Chapitre 2. Encre et encens
Bertrand sirote son café d'après repas, installé à la table de la cuisine en lisant je ne sais quel bouquin, les sourcils froncés.
Nathan, lui, est plongé dans un mélange de dessins animés et de tartines de fromage étalées sur la table basse. Ses boucles blondes sont collantes, comme la table, et comme tout ce qui se trouve à proximité...
Je profite du moment de calme pour imprimer quelques papiers dans le coin salon.
Les fiches de paie, la pièce d’identité, tout ce qui pourrait m’aider à décrocher ce bail.
Chaque bip de l’imprimante me semble durer une éternité.
Mes pensées s’éparpillent : Et si l’appartement ne convenait pas ?
Et si quelqu’un d’autre l’avait déjà pris ?
Je me passe une main nerveuse dans mes tresses, me retenant de soupirer à voix haute.
« Papa, regarde, j’ai fait une voiture verte pour Plou ! » s’exclame Nathan en brandissant un dessin où une tortue pilote un bolide improbable.
Cette image m'arrache un frisson que je cache au mieux.
Nathan voulait demander une tortue de compagnie à sa mère pour Noël...
J'espère qu'il osera poursuivre ce rêve, même sans Clara...
Je souris malgré cette pensée douloureuse. « Super, fiston. Mais oublie pas que Plou préfère rouler au ralenti, hein. »
Il rigole et retourne à son chef-d’œuvre tandis que Bertrand pousse un soupir sonore derrière sa tasse. « T’as intérêt à trouver un truc aujourd’hui. Ce soir, Eléonore débarque, et je te l’ai déjà dit, je peux pas vous garder une nuit de plus. »
Je prends une inspiration profonde, m’efforçant de rester calme. « Oui, Bertrand, j’ai compris, merci pour le rappel. »
Je ne lui laisse pas l’occasion d’en rajouter une couche et me dirige vers la salle de bain, ramassant mon nécessaire de toilette au passage.
Dans la salle de bain exiguë, l’humidité de la douche matinale de Bertrand flotte encore dans l’air. J’enlève rapidement mes vêtements, les posant sur une chaise en plastique un peu bancale, et me glisse sous l’eau.
L’eau chaude détend un peu mes muscles, mais mes pensées continuent de tournoyer.
Si je ne trouve rien, je fais quoi ? Retourner chez mes parents ?
Non, ça, c’est hors de question. Nathan a besoin de stabilité, pas d’un lit d’appoint dans un coin de salon...
Je frotte vigoureusement mon corps en évitant mes tresses, m’assurant qu’elles restent impeccables.
Une fois rincé, j’attrape le rasoir neuf qui traîne sur le lavabo. Je n’ai pas le temps pour une taille minutieuse, mais je ne peux pas non plus sortir avec une barbe en pagaille.
Je me penche vers le miroir, traçant les contours avec soin sur ma peau brune.
La lumière blafarde au-dessus du lavabo accentue les cernes que j'ai sous mes yeux. Faut que je dorme. Sérieusement...
Une fois satisfait, je sèche mon visage et applique une crème hydratante. L’odeur légère, légèrement boisée, me fait penser à Clara...
Elle disait toujours que ma peau était douce après ça.
Je secoue la tête, repoussant le souvenir en gonflant mes joues quelques secondes, me donnant sûrement une tête de hamster.
Enroulé dans une serviette, je retourne dans le salon et ouvre ma valise posée dans un coin. Mes vêtements sont un chaos organisé.
Je trifouille, hésitant.
Pantalon cargo ou jeans ?
Chemise ou pull ?
Finalement, j’opte pour un pantalon cargo noir et un pull lilas à capuche. Pas trop strict, mais pas trop décontracté non plus.
De retour dans le salon, Nathan est concentré sur ses crayons de couleur, un brouillon de tortue toujours étalé devant lui.
« Je vais sortir, d’accord ? Je reviens vite, sois sage avec tonton Bertrand. »
« Oui, papa. » Il ne relève même pas ses yeux noisettes vers moi, déjà absorbé dans son œuvre.
Bertrand, installé devant la télé avec les bras croisés, me jette un regard en coin. « Débrouille-toi pour être rentré avant la nuit. »
« Ça devrait aller, » dis-je en attrapant mon sac.
Mais je ne suis pas aussi sûr que j’essaie de le faire croire...
Le vent frais de l’après-midi me gifle dès que je mets un pied dehors.
Je resserre un peu la capuche de mon pull lila et inspire profondément.
Ce rendez-vous, c’est ma seule chance pour aujourd’hui, et franchement, je n’ai pas envie de revenir chez Bertrand les mains vides. Il a été assez clair : on est pas les bienvenus.
L’adresse m’amène en plein centre-ville. Je regarde autour de moi, cherchant des indices.
Les bâtiments sont un mélange d’anciennes façades de bois, typiques de la montagne, et de vitrines modernes. Mon regard tombe enfin sur une enseigne noire discrète : "NAO INK".
Je m’arrête net.
C’est une blague, non ?
Je vérifie l’adresse sur mon téléphone. Pas d’erreur, c’est bien ici.
Je fronce les sourcils, confus.
Un salon de tatouage ?
Je pensais visiter un appartement...
Je regarde le tout, un peu plus concentré.
Le bâtiment est à deux étages, et semble même avoir un garage dans l'angle... et au rez-de-chaussée, c'est bien un salon de tatouage.
Derrière la vitrine, je distingue un comptoir, quelques sièges, et des murs recouverts de dessins encadrés. Je prends une inspiration et pousse la porte, déclenchant un carillon métallique.
Après tout, ça ne sert à rien de rester planté dehors.
L’intérieur est propre, ordonné, mais l’atmosphère me met un peu mal à l’aise. Une odeur de désinfectant se mêle à celle, plus subtile, de l’encens. Les dessins sur les murs sont impressionnants : des fleurs, des animaux, des paysages, des motifs complexes.
Et, derrière le comptoir, un homme lève les yeux vers moi et se met debout.
Je me fige.
Il est plus petit que moi, typé asiatique, mince, avec des bras tatoués de motifs colorés qui grimpent jusqu’à son cou.
Ses cheveux noirs mi-longs tombent négligemment sur ses épaules et ses yeux marron, plissés d’agacement, me scrutent avec intensité.
« T’as rendez-vous ? » demande-t-il d’une voix rauque et directe.
« Euh… oui. Je suis Marc. On s’est parlé au téléphone tout à l’heure. »
Il arque un sourcil. « Ouais, et ? Tu veux quoi ? Un flash ? Un traditionnel ? »
Je cligne des yeux rapidement, pris de court. « Hein ? Non, je suis là pour visiter l’appartement. Vous avez mis une annonce, non ? »
Il soupire, visiblement mécontent, et se passe une main dans les cheveux, faisant briller deux boucles d'oreilles argentées, légèrement dissimulées sous ses cheveux en pagaille. « Ah… ouais. Avec ces grésillements, j’avais capté que dalle… »
Il se détourne, attrapant un chiffon sur le comptoir, et désigne un canapé noir au fond de la pièce. « Bon, attends là. J’ai un client à finir. »
Je m’exécute, un peu abasourdi.
En m’asseyant, je réalise que mon cœur bat plus vite que je ne l’aurais cru. Le stress de la journée, la surprise de cette rencontre... Tout s’entrechoque.
Mes yeux dérivent vers les murs. Les dessins, les détails... Ce type a un talent indéniable, mais son attitude est aussi tranchante qu’une lame de rasoir.
Et dire que c’est peut-être mon futur colocataire...
C'est vraiment une bonne idée ?
×××
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