Chapitre 5

Lorsqu'il se réveilla, il sut d'ores et déjà que la journée serait longue. La première partie serait la plus agréable : il la passerait avec son Reflet, à mieux la connaître, à se découvrir. En fin de journée, pourtant, la réalité le rattraperait : il pourrait enfin avoir des réponses sur la disparition totale de cet enfant depuis sa naissance. Il demanderait ensuite à Lizzie sa version mais il ne voulait pas la heurter plus qu'elle ne l'avait déjà sûrement été.

Pour l'instant, ce n'était pas important : il s'agirait du premier réveil ensemble et il ne souhaitait qu'une chose, pouvoir enfin profiter d'un moment de partage avec elle. Qu'il avait rêvé de cet instant où ils pourraient s'entraîner ensemble et baigner dans leur magie unie. Il avait été guidé, il guiderait à son tour. 

Il se leva de très bonne humeur. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait plus besoin qu'on le réveille. Il était assez grand pour le faire. À vrai dire, il n'était plus un enfant. Mais Lizzie l'était encore.

Elle avait encore quelque chose que lui avait perdu : la naïveté. Elle était encore bien trop jeune pour comprendre véritablement les enjeux des événements qui s'étaient produits à son insu. Louis lui expliquerait tout en temps voulu. Pour le moment, néanmoins, tout cela relevait du passé. 

Il frappa à la porte de la chambre de l'enfant une fois arrivé devant. Les deux chambres étaient mitoyennes. C'était ce qu'il avait souhaité. Il ne prendrait aucun risque.

-Lizzie ? C'est Louis. C'est l'heure de se réveiller.

Seul le silence lui répondit. Un sentiment d'inquiétude l'envahit tout entier. Non, il ne pouvait pas déjà l'avoir perdue. Impossible ! criait son âme. Fais quelque chose ! s'exclamait son esprit.

Il ouvrit la porte avec grand fracas. Aussi vite que la panique était montée, elle le quitta, le laissant pantois. La jeune fille dormait simplement encore. Enfin, ça, c'était avant. Elle était maintenant debout sur son lit, les poings fermés, en posture de combat. 

Il ne s'attendait pas à une telle réaction. Malgré les yeux lourds de fatigue de l'enfant, elle se tenait prête à riposter. Son expression et sa posture se relachèrent cependant lorsqu'elle vit qui avait ouvert à grand coup sa porte. 

Ils restèrent silencieux, la respiration haletante alors qu'ils tentaient tous deux de retrouver leurs esprits, leur calme. Le visage de Louis finit par être marqué par la compassion. Il se rapprocha lentement du lit alors que la jeune fille laissait retomber ses bras le long de son corps. Il s'assit gentiment et elle l'imita.

-Je suis désolé qu'on t'ait fait vivre ça, Lizzie.

Elle haussa les épaules, faussement indifférente. Mais Louis n'était pas dupe. Il était comme elle, elle était comme lui : marqués et influencés par les attentes et les espoirs des autres. Ils étaient des Dotés et avec ce statut, ce pouvoir venaient des effets indésirables. C'était pour cette raison que Louis s'était créé le chemin qu'il suivait aujourd'hui : manger pour éviter d'être mangé.

-Je ne te ferai jamais ça, lui dit-il en la regardant dans les yeux.

Lizzie le fixa, le coeur battant fort. Elle tendit doucement la main et Louis l'attrapa aussitôt. Leur main tatouée ainsi en contact, ils se sentirent enfin apaisés. Il sortit de sa chambre pour la laisser se préparer. 

Il attendit patiemment qu'elle vienne toquer à sa porte. Il repensa à la posture qu'elle avait prise inconsciemment quand elle s'était sentie en danger. Elle avait été prête à se battre. Il comprit que, même si elle était encore un peu jeune pour comprendre véritablement les causes et les conséquences d'être une Dotée, les marques des actions des autres étaient belles et bien là. Cette naïveté propre à l'enfance, elle l'avait peut-être déjà perdue. Il serra les dents à cette pensée.

