Chapitre 6

Il ne fut pas bien compliqué de tomber dans une routine confortable. Lorsqu'elle se réveillait en premier, elle allait taper à la porte de Louis pour le réveiller à son tour et l'emmener dans la salle d'entraînement. Et si Louis se levait avant elle, il en faisait de même. Tous deux vivaient pour cet instant où, côte à côte, ils s'imitaient l'un l'autre. Ils repoussaient leurs limites et découvraient ce dont ils étaient capables ensemble. 

Lorsque ses pieds avaient quitté le sol, Lizzie avait pleuré tant la joie de pouvoir voler avait été immense. Louis l'avait regardé, les yeux brillants alors qu'il venait de lui apprendre ce qu'il avait appris seul il y a longtemps. C'était le premier savoir qu'il transmettait et cette sensation était incroyable. C'était son Reflet qui volait juste au-dessus de lui, et c'était lui qui le lui avait appris. 

Il s'était élevé dans les airs à son tour et, ensemble, comme cela aurait toujours du être, ils avaient baigné dans leur magie réunie. Louis était toujours celui qui mettait un terme à la séance car, même fatiguée, Lizzie ne voulait jamais s'arrêter. Son visage qui se transformait tant l'allégresse la remplissait lui rappelait à quel point pour la jeune Dotée, il était libérateur de pouvoir enfin s'exprimer de la manière dont elle avait besoin et envie.

On lui avait retiré ça, et Louis aussi l'avait vécu. Il travaillait encore plus dur à convaincre de manière non violente les dirigeants et les dirigeantes des autres pays de la planète de s'unir sous sa bannière pour que jamais Lizzie et lui, et les autres Dotés qui leur succéderaient ne vivent ce qu'ils avaient vécu.

Pour le moment, son objectif le plus proche était d'assurer à Lizzie qu'elle pourrait être à tout jamais libre de jouir de son pouvoir. Il ne lui parlait jamais de ce qu'il faisait après la fin de l'entraînement. Elle suivait des cours avec un professeur qu'il avait bien pris soin de sélectionner. Habituée à être seule, elle ne demanda jamais à suivre une scolarité avec d'autres élèves.

Elle ne l'accompagnait que lorsqu'il sortait pour voyager. Tous ceux autour de lui, les policiers et policières qui assuraient sa protection, ses conseillers et conseillères savaient parfaitement que toute vérité n'était pas bonne à dire et que certains sujets devaient être évités, tout comme le mot "Maître". Lorsque Lizzie était à ses côtés, il était Louis. 

La première fois que Lizzie lui demanda ce qu'il faisait lorsqu'il la quittait, Louis lui caressa les cheveux.

-Ne t'embête pas avec ça, ce n'est pas très intéressant.

La Dotée n'insista pas. Après tout, Louis l'avait toujours aidé. S'il disait qu'elle ne devait pas s'embêter avec ça, c'était que c'était vrai. Ce qui comptait surtout, c'était la liberté à laquelle elle avait enfin accès. Elle pouvait montrer son tatouage et plus elle en était fière, et plus Louis l'était. Elle n'avait plus besoin de se cacher, de ne pas montrer ce qu'elle savait faire, ce qu'elle voulait faire. 

Quand elle croisait des personnes dans les couloirs du manoir dans lequel elle vivait avec Louis, elle pouvait laisser éclater sa magie et l'offrir comme elle offrirait un sourire. Personne ne la tapait, ne voulait l'attacher, ne lui hurlait de tout arrêter. Alors quelle importance ce que Louis pouvait faire tant qu'ils pouvaient se retrouver, partager et s'épanouir comme le Miroir qu'ils formaient.

Mais Lizzie se mit à grandir et sa capacité de réflexion aussi. Et le temps où Louis pouvait compter sur la confiance aveugle de son Reflet arriva progressivement à terme.

