37 - Grand départ
- Tu comptes aller au front ? demande Sada.
- J'ai le choix ? soupire Katsuki en jetant les bûches dans la cheminée.
- Bien sûr que tu as le choix !
La soirée était tendue. Peu après les révélations au retour du dragonnier, Sada sentait de nouveau son petit monde s'effacer et refusait justement de revivre le même cauchemar qu'autrefois. Elle serrait alors les poings en soupirant longuement.
- ... Tu pars, je pars aussi.
- Non.
- Tu ne m'en empêcheras pas.
- Tu te fous de ma gueule ?! fulmine-t-il en se levant brusquement. T'es enceinte Sada, ta place n'est plus sur le terrain !
- Oh je vois, tu penses que je suis un boulet parce que tu réalises maintenant que je suis une femme !
- C'est pas ce que j'ai dis !!
- Ce n'est pas parce que je suis enceinte que je suis fragile, abruti !! Pour toi, je vais te paraitre égoïste mais je préfère mourir auprès de toi que de supporter ton deuil et voir ton regard à travers NOTRE enfant ! Mariés ou pas, la dernière chose dont j'ai envie c'est de te perdre !
- Tu--!! crie-t-il avant d'essayer de se calmer. Ecoute... Si je pars, c'est justement pour défendre le village, je suis un guerrier à la base alors oui, MA place est là bas ! Pas la tienne !
- Désolé, mais la misogynie n'a jamais marché avec moi, s'énerve Sada, les yeux larmoyants.
- C'est pas de la misogynie-- Sada putain, t'es ENCEINTE !! Tu penses pouvoir te battre en même temps que protéger un gosse dans ton ventre ?! Ce que je crains le plus c'est de vous perdre tous les deux !!
Alors qu'il explosait en rage, la démone était profondément blessée.
- ... Si tu pars, alors ne m'épouses pas... déclare-t-elle.
- Quoi ??
Il la voyait s'isoler à l'étage, dans la chambre, avant de la poursuivre et la retrouver désormais allongée en lui tournant le dos, recroquevillée sur elle même. Le silence de nouveau maitre des lieux, il hésitait un bref instant avant de s'asseoir sur le rebord du lit, cherchant des paroles plus douces et simples à prononcer.
- Sada... soupire-t-il. Tu sais très bien que c'est inévitable.
- ... Mais rien ne me garantit que tu reviendras... dit-elle, la voix noyée de sanglots.
Il ne dit rien, ne pouvant la contredire. La démone sentait son coeur se déchirer, mais s'efforçait de ne pas succomber à ses émotions pour le bien du bébé. Elle se redresse ensuite en essuyant sèchement ses larmes.
- J'ai incinéré mon peuple... J'ai creusé leurs tombes, une par une, à m'en faire saigner les doigts... S'il te plait, je ne veux pas avoir à creuser la tienne... Ni celle des autres...
- Regarde moi, ordonne-t-il en levant son menton. Je suis réaliste, alors je sais ce qu'on endure en temps de guerre. J'ai pas non plus envie de te mentir en affirmant que je vais revenir entier. Mais Sada... Si tu veux m'aider, protège le village pour moi.
- ... Quand dois-tu partir...?
- Quand tout sera prêt. Tu seras pas seule non plus, mes vieux seront là.
Sada noyait tristement ses yeux dans les siens, comme si elle voyait ce regard pour la dernière fois, caressant sa joue d'une main fébrile, avant de se blottir contre son épaule hélas sans trouver réconfort en son coeur. Katsuki la serre un peu plus contre son coeur. Ce n'était pas étonnant, il détestait mentir et se voyait mal tenir des promesses qu'il devait trahir tôt ou tard. Malgré tout, il se jurait intérieurement de rentrer à la maison le plus tôt possible.
- T'es chiant... murmure-t-elle. Pourquoi les personnes que j'aime finissent par disparaitre...?
- Hé, là c'est toi qui me met un pied dans la tombe ! râle-t-il en pinçant sa joue. Je suis encore là hein !
Mais au lieu de repartir dans une dispute enfantine, où le dragonnier essayait de la voir de nouveau sourire, la démone se jetait sur lui en dévorant ses lèvres avec passion, enroulant ses bras autour de son cou. Personne ne savait quel genre de bataille les attendait, ni combien allaient revenir.
