15. J'ai besoin de toi
ALEX
Je fixais la scène. Je n'en revenais pas. Mes yeux s'écarquillèrent alors et ma bouche resta légèrement ouverte un instant. J'étais pris au dépourvu par ce que nous venions tous de voir... Je ne m'attendais pas du tout à cela. Une lueur d'incrédulité traversa mon regard. Comment pouvait-il agir de cette manière ? Je peinais à y croire, cherchant des signes qui pourraient m'indiquer que c'était une plaisanterie, mais rien ne venait confirmer mes doutes. Il était bien là. C'était lui.
La surprise céda peu à peu sa place à une vague de colère qui monta en moi. Je me sentais trahi, déçu, et la frustration m'envahit. J'avais beau ne pas le connaître personnellement, je savais tout de même qu'il était adoré de tous. Noah ne pouvait pas être devenu un tueur.
Comment pouvait-il agir de la sorte, en trahissant tout le monde ? Je sentais les muscles de mon visage se durcir et mes poings se resserrer involontairement. Une part de moi voulait exprimer cette colère, laisser éclater ma déception, mais je restai silencieux, essayant de maîtriser mes émotions.
De toute façon, je n'avais pas le choix. Je mourrai instantanément sinon.
Il était devenu fou. Il pétait les plombs. Il tenait son arme dans les bras, marchait dans le sang de nos professeurs, il était détendu face à tout ce carnage. Je regardais autour de moi. L'air me manquait. Je devais être en plein rêve. Ou mieux. Je devais être dans ce genre de jeu de simulation avec un joueur complètement déjanté. Il reprit la parole me sortant de mon questionnement :
- Aucun de vous ne m'a écouté
Il s'esclaffa, penchant légèrement son corps en arrière :
- Vous avez eu maintes opportunités. J'ai essayé. J'ai compris. Mais non... vous m'en demandiez toujours plus. Il fallait que je comprenne tout le monde ! Et moi bordel de merde ?! ET MOI !
Il hurla et tout le monde sursauta de concert. Certains essayant de trouver des solutions pour s'évader chuchotaient, tandis que d'autres les suppliaient de la fermer. Moi, je n'étais d'aucun des deux groupes. Je m'inquiétais pour ma copine et j'étais bien trop occupé à faire croître ma haine pour ce malade.
Je ne pouvais pas sans elle. Quelle idée débile de la faire venir ici... J'avais perdu beaucoup, mais si elle aussi, si elle aussi s'en allait, je n'aurais pas d'autre choix.
Flashback :
- Tiens... c'est la première fois que je te vois sourire
- Hum
Elle éclata de rire.
Nous étions là depuis des heures et je commençais à ne plus en pouvoir, mais pour autant, je ne savais pas ce qui m'avait poussé à lui afficher ce sourire.
- Tu vas encore chercher longtemps le livre qu'il te faut ?
- Tant que tu n'avoues pas que je te suis d'une grande utilité, oui
Je relâchais l'air dans mes poumons.
- On va au cimetière ?
Je me crispais. À quoi est-ce qu'elle jouait ? Mon air se durcit, elle se tourna vers moi, sans changer d'attitude face à ma réaction. Ma main se mit à trembler, j'avais la bouche sèche.
- On y va ?
- Non.
- Pourquoi ?
- Je n'en ai pas envie
Il faisait déjà presque nuit. Il y avait encore un peu de lumière à l'extérieur, mais le soleil ne tarderait pas à bientôt se coucher. Je ne lui souriais plus. Elle avait tout gâché.
Pourquoi parler de ça ? Je la regardai étrangement, la voyant ranger son téléphone dans son sac comme si elle s'apprêtait à partir.
- J'ai dit non
- Je n'ai jamais dit que c'était pour toi
C'est comme ça que je me retrouvais à la suivre. On passa devant le skate park. Un skate park à côté d'un cimetière... Les cris de tous ces ados, se mêlant à la tristesse du lieu calme se situant juste derrière.
Je regardais Ary. Elle était souriante et plus j'avançais, plus je commençais à ne pas le sentir.
- Qu'est-ce que tu fiches Ary ?
Je commençais à ressentir cette contrariété, cette frustration. Cette boule dans ma gorge m'empêchant d'être heureux. Je la regardais, essayant de me contenir. Je fixais presque mes pieds...
- On va au cimetière, elle rit
Elle trouvait ça drôle ?
- Pourquoi celui-ci ?
- Ne t'inquiète pas
- Je me barre
Je me détournais d'elle et faisais demi-tour. Elle ne tenta pas de m'arrêter. Elle resta en arrière me fixant.
- Fais-moi confiance !
Je continuais sans lui prêter attention. Je m'en fichais de ce qu'elle pouvait dire. Je me barrais. Je l'avais dit. Elle fit quelques pas derrière moi. Je pouvais l'entendre avec le bruit de ses chaussures sur le gravier.
- J'ai peut-être moi aussi besoin de toi...
...
Elle se tenait à mes côtés avec beaucoup de courage. Son sourire constant sur les lèvres.
- Elle aurait été ma grande sœur, di-elle d'une voix douce
Je la regardais en me tenant avec respect devant la tombe de la petite fille.