***

-J'ai entendu quelque chose d'intéressant, dit Lizzie sur un ton léger.
-Quoi donc, mon cher Reflet ? demanda Louis en souriant.
-Maître Louis, annonça-t-elle d'un ton soudain moins léger.

Le visage du Doté se ferma brusquement. Ce n'était clairement pas une conversation qu'il voulait poursuivre. 

-Ce n'est pas la première fois qu'on t'appelle comme ça, n'est-ce pas ? demanda Lizzie sur un ton qui ne faisait pas penser à une question.
-Si tu connais déjà la réponse, pourquoi me la demander ?
-Je veux savoir ce qui se passe ici. Tu pars et des fois tu m'emmènes avec toi, des fois non. Est-ce que tu fais quelque chose que je ne dois pas voir ? Que tu ne veux pas que je voie ?
-Rien qui ne te concerne, Lizzie.
-Je suis une Dotée ! s'exclama-t-elle en se levant vivement de sa chaise.
-Tu as 12 ans.
-Tu avais bien 13 ans quand je t'ai connu et tu savais déjà plein de choses qu'un enfant de 13 ans ne devrait pas savoir.
-Nous avons vécu deux situations complètement différentes. Je devais savoir toutes ces choses, je devais agir comme j'ai agi. Tu as vécu une enfance malsaine mais je pense avoir tout fait pour que ton adolescence se passe correctement. Grâce à moi, tu n'as pas besoin de te salir les mains.
-Mais j'ai quand même le droit de savoir ce que tu fais. Tu as peur de quoi ? Que je t'en veuille pour quelque chose ?
-Non, je veux simplement que tu puisses vivre une vie sans souci, sans avoir honte, sans avoir peur.
-Moi aussi je veux ça pour toi ! s'offusqua Lizzie. Moi aussi je veux t'aider.

Louis posa sa main sur le bras de son Reflet et il le regarda intensément.

-Mais moi, j'ai 20 ans, pas 12. C'est à moi de t'aider, pas l'inverse. Et je le fais avec plaisir, avec bienveillance.

Il repoussa son assiette, quitta l'espace vital de la Dotée et marcha en direction de la porte. Le message était clair : la conversation était terminée. Mais pas pour elle.

-C'est drôle mais pour quelqu'un qui fait ça avec plaisir, avec... bienveillance comme tu dis, tu me demandes quand même beaucoup de me taire et de ne pas poser de questions, fit-elle remarquer.

Louis resta un instant immobile devant la porte et Lizzie fixa son dos. Puis il sortit sans rien dire.

***

-Non, ce n'est pas comme ça. Recommence ! 

 Lizzie regarda Louis d'un air mécontent. 

-Ne me regarde pas comme ça. Je sais comment il faut faire. Tu as des mains, utilise-les. Tu te fatigues l'esprit en voulant pratiquer la lévitation d'objets uniquement par ce biais. 

 -Mais si j'utilise mon esprit et pas ma main pour soulever une table ou je ne sais quoi, ça me laissera les mains libres. Donc je pourrais les utiliser et faire autre chose avec.
-Ta magie, elle s'utilise surtout avec tes mains ou avec tes pieds.
 -Qui l'a dit ? demanda-t-elle sur un ton innocent.
-C'est comme ça que j'ai appris et ça a toujours très bien marché.
-Mais pourquoi ne pas essayer ? Le principe de notre don, c'est que l'imagination est la seule limite. Mêmes les limites de notre corps sont surmontables.
-Bon sang mais pourquoi tu ne veux pas m'écouter ? Tu veux tout le temps rentrer dans le débat. Je veux juste t'aider et tu m'envoies chier comme ça !

Lizzie recula sous cet éclat de voix.

-N'inverse pas les rôles. C'est toi qui es borné.
-Eh bien, fais comme tu le souhaites alors, ajouta Louis. Mais ne viens pas te plaindre quand tu auras échoué. Après tout, c'est vrai que tu sais tout mieux que moi.

Lizzie soupira et son corps perdit sa rigidité. Relevant les yeux vers Louis, elle eut un air peiné et coupable. 

