Chapitre 4. mauvais karma

Nao

20h00.
J’attrape mon balai et termine de passer un dernier coup dans le salon. Le carrelage brille enfin sous les néons. Je range les produits, attrape mon paquet de clopes et j’éteins les lumières.

Une longue journée, comme toujours.

Dehors, je frissonne en sortant de la boutique.
L’air est glacé, l’automne commence à mordre, et moi, comme un abruti, je suis encore en t-shirt.

J’allume une clope d’une main tremblante et laisse la fumée chaude envahir mes poumons.

Le vent glacial s’engouffre sous mes vêtements, mais je n’ai même pas l’énergie de rentrer prendre une veste.

D’un pas traînant, je m’engage dans la rue.
L’épicerie du coin, mon sanctuaire des soirs où l’idée même de cuisiner me donne envie de grogner.

En entrant, la petite clochette m’annonce, et comme toujours, le vieux patron me salue avec son sourire habituel.

« Oh, l’artiste ! Comment ça va ? T’as pas froid avec ce t-shirt ? »

Je hausse rapidement les épaules en réponse. « Salut, boss. Non, ça va. » Je vais directement vers le rayon où je prends mes éternels essentiels : un sachet de riz à cuire au micro-ondes et une boîte de thon.

Repas d’un roi.

« Bah, t’es au régime ? Pas de barre de chocolat ce soir ? » plaisante-t-il en scannant mes articles.

Je force un sourire, une courbure qui ne monte pas jusqu’à mes yeux, et je secoue doucement la tête.
Je n’ai juste pas faim.

Aujourd’hui, deux trucs m’ont mis de mauvaise humeur.

D’abord, cette histoire de colocation. Quand ce Marc est venu visiter, j’étais presque soulagé...
Le type semblait normal, propre sur lui, un peu trop poli peut-être, mais c’était déjà mieux que les deux pintades qui étaient passées hier.

Elles avaient un parfum tellement lourd que j’ai failli ouvrir une fenêtre, et l’une d’elles m’a même proposé un verre...
Comme si j’allais partager plus qu’une adresse avec elles.
Non merci.

Mais voilà.
Marc a un gosse.
Et moi, je déteste les gosses. Ça braille, ça court partout, ça casse des trucs, et surtout, ça pose trop de questions. Avec ma mère qui était nounou quand on vivait encore au Japon, j’ai eu mon quota de mômes bien avant mes dix-huit ans.
Impossible que je supporte ça chez moi.

Et puis, la deuxième chose… Mike.

Mon plan du moment.

Monsieur marié.

Il m’a envoyé un SMS juste avant que je ferme le shop, décalant notre rendez-vous. "Désolé, mec, ma femme est en congés, ça va pas le faire ce soir. Passe juste me voir en coup de vent. " Le genre de message qui te rappelle pourquoi t’évites les mecs en couple.

Sérieusement, ils sont tous pareils.

Je règle mes courses, fais un signe de tête au vieux et sors. Je prends le chemin de l’hôtel où Mike m’a dit qu’il passerait récupérer un truc pour le boulot.
L’endroit n’est pas loin, quelques rues seulement.

Je traverse, passe derrière l’église, et voilà l’hôtel.
Sauf que je m’arrête net en arrivant.

Mike est déjà là.
Et il n’est pas seul...

Il discute avec un homme que je reconnais immédiatement.
Marc. Le père célibataire.

Mon regard descend, et je remarque les valises posées à leurs pieds. Et à côté de Marc, il y a un gamin. Forcément.

« Putain de mauvais karma, » je murmure en tirant sur ma clope, m’arrêtant à distance.

Je les observe un instant, caché dans l’ombre.
Marc a l’air à l’aise, son fils accroché à sa jambe, écoutant attentivement ce que Mike raconte. J’avance un peu, juste assez pour capter quelques bribes de leur conversation.

« Ah, donc vous êtes dans cet hôtel pour un temps indéterminé ? C’est pas cool… Mais vous verrez, les lits et le personnel sont top ! Je viens souvent ici pour le travail, » déclare Mike avec ce sourire d’opportuniste que je connais trop bien.

Je fronce les sourcils. Alors c’était ça, l’urgence dans sa voix quand il est venu visiter l’appartement ?
Il est à la rue ?

Je ne sais pas pourquoi, mais ça me fout un coup. Une part de moi est agacée, une autre… je sais pas. Peut-être un peu coupable ?

Je jette ma clope à moitié consumée et m’approche lentement. Mike me voit en premier et lève la main pour me saluer, un sourire narquois aux lèvres.

