Lorsque j'ouvre les yeux je suis à l'hôpital. J'ai mal partout et je sens que j'ai la lèvre gonflée. Une infirmière passe dans la chambre, me demande comment je me sens et m'explique que la police est là et qu'ils souhaitent m'interroger.
— Ok dis-je encore sonnée.
— Bonsoir Madame je suis l'agent NEWMAN et voici l'agent TABIRA .
— Bonsoir.
— Est-ce que vous vous souvenez de ce qu'il s'est passé et pourquoi vous êtes ici ce soir ?
Je ne sais pas ce que je vais répondre. Je ne sais pas où est Julian. Est-ce qu'il a appelé la police après m'avoir balancée par terre comme une poupée de chiffon ou c'est un voisin qui a tout entendu et a alerté les autorités ?
Je ne réponds rien.
— Votre mari est au poste de police en ce moment pour y être interrogé.
Je ne réponds toujours rien.
— C'est lui qui vous a fait ça ? Vous souhaitez porter plainte ?
— Je voudrais me reposer un peu s'il vous plait.
— Si vous vous sentez en danger il faut nous le dire maintenant Madame.
Je reste muette.
— Vous pouvez demander une ordonnance de protection urgente auprès du tribunal. Cela permettra l'éloignement temporaire de votre mari.
Pas un son ne sort de ma bouche.
Pourquoi est-ce que je le protège ? Qu'est-ce qu'il va se passer si je ne dis rien ou au contraire si je raconte tout ?
Tout est confus, tout se mélange dans ma tête. Les deux policiers me regardent compatissants.
— Je sais à quel point c'est difficile pour vous en ce moment. Je vais vous laisser ma carte et vous pouvez m'appeler dans une heure, demain ou dès que vous en sentirez le besoin. Je vais également vous laisser une brochure qui explique toutes les options et toutes les ressources disponibles. Est-ce que vous avez de la famille, est ce que quelqu'un peut venir vous chercher ? Sachez que votre mari sera relâché après la garde à vue si nous en restons là
— Je vais appeler Larisa.
— Qui est Larisa ?
— C'est ma sœur.
— Très bien, appelez là. Si vous changez d'avis vous avez ma carte. Si votre mari essaie de vous contacter et qu'il se montre menaçant contactez-nous immédiatement.
J'acquiesce d'un mouvement de tête.
— Vous êtes sûre que ça va aller Madame ? Nos services sont là pour vous. Est-ce bien clair ?
— Oui, très clair, merci
Les deux policiers quittent la chambre en me laissant la brochure sur la table. L'infirmière vient s'assoir près de moi et m'explique que mes blessures sont superficielles et que je vais pouvoir quitter l'hôpital le lendemain après-midi.
Je n'ai aucune envie de rentrer au loft et de voir Julian pourtant je ne cesse de penser à lui. Je me demande s'il est encore au poste ou s'il est déjà rentré.
Je me lève doucement et fouille dans mon sac à la recherche de mon téléphone.
Pas de message de Julian.
Je compose le numéro de Larisa mais tombe sur sa messagerie. A cette heure-ci elle doit être au restaurant.
J'appelle le restaurant et demande à lui parler.
Quelques secondes plus tard elle est en ligne.
— Allô Ella, tout va bien ?
J'explose en sanglots et ce que je tente de dire est inaudible.
Larisa me laisse me calmer et patiente. Lorsque je parviens à lui expliquer que je suis à l'hôpital et que je sors demain elle me promet qu'elle sera là pour moi. Quand elle me demande plus en détail ce qu'il se passe je ne lui réponds pas.
— Je serai là à 15h demain ok, tu auras tout le temps de m'expliquer ce qu'il se passe.
Elle raccroche, je prends à nouveau mon téléphone et constate que la presse ne parle de rien. Un peu de répit ...
J'ai demandé à Larisa de me ramener une tenue de rechange car je n'ai pas eu le temps de prendre ma valise.
Toujours pas de nouvelles de Julian. Il est sûrement encore au poste, ou peut-être en route ou en train de se saouler au loft.
Pourquoi cela m'importe tant ?
Je prends la brochure et commence à la parcourir. Je ne me reconnais pas dans tous les descriptifs pourtant ce soir j'ai bien été victime d'une violence conjugale.
Est-ce que je peux encore l'aimer alors qu'il a été violent ? Est-ce que je peux lui pardonner dans l'espoir que c'était un événement isolé ? Et si la prochaine fois il me faisait encore plus de mal ?
J'aurais dû me taire à propos de Ben, je n'aurais pas dû le provoquer.
