Chapitre 7

Les yeux de Lizzie le transpercèrent, remplis de colère sourde. Elle ne comprenait pas. Elle n'était plus une enfant, elle devrait avoir la possibilité de sortir à sa guise. Sa requête avait semblé simple, pourtant : pouvoir voyager et visiter, découvrir, partager avec le peuple en tant que Dotée.

Mais Louis lui avait très vite fait comprendre qu'il n'était pas de cet avis. Le "non" avait été prononcé sans fioriture. Louis attendait d'elle qu'elle accepte sans broncher. Il soutint ce regard énervé. Elle ouvrit la bouche, prête à riposter. Il ne lui en laissa pas le temps.

-Ce n'était pas une requête ou une suggestion.
-C'est un ordre ?
-Exactement. Tu vois quand tu veux.

Lizzie serra les dents.

-Je n'ai pas à t'obéir.
-Je suis plus âgé que toi.
-Nous formons le Miroir ! Tu es mon Reflet au même titre que je suis le tien. Alors ton âge, j'en n'ai rien à faire.

Louis plissa les yeux. Il resta un moment interdit. 

-Tu sais que j'ai raison, répliqua immédiatement Lizzie. Difficile d'argumenter quand on a tort, hein ?
-Tort ? répéta Louis, incrédule. Nous sommes le Reflet de l'autre, c'est vrai. Mais ça ne change rien au fait que je suis plus âgé que toi, plus expérimenté. Tu n'y connais rien et tu parles comme si tu savais mieux que moi.
-Bon sang, j'arrive pas à croire que tu me sortes des trucs pareils pour une chose aussi banale ? s'énerva Lizzie.

C'était effarant. Lizzie ne comprenait pas. Et cette incompréhension lui donnait l'impression de vivre dans une autre réalité. Comment était-ce possible qu'une telle conversation puisse avoir lieu ? Jamais elle ne s'était attendue à une telle réaction, surtout pas venant de Louis. Elle ne demandait rien d'étrange ou de fou. Louis réagissait tellement à l'opposée de ce qu'elle croyait qu'il lui semblait qu'elle allait se réveiller : tout ceci n'aurait jamais été existé.

Mais ce n'était pas une rêve.

-Si tu penses que c'est une chose banale, c'est que c'est bien toi qui est dans le tort. Ce n'est pas grave, je suis tolérant, moi. L'entraînement est annulé.

Lizzie le regarda, les yeux exorbités. Il aurait tout aussi bien pu la gifler que l'effet aurait été le même.

-Tu n'as pas le droit !
-J'ai tous les droits !
-Et moi je n'en ai aucun ? s'emporta la Dotée. Tu as tous les droits sur moi 

Louis ouvrit la bouche, sa réponse au bord des lèvres. Il s'arrêta net avant de parler. Il se ressaisit.

-Tu vis dans un monde illusoire, Lizzie. Moi non. Je ferai le rôle de l'adulte avec toi s'il le faut et autant qu'il le faut. L'entraînement est arrêté jusqu'à nouvel ordre, jusqu'à ce que tu te calmes. Je ne veux pas te voir dans cette pièce. Et attention à comment tu utilises à ta magie. Si tu l'utilises pour te faire la malle...

Il ne termina pas sa phrase délibérément, la laissant en suspens. Il regarda une dernière fois Lizzie puis tourna les talons et quitta la pièce. Lizzie fixa la porte un long moment, le corps rigide et en silence.

Louis ne fut pas surpris quand elle ne vint pas le soir pour dîner ni le lendemain matin. Lui-même étant occupé, il ne fut pas là à son tour. Mais il ne s'inquiétait pas, les membres de son armée entouraient le lieu et pourraient veiller à la sécurité de Lizzie, et aussi à ce qu'elle ne sorte pas sans au moins être vue. 

Elle bouderait et il comprenait pourquoi. Puis ça lui passerait et ils retrouveraient leur routine qui leur plaisait si bien. Ce n'était rien qu'une passade. Il était même un peu envieux : elle avait eu la possibilité de réagir comme une enfant grandissant, lui ne l'avait jamais eu. Il se remémorait que trop bien à quel point il avait du jeter à la poubelle ses espoirs et sa personnalité d'enfant, d'adolescent. 

C'était sûrement même sain que Lizzie en passe par là. Ravi de la voir agir normalement mais déterminé à faire ce qu'il croyait juste, il se rendit sereinement vers sa destination. Il avait encore son empire à étendre pour que sa domination ne puisse plus être remise en question.

***

La nuit commençait à tomber. Elle aurait dû être au lit et attendre que le sommeil la gagne. Mais son esprit était agité. Car plus elle y réfléchissait et plus elle savait. Elle savait ce qu'il lui restait à faire. Elle avait vu, entendu et lu suffisamment. La cage dorée de Louis, elle en était trop sortie pour y retourner.

Le corps bien droit, le coeur palpitant mais certaine de son choix, elle prit une profonde inspiration. Tout irait bien, se répéta-t-elle mentalement. Elle y arriverait, il n'y avait pas d'autre choix que celui-là. Louis était puissant mais elle l'était tout autant. Et si elle ne connaissait pas l'étendue exacte des pouvoirs de son Reflet, l'inverse était tout aussi vraie.

