Chapitre 2

16 mars ~

- Hé hé, maintenant, tu n'as plus aucune raison pour m'ignorer, me chuchote Elmeth.


Alix lui donne un coup de pied dans le tibia afin qu'il arrête de me déranger. Je la remercie d'un hochement de tête.


- Pourquoi, de tous les garçons qui existent, tu es obligé de te trimballer celui-là ? C'est vrai qu'il est imposant physiquement, mais t'as vu comment il pleure après seulement un petit coup de rien du tout ?


Je hausse les épaules. Elle vient de souligner une des raisons. Les deux autres sont sûrement sa proximité par rapport à ma maison et que mon père a une très grande confiance en lui. Car, même si nous nous chamaillions enfants, il n'hésitait pas une seconde à se battre contre les autres garçons qui m'embêtaient. Et évidemment, je ne peux pas non plus lui dire ça.


Mes autres amies sont toutes aussi surprises et révoltées que moi qu'il doive nous servir de garde du corps. Tout cela uniquement parce que nous sommes des filles et donc « faibles ». Il ne cesse de parler sur le chemin, mais malheureusement, nous ne pouvons lui fausser compagnie. Par conséquent, nous n'avons pas le loisir de discuter entre nous sans qu'il entende. Alors que nous pensons en être débarrassées une fois arrivées au lycée, il n'en est rien. Selon lui, il se doit d'accomplir sa mission jusqu'au bout.


- Pour une fois, vous êtes en avance, M. Spencer. Nous devons vous remercier mesdames, fait bien haut la prof de français en nous voyant entrer dans la salle.


Nous nous faisons huer et applaudir par les personnes déjà présentes. Si je pouvais m'enterrer, je l'aurais fait depuis longtemps. Pour ne rien arranger, l'autre imbécile en profite pour en rajouter une couche.


- Celui qui s'en prend à l'une de ces filles va tâter de mon poing. Compris ?


Il se retourne vers nous, fier de sa prestation et en pensant avoir arrangé les choses, mais c'est encore pire maintenant : ils sont tous en train de ricaner. Lylia le bouscule et nous allons nous asseoir à nos places habituelles. Il va enfin nous lâcher les basques et aller voir ses potes. Enfin, c'est ce que je pensais... En réalité, il s'installe derrière nous, les pieds sur la table et la chaise en guise de balançoire. Tant pis pour lui. J'espère qu'il va tomber et se faire mal. Malheureusement, cela n'arrive pas.


- Tu penses qu'elle va nous laisser choisir nos groupes pour son projet la prof ? me demande Juliette.


- J'espère que oui, lui réponds-je.


En réalité, je n'en ai aucune idée. À la dernière séance, elle nous a seulement expliqué que ce projet consistait en la réalisation d'un recueil de poèmes en groupe de deux sur un thème qu'elle tirerait au hasard entre amour, renaissance, jeunesse et vie. Pour les binômes, elle ne savait pas encore si elle allait les désigner ou si nous pouvions choisir. Normalement, elle a dû faire son choix, et j'espère que dans tous les cas, je serais avec l'une de mes amies.


- J'ai choisi les groupes. Lorsque je vous appelle avec votre thème, venez prendre votre carnet.


Elle énumère une liste de prénoms et de noms. Tandis que certains râlent et d'autres crient de joie pour leur partenaire, je croise les doigts pour être avec l'une de mes amies.


- Max Ruth et Elmeth Spencer, thème de l'amour.


Je relève la tête, n'en croyant pas mes oreilles. À la limite, que je tombe sur lui, OK. Mais pas avec ce thème. Il ne peut rien y connaître, c'est impossible. Moi non plus, je n'y connais rien, je n'ai aucune expérience, mais au moins, je m'y connais au travers des livres. Ce qui m'étonnerait que ce soit son cas. Nous nous levons tous les deux pour aller chercher notre recueil qui sera à compléter.