Pourtant je n'ai fait que dire la vérité ce soir, aussi brutale soit-elle pour lui.
Je suis perdue depuis plusieurs semaines. Pendant qu'il était anéanti j'étais là pour lui chaque seconde. Je n'avais pas pris conscience de la colère que j'avais accumulé pendant ces longs mois avant de pleurer dans les bras de Ben. Je lui en veux d'être sorti ce soir du 17 avril, d'avoir participé à cette bagarre, je lui en veux pour la mort de Joe, pour la déchéance qui a suivi. Je lui en veux d'avoir gâché notre bonheur, mon bonheur.
Je ressens des émotions très contradictoires. Pourrais-je aimer un autre que lui un jour ? Comment pourrais-je aimer si fort après lui ?
Larisa est là le lendemain à 15h comme prévu. Quand elle rentre dans la chambre et découvre mon visage tuméfié elle comprend tout de suite ce qu'il s'est passé mais ne dit rien. Elle me prend juste dans ses bras.
Pendant le trajet elle me dit que je peux m'installer dans la chambre d'amis tout le temps nécessaire.
Mon téléphone sonne. C'est Julian.
— Ne décroche pas, tu m'entends tu ne décroche pas.
— Tu sais très bien qu'il va m'appeler jusqu'à ce que je décroche ?
J'écoute son message et suis bouleversée par la sincérité de chacun de ses mots. Je sais qu'il m'aime et qu'il est désolé mais j'ai besoin de temps pour réfléchir.
Je lui envoie juste un message pour lui dire que j'ai besoin de temps.
Il me répond à nouveau combien il est désolé, qu'il va se faire soigner, qu'il m'aime plus que tout.
J'éteins mon téléphone.
Mickael nous accueille chaleureusement et nous invite à le suivre au salon où un bon dîner nous attend.
Nous parlons très peu de Julian.
— Merci pour tout mais je suis épuisée, je vais aller me coucher.
— Ella, tu sais qu'il va venir ici parce qu'il se doute que tu es là. Tu ne lui ouvres pas et tu appelles la police s'il insiste ? OK ?
Larisa et Mickael n'ont pas le luxe d'avoir une grande épargne. Ils se rendent le lendemain matin tous les deux sur leur lieu de travail.
Dès le lendemain matin j'annule mon téléphone et vois que Julian n'a pas cessé d'essayer de m'appeler.
Je lui envoie un SMS . Arrête de m'appeler stp.
Je sais très bien qu'il n'arrêtera pas alors je me décide à l'appeler.
Il répète en boucle les mêmes mots.
— Julian, tu m'as blessée et j'ai fini à l'hôpital, je n'ai pas porté plainte contre toi, je n'ai entamé aucune procédure alors lorsque je te dis que j'ai besoin de temps tu le respectes !
— Tu vas demander le divorce ?
— Je ne sais pas, je vis au jour le jour pour le moment.
— Est-ce que je peux t'appeler dans une semaine ?
— Une semaine c'est le temps que tu estimes pour se remettre d'une nuit à l'hôpital ?
— Je ne sais pas quoi te dire, je voudrais seulement te parler et te voir...
— Julian, je vais raccrocher. Je ne te dis pas que je ne veux plus jamais te revoir mais pour le moment c'est le cas
— Je t'aime
— Au revoir Julian.
Je raccroche et m'effondre sur le sol. Pourquoi est-ce qu'il me fait cet effet-là. Une partie de moi meure d'envie d'aller le rejoindre mais une toute petite voix me dit qu'il mérite bien de réfléchir à ces actes quelques temps.
La presse n'a pas tardé à avoir eu vent de l'histoire. L'information s'est propagée à grande vitesse et quelques jours plus tard tout le continent est au courant.
Ma mère et Mélissa viennent me rendre visite chez Larisa à tour de rôle.
Le père et le frère de Julian ont essayé de me joindre mais je leur ai juste laissé un message leur expliquant que je vais bien et que j'ai juste besoin de prendre mes distances quelques temps.
Les musiciens du groupe de Julian me supplient de lui pardonner car il va très mal.
Il essaie de m'appeler tous les jours mais je ne cèderai pas à ce chantage affectif du moins pas pour l'instant.
Certains de ces projets ont été annulés alors que d'autres se poursuivent.
Beaucoup de fans et de célébrités ont condamnés son agression, d'autres sont plus compatissants et espèrent que nous allons vite renoués.
