Sada n'a pas dormi à l'auberge. Elle a préféré trouver refuge auprès du cerisier centenaire, à l'heure où plus personne ne fréquentait l'endroit. Elle reposait paisiblement contre l'écorce sombre, mais son sommeil était étrangement agité, quand une main forte caresse ses cheveux fébrilement, la réveillant brusquement. Elle avait la surprise de voir le dragonnier, un genou à terre devant elle, la dévisageant d'un air peu commun chez lui.

- Désolé...

- Baku...?

La brune souffle pour calmer ses palpitations et se frotte les yeux.

- J'ai dormi ici...?

- Hm.

- Ah... Qu'est-ce que tu fais là au ju--?

Sans s'y attendre, il la tire par la cheville pour la rapprocher et plante intensément son regard dans le sien, plissant les yeux quelques fois comme s'il l'analysait. Sada reste muette sans savoir comment réagir. Que cherchait-il ?

- Heu... Ca porte à confusion là non ? rit-elle nerveusement.

- Pourquoi ?

- Bah... Si les autres rappliquent, ils vont penser qu'on...

- Parce que c'est pas le cas ?

En effet, ils étaient dans une position très gênante, où le dragonnier logeait son genou entre celles de la soldate, tenant encore sa cheville et le visage à quelques centimètre du sien. Mais le plus troublant était sa réponse. Voilà qui serait étonnant de la part de Bakugou d'affirmer une situation qui n'a jamais été.

- Bakugou, heu... Tu as de la fièvre--?

Et Bakugou tel que Sada le connaissait ne l'embrasserait jamais sans raison et à pleine bouche de cette façon !

Au même moment, la soldate se réveille une nouvelle fois, seule contre l'arbre sacré, le coeur palpitant et le front bouillonnant ; puis se donne une gifle afin de se ressaisir.

- Mais à quoi tu rêves couillonne ?? se reproche-t-elle, le visage en feu. Par la Déesse...

Les images du baiser tournaient dans son esprit alors que son coeur battait de plus en plus fort. Elle refusait de se l'avouer, mais cet échange ne lui déplaisait pas. Dans cette illusion, elle avait l'air d'apprécier l'audace du blond teigneux. Sada cache alors ses lèvres chaudes en soupirant longuement, avant de sentir une présence près de son oreille.

- Un rêve érotique...? taquine une voix féminine amusée.

Sada bondit ensuite loin de l'arbre, hélas désarmée, avant de se rendre compte d'une silhouette cachée dans l'ombre. Cette présence lui glaçait le sang.

- T'es qui toi ? Sors de là ! ordonne-t-elle sur un ton autoritaire.

- Tiens donc. Un démon qui confronte un autre démon... C'est marrant !

- Pardon ?

La silhouette prenait alors forme humaine au contact de la lumière du jour. Une jeune fille blonde aux crocs dépassant ses lèvres et aux allures de vampire lui souriait sournoisement.

- J'adore ton odeur, tu sais ! rit-elle.

- La ferme, qu'est-ce que tu veux ?!

- Shhh... Tu vas ameuter les humains. Je veux juste te demander un truc.

- Quoi ?

La vampire s'approche de Sada en entourant ses bras autour de son cou, rendant la brune nerveuse sans savoir comment se défendre sans arme. Si elle se transformait, même pour quelques secondes, n'importe qui pourrait la surprendre. Ce serait trop risqué.

- Tu veux être mon amie ? sourit la blonde.

- Eh ??

- T'es vraiment cool toi, je vois pas pourquoi tu te fatigues à te cacher parmi les humains. Ils te tueront sans remords si tu restes avec eux. Et je suis sûre que ta nature te démange et ne demande qu'à sortir... J'ai pas raison ?

Mais Sada la repousse violemment.

- Je suis pas comme toi ! Les démons ne sont pas non plus mes amis, je les hais !!

- Hmm ? Pourquoi ? On est gentils nous. Ce sont les humains qui nous chassent.

- Parce que vous détruisez tout sur votre passage et vous tuez des innocents !

Un ange passe alors que la vampire se pose tranquillement sur le muret de pierre entourant l'arbre centenaire, avant de se tourner vers Sada avec son fameux sourire.

- On ne fait que rendre la pareille aux humains...

Une veine pulse dans le cou de la soldate qui grinçait des dents en repensant au massacre de son village. Elle attrape brutalement le col de la robe gothique de son ennemie et la plaque sur les dalles recouvrant le sol, les yeux démoniaques.

- Fallait pas vous attaquer à la prêtresse il y a quatre ans, grogne-t-elle entre ses dents en l'étranglant. Ta foutue race a massacré des familles, dont des enfants ! Vous violez les femmes, décapitez leurs maris sous leurs yeux et brûlez leurs foyers !! Tout ça pour quoi hein ?!! Pour les territoires ?! La richesse ?!! Pourquoi ?!!

