je n'ai pas tant sombré sous les exigences universitaires. Je conserve mon hygiène tout en réduisant mon alimentation à quelques paquets de biscuits et glaces.
J'ai tenté de couper tout contact avec l'extérieur, ça n'a pas marché. Il faut dire que fuir Giselle s'avère être une mission impossible. Je ressens de la culpabilité rien qu'au fait de penser à l'éviter.
C'est juste que parfois, je ressens l'irrésistible envie de m'isoler. Elle ne me préviens pas, survient et m'impose mon retrait de la société. J'ai beau m'être intégré, le petit gamin solitaire du parc Dosan survit toujours tout au fond. Et en parlant de ce parc, je préfère ignorer les brides d'éclats démoniaques qui persistent à marquer mes souvenirs d'enfances au fer rouge.
Heeseung et encore Heeseung.
C'est compliqué avec lui. Comment aurais-je pu deviner que trois ans à s'abstenir de toute communication pouvait causer autant de dégâts ?
Je réprime un soupir tandis que l'âme fade et sans une once d'inspiration que je suis traverse le salon à la légèreté d'une plume. Les frissons m'annoncent une fenêtre ouverte qui laisse passer la brise glaciale d'une matinée automnale. Je prends alors conscience de mon accoutrement. Des chaussettes et une chemise immaculée dont la longueur cache mes fesses. Charmant.
J'ouvre le frigo, mes yeux voyageant d'étage en étage; vides.
Sauf celui du haut où repose une boite de lait. Je peux enfin me servir sans avoir l'impression d'échanger un baiser indirect avec Ni-ki. J'attrape un bol et des céréales au passage.
Une fois ma préparation prête, j'ai à peine le temps de savourer le goût sur ma langue qu'on frappe à ma porte. C'est à contrecœur que je délaisse ma cuillère et part ouvrir. Je prends conscience d'avoir temporairement oublié mes vêtements, lorsque j'ouvre et rencontre le faciès sculpté par la surprise de Giselle.
— Wow, t'as fais la fête tard jusqu'à trois heures du mat' ou quoi ?
Ça aurait pu être n'importe qui à sa place, quand j'y pense. À mon plus grand malheur, j'ai un cerveau qui refuse de prendre correctement service sans avoir rien mangé le matin.
— Ce n'est pas mon genre et tu le sais.
C'est en toute légèreté, tel un papillon, que je retourne à mon précieux qui m'attend sur l'îlot.
— C'est pour ça que je suis inquiète. Sérieusement, des chaussettes à carreaux ?
Les joues pleines et quelques gouttes de lait sur les lèvres, je la foudroie du regard.
— J'ome eutre o l'euge cheu mou.
— En coréen, ça veut dire ?
J'avale et reprend.
— J'aime être à l'aise chez moi. Et tu vois ça ? Demandé-je en pointant mon bol du doigt. C'est mon petit moment de bonheur dans cet enfer que je vis.
— Pauvre Kim Sunoo qui se heurte pour la première fois à ce mal être profond qu'est l'absence d'inspiration. Il se terre chez lui et se cache du soleil tel le vampire qu'il est. La légende raconte qu'il s'est perdu dans ce vaste domaine qu'est son dortoir, noyé dans les cuvettes des WC. On ne l'a plus jamais revu. La morale de l'histoire ? Si vous avez une amie aussi géniale que Giselle, la meilleure des choses à faire est de se confier à elle !
— T'as fini ?
C'est que j'aimerais manger en paix.
Les commissures de ses lèvres s'étirent sur le coin. On aime ça, dramatiser entre nous. Elle se rapproche, prenant mon visage en coupe. Je la laisse faire.
— Plus sérieusement, est-ce que ça va ?
Je suppose que face à Jung Giselle, je n'ai pas vraiment d'autres choix que de passer aux aveux. Peu importe à quel point je peux me transformer en tombe d'acier, il m'est presque impossible de ne pas me déverser auprès d'elle.
— Non... pas vraiment en fait. C'est les cours.
