30. Tanguer comme dans un bateau plein de sang
BETH
J'avançais lentement en prenant bien soin de garder les yeux ouverts. J'étais si fatiguée, c'était indescriptible et puis il y avait cette alarme incendie infernale pour laquelle je priais à la fois pour qu'elle se taise une bonne fois pour toute mais pour laquelle je souhaitais aussi qu'elle ne cesse jamais de sonner de peur de me laisser tomber dans un très fâcheux sommeil.
Je marchais, le long du mur, m'appuyant d'une main contre celui-ci, laissant alors mes traces derrière moi. S'il y avait un autre tireur à ma poursuite, j'étais certaine qu'il n'aurait pas de mal pour me retrouver.
Tout tanguait autour de moi. Le monde me paraissait flou et on pouvait dire que j'étais folle mais j'avais déjà l'impression de ne même plus appartenir à tout ça. Je traînais mes deux jambes avec moi en difficulté, je faisais pitié à voir.
Je baissais la tête sur mon ventre et osai retirer ma seconde main quand je vis avec horreur un flux de sang couler.
- Non...
Ma voix tremblait et inutile de préciser que les larmes que j'essayais de retenir m'échappèrent. Presque au même moment l'alarme cessa de sonner. Je me tournais vers l'endroit d'où j'étais venue... je ne savais pas pourquoi est-ce que je m'étais engagée à accomplir une telle tâche. Je voulais simplement faire demi-tour et repartir vers la sortie, je ne voulais plus avancer.
Tout était calme autour de moi. Qu'est-ce qui m'empêchait de partir ? J'étais moi aussi blessée, personne ne m'en voudrait. Je me tournais alors afin de me diriger vers mon échappatoire. J'avais des gouttes de sueur qui perlait sur mon front. Je souris en pensant à ma libération quand des coups de feu retentirent de nouveau, je sursautais, sortant de ma torpeur.
- Non
Je ne pouvais pas faire ça. Quelqu'un venait de mourir. Ces filles qui m'avaient sortie de tout ça, avaient eu confiance en moi. J'étais celle qui devait appeler les secours. Je devais au moins essayer.
Je me motivai. Il fallait simplement que j'aille à l'infirmerie. Ce n'était pas si loin n'est-ce pas ?
Je refaisais le trajet dans ma tête... il y avait des escaliers à prendre. Dans quelques mètres à peine. Je soupirais de colère. Je voulais que tout ça, tout ce cauchemar prenne fin maintenant, je voulais que tout ça s'arrête. Est-ce que c'était trop demander ? Pourquoi est-ce que c'était à moi que ça arrivait ? Je n'avais jamais fait de mal à personne, je n'étais pas cette Riley, cette salope qui me marchait dessus, cette imbécile, cette connasse qui ne pensait qu'à elle.
Je finis par arriver devant la dizaine de marches qui me séparais de ce téléphone. Est-ce qu'ils méritaient tous d'être sauvés ? Est-ce qu'ils valaient tous la peine que je les aide ? On allait dire que je me répétais mais j'espérais que Riley soit de ceux déjà dans l'au-delà.
Une crampe m'arracha un petit cri alors que je posais mon premier pied sur la marche en dessous de moi. Mes jambes tremblaient, j'avais envie de me laisser tomber et que la gravité fasse son travail. Si on m'avait demandé de citer la pire douleur au monde, ça aurait été celle-ci immédiatement après celle procurée par la peur de mourir.
Je descendais une nouvelle marche, puis une autre avec des jambes m'obéissant visiblement sans le vouloir.
Je voulais tellement dormir mais je n'avais pas le choix. Il fallait que je le fasse. Je baissai une nouvelle jambe, priant pour arriver en bas le plus vite. Il m'en restait encore environ sept.
- 304...
Je pressai un peu plus fort sur mes pieds et accélérais. Un grognement douloureux s'échappa de ma gorge.
- 307...
Même m'appuyer contre cette foutue rambarde ne pouvait pas m'aider dans ce cas-ci. J'avais mal, j'avais l'impression de perdre quelque chose enfouie en moi.
Je finis par pousser la porte.
- Et 310
Il m'avait fallu 310 secondes pour me porter jusqu'ici. 310 secondes à compter pour me maintenir éveillé... 310 seconds de plus à Noah.
Je me précipitai douloureusement vers la paillasse de l'infirmière sur laquelle était exposée une tonne de documents et de médicaments inconnus. Je m'y appuyais comme une moule à son rocher. J'étais épuisée et avoir un support sur lequel me tenir était si agréable. J'avais dû me porter jusqu'ici à l'aide du peu de force qu'il me restait, ma sensation était donc inexplicable.
Tout à coup, un relent me vint, tout se passait très vite et en même temps si lentement. Je me précipitai vers l'évier et vomissais.
Mon corps se crispait à chaque remontée sanguine. Cette fois-ci, c'était fini. Je n'allais pas survivre à ça. Tout fini enfin par se calmer, dans un silence mortuaire. Je me redressai et cherchai un téléphone.
Le pressentiment : connaissance intuitive et vague d'un événement qui ne peut être connu par le raisonnement.
Synonyme : prémonition.
Voilà ce que je ressentais actuellement... je savais que je n'allais plus tenir. Et je savais qu'aujourd'hui, beaucoup mourrai. Je n'avais jamais eu le courage de rien. J'avais toujours été celle sur laquelle on marchait, celle qui s'effaçait pour les autres... ça en était fini. Je voulais faire mes choix, être moi, vivre, ou mourir, peu m'importait... je voulais simplement faire le choix de Bethany : sauver des vies.
