Chapitre 0
Dans la pièce pleine d'enfants, les cris s'arrêtèrent soudain. Tous les regards se tournèrent dans la même direction. Les yeux s'agrandirent sous la surprise. Dans un coin de la salle de jeux, la lumière était plus importante, plus resplendissante. Elle semblait réconfortante et attirait autant les enfants que les adultes. Ils s'en approchèrent lentement, comme hypnotisés par elle. Cet éclat lumineux ne provenait pas d'une ampoule ni d'une lampe.
Louis ne sentit pas immédiatement tous ceux qui s'approchaient, désireux d'être plus près de ce qui les fascinait. Le garçon avait la main tendue et grande ouverte. Et il ne pouvait détacher son regard de ce qui dansait sur sa paume. S'il devait définir ce dont il s'agissait, il se serait exclamé du haut de ses huit ans : "C'est une boule de lumière !".
Sa main était chaude, illuminée en son centre. Cette lumière montait sur plusieurs centimètres et tournoyait doucement sur elle-même. Chaque éclat blanc qui constituait cette lumière contenait à lui tout seul une fraction de magie.
Des cris de surprise et de joie retentirent sans crier gare, tout autour de lui. On s'approcha encore plus près de sa main, on lui tapota le dos, on lui serra l'épaule, on le félicita. On se colla à lui, à sa lumière. Et on l'envia aussi, Louis le savait. Il détourna son regard de la magie qui réchauffait sa main et les observa. Ils le fixaient avec tant d'admiration. Ils parlaient tous en même temps, l'abreuvant de toutes leurs pensées, de toutes leurs envies.
Car ils ne pouvaient pas obtenir ce qu'ils désiraient. Ils n'avaient pas ce pouvoir. Ils étaient de simples humains avec de simples capacités. Les enfants qui l'entouraient grandiraient comme de simples adultes et les adultes présents resteraient des êtres imparfaits. Lui était bien plus que ça car c'était ce qu'on leur avait appris, car ils n'étaient que deux à posséder cette aptitude, ce don infini. Chaque individu grandissait avec la connaissance que, peut-être, il ferait partie des heureux élus, ceux chez qui la magie apparaîtrait et accompagnerait tout au long de leur vie. Et il faisait partie des deux heureux élus.
Il fit disparaître la lueur dans sa main et il lut l'avidité dans le regard de ceux qui l'entouraient. Ils voulaient retrouver ce contact si rapproché avec la magie, la puissance illimitée. Mais il leur refusa cet accès. Et ils laissèrent éclater leur déception à coup d'exclamations, d'expressions tristes ou l'empressant de recommencer sur le champ. Mais il n'en fit rien. Et la foule se dissipa minutes après minutes. On l'emmena alors dans sa chambre. On l'invita à se reposer, comme si sa magie s'était rendormie parce qu'il était fatigué. Ils reviendraient lorsqu'il pourrait leur offrir ce qu'ils attendaient.
"On t'expliquera tout en temps et en heure" lui promirent les adultes. Mais Louis n'avait pas besoin d'explications : il savait déjà ce qu'il était, ce qu'il possédait et ce qu'il comptait faire de ce don.
Lorsque la porte de sa chambre se referma, il fut seul, enfin. À cet instant, il rappela à lui sa puissance. Il la sentit croître dans son corps, présente partout à l'intérieur de lui. La chambre était froide alors que l'air glacial de l'hiver pénétrait la pièce. La main ouverte, il n'eut qu'à imaginer ce dont il avait besoin. La chaleur grossit dans sa paume et, sous ses yeux satisfaits, une flamme apparut. Il lui fit changer de forme, la rendant plus grande puis plus petite au gré de ses envies.
Il éteignit la flamme sans plus de cérémonie. La magie lui répondait facilement, car elle et lui n'étaient qu'un. Et il ne ferait qu'un avec la seconde personne qui posséderait ce même don que lui.
Lorsque sa main deviendra ornée du tatouage, cela signifiera que la personne liée à lui sera née. Celle-ci porterait le même tatouage sur sa main de préférence. Comme les deux faces d'une même pièce, ils ne seraient complets qu'ensemble. Et il avait tellement hâte de voir leur puissance s'unir, tellement hâte de rencontrer cet être qui lui ressemblerait.
Qu'ils essayent de s'approprier leurs pouvoirs... Les yeux de Louis se mirent à luire d'une promesse silencieuse. Toute la journée durant, dans l'intimité de sa chambre, il fit tournoyer sa magie et s'émerveilla avec elle. Il fit apparaître ce qu'il pouvait, ce qu'il arrivait à produire, à imaginer. Il se sentit libre et heureux, fier de son corps et de ses pouvoirs, fier de ce qu'il allait accomplir.