- Vous allez devoir travailler M. Spencer, prenez exemple sur votre partenaire, fait la prof.


Il ne répond rien et me sourit. Apparemment, cette situation n'a l'air de déranger que moi. Il doit sûrement se dire qu'il pourra en profiter pour ne rien faire... Nous avons un mois pour remplir vingt pages. Hors de question que je fasse tout toute seule. Nous retournons à nos places et je décide que ce serait moi qui garderai le carnet. Je n'ai aucune confiance en lui...


***


Enfin midi ! Je n'ai visiblement pas assez mangé ce matin, mon ventre réclame de quoi le caler, en plus je commence à avoir mal. Après une interro de math, je suis bien contente de pouvoir enfin me remplir la panse. Malheureusement, Elmeth n'est pas sorti avec ses amis au fast-food du coin, contrairement à son habitude, mais a préféré rester pour "accomplir sa mission" comme il aime nous le rappeler. Au moins, à présent, nous pouvons discuter sans qu'il rajoute son grain de sel.


Nous traînons le reste de la pause dans les toilettes du dernier étage, où il n'y a généralement personne. C'est un lieu de rassemblement pour toutes les filles, et nous n'échappons pas à la règle. En plus, ici, notre garde du corps ne peut pas nous suivre. Alix et Maya en profitent pour se pomponner tandis que nous décidons de ce que chacune de nous va devoir apporter samedi.


- On ne va quand même pas être obligé de se coltiner ce mec ? demande Lylia.


- J'ai bien peur que si, lui réponds le mec en question.


- Ce n'est pas bien d'écouter aux portes, je fais.


Il ne répond rien, et il n'ajoutera rien de plus de toute la conversation. Au moins, nous sommes fixées. Du coup, nous avons été obligées de lui révéler ce que nous comptions faire ce weekend. Évidemment, nous lui avons imposé certaines règles qu'il a acceptées : interdiction de nous déranger, il doit rester à distance et surtout, il se gère entièrement, soit il doit apporter sa propre nourriture et se payer le billet de ciné. Au moins, ça, c'est réglé. Les cours peuvent alors reprendre dans une bonne ambiance.


Malheureusement, mon mal de ventre n'est toujours pas parti, et ça s'intensifie. Je demande aux filles si elles ont des cachets, mais elles me répondent par la négative. Si ça continue, je ne vais plus pouvoir suivre le cours. Je lève la main sur la recommandation d'Alix pour demander si je peux me rendre à l'infirmerie. Par chance, la professeure accepte et demande si quelqu'un peut m'accompagner. Évidemment, mes amies lèvent la main, mais la personne qu'elle désigne en est tout autre. Elmeth, évidemment. Nous sortons et nous dirigeons vers le rez-de-chaussée.


- Je peux savoir pourquoi c'est toi qui m'accompagnes ? je lui demande.


- Je n'en ai pas le droit ? Ma mission est de te protéger.


Il la prend un peu trop au sérieux sa mission. Nous sommes au lycée, il ne risque pas de m'arriver grand-chose... Même arrivée à l'infirmerie, il ne veut pas me lâcher. J'explique à l'infirmière quel est l'origine de mon mal. Elle me donne des cachets et une bouillotte puis me dit que je peux rester ici le reste de l'après-midi et que je peux appeler mes parents pour qu'ils viennent me chercher. Je décline la dernière proposition puis vais m'allonger dans un des lits. Elmeth s'assoit sur le bord de celui d'en face avec un air grave.


- Tu peux t'en aller à présent. Retourne en cours maintenant que tu as décidé d'y revenir, je lui fais.


- J'ai plus envie, je ne me sens pas bien non plus, je vais rester ici.


- Menteur.


Oups, c'est sorti tout seul. Tant pis. Je me retourne et ferme les yeux pour tenter d'oublier.


