am i a fool
Le corps affaissé contre le matelas, Felix fixait le plafond, une main derrière le crâne et l’autre se balançant dans le vide au bout de son bras. Il observait les ombres créées par les guirlandes lumineuses qu’il avait installées. C’était son petit rituel à lui. Quand la nuit tombait et que sa chambre demeurait toujours aussi désespérément silencieuse, il allumait ces petites loupiotes orange et, tout de suite, il se sentait un peu mieux.
Un soupir lui échappa tandis que des gloussements provenant de la chambre voisine brisaient le silence. C’était son colocataire, Jisung, qui passait encore une fois la soirée en compagnie de son petit ami. Comme toujours, ils étaient particulièrement bruyants et le mur qui séparait les deux pièces ne filtrait presque pas les sons. Au fond, s’il n’y avait pas eu de parois, ça aurait été la même chose, mais Felix devait bien avouer qu’au moins ses yeux étaient épargnés par cette horreur.
Lassement, il roula sur le côté en attrapant un coussin qu’il serra fort contre son torse. Des éclats de rire à peine étouffés emplirent l’espace avant de se dissoudre dans l’air. Il sentit son coeur se serrer. Lui était seul et il le vivait très mal. Il n’était pas jaloux de ses amis, bien sûr il était heureux pour eux, mais leurs démonstrations d’affections quasi constantes ne faisait que lui rappeler qu’il n’avait personne de son côté. Il se doutait que ce n’était pas sain de vouloir à tout prix être en couple, mais plus qu’une ou un petit ami, il avait besoin d’un confident, de quelqu’un qui serait là pour lui.
En grandissant, il s’était peu à peu émancipé de sa famille et ses amis étaient désormais tous très occupés avec leur vie respective. Felix s’était un peu trouvé comme un imbécile au milieu de tout ça, lui n'avait pas bougé. Son quotidien était resté le même et au final, il ne s'était jamais senti aussi seul. Ça le tuait de se l’avouer mais il avait besoin de quelqu’un.
En prenant une longue inspiration, le jeune homme se leva pour se diriger vers la fenêtre. Il appuya ses coudes contre les rebords puis cala son menton dans sa paume de main, ses cheveux bruns chatouillaient ses paupières. Dehors, la lune était pleine et illuminait la ville de son éclat blanc. Felix soupira, les sourcils courbés. Cette nuit là, il n'y avait pas d'étoiles. Le ciel était sombre, inquiétant. L'astre brillant se trouvait seul dans cette atmosphère glaciale et Felix eut l'affreuse sensation qu'il était son propre reflet.
– Aide-moi, lâcha-t-il dans un souffle.
Il était désespéré, il se sentait ridicule. Dans son entourage, tout le monde évoluait au quotidien avec aisance, alors que pour lui rien n’était facile. Chaque petit accroc lui paraissait être un obstacle insurmontable, faire un pas en avant était une véritable épreuve. C’était comme s’il marchait dans la boue. Il lui semblait qu'il s'enlisait de plus en plus. Peut-être n’était-il pas fait pour tout ça. Peut-être n’était-il bon qu’à pleurer...
Un bruit assourdissant le fit soudain sursauter. Il cligna des paupières plusieurs fois en se tournant, les yeux ronds. Le fracas avait été si grand que la figurine Groot qui décorait son bureau avait tremblé.
– Qu’est-ce qu’ils ont foutu encore ces-
Sa phrase fut coupée par des éclats de rire de l’autre côté du mur. Il se figea alors qu’il les entendait s’esclaffer en prononçant des mots à peine distinguables les uns des autres, à la limite de petits cris. Un sourire fendit les lèvres de Felix avant de s’évanouir bien vite. Le cœur lourd, il regarda sa chambre vide, hermétique à l’ambiance de joie qui régnait dans la pièce d’à côté et un soupir lui échappa.
Lui aussi aurait aimé avoir quelqu’un pour rire comme un imbécile.
***
– Tu vas y aller comme ça ?