Ce fut comme si une porte venait de s'ouvrir et il l'emprunta à grandes enjambées. Ses huit premières années constituaient une vie qui relevait déjà du passé.
***
Même en essayant, il lui aurait été difficile de rater les regards qui le suivaient alors qu'il marchait jusqu'à sa salle de classe. Il entendit les soupirs, les murmures. Il vit les doigts pointés sur lui. Il redressa la tête et ses yeux croisèrent ceux de dizaines de gens. Des élèves sortaient de leur classe pour l'observer.
-C'est lui !
-Je voudrais qu'il nous montre !
-Hé, on pourrait devenir amis ? lui cria soudain quelqu'un.
Il se força à ne pas observer, à marcher sans s'arrêter. Mais il n'avait qu'une envie, c'était de se cacher, de retourner dans l'intimité et la sécurité de sa chambre. Il passa à côté de silhouettes qui se succédaient, les mots chuchotés l'accompagnant dans sa marche.
Enfin, il arriva devant la porte de sa salle. Mais il retrouva les mêmes regards sur ces visages différents. Ils le fixaient tous. Chaque enfant de sa classe et le professeur derrière son bureau le scrutaient sans gêne.
Un sentiment de malaise l'envahit de la tête aux pieds : allait-il passer l'intégralité de ses études ainsi épié ? Il resta quelques secondes ainsi debout, ne sachant où poser son regard, ne sachant que faire. Ses mains s'agitèrent, son corps se raidit.
Il voulut crier, leur sommer d'arrêter, de l'oublier. Il souhaita faire demi-tour mais faire demi-tour, c'était retourner dans la masse de yeux scrutateurs. Il resta alors immobile, le désir de fuite bien réel mais dans l'incapacité de bouger.
-Entre donc, Louis, l'invita le professeur avec un grand sourire.
Mais il ne voulait pas entrer. Il ne voulait absolument pas entrer dans cette pièce. Il préférait rester à l'endroit où il se tenait, dans cet entre-deux où il n'était ni totalement à l'intérieur ni totalement à l'extérieur de la classe.
-Ne sois pas timide, Louis. Nous sommes tellement ravis de te voir.
Il voulut secouer la tête mais il était incapable de faire le moindre petit geste. Le professeur se rapprocha de lui et il sentit son corps se raidir encore plus, son ventre se contracter. Il sursauta lorsque la main de l'adulte se posa sur son épaule. La main le poussa à l'intérieur de la pièce. Tel un automate, il suivit le mouvement. Son esprit lui envoyait des signes contradictoires mais il ne savait pas quoi faire ni quoi penser. Le professeur l'amena jusqu'à sa place et il s'y laissa tomber plus qu'il ne s'y assit. Satisfait, l'adulte regagna son bureau.
-Aujourd'hui est un grand jour pour notre classe, annonça-t-il d'une voix enjouée.
Louis le vit regarder chacun des élèves avec un grand sourire, prenant son temps, laissant Louis pour la fin. Lorsque les yeux de son professeur se posèrent sur lui, ce sourire s'élargit encore plus.
-Comme vous le savez tous, un duo de magiciens naît chaque siècle. On les appelle les Dotés et ils forment ensemble le Miroir. Ces deux personnes sont les seules à posséder la capacité à manier la magie. L'énergie tout autour de nous est utilisable, matérialisable. Mais nous ne sommes pas en mesure de l'atteindre, d'en faire usage. Ces deux êtres, eux, le peuvent. Qui peut m'en dire davantage sur le lien qui unit ces deux individus ? Voyons... Oui, Vanessa ?
La jeune fille baissa la main après que le professeur lui ait donné la parole.
-On les appelle les Dotés car ils possèdent le don d'utiliser la magie. On dit d'eux qu'ils ont besoin l'un de l'autre pour vivre, qu'ils ne deviennent complets qu'une fois leurs deux mains jointes. Ils portent chacun un tatouage à la main, qui apparaît simultanément lorsque les deux êtres sont nés. C'est en joignant leurs mains pour la première fois qu'ils accèdent à la pleine puissance de leurs pouvoirs.
-C'est très bien Vanessa, approuva le professeur. On peut aussi ajouter qu'ils sont tous deux le Reflet de l'autre puisqu'ils constituent un Miroir ensemble.
Les yeux de celui-ci se tournèrent vers Louis.
-Et Louis, votre camarade, fait partie de ce fameux Miroir. Il a éveillé ses pouvoirs tout juste hier. On peut le féliciter chaleureusement.