- Je t'aime... murmure Sada avec tout l'amour qu'elle lui portait. Tu as intérêt de revenir...
- J'ai pas besoin de promettre. Je reviendrai.
Trois jours de préparation se sont rapidement écoulés. Les garçons et quelques femmes qualifiées - dont Kyoka, Toru et Uraraka - sont fin prêts à livrer bataille aux frontières de la région. C'était une si belle journée, le dernier jour d'été, pour un événement aussi funeste. Les guerriers et guerrières faisaient pour la plupart leurs adieux à leurs familles et amis, tantôt déboussolés, tantôt déterminés. Katsuki était prêt avant les autres et attendait dans le silence, assis à la longue table principale de la maison, fixant la lame de son sabre étalé sous ses yeux. Ses parents, submergés par l'émotion et l'angoisse de perdre leur fils dans cette bataille, attendaient sa sortie à l'extérieur pour lui faire leurs adieux convenablement. Masaru avait déjà essayé de l'en dissuader et prendre sa place, mais le dernier dragonnier de son clan était un véritable tête de mule. À aucun moment il n'avait révoqué ses paroles. Peu importe les conseils, peu importe les sermons, Katsuki avait le sens de l'honneur.
- C'est l'heure... rappelle Sada d'une petite voix.
Il lève les yeux vers elle, avant de caler son front contre son ventre en les refermant. La démone caresse une dernière fois sa tignasse explosive, n'ayant pas la force de pleurer son départ une nouvelle fois. Sada connaissait trop les rudiments de la guerre et si elle n'attendait pas un enfant à l'instant présent, elle aurait été bien évidemment un élément de qualité sur le front. Katsuki n'en doutait pas, mais il préférait la préserver loin de tout ça. Il estimait qu'elle avait vu et vécu assez de cauchemars, connaissant ses insomnies à cause de ses souvenirs macabres, ses craintes et son chagrin. Secrètement, il tenait à ce qu'elle prenne enfin soin de sa santé et autorise son âme à prendre du repos après tant d'années de souffrance et de colère, aussi bien pour elle que pour le bien de leur enfant.
- C'est à toi de me faire une promesse... dit-il doucement.
- Dis moi...
- Sada. Pour ces quelques mois, t'as plus besoin de continuer à te battre. Lâche prise jusqu'à mon retour. Laisse tout sortir, d'accord ? Quand je rentrerai, je veux te voir sourire. Un vrai sourire.
Le coeur meurtri de la démone battait plus fort qu'auparavant, puis un sourire illuminait son visage, malgré ses iris noyées de larmes qui refusaient de couler.
- Et moi je veux que tu me cries haut et fort que tu m'aimes quand tu rentreras.
- Oh la ferme, râle-t-il avant de l'embrasser.
Sada se sentait apaisée avec ce baiser, il n'avait pas le goût des adieux. Rien ne pouvait le certifier, mais elle était convaincue qu'il allait réellement revenir.
La belle famille enlaçait Katsuki une dernière fois, mais malgré l'angoisse d'une mère, Mitsuki affichait sa fierté envers son fils unique, fière d'avoir engendré un véritable guerrier, un homme. Elle embrassait alors fièrement le front du dragonnier en souriant, puis laissait la place à son mari qui répétait le geste.
- Reviens dans la victoire... pleure Masaru en lui donnant les rênes de son cheval.
En réalité, c'était l'étalon de Sada. C'était un cheval de guerre, plus rapide et robuste, alors sa maitresse avait insisté pour que le dragonnier l'emporte.
- Fais honneur à ton nom, sourit Mitsuki.
Ces quelques mots suffisaient à favoriser l'orgueil de Katsuki qui étirait un sourire en coin. Il avait bien l'intention de faire connaitre son nom si symbolique à sa personne dont aucune race ne pouvait le contredire. Peu importe le sexe de l'enfant, il avait déjà songé à lui donner un nom tout aussi victorieux dans l'espoir que le monde le respecte. Mais alors que le dragonnier venait de placer son pied dans l'étrier...
- Kat', attends ! se précipite Sada en l'attrapant par le bras.