Felix jeta un regard noir au petit ami de Jisung, Minho, qui le détaillait de la tête aux pieds avec de gros yeux.
– Oui. Y a un problème ?
– Je sais que c'est un petit restaurant mais t'aurais pu faire un effort quand même.
– Pour quoi faire ? grogna-t-il en fourrant les mains dans son jogging gris.
Minho n'ajouta rien. Il serra les pans de son manteau à fourrure contre son torse puis jeta un regard à Jisung qui haussa les épaules en fermant la porte du studio à clé. Ils voyaient bien qu'il ne fallait pas trop en demander à Felix ce soir-là, il n'était pas de bonne humeur. Alors si ce dernier voulait sortir en claquettes chaussettes, porter une veste de survêtement défraîchie, et ne pas se coiffer, ils n'allaient pas l'en empêcher. Il était bien assez grand après tout.
Dans le silence complet, les trois amis descendirent les escaliers de l'appartement avant de débouler dans la rue éclairée par la lumière des lampadaires. Une petite plainte échappa à Minho, formant un nuage froid de vapeur devant sa bouche. Les nuits s'étaient considérablement rafraîchies dernièrement, l’automne commençait à s'installer et Felix n'en manqua pas de frissonner. Ils n'avaient même pas fait dix mètres qu'il regrettait déjà de ne pas avoir pris un manteau avec lui. Il aurait très bien pu faire demi-tour pour en chercher un, mais il était tellement enfermé dans sa bulle de tristesse et de déprime que le seul fait d’ouvrir la bouche pour avertir ses deux amis lui paraissait insurmontable. Alors les dents serrées, il agrippa la fermeture éclair de sa veste pour la remonter jusqu'à son menton, espérant ainsi gagner un peu de chaleur. Heureusement pour lui, le restaurant n'était pas bien loin, ils l’atteignirent en moins de dix minutes de marche.
Jisung ouvrit la porte à son petit ami qui le remercia d’un sourire puis il entra à son tour, laissant Felix se débrouiller. Ce dernier laissa échapper un petit soupir en rattrapant la poignée de justesse. Ce n'était pas grand chose, mais c'était un détail qui venait enfoncer le clou encore un peu plus. Il savait que son ami ne pensait pas du tout à mal, il n’avait aucune idée de la détresse psychologique dans laquelle il se trouvait alors il ne pouvait pas lui en vouloir. C’était lui qui était beaucoup trop renfermé, il n’en parlait à personne.
Felix inspira en entrant à son tour. La salle avait au moins le mérite d’être bien chauffée et les effluves de viande qui parvenaient à ses narines titillèrent son estomac. Pour une fois qu’il avait envie de manger, il n’allait pas se priver. Les trois amis s’installèrent autour d’une table en rotin en se mettant à l’aise ; Jisung et Minho assis côte à côte sur une banquette et Felix seul de l’autre côté.
– Je vous préviens, fit Jisung en s’approchant de la table, c’est hyper bon ici mais le personnel est vraiment pas agréable.
– Ah ?
– Je te jure, regarde pas les serveurs dans les yeux ou ils vont te les arracher.
Minho rit en se tournant vers lui, faisant virevolter ses cheveux roux sur le côté alors que Felix se contenta de hausser les épaules, il n’était pas vraiment agréable avec les autres lui non plus donc il s’en fichait.
– Le pire c’est le gars baraqué avec des piercings, la dernière fois qu’il a pris ma commande j’ai cru qu’il allait me frapper si je prenais trop de temps pour réfléchir… j’ai choisi n’importe quoi du coup.
– Quel mâle alpha, constata son copain.
– Non mais moi je ne prends pas de risque avec ce genre de type, je tiens à mon visage.
Les yeux de Jisung étaient si ronds et son visage si expressif que Felix finit par expulser un petit rire par le nez, se moquant des mimiques de son ami.
– Rigole pas toi, je suis sûr que tu ferais pas le fier devant lui !
– C’est ce qu’on va voir… c’est pas lui là-bas ?