Le bruit à la porte le tira de ses pensées. Il se leva avec empressement et l'ouvrit. Lizzie était là, le visage souriant.

-On fait quoi aujourd'hui ? demanda-t-elle.

Il voulut poser la main sur sa tête. Et il le fit. Posant la main sur sa tête et lui adressant un sourire, il se sentit plus heureux que jamais. 

-On va s'entraîner ? Maintenant, tout de suite ?

Louis voulut lui dire que le petit-déjeuner passait en premier. Mais la lueur d'espoir dans les yeux de Lizzie le ramenait à sa propre impatience. Il voulait ce moment depuis si longtemps. Lizzie l'avait sûrement attendu aussi.

-C'est d'accord, allons-nous entraîner !

Il la prit par la main et il se dirigea vers la salle d'entraînement. Il se rendait compte à quel point il ne pouvait pas attendre davantage. Ce moment de partage, il le voulait. Il souhaitait voir Lizzie s'épanouir dans l'utilisation de ses pouvoirs, qu'ils puissent tous deux voir la beauté de leur magie, encore plus lors qu'elles étaient réunies. Lizzie le regardait, impatiente. Ils arrivèrent bien vite dans la salle en question. 

-Qui commence ? demanda-t-elle.
-Toi, répondit Louis sans hésitation.

Il voulait qu'elle puisse, là, tout de suite, sans tarder un seul instant de plus, s'exprimer comme elle aurait toujours du pouvoir le faire. Ces années passées à se cacher, à obéir aveuglément étaient terminées.

-C'est ta magie, ajouta-t-il comme si cela expliquait tout.

Pour Lizzie, ce fut le cas. C'était sa magie, ce don immense dont ses parents, ou quiconque soient-ils, avaient voulu l'en priver. C'était plus qu'une partie d'elle, c'était aussi important pour elle que de respirer.
Et respirer, elle le pouvait maintenant. 

Elle leva sa main à hauteur de son visage et se laissa hypnotiser par le tracé de son tatouage, par l'intensité du noir qui couvrait sa main. Qu'il était beau, ce tatouage, pensa-t-elle. Ce n'était pas seulement un sujet de conflit, c'était bien plus que cela.

Et c'était à elle. Ouvrant grand les bras, elle ferma les yeux et respira profondément. Elle voulait sentir sa magie se libérer, prendre tout l'espace qu'elle pouvait. Ses cheveux se mirent à flotter alors que l'air tourbillonnait autour d'elle. Louis resta silencieux, la regardant faire, un sourire sympathique aux lèvres. C'était son moment, il ne la perturberait pas.

Une sensation incroyable se mit à parcourir son corps, ne négligeant absolument aucune partie, aucun membre. C'était puissant et Lizzie s'en délecta. Elle ne voulait pas que cette grisante sensation de confiance, de détermination, de force la quitte. Tout lui semblait faisable, tout lui semblait réalisable. Pourquoi aurait-elle peur si elle pouvait être possédée par une telle vague ? 

Elle n'avait plus à avoir peur de ce qu'elle possédait, de ce qu'elle était. Plus jamais elle n'accepterait de ressentir de la honte. C'était ce qu'on lui avait appris, inconsciemment ou consciemment. Plus jamais. 

Alors que volait autour d'elle sa magie, et aussi celle de Louis qu'elle pouvait sentir, elle se sentit plus heureuse qu'elle ne l'avait jamais été. Que ce moment puisse ne jamais s'arrêter, pensa-t-elle avec force. 

-Montre-moi ce que tu peux faire, Lizzie !

Celle-ci sourit de toutes ses dents et frappa avec entrain dans ses mains. Un flash de lumière fusa dans la pièce. L'instant d'après, la lumière s'était éteinte et ils étaient plongés dans le noir. Puis une petite flamme apparut. Louis se mit à rire en la voyant : Lizzie ne la portait pas au bout du doigt mais entre ses lèvres. Elle dansait sur sa langue. Il put le voir clairement quand elle la lui tira, espiègle.