- Hum ?
Elle prenait le temps de le contempler une dernière fois, avant de lui donner quelque chose au creux de sa main. Katsuki sursaute en reconnaissant le pendentif en rubis qu'elle avait acheté au village des Piafs.
- Mais tu y tiens non ?
- Je veux que tu l'emportes avec toi... supplie-t-elle. Le cristal te protègera et comme ça tu penseras à moi.
Sans hésiter, il le porte rapidement autour de son cou parmi ses autres colliers en crocs de dragon, puis quitte sa lourde cape avec laquelle il enveloppe la démone, avant de tapoter sa tête.
- Au cas où tu te sentirais trop seule, sourit-il en grimpant sur son cheval avant de rejoindre la petite armée.
Un peu plus loin, Shoto regardait Sada s'emmitoufler dans la fourrure de la cape, déjà malheureuse, avant de se rapprocher de Yaomomo, qui venait de terminer son départ. Alors que la générale allait grimper sur sa monture, le prince attrape son poignet.
- Yayorozu, je peux te demander une faveur ?
- Laquelle ? demande-t-elle avec toujours autant de manières distinguées.
- Reste pour protéger le village.
- Comment ?? Mais sa Majesté le roi m'a ordonné de ne pas vous quitter--
- Mon père n'est pas là et c'est moi qui te le demande. S'il te plait.
Mais sa fiancée restait sceptique.
- Il ne m'arrivera rien, je te le promets, rassure-t-il.
- Todoroki-sama... Ce n'est pas très convenable... rougit-elle en regardant sa main tenir la sienne.
Même s'ils étaient destinés par le biais d'un mariage arrangé, le contact physique était tabou dans la région d'Inokuni, selon les traditions shintoïstes. L'affection entre un homme et une femme se devait d'être uniquement exprimée en privé, mais visiblement Shoto ne se posait la question et collait simplement ses lèvres aux siennes, sans force ni brutalité. Yaomomo se figeait à ce contact sans pudeur et ses joues s'empourpraient toujours plus.
- C'est une garantie... dit-il doucement.
- Je... Je vois...
Puis il grimpe à son tour sur son cheval blanc avant de rejoindre le groupe. Encore un peu plus loin, Mina souhaitait un bon voyage à Midoriya, Uraraka, Kaminari et Kyoka, qui avaient la chance de combattre ensemble, tandis que Kirishima ne pouvait s'empêcher de câliner sa fille.
- Veille bien sur ta maman pour moi, d'accord ? sourit le dragon en mangeant les joues de Kirie.
- Allez file, ils partent sans toi ! rit Mina en reprenant le bébé.
- Oh merde !
Il attrape rapidement sa femme pour l'embrasser, puis récupère ses affaires et part suivre les autres.
- Je t'écrirai tous les jours !
- Revenez tous !
- C'est promis ! crie Deku en faisant de grands signes de la main.
Alors que le village acclamait ses guerriers, seule Sada ne se réjouissait pas de leur départ. La fatigue et l'angoisse avaient raison d'elle. Regarder Katsuki disparaitre sur le chemin lui était insoutenable, alors elle tournait les talons et se réfugiait à la maison pour se reposer.
L'hiver est très vite arrivé. Cela faisait bien trois mois et seize jours que le groupe était parti. Comme promis, Kirishima donnait chaque jour des nouvelles qu'il faisait parvenir via l'aigle de Hawks, qui s'est volontiers joint à la bataille. Les troupes alliées gagnaient en forces et en terrain, de plutôt bonnes nouvelles, et apparemment, tout le monde allait bien. Kaminari était le mieux en forme de tous.
Depuis leur départ, Aizawa veillait également sur le village et entrainait même les plus jeunes. Cette chimère avait des allures de solitaire et de bête féroce, mais cet homme était plutôt du genre calme et inspirant. Il connaissait les bases en arts martiaux et les enseignait avec patience. Durant ces trois mois, Eri avait appris à lui faire confiance et le considérer comme un ami... Ou peut être comme un père.
Afin de mieux la protéger, Aizawa vivait avec elle et s'en occupait comme si elle était sa fille biologique, bien qu'avec un début un peu maladroit.