Tous les regards se tournèrent vers lui de manière immédiate. Louis fit de son mieux pour continuer à observer le professeur et éviter les yeux qui le fixaient. Les applaudissements furent assourdissants. Mais le sourire béat du professeur finit par le faire sentir inconfortable et il décida de regarder juste au-dessus de lui.
-Louis ne fera désormais plus partie de notre classe. Il suivra une éducation à part, qui lui permettra pleinement de s'épanouir en tant que magicien. Nous allons donc profiter de cette journée pour fêter cette magnifique nouvelle.
Le bruit des chaises qui crissèrent sur le sol manqua de le déconcentrer mais il tint bon et resta imperturbable. Une fois encore, tous ces individus l'entourèrent, s'exclamant, l'un criant plus fort que l'autre. Des mains se posèrent sur lui, le touchant, le bousculant. Il n'était plus une personne, mais un corps, un bien public.
Ce fut comme si son esprit se détacha de son corps. Il n'était plus qu'un spectateur de la scène. Il se regardait ainsi emporté par ses camarades, par la vague de leurs émotions, de leur jalousie, de leur fierté et de leurs propres ambitions.
-Dommage qu'il faut que tu partes ! On aurait enfin pu battre l'autre classe en tout !
-Fais-nous un tour de magie !
-Tu peux créer quoi ?
-Louis ! Louis ! Louis !
-Allez !
-Vas-y !
-Fais-le !
-Allez, fais pas semblant que tu peux pas y arriver !
-Je veux voir !
Son visage s'étira dans un sourire incroyablement faux mais qui sembla satisfaire tout le monde. Il le fit sans même y penser, sachant déjà quel rôle il devait jouer là, tout de suite. Mais ses mains demeurèrent fermées. Sa magie resta sienne.
***
Lorsque la journée se termina, Louis sembla se réveiller d'un long sommeil. Ce fut comme si le temps était passé sans lui, comme s'il avait hiberné sans même s'en rendre compte. Il se sentit éreinté, vide : on venait de lui voler cette journée de sa vie.
Une fois encore, le professeur posa sa main sur son épaule. Il voulut lui demander de la retirer. Mais il n'en fit rien et resta simplement silencieux. Son instituteur le conduisit dans le bureau de la directrice, d'une démarche enjouée.
-Tu verras, Louis, tout changera pour le mieux ! Tant de personnes aimeraient être à ta place. D'après les statistiques et les pronostics, au moins un des deux Dotés devaient apparaître dans cette décennie. Ce n'était plus qu'une question de temps.
Il se gratta la nuque, comme s'il se sentait soudain gêné de ce qu'il comptait dire.
-Il n'y a pas d'âge lorsque la magie se développe chez un individu. Je l'avoue, moi-même j'ai espéré être l'heureux élu.
Il baissa les yeux sur Louis. Son visage changea brusquement d'expression.
-Enfin, ce que je veux dire, c'est que... Je suis très heureux pour toi, voilà, c'est ça.
Il hocha vigoureusement la tête pour appuyer ses propos. Satisfait de lui-même, il franchit les derniers pas qui menaient au bureau de la directrice de l'école. Ouvrant la porte, il laissa Louis entrer en premier, sa confession déjà du passé.
En pénétrant la pièce, le jeune garçon de huit ans rencontra d'abord le regard de ses parents, tous deux assis en face de la femme qui dirigeait l'établissement. On le fit s'asseoir entre eux. Ils se mirent tous à parler sur lui et lui ne disait rien. Il écoutait distraitement, sachant d'ores et déjà que son intervention n'était nécessaire pour personne.
Il ne sut si la discussion dura une heure ou une minute, si les adultes n'auraient pas mieux fait de l'exclure directement de cette pièce, s'il devrait serrer ses parents dans ses bras lorsque cette conversation sera close. Il les observa longuement, tout au long de la discussion. Il essaya de retenir chaque trait de leur visage, chaque expression qui le traversait.
Et puis, il se posa une question : ces souvenirs qu'il tentait de créer lui étaient-ils et lui seraient-ils indispensables ? Parmi les futurs endroits qu'il visiterait, les futures personnes qu'il rencontrerait, les nouveaux liens qu'il tisserait, ses parents ne figureraient pas dans la liste.
-Allez, on fait comme ça ! On vous le confie !
Il ne sut pas non plus qui de ses deux parents prononça ses paroles. Mais, tout comme les souvenirs, ça non plus n'était pas nécessaire. Leurs visages, leurs mots ne seraient bientôt plus qu'un lointain écho, une trace tout sauf indélébile. Lorsque les adieux furent échangés, Louis garda les bras le long de son corps.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top