Dans un élan d'affection qui le prit par surprise, il la souleva et la porta dans ses bras. Que ce moment ne s'arrête jamais, pensa-t-il lui aussi. Pour la première fois de leur vie, pour la toute première fois, ils se sentirent l'un comme l'autre en paix avec eux-mêmes, avec qui ils étaient. L'avenir semblait leur tendre les bras. C'était terrible comme sensation, à la fois délicieuse et trop intense. 

-Et toi ? Tu sais faire des trucs ? demanda Lizzie.

Louis se mit à rire plus fort.

-Showtime ! 

***

Louis souhaitait déjà revenir dans la salle d'entraînement et retrouver la plénitude vécue avec Lizzie. Ce moment était le premier d'une longue série et, pourtant, il était déjà devenu addict.

En comparaison, la réunion qui s'apprêtait à se tenir ne le réjouissait guère. Cependant, il en mesurait l'importance. Il la fit démarrer sans attendre après s'être assis sur sa chaise attitrée. Ils n'étaient pas nombreux, lui-même et trois membres de la police.

-Qu'avez-vous appris ? Et ne me faites pas attendre, ne tournez pas autour du pot.

Un des policiers présents se racla la gorge puis se leva.

-Des personnes appelées "Suzanne Fumard" et "Horace Fumard" ont signé un contrat de location de la maison dans laquelle nous avons trouvé votre Reflet, Maître Louis. Nous n'avons trouvé aucune information sur ces deux individus, nous supposons qu'ils ont emprunté une fausse identité. Ils sont arrivés il y a 6 mois environ. Les voisins disent qu'ils sortaient très peu, qu'ils étaient très discrets. Aucun d'entre eux n'a jamais vu l'enfant. Cependant, ils ont parfois entendu des bruits la nuit et pensent que les deux adultes sortaient à ce moment-là. 

-Rien sur leur passé ? coupa Louis.
-Nous sommes toujours en train de mener des recherches mais elles risquent d'être compliquées. Leur dossier de location de la maison ne contient aucune photo. Nous sommes actuellement en train d'interroger le bailleur. 

Le policier marqua une pause puis reprit en fixant Louis.

-Si vous me permettez, je sais que vous souhaitez épargner votre Reflet mais elle sait mieux que quiconque ce qui lui est arrivé. Elle ne souviendra pas des moments importants qui entourent sa naissance, bien évidemment, mais les informations qu'elle détient nous seront précieuses. Nous pouvons amener un psychologue afin de respecter autant que possible son intégrité.

Louis savait qu'il devait avoir cette conversation avec Lizzie. Mais il craignait de faire remonter chez elle de mauvais souvenirs et il craignait de connaître l'étendue de l'horreur qu'elle avait vécu.

-Moi, ça me va.

Tous les regards se tournèrent brusquement vers Lizzie, qui se tenait près de la porte.

-Je ne l'ai même pas entendue arriver, laissa échapper le policier.
-C'est normal, je n'ai pas ouvert la porte, expliqua simplement Lizzie.
Louis ne put s'empêcher de sourire. Puis il se rappela ce qu'elle venait de dire.
-Tu es d'accord pour en parler ?

Lizzie acquiesça. 

-Oui, ça ne me dérange pas.

Il s'approcha d'elle et elle le laissa la guider jusqu'à sa chaise. Elle s'y assit sous le regard médusé des personnes présentes dans la pièce.

-On t'écoute Lizzie. Ce que tu diras ne sortiras pas de cette pièce si je le décide, dit-il en les observant un à un. 

Ceux-ci acquiescèrent vivement.

-Je ne me souviens pas de ce qui s'est passé au début. Je me souviens surtout de mes parents qui disaient "C'est pour ton bien Lizzie". Ils me disaient ça tout le temps, et aussi de ne pas utiliser mes pouvoirs. Surtout pas en public. Mais je ne sortais pas vraiment, de toute façon. "Personne ne doit savoir, Lizzie, sinon ils vont t'enlever à nous et tu deviendras une mauvaise personne". Ils disaient ça aussi. Alors j'ai fait comme ils m'ont expliqué. Je demandais pourquoi mais ils ne me répondait pas ou alors c'était "Tu comprendras quand tu seras grande". On a fait que bouger. Ils avaient peur qu'on les suivre, qu'on les découvre je crois. Alors on partait toujours après quelques temps. Mes parents n'avaient jamais l'air contents. Ils parlaient d'argent qui manquait. 