Les yeux déterminés, avec la sensation de faire ce qu'elle devait enfin faire, elle posa son sac-à-dos sur ses épaules. Elle mit sa capuche qu'elle serra fermement autour de son cou. Elle vérifia ses gants : le tatouage qui l'avait tant fait souffrir et tant fait vivre était caché. Si seulement il était si facile de cacher qui on était, d'enfouir la cause de tout. Mais le tatouage semblait pulser sous le gant, comme s'il réclamait libération.

Elle se le promit : elle ne se cacherait pas longtemps. C'était une fuite pour mieux revenir. Échapper pour mieux planifier son retour. Louis voulait qu'elle reste dans le noir, inconsciente de ce qui se tramait réellement. Peut-être souhaitait-il simplement tout porter sur ses épaules. Mais à quoi bon parler d'équilibre, de Miroir uni si leur lien était déséquilibré ? Louis menait la danse et Lizzie devrait se laisser porter ? Cela lui était impossible, et elle s'en rendait compte davantage au fur et à mesure que les jours passaient.

Elle leva sa main tatouée et l'embrassa à travers le gant. Elle verrait enfin la réalité de ses propres yeux, elle grandirait en se confrontant à cette réalité, loin de tous les non-dits de Louis.

Plus de temps à perdre, se dit-elle. Tendant son bras, éloignant sa main de sa bouche, ouvrant grand la paume, elle laissa sa magie affluer et se concentrer dans cette main. Elle savait où elle voulait se rendre. Elle ne pourrait faire qu'un voyage de cette manière. Le reste se ferait à pied et, elle le savait, ce qu'elle s'apprêtait à faire épuiserait son énergie. 

Mais elle n'hésita pas, elle n'hésitait plus. Ses yeux se mirent à luire puis elle se mit à grésiller silencieusement. Plusieurs parties de son corps devinrent transparents. L'instant d'après, son corps tout entier disparut de la pièce, de cet endroit. Elle réapparut loin de Louis, loin de cette vie programmée pour se trouver là où tout avait commencé : le Village du Loup Perdu. Comme prévu, personne ne s'y trouvait. Le silence l'accueillit et elle lui tendit grand les bras. Le froid était bienvenu alors que le stress qui l'envahissait lui donnait chaud. 

Elle devait se mettre en route sans tarder mais elle resta pourtant immobile un moment. Une fois encore, la déception s'emparait d'elle. Elle se souvenait encore de l'amertume de vivre avec Lillie et Horace, cette sensation de suffoquer alors qu'elle devait se cacher, cacher qui elle était, ce qu'elle aimait, ce qu'elle pensait, l'essence même de son être. Cela avait été terrible, comme retirer une partie de son corps mais devoir vivre avec cette absence, ce vide perpétuellement. 

Louis avait été une bouffée d'air frais et elle, étouffant chaque jour, s'était agrippée à cet oxygène bienvenu. Mais si Louis était un Doté, son Reflet, il n'en restait pas moins un être humain : rempli de défauts et de contradictions. 

Quelle ironie, pensa-t-elle. Ne les avait-on pas encensés pour les êtres supérieurs et incroyables qu'ils étaient ? Et les voici aussi frêles que les autres, aussi imperfectibles et imparfaits que n'importe qui.

Louis avait voulu la restreindre, comme Horace et Lillie, pour son bien. Mais que leurs intentions aient été bonnes ne changeaient rien : Lizzie étouffait à nouveau sous le poids de ce qui était attendu d'elle. Elle voulait vivre et s'il lui semblait que ce n'était pas un caprice de sa part, c'était ce qu'on lui faisait ressentir. Ce n'était pas un caprice mais un cri d'alarme, un cri de son âme.

L'acte qu'elle venait de commettre changerait la donne. Elle brisait l'équilibre établi, elle le savait. Les remous qui surviendraient blesseraient, heurteraient, détruiraient. Mais les Dotés étaient censés vivre en équilibre l'un avec l'autre. Ce n'était pourtant pas le cas alors que, ce déséquilibre, elle n'en était pas à l'origine. Elle le subissait et elle avait décidé de réagir.

Elle ne regrettait pas sa décision et aussi douloureuse fut-elle, elle se battrait pour ses convictions. La liberté valait ce prix. Rassurée par ce dialogue intérieur, elle se mit enfin en route et disparut dans la nuit noire. Plus de retour en arrière possible, et c'était bien ce qu'elle souhaitait.

Lorsque Louis revint le lendemain matin, il comprit aux expressions honteuses de ses policiers la gravité de la situation. Il se rua jusqu'à la chambre de Lizzie et ouvrit la porte bruyamment. Celle-ci claqua contre le mur mais il n'entendit rien. Son attention était entièrement tournée vers le vide qui l'accueillit. Il marcha d'un pas rapide vers la buanderie : vide aussi. Envolés les vêtements, certains objets et, avec eux, leur propriétaire. 

Lizzie avait déserté, laissant derrière elle un lit qui n'avait pas été défait. Elle n'avait tout simplement pas dormi ici. Il se laissa tomber à genoux alors que le vide de la chambre le vidait de l'intérieur. Tournant le regard vers sa main tatouée, il tenta d'appeler son Reflet à travers ce lien unique qui les unissait. 

Mais s'il sentait que son Reflet était toujours en vie, Lizzie ne lui répondit pas, pour la première fois depuis six ans. 

Fin de la Partie II

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