« Tiens, tiens, Nao ! T'as pas traîné ce soir, » lance-t-il, toujours aussi sûr de lui.

Marc se retourne, et nos regards se croisent. Il semble surpris, peut-être même un peu gêné. Et moi, je me retrouve là, coincé entre deux situations que j’aurais préféré éviter.

Un bruit de vibreur brise le silence, et Mike s’éloigne, collé à son téléphone.

Et moi, je reste là, planté comme un con.
Ce type m’a fait venir pour rien, et maintenant il me laisse poireauter ? Sérieusement...

Je soupire, agacé, et je croise les bras, prêt à lui balancer quelques mots bien sentis dès qu’il revient.

« Rebonjour, » murmure Marc.

Je tourne les yeux vers lui, presque à contrecœur.
Il a l’air mal à l’aise, un sourire hésitant sur le visage.
Mon regard glisse rapidement vers le gosse accroché à sa jambe.

Alors, c’est vraiment son fils ?

Je l’observe un instant. Sa peau est beaucoup plus claire que celle de son père, et des cheveux blonds bouclés lui tombent sur les épaules…
Rien à voir avec Marc, à part peut-être les yeux, marron clair.

« Bonjour, monsieur ! J’aime bien le dessin papillon ! » s’exclame soudain le gamin avec un sourire si large qu’il me surprend.

« Hein ? » Je fronce les sourcils, pris de court.

Le petit tend une main minuscule et pointe l’un de mes tatouages du doigt.

« Là ! »

Je baisse les yeux vers mon bras. Il parle de la libellule noire tatouée dans le creux de mon coude.

Je ne réponds rien, et Marc se racle la gorge, visiblement gêné. Il se penche légèrement vers son fils pour lui expliquer.

« Ce sont des tatouages, chaton, pas des dessins. »

Le gosse plisse le nez, visiblement intrigué. « Et c’est quoi la différence ? Ceux-là restent plus longtemps ? »

Je ne peux m’empêcher de relâcher un peu la tension dans mes épaules. Au moins, il n’est pas bruyant ou insupportable.
Juste, curieux.

« Pour toujours, » je finis par dire, sans trop savoir pourquoi je réponds. « Une fois sous la peau, c’est pour la vie. »

Marc lève les yeux vers moi, légèrement surpris, mais il ne dit rien.

Le gamin, lui, écarquille les yeux comme si je venais de lui révéler un secret d’État. « Pour toujours ?! Mais… Et si on change d’avis ? »

Je hausse les épaules, glissant mes mains dans mes poches. « Alors, il faut bien réfléchir avant. »

Marc esquisse un sourire, et je sens qu’il hésite à parler. Peut-être qu’il est étonné que je m’adresse à son fils. Moi-même, je ne sais pas trop pourquoi je le fais.

« Mais toi, t’as pas changé d’avis ? » continue le gamin.

Je hausse un sourcil, amusé malgré moi. « Non. Chaque tatouage a une histoire, un souvenir. Même si je voulais les enlever, ils feraient toujours partie de moi. »

Le gamin semble réfléchir intensément à ma réponse, et je me surprends à attendre sa prochaine question.

Mais avant qu’il ne puisse parler, Marc intervient.

« Nathan, laisse le monsieur tranquille, il doit avoir d’autres choses à faire. »

Je secoue légèrement la tête. « Ça va. Il est pas embêtant. »

Nathan lève des yeux brillants vers moi, un sourire fier sur les lèvres. Je détourne vite le regard, mal à l’aise avec l’idée qu’un môme me regarde comme ça, comme si j’étais quelqu’un d’intéressant.

Mike revient enfin, coupant court à l’échange. « Désolé, c’était ma femme. Bon, Nao, je te laisse ? »

Je le fusille du regard. « Tu m’as fait venir pour rien ? »

Il grimace, haussant les épaules d’un air faussement désolé. « J’avais besoin de te parler, mais au final, c’est pas important. On se capte plus tard ? »

Je soupire profondément, l’ignorant, et tourne les talons sans répondre. En passant devant Marc et son fils, je leur adresse un bref signe de tête.

« Bonne soirée. » Lance Marc dans mon dos.

Je m’éloigne rapidement, mais je ne peux m’empêcher de penser à leur situation.

Ce type et son gosse, à l’hôtel, visiblement en galère.
Et moi, j’ai refusé de les laisser emménager.

Pas mon problème, je me répète, comme un mantra.

×××

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top