Le regard de Lizzie se fit soudain dur, et ses sourcils se froncèrent. Son corps devint rigide, Louis le sentit sous ses mains alors qu'elles étaient posées sur les épaules de son Reflet.

-Ils disaient "Pourquoi elle ? Pourquoi c'est pas un autre enfant ? Pourquoi nous ?". Il n'étaient pas contents que j'ai ça, continua-t-elle en montrant sa main tatouée. Mais ils ne me disaient jamais ça en face de moi. Je les écoutais sans qu'ils s'en rendent compte, la nuit, quand ils parlaient ensemble avant de se coucher. Et puis j'avais tout le temps envie d'utiliser ma magie. Je la sentais en moi, elle voulait tellement sortir. J'avais mal car je voulais l'utiliser mais je n'avais pas le droit. 

Lizzie leva le regard vers Louis.

-Et je te sentais. Je sentais la partie de ta magie. Tu l'utilisais et je sentais que c'était génial. Si toi, tu pouvais faire ça, pourquoi pas moi ? On devrait avoir tous les deux le droit ! Mais mes parents avaient peur de ça, de moi je crois. "Arrête ça tout de suite !". Ils me criaient dessus. Mais je ne pouvais plus m'arrêter. Alors ils m'attachaient.

Louis eut une soudaine montée de haine.

-Mais ma magie répondait pour moi, alors ils étaient encore plus violents. Hier, je crois que je n'en pouvais plus d'avoir peur. Alors, ça a explosé. Le mur a explosé. Et d'autres choses. Et après, il y a eu le policier. Puis toi.

Ces deux derniers mot résonnèrent dans l'esprit de Louis.

-Lizzie, appela doucement une policière. Comment s'appellent tes parents ? 

Un silence s'installa. Louis craignit le pire. Les yeux rivés sur Lizzie, celle-ci ne bougeait pas. Il serra gentiment son épaule dans un signe visible d'affection et de soutien.

-Je ne sais pas. Désolée, avoua-t-elle.

Les trois policiers la regardèrent, un peu désarçonnés.

-Ils ne me l'ont jamais dit et ils ne s'appelaient jamais par leur prénom devant moi, ajouta-t-elle. C'était maman et papa. 

La policière serra les dents. Une autre question la taraudait mais l'hésitation l'empêcha de la poser. C'était une question très importante mais difficile à poser à une enfant.

-Demandez-lui, s'exclama soudain Louis en la fixant intensément.

La policère retint un mouvement de recul. 

-Je sais quelle question vous souhaitez lui poser. Je me la pose aussi. Lizzie est forte. Et elle m'a moi.

Lizzie lui sourit. Louis se demanda comment il avait pu vivre tout ce temps sans cette présence à ses côtés. Jamais, oh non jamais ils ne laisseraient quiconque lui retirer son Reflet. Cette personne serait folle de tenter une telle action. Mais si elle était assez inconsciente pour le faire, Louis le lui ferait payer cher. 

-Très bien, accepta la policière. Lizzie, si tu ne veux pas y répondre, personne ne t'en voudra. Je me demandais si... est-ce que tu sais si ces deux personnes que tu appelles maman et papa sont vraiment ta mère et ton père ? 

L'enfant la regarda, le visage complètement vide, les yeux indéchiffrables. La policière ne détourna pas les siens malgré le long moment de silence qui suivit. Et puis, ce visage vide fut soudain marqué par une profonde détresse et les yeux indéchiffrables semblèrent se tourner vers elle comme un appel à l'aide. Cela ne dura qu'un temps avant que cette émotion si vive ne disparaisse. 

-Ça non plus, je ne sais pas.

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