-Désolée, Louis. Je ne voulais pas te mettre dans cet état. Je veux juste... Laisse tomber. 

Elle fit comme son Reflet, elle utilisa ses mains et fit léviter la table sans rien dessus, puis recouverte de livres. Lorsque la session d'entraînement se termina, Louis avait un grand sourire plaqué sur son visage.

-Tu vois ? C'était génial, bien joué !

Elle lui sourit aussi. Mais elle le savait, au fond, c'était un sourire factice. Elle rejoignit sa chambre avec la sensation qu'elle avait manqué quelque chose.

***

Elle attendit que Louis parte une fois encore. Ce n'était pas bien compliqué mais la tâche même d'attendre s'avérait frustrante. Alors elle patienta. Elle savait que Louis avait mis des policiers pour assurer sa protection ou, plutôt, sa surveillance selon son point de vue. Mais c'était aussi futile que ridicule pour elle. 

Louis avait-il oublié que la magie n'avait pas de limite et que s'il connaissait des choses qu'elle non, l'inverse était aussi vraie. Si elle souhaitait se déplacer, alors elle se déplacerait. Et si elle souhaitait ne pas se faire repérer, alors elle ne se ferait pas repérer. S'il lui était possible de penser cela, alors il lui était forcément possible de le réaliser.

Elle savait où elle désirait se rendre. Elle avait repéré une salle libre, abandonnée dans ce grand Manoir. Elle ne se rendrait pas dans la salle d'entraînement qu'elle partageait avec Louis. Elle avait décidé qu'elle aurait la sienne, celle où elle serait entièrement et pleinement libre. Et c'était dans cette salle qu'elle avait découverte qu'elle se rendrait. 

Fermant les yeux, elle prit une profonde inspiration et compta mentalement jusqu'à trois. Une fois à trois, elle bloqua l'air à l'intérieur de ses poumons, l'imaginant circuler à travers tout son corps. Elle expira ensuite, en imaginant cette fois qu'elle relâchait ses peurs, ses inquiétudes. Elle répéta cet exercice plusieurs fois. 

À chaque fois que son esprit s'égarait, que ses craintes accaparaient son attention, elle reprenait fermement son esprit par la main et le dirigeait vers sa cage thoracique qui s'élevait puis s'abaissait. Maintenant, pensa-t-elle. 

Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle n'était plus dans sa chambre. Ce fut avec un grand et franc sourire qu'elle accueillit cette salle, sa salle à présent. Elle y serait libre d'explorer sa magie comme elle l'entendrait, libre de pouvoir respirer, libre de pouvoir être elle-même. Viendrait le temps où être libre loin des yeux ne suffirait pas. Mais, pour le moment, elle se sentait reprendre possession de ce qu'elle était.

Elle fit ce que Louis lui avait demandé de ne pas faire. Elle utilisa son esprit comme seul catalyseur de sa magie, gardant les mains le long de son corps. La table trembla une fois, deux fois puis quitta avec difficulté le sol. Mais la voilà, à quelques centimètres du parquet, instable mais lévitant grâce à son esprit. 

Elle leva soudain la main, celle tatouée puis, fixant de ses yeux un livre posé sur la table, elle leva deux doigts de cette main. Le livre sauta dans les airs puis retomba sur la table qui retomba à son tour bruyamment sur le sol. Le sourire de Lizzie éclaira son visage. De la pratique, il lui manquait seulement de la pratique. 

Mais là où Louis ne faisait léviter qu'une chose et unique chose à la fois, elle venait de se montrer qu'elle était capable de faire plus, de faire mieux. Il n'y avait pas qu'une seule façon de s'approprier son pouvoir, de l'utiliser. Louis était obtus mais pas elle. Ou peut-être si, elle l'était. Mais elle y arriverait, pour elle et uniquement pour elle. Louis le lui avait dit, un jour : "c'est ta magie". Et Lizzie entendait bien lui donner raison sur ce point.

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