Je me jetai dans le siège de l'infirmière, avec la lumière extérieur frappant mon dos.
Mon sang coulait encore de ma plaie quand je tentai mon seul espoir. Après quelques secondes de réflexion, je terminais par le dernier chiffre du 911.
- Par pitié, dis-je la voix tremblante
Je patientais. Le téléphone sur mon oreille. Rien ne se passait. J'étais coupée de tout, de cette tragédie, de tout bruit parasite, et je continuais de pat-
- Le numéro indiqué n'est pas accessible depuis votre ligne téléphonique
Bip.
Un bip sec pour signer notre arrêt de mort.
- Par pitié
Je réessayais au bord des larmes, suant à grosses gouttes.
- Sauvez-nous...
- Le numéro indiqué n'est pas accessible depuis votre ligne téléphonique
Est-ce que Noah avait bloqué les lignes des numéros d'urgences ?
Une troisième.
Une quatrième fois.
Une cinquième.
Je me levai à la recherche de coton et sparadrap, le fixe toujours à l'oreille.
Même réponse.
Putain
Une larme m'échappa. Il avait tout prévu. Pas d'échappatoire.
Je passais mes mains avec désespoir dans mes cheveux avant de me laisser tomber au sol, quelques matériaux d'urgence dans les mains. J'avais envie de hurler, mais je ne pouvais pas me plaindre, je n'étais plus dans cet amphi.
S'il avait bloqué les lignes d'urgence, il avait fait de même pour toutes les lignes. Je n'avais aucun espoir. Le seul moment de ma vie où je pouvais prendre des décisions sans me laisser influencer ni par les autres ni par mes idées de vengeance, j'échouais encore...
Je déroulais le rouleau de sparadrap tout en continuant d'appuyer sur le trou dans mon bas-ventre. J'étais recouverte de sang. Sur les mains, toutes les jambes, le ventre, partout. Je ne ressemblais plus à rien. Je tirai une tonne de compresse trouvée à la place de coton que je jetai sur ma plaie si on pouvait appeler ça comme ça.
Je ne voulais pas la voir. Je ne voulais pas faire face à ça. J'avais toujours été faible et aujourd'hui ne faisais visiblement pas exception. J'apposai ensuite le sparadrap sur mon ventre et en sortis plus de longueur afin de m'entourer complètement. Je faisais plusieurs tours, un à un, avec douleur. Je ne voulais pas mourir. Qui voulait mourir ? J'étais peut-être une imbécile qui suivait le mouvement mais j'aurais dû vivre ma vie comme je l'entendais. J'aurais dû profiter, oublier cette idée de plaire à tout le monde. Prendre confiance en moi... pour vivre ma vie. Maintenant, c'était terminé. Je serrai le dernier tour autour de ma taille afin de faire une sorte de garrot de fortune.
Je laissai ensuite tous mes muscles là, se relâcher. J'acceptais ce que Noah avait décidé pour moi... Tant pis.
Je jetai furtivement un œil au téléphone, à mes côtés. Je n'arrivai plus à pleurer. Je n'arrivais plus à rien, à part le détester de ne pas marcher.
Un gémissement de douleur me quitta. Mes douleurs ne reprenaient pas. Elles diminuaient simplement d'intensité de temps à autre avant de revenir de plus belle pour m'achever.
J'attrapai le petit objet et le serrai dans la paume de ma main, triste.
Je tapais son numéro. À tout hasard. Espérant au moins tomber sur sa messagerie et lui dire une dernière chose. J'espérais qu'elle réponde. Qu'elle réponde afin d'être là avec moi jusqu'au bout... Je tapais sur les touches, essoufflée mais calme. Une légère angoisse s'étant d'ailleurs coincé dans ma gorge et mon estomac.
- Allô ?
Sa voix retentit. C'était bien elle. Elle avait répondu ? Un miracle ? Je n'avais pas le temps de réfléchir. Elle était notre seul moyen.
- Alicia ?
Un silence se fit :
- Qu'est-ce que tu me veux !
- S'il te plaît écoute-moi
- Qu'est-ce qui n'était pas assez clair dans mon message de la dernière fois.
- Je t'en supplie, sauve-moi
- C'est quoi ton problème Bethany ! Lâche-moi bordel
Mon cœur se crispa. Entendre de nouveau sa voix faisait quelque chose... Surtout après toutes ces choses vécues ensemble, mais cette fois-ci, je devais laisser faire. Il y avait plus important.
- Je t'en supplie sauve-nous
- Tu es encore plus pathétique qu'avant
- Alicia il y a une fusillade au lycée ! C'est No....
Bip... Bip... Bip...
- Non...
Voilà...
- Fini
Elle avait raccroché. Un tourment sans nom s'empara de moi. J'aurais rêvé de jeter ce putain de téléphone à l'autre bout de la pièce, mais, j'avais besoin de lui. Elle refusait de m'écouter. Je n'étais plus rien pour elle et elle ne me prenait plus au sérieux. J'avais été fautive, mais de là à faire ça. Un sanglot me quitta, puis je me mis à pleurer à chaude larme. Pour tout. Je pleurais pour tout. Noah allait tous nous tuer, moi y compris et j'avais si peur de la mort. J'allais mourir, ici, dans cette pièce, seule. Notre seule chance d'être sauvées me haïssait et venait de me raccrocher au nez. Je voulais simplement disparaître. Je n'arrivais jamais à rien. Pleurer me donnait chaud, tout me donnait chaud, le stress, les angoisses, la peur. Je suais à grosses gouttes et pleurais sans pouvoir m'arrêter.
- Je suis tellement désolée
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top