Jisung se retourna d’un coup comme s’il était traqué et un petit cri s’étrangla dans sa gorge. Le jeune homme qu’il s’évertuait à leur décrire était là, un peu plus loin, en train de s’occuper d’une table voisine.
– Priez pour qu’il ne vienne pas par là !
Bien sûr, le destin en avait décidé autrement et une fois que le serveur termina avec ses autres clients, il se dirigea à grands pas vers leur table.
Au fur et à mesure qu’il avançait vers eux, Minho et Felix avaient de plus en plus de mal de se contenir de rire, si bien qu’ils durent cacher le bas de leurs visages à l’aide des menus. Jisung leur répétait de vite choisir ce qu’ils voulaient manger, tout paniqué qu’il était. Finalement, le serveur se planta devant eux, les sourcils froncés. Il replaça ses cheveux blonds vers l’arrière en inspectant les alentours, sorti un stylo de son tablier noir puis un petit carnet coincé dans la poche arrière de son pantalon et s’adressa finalement à eux, la voix trainante.
– Bonsoir, vous avez choisi ?
Inconsciemment, Felix arrêta de rire en l’observant. Ses biceps développés se devinaient à la manière dont le tissu noir de sa chemise se déformait. La peau de ses oreilles était percée de toutes parts, il ne restait plus aucune parcelle vierge et un autre bijou traversait son arcade sourcilière. Il avait un charisme fou, presque hypnotisant. Avec ce style marginal, il n’avait pas vraiment une allure de serveur mais il n’empêchait qu’il était tout particulièrement classe. Rien à voir avec lui. D’ailleurs, il se sentait un peu honteux d’être face à un jeune homme aussi bien apprêté alors que lui se trimballait dans de vieilles fringues qui auraient très bien pu faire office de pyjama...
Felix fut sorti de sa contemplation lorsqu’il se tourna de son côté.
– Et pour vous ?
Le brun resta figé une seconde, les paupières battant à vive allure, il n’arrivait même plus à penser correctement. Les pupilles noires de l’inconnu posées sur sa personne le rendait tout chose. Ils se fixèrent un instant avant qu’un sourire inattendu étire les lèvres du serveur.
– Je peux passer plus tard si vous voulez.
– Euh… balbutia Felix en tentant de se reprendre. N-non je vais prendre le dak-kalbi...
Sourire toujours incrusté sur le visage, le blond nota rapidement la commande sur son calepin.
– Parfait. Autre chose ?
Les trois amis firent non de la tête comme des enfants timides.
– Bien, je vous laisse patienter.
Sur ces mots, il reprit les cartes de ses clients. Et lorsqu'il se saisit de celle de Felix, le bout de ses doigts glissa sur sa main comme une caresse. Le brun déglutit, le serveur paraissait beaucoup trop enjoué pour que cela soit interprété comme une simple coïncidence. Quand il eut finit, il tourna les talons alors que Felix restait encore tout perturbé par ce qu’il venait de se passer.
– J’y crois pas ! Pourquoi il te fait les yeux doux à toi !
Jisung venait de crier en chuchotant : sa spécialité. Minho lui administra un coup de coude dans les côtes en secouant la tête.
– Tais-toi...
– Non mais t’as vu comment il était tout mielleux avec lui, alors que moi, c’est limite s’il me crache pas dessus !
– Peut-être juste que t’es pas son genre, fit Minho à tout hasard.
– Mais- attends. Tu crois qu’il a des vues sur Felix ?
– On a tous vus la même chose...
Le concerné s’étouffa avec sa salive. Il se sentit rougir en considérant cette idée mais finit par souffler, c’était impossible. Il ne pouvait pas plaire à quelqu’un comme ça. Personne ne pouvait être attiré par lui. Il y avait des milliards d’hommes plus beaux, plus intelligents, mais surtout, bien plus intéressants que sa petite personne. Un rire nerveux se faufila hors de ses lèvres alors qu’il remettait une mèche de cheveux trop longue derrière son oreille.
– N’importe quoi…
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