Cette enfant de la forêt - et prêtresse des âmes - avait le don d'apporter un peu de joie et de couleurs au village depuis que les soldats sont partis.
Enfin presque...
- J'ai fini la dentelle ! se réjouit Mina.
- Hum... Pas tout à fait, tu as fais un accro ici, remarque Momo.
- Rooh... Bon, je pense qu'on a fait le plus gros, t'en penses quoi Shiro-chan ?
Les filles s'occupaient de préparer le mariage de la démone, mais cette dernière était comme déconnectée de la réalité. Ses hormones étaient irréguliers, elle pleurait et riait souvent sans raison, parfois même restait allongée toute la journée. Le bébé se développait difficilement aussi... Après le départ de Katsuki, elle avait rencontré beaucoup de complications. Rosa devait donc la surveiller de très près.
- Déjà six mois... soupire-t-elle en caressant son ventre.
- Eh oui six mois, rit Mina. Je te rassure, on les voit pas du tout passer.
- Au contraire c'est trop looong, j'ai l'impression d'être une baleine ! râle la démone.
- Hah ! Maintenant tu vois ce que ça fait !
- Comment tu comptes l'appeler ? demande Tsuyu en tissant.
- Si c'est une fille, ce sera Mio.
- Mio Bakugou, Shirosaki Mio... prononce Momo. C'est très joli ! Et pour un garçon ?
- Bah...
Soudain, le vent se levait, balayant la neige dans un tourbillon, et le ciel prenait une étrange teinte rougeâtre au dessus des montagnes.
- C'est quoi ça ??? s'exclame Mina en prenant Kirie dans ses bras.
- Le fléau...! reconnait Sada.
Yaomomo attrape son épée en se levant brusquement. Les animaux ont fui, Fenrir commençait à aboyer et grogner en restant près des jambes de Sada. Aizawa ordonnait aussitôt aux nouvelles recrues de se préparer à défendre le village en cas d'attaque. Eri se réfugiait derrière ses grandes jambes, terrifiée par l'aura démoniaque qui se rapprochait dangereusement.
- Ils avaient anticipé... dit-il tout bas.
De l'autre côté, les troupes entamaient une marche pénible à travers les terres dévastées par les batailles incessantes. Plus aucune verdure ne poussait à cause du fléau qui planait sur le territoire. Midoriya était grièvement blessé et inconscient sur le dos de Katsuki, ce dernier le transportant depuis de longues heures sans fatiguer et marchait en tête de la troupe. Acero, l'étalon, le suivait sans avoir besoin d'être tiré.
- Comment il peut encore tenir debout après des jours de marche... souffle Kaminari, titubant d'épuisement.
- C'est pas un guerrier ni mon maitre pour rien, répond Kirishima en souriant fièrement.
- Quand même, à ce stade c'est pas humain... J'fais un break, je tiens plus !
Alors que l'elfe se résignait à tomber au sol en reprenant son souffle, Katsuki manquait de glisser de la montée boueuse et se rattrapait sur son avant bras, tenant fermement la cuisse de Midoriya de l'autre main pour ne pas le laisser tomber, un genou dans la boue.
- Kacchan... appelle faiblement Deku. Ne force plus...
- La ferme... grogne-t-il entre ses dents, se relevant pour continuer.
Le pauvre vert avait les bras brûlés et mutilés dont une jambe malade, ainsi qu'une blessure de flèche au rein droit. Heureusement, même si son état laissait penser le contraire, il était encore loin de rendre l'âme. Il était seulement trop faible. Kirishima rattrapait Katsuki, tandis que la troupe s'était déjà arrêté plus bas.
- Bro, fais une pause.
- On y est presque ! force Katsuki.
- On reprendra plus tard, arrête !
- Bakugou ! appelle Uraraka.
Le dragonnier et son dragon se retournent en plissant les yeux vers le soleil crépusculaire qui s'étendait à l'horizon, avant de se décomposer en voyant le ciel rougir en direction du Sud, vers la chaine de montagnes qui protégeait leur village.
- Oh non...
À suivre...
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Très long chapitre pour moi, trois jours pour l'écrire.
Le prochain est dur... Très dur. ;-; Sur le moment présent, je ne sais pas s'il sera autant long.
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