- Ce que les humains ne disent pas... rétorque la blonde sérieusement. C'est qu'ils font la même chose de notre côté.

Sada écarquille les yeux.

- Tu peux passer ta colère sur moi, ça m'est égal. Au moins je peux te regarder devenir de plus en plus cool, mais n'oublie jamais que tu fais partie de notre tribu aussi, Shirosaki Sada.

La brune blêmit à l'entente de son nom en lâchant sa prise autour de son cou.

- Enfant semi humain, semi démon, sourit la blonde. Chez nous, tout le monde te connait. Tu as tué beaucoup de tes semblables par haine et non par soif de justice, et pourtant voilà où tu en es. L'armée des humains ne t'a accordé aucune reconnaissance pour tes "exploits" et aujourd'hui tu te transformes en nomade au sein d'un groupe pitoyable que tu penses apprécier.

La vampire attrape à son tour le col de la soldate en la tirant vers elle.

- Seulement on sait toutes les deux que tu ne résisteras pas à la tendance... C'est souvent le pire qui ressort, Shiro-chan. Un jour, tes petits amis sauront qui tu es réellement et te chasseront. Tu n'auras d'autres choix que de te tourner vers les tiens. Tu penses qu'ils sont différents hein...? Parce que tu commences à apprécier l'un d'eux comme une véritable humaine, mais laisse moi te dire une chose. Il te haïra comme tous les autres.

- La ferme ! recule Sada. Je ne serai jamais de ton côté, allez tous au Diable !

- Hm. Tant pis. Je t'aurais prévenu, mais si tu changes d'avis, appelle moi et je reviendrai. Je m'appelle Toga Himiko, et moi je t'adore vraiment !

Dans un rire glaçant, Toga disparait dans la pénombre, laissant Sada seule au pied du cerisier. Cette démone n'avait pas changé les principes de la soldate, mais elle avait réussi à lui semer le doute au sujet de cette guerre où tout compte fait, tout n'était fondé que sur des règlements de comptes entre les partis.

Mais ça ne suffisait pour convaincre Sada de changer de camp.

Un peu plus tard dans la matinée, Sada retirait ses vêtements dans le vestiaires du Onsen puis préparait ses affaires pour prendre un bain en espérant réussir à faire le ménage dans sa tête. Un réveil aussi brutal, à commencer par un drôle de rêve totalement improbable, puis la venue d'une vampire loufoque pour la supplier de rejoindre le rang ennemi ; la soldate en avait presque la migraine et l'esprit embrouillé.

Une fois installée dans le grand bain chaud, elle fredonnait doucement une comptine de son village que ses parents lui chantaient étant enfant avant de s'endormir. Les paroles contaient l'histoire d'une petite luciole éclairant le chemin des différentes créatures perdues dans la nuit, se souciant peu du regard d'autrui. Malgré les conseils de ses semblables de ne pas s'approcher des autres au risque d'être tuée, cette petite luciole aidait toujours plus de créatures féeriques, insectes ou animales, à retrouver leur chemin, en chantant et dansant. À la fin de la chanson, la luciole était entourée d'un tas d'amis de toutes les espèces, allant du bébé renard et du faon jusqu'à la petite fée des bois et la coccinelle.

La morale de cette courte histoire était encore plus belle : "L'amitié ne se limite pas aux apparences".

Sada en avait conscience, les démons aussi perdent des êtres chers, qu'importe la façon. L'un comme l'autre, ils se battent pour se défendre et protéger leur peuple, mais il ne faut pas oublier la raison qui a déclenché cette guerre. Le monde aurait un autre visage si les démon n'avait pas touché à la princesse de tout. De nature si douce et pure, elle s'apprêtait à libérer un démon sur le point d'être exécuté publiquement, au risque d'être pointée du doigt par son propre peuple, mais cette flèche noire qui aurait pu lui coûter la vie in extrémis a sonné le clairon de guerre. La princesse dont personne n'a jamais vu le visage, cachée derrière un mystérieux masque aux multiples gravures dorées, avait jugé ne pas appliquer la justice en faisant couler le sang d'une créature qui n'avait pourtant rien à se reprocher. Parce qu'elle venait des profondeurs des Abysses, les mortels l'ont accordé à un porte malheur. Le démon était seulement coupable de vol de nourriture parce qu'il était affamé, la princesse faisait simplement acte de bienveillance en s'opposant à la sentence du Sénat.

Le tout aujourd'hui, c'était de savoir comment arrêter ces conflits. Trop de sang a été versé...

- Sada-chan ! accourt Tsuyu, paniquée. Ca fait des heures que je te cherche !

- Tsuyu ? sursaute la brune en sortant de sa rêverie.

- C'est toi qui t'occupais des points de sutures de Bakugou-chan ??

- Heu... Oui pourquoi ?

- Il ne va pas bien !

À suivre...