***


Je me réveille en sursaut. Quelle heure il est ? Je regarde l'horloge. 18h ?! J'ai dormi plus de quatre heures, et je devrais déjà être rentrée chez moi ! Bon sang. Pourquoi personne ne m'a réveillé ? Seul point positif : les cachets ont fait effet. Je me prends la tête pour remettre mes longs cheveux en place. Même l'infirmière est partie. Je tourne la tête et vois Elmeth sur son téléphone, écouteurs dans les oreilles. Sans commentaire. Je tourne ma tête de l'autre côté.


Je peux apercevoir au pied du lit mes affaires de cours et sur la table de chevet une tablette de ma marque de chocolats préférés. Je prends mon téléphone dans la poche de mon sac pour voir si quelqu'un m'a envoyé un message. En effet, Jeanne m'a écrit pour me dire qu'elles sont passées dès la fin des cours pour que l'on rentre ensemble, mais voyant que je dormais profondément et que j'étais sous bonne garde, elles m'ont seulement laissée avec un petit cadeau.


- Enfin réveillée ? demande Elmeth.


Je me lève et m'étire.


- Si tu en avais marre d'attendre, tu n'avais qu'à rentrer.


- Et faillir à ma mission ? Non merci.


Encore et toujours ce fichu refrain. Nous nous dirigeons vers la sortie du lycée, complètement vide. Je ne suis pas sûre que nous soyons censés être encore là. Mes craintes se confirment lorsque nous arrivons devant la grille qui est scellée par des chaines. Oh non, comment on va faire ?


- Viens, suis-moi, m'ordonne Elmeth. Je sais où on pourra sortir sans se faire trop mal.


Je m'exécute sans rechigner, je n'ai aucune envie de passer la nuit ici ! Nous nous arrêtons devant une sorte de mur, qui parait super haut de mon point de vue, ce qui n'a pas l'air d'être le cas pour Elmeth. Je croise les doigts pour qu'il ne veuille pas passer par là, mais il est déjà en position pour me faire la courte échelle. Je le préviens que s'il m'arrive quoi que ce soit, il devra en prendre l'entière responsabilité.


Alors que je peine à me hisser jusqu'en haut, il enjambe presque le mur et se retrouve de l'autre côté avec une agilité déconcertante. Ça se voit que ce n'est pas sa première fois, contrairement à moi. Je regarde le sol, mal assurée. Je vais à coup sûr me fouler la cheville, c'est beaucoup trop haut. C'est alors qu'Elmeth lève les bras, comme pour m'inciter à sauter avec pour promesse de me rattraper. Je risque de me faire encore plus mal comme cela ! Je secoue la tête. C'était décidément une très mauvaise idée.


- Je te rattrape, me fait-il.


Je le regarde. Il a le sourire aux lèvres et semble croire qu'il va réellement réussir à me rattraper. Je saute en priant tous les dieux que je connais et même ceux que je ne connais pas. Il a tenu sa promesse. Il est parvenu à faire en sorte que je ne me blesse pas. Je me dégage de ses bras, et tourne la tête, gênée. Il se met alors à rigoler.


- Je t'interdis de te moquer, ce n'est pas drôle, je lui fais.


- Tu n'as pas aimé ? J'aurais pourtant juré que tu aurais préféré passer par là plutôt qu'on aille demander les clés au gardien.


- Quoi ? Alors, il y avait une solution sécure ? Pourquoi on n'a pas fait ça ?! je lui lance sur un ton accusateur.


- Parce que c'est moins drôle, tout simplement.


Je pousse un soupir. C'était bien l'un de ses seuls traits de personnalité que j'aimais enfant chez lui, ce côté aventurier. Finalement, on dirait bien qu'il est moins énervant que je ne le pensais... Pendant que nous rentrons, nous parlons de tout et de rien, et je me surprends même à rire à certaines de ses blagues. Si bien que lorsque nous nous séparons, j'ai l'impression de ne pas avoir assez rattrapé le temps perdu...

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