La solitude commence à se faire sentir. Je n'ai pas d'instruments à ma disposition, toute ma vie est dans le loft de Julian. Je rôde dans leur maison telle une âme échouée. Larisa s'investit énormément au restaurant et Mickaël est très pris également par son projet d'entreprenariat.
Larisa me propose de l'accompagner au restaurant pour occuper mes journées.
Je joue les commis en cuisine sous les regards intrigués de ses salariés.
— Passer de la scène à la plonge ça vous change un être humain ! se moque Dylan le serveur du restaurant.
— Je vais écrire un album entier sur les tomates et le brocolis, rigolé-je.
— C'est rare de côtoyer une star de si près, tu me réconcilies presque avec le genre humain.
— Tu peux remercier Larisa, c'est grâce à elle que je garde la tête sur les épaules.
— Je pense que tu l'as en toi. Tu as su rester humble.
— Je ne sais pas mais mon vrai métier me manque.
— Et ton mari ?
— Si je dis oui tu le gardes pour toi ?
— Je ne suis personne pour te juger. Je ne connais que ce que je lis et ce que j'ai entendu de la part de Larisa.
— Tu dois avoir la pire opinion du monde alors ! Julian est complexe mais qui ne l'est pas ? J'ai eu terriblement peur ce soir-là. J'ai senti que ça allait dégénérer mais je suis quand même allée jusqu'au bout...
— Peu importe ce que tu as pu dire ou faire ce soir-là, je pense que la violence n'arrange rien.
— Non bien au contraire.
Je me rends compte que je ne peux même pas parler de Julian avec mes amis les plus proches, il est devenu le sujet tabou entre nous tous.
Je suis extrêmement reconnaissante de leur accueil mais au bout de deux mois j'appelle l'agence immobilière afin de lancer la procédure auprès de mes locataires pour regagner mon logement à New York.
Larisa n'a pas changé depuis notre enfance. Lorsque je vivais encore avec ma mère et ma grand-mère nous étions voisine et je passais tout mon temps avec elle. Même si elle avait trois ans de plus que moi elle prenait toujours le temps de jouer avec moi.
Lorsque ma mère est partie Larisa ne m'a pas simplement ouvert sa porte, elle m'a offert un amour inconditionnel. Robert et Astrid m'ont intégré à leur famille comme si j'étais leur deuxième enfant.
Puis quand j'ai commencé à me passionner pour la musique et m'enfermer pendant des heures pour m'exercer elle m'a laissé cet espace. Elle a dû se sentir seule parfois malgré ses amitiés avec d'autres filles du collège.
Lorsqu'elle les invitait à la maison elles acceptaient que je leur fasse le spectacle. Je sentais la fierté dans son regard. Elle ne m'a jamais jalousée toujours encouragée.
Maggie a repris contact avec moi d'abord juste pour avoir de mes nouvelles et ensuite pour me proposer de finir le tournage du téléfilm.
— Je n'en suis pas capable Maggie, je suis désolée c'est trop tôt.
— Ecoute je vais voir avec le réalisateur mais il me semble que la plupart des scènes ont été tournées, on se débrouillera.
— Ok tant mieux.
— Je venais aussi te proposer un autre projet.
Un groupe de doom— metal recherche une chanteuse pour l'album studio, elle m'a également positionnée sur plusieurs festivals. C'est un début et cela me permettra de penser à autre chose que Julian.
Ma vie personnelle compliquée et les deux récents projets que j'ai abandonné malgré moi en cours de route ne sont pas très favorables à ma réputation. Mes qualités techniques et vocales ne suffisent pas à décider les producteurs pour une collaboration sur le long terme.
J'ai enfin des nouvelles de l'agence immobilière. Ils ont réussi à trouver un logement similaire à mes anciens locataires.
Cela veut dire que je vais pouvoir retourner à New York.
Je vais pouvoir récupérer mon petit chez moi, mon refuge, mon espace créatif et artistique, le lieu où prennent vie mes réflexions, mes pensées et mes émotions.
Mon piano et la plupart de mes instruments sont encore chez Julian mais je vais me débrouiller pour en acheter des nouveaux.
Je vais refaire la décoration, je vais acheter de nouveaux meubles, je vais changer la couleur des murs. Je vais me réapproprier cet espace qui est le mien.
Le week-end de mon départ Larisa a privatisé le restaurant et a organisé une grande fête.
Ils ont invité la plupart de leurs amis qui sont devenus des connaissances aujourd'hui. Certains d'entre eux sont célibataires et charmants mais Julian occupe encore tout l'espace dans mon esprit et dans mon cœur.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top