Tout ce qui me pèse, tout ce qui cogite dans ce cerveau, je fais tout ressortir.
— Il se trouve que les partiels sont dans deux mois, les profs nous mettent la pression, je me retrouve en panne d'inspiration et mon viel ami d'enfance pas si vieux que ça débarque et ça chamboule absolument tout autour de moi.
Je débite tout ceci en tournant en rond, dans de grands gestes d'un homme qui aurait été atteint de folie.
— Bon... il n'y a peut-être pas que les cours au final.
On s'échange des regards qui en disent plus que les mots que je viens de vomir.
— Il se passe quoi entre vous ?
— J'en sais rien. C'est le bazar dans ma tête.
C'est dire que je peine même à nommer ce qui me tracasse tant à l'intérieur. J'ai eu du mal à le réaliser quand je l'ai revu. Certains moments, je croyais faire face à un mirage. Il m'avait semblé si lointain.
La rousse ne réplique pas. Ce silence m'apaise autant qu'elle m'angoisse.
— Dis moi quelque chose parce que là, j'ai l'impression de perdre la tête.
— Tu n'es pas fou, je te rassure. Juste un peu dingue.
Les mots ont un pouvoir destructeur et réparateur à la fois. Tout dépend de comment on s'en sert. Ils peuvent raviver des souvenirs qu'on avait bien fait de dissimuler dans un coffre. C'est des clés, des lames, des flèches, des griffes, des sceaux d'eaux réfrigérants, des balles.
Les siens me redonnent le sourire.
— Hum, j'espère que ça va passer.
— Je sais ce qu'il te faut.
Les doigts de Giselle s'enroulent autour des miens, attirant mon attention.
— Quoi ?
Je la laisse faire, nos paumes réchauffées se rencontrent. L'intérieur de sa main est duveteuse au toucher. Ses doigts paraissent minces, frêles et fragiles. Les sentir former des cercles imaginaires contre ma paume me rassure. C'est une de nos nombreuses démonstrations d'affection.
— On va se rendre à une soirée.
— Oh non Gi' je ne veux pas.
— Je n'accepte aucun refus ! Et je te promet que c'est un bon plan.
Elle se lève aussitôt, coupant court à ma source de bonheur.
— Il m'a promis que ça sera en petite comité.
— Il ? Je répète. Qui ça, il ?
Giselle se balance doucement d'avant en arrière, ne tenant presque que sur un pieds, tandis que l'autre se tortille un peu à côté de son jumeau. Elle s'apprête à m'annoncer une nouvelle qui risque de ne pas me plaire.
— Jake.
— Depuis quand t'es pote avec Jake ?
— Quoi ? T'es jaloux ?
— Ouais.
— Il n'y a pas de raison ! Bon, tu viens ?
Je me lève à mon tour et commence à reculer.
— Une seconde, je n'ai jamais dis oui !
— Pas besoin ! J'ai pour ordre d'employer la force si nécessaire.
Quel genre de pacte a-t-elle encore passé ? Aurait-elle vendue mon âme au diable ? N'empêche, lucifer m'en ferait part que je ne serais pas étonné.
Je fini par soupirer, capitulant en silence. Je n'ai pas la force de me battre.
— Bon, c'est d'accord.
— C'est génial ! Ça nous évite le côté violent, bain de sang et tout.
Je roule des yeux. Quelle dramatique.
— Oh et, je t'ai déjà dis que c'était à l'appartement de Heeseung ?
Tandis que j'allais me mettre à ranger mes céréales à peine entamés et déjà froids, la voix de Giselle qui part dans les aiguës me confirme bel et bien la bêtise qui arrive. La bouche béante, je l'accable d'un regard outré.
Je savais que je n'aurais pas du avoir autant confiance.
— Non...non... t'es pas sérieuse. Qu'on soit clair Jung Aeri Giselle Martina, il est hors de question que je pose mes pieds chez Heeseung. Je préfère encore me faire écraser par un troupeau de chevaux. Tu m'entends ?
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