- Elle est morte à quatre ans ;
Un vent secoua ses braids. Elle était plus petite que moi, mais visiblement plus courageuse.
- Elle ne te manque pas ?
- J'avais six mois quand c'est arrivé... ma mère en a plus souffert. Moi je ressens du manque, car je sais en voyant mes amies avec leurs sœurs, que je n'aurais jamais leurs vies...
Je ne savais pas quoi lui dire... Elle avait déjà dû avoir tout entendu. Comme moi... et parfois, à force, ça en devenait agaçant.
- Un jour... je me tatouerais quelque chose me liant elle, ma mère et moi
J'étais admiratif. Elle avait un visage dénué d'émotion... pourtant elle en ressentait visiblement une forte tristesse. Je lisais la plaque « Stella ». Elle aurait été une très belle personne, je me dis intérieurement en essayant de me concentré sur le son de la nature environnante afin de ne pas ressentir de douleur.
Ary avait ce truc orange sur elle qu'elle appelait encore K-Way. Elle le serra contre elle. Je remarquai alors une larme quitter son visage et tomber à terre.
- Elle me manque
Elle le dit du bout des lèvres. Je réussis à lui donner un sourire compatissant.
- Je sais
Je dis cela en le pensant sincèrement. Je savais ce que c'était. Je savais par quelle douleur elle passait actuellement. La vie était merdique. Les problèmes aussi. J'en voulais au monde entier, pour elle, pour moi, pour tout le monde.
Un peu plus tard, alors qu'on s'apprêtait à traverser le portail de sortie, elle tira sur mes mains, les faisant sortir de mes poches :
- Allons-y
Je cherchais à éviter son regard. Je savais très bien de quoi est-ce qu'elle parlait.
- Tu peux y arriver ;
- Non, Ary et ce sera définitif
- Non. Tu n'as pas le choix.
Je ris. Un rire sec. Sans émotions.
- Ecoute-moi s'il te plaît... fais-moi confiance
Je levai les yeux au ciel, un peu pour utiliser le temps comme excuse pour nous en aller, mais non. Le ciel était clair hormis quelques nuages ci et là, mais rien de bien inquiétant. Je n'en avais pas envie. Mon cœur battait à des vitesses inimaginables... je baissais mes yeux sur elle. Elle avait un visage tendre...
- Pas longtemps
- Très bien
Elle acquiesça. C'était si difficile. Si difficile de devoir affronter tous mes souvenirs. Je n'avais jamais fait ça. Jamais depuis il y a six mois. Elle me prit la main, d'un geste amical. Elle était incroyable. J'accueillais bien ce geste. Elle savait tout, et très honnêtement, je la voulais à mes côtés. Mon cœur se gonfla de chagrin. On se dirigea vers cet endroit que je n'avais encore jamais revu, mais que je connaissais si bien. J'avais peur que mes membres me lâchent tous, alors je m'accrochais à la petite main d'Ary.
On arriva rapidement. Je me tins devant la tombe de ma mère. Je me revis quelques mois plus tôt, en train de voir son cercueil descendre là-dedans. Ce jour-là, j'avais voulu m'en aller, pour ne pas avoir à voir ça. Mais après quelques pas, j'avais rebroussé chemin. Je ne pouvais pas la laisser entre là-dedans seule, sans son fils.
Je lisais les informations de ma mère... Je regardais son sourire. Ce sourire que j'avais connu dès mes premières heures de vie. Ce sourire que je ne reverrai plus jamais. Ma vue commença à se flouter. Le vent contre mon visage était très rafraîchissant, signe que l'humidité commençait à se faire sur mes joues.
- Maman...
J'éclatais en sanglots et mes jambes lâchèrent. Je tombai alors à genou et m'écroulais sur elle. Je la voyais sous terre, n'étant plus elle, n'étant plus qu'un squelette. Quand j'avais vu sa peau blanche à sa mort, j'avais pensé que je ne pouvais avoir pire image d'elle... mais en fait si. Mon corps tremblait. Incontrôlablement. Je n'avais jamais osé revenir ici. Depuis son cancer, tout était devenu sombre... à sa mort tout avait empiré. Comment voir sa mère, sans vie ? Penser à sa mère ne pouvant plus nous sourire, nous étreindre. Le sentiment maternel de sécurité n'était plus là... je me sentais si vide.
- Maman...
Je pleurais à chaudes larmes, sans retenu. Juste au moment où je pensais à avoir quelqu'un à serrer dans mes bras. Un sac se posa à terre, et Ary se tint là, près de moi, avant de m'attirer à elle.
Je ne souhaitais à personne ce genre de douleur. Perdre sa mère était quelque chose de si traumatisant, ne plus pouvoir ressentir ce lien non plus...
Je n'avais pas eu d'idées noires grâce à mes amies, mais une chose était sûre, je ne souriais plus à l'époque. Seule Ary avait été là du début à la fin et seule elle, m'avait permis de sauter le pas et d'aller voir ma mère. Voilà pourquoi je ne pouvais pas perdre une aussi belle personne.
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Hommage à ma grande sœur, morte à mes six mois, et à ma mère pour n'avoir rien lâché pour moi.
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