ㅤ─ Regarde-moi. Décris-moi. Qu'est-ce que tu vois ?

Les paroles que je me murmurais semblaient idiotes, puériles, voire complètement folles. Mais à ce moment précis de ma vie, j'avais besoin que mon reflet gelé dans la glace se matérialise sous mes yeux et réponde à l'unique énigme que je ne parvenais toujours point à résoudre : qui suis-je ?

Depuis bien trop longtemps, j'évitais les miroirs. Le jeune homme fraîchement sorti du lycée que j'étais vivait impassiblement sa vie banale, partagée entre les études et le travail minables qui usaient sa bougie à petit feu. Mais, à son plus grand désespoir, l'ignorance était un plaisir éphémère, regrettablement battu par la chimère d'une fillette qui le fixait dans la glace. En la voyant, le garçon amnésique se remémorait son enfance et maudissait son désir d'affronter la réalité.

Et comme si j'avais énoncé un vœu à voix haute, mes yeux me portèrent vers cette image floue de la petite fille.

Mais cette fois, l'image était bien réelle. Elle était réelle...

Tala.

Elle était là, assise, vêtue d'une paire de baskets et d'un Jean déchiré. Ses yeux semblaient être à la recherche d'une personne bien précise ; ils se baladaient sans savoir où aller. À un moment, ils m'avaient vu l'observer, la seconde d'après leur attention s'était focalisée sur autre chose.

Sa fatigue se lisait à tel point que l'on pouvait croire qu'elle s'écroulerait d'une minute à l'autre. La nostalgie la tenait doucement dans ses bras, lui chantant des comptines qu'elle avait l'habitude de chanter en maternelle. Et elle ne voulait cesser de l'écouter...

Elle continuait de fixer l'École des Quatre Fleurs, alors que des larmes s'échappaient de ses yeux. Elle continuait de fixer le bâtiment, lorsque son mascara coulait par des gouttes tombant du ciel, mêlées à l'eau salée sur ses joues. Et pris d'une fougueuse envie de contempler davantage son visage baigné de larmes et de pluies ruisselant à torrent, je restais là, pensif de ses lèvres habillées d'une gelée rose cristalline et de sa douce peau ébène mutilé de peine...

Elle avait changé. Encore hier, je la voyais au fond de la classe, camouflée par sa table encombrée de livres parlant d'héroïne courageuse et stoïque ─ tout ce qu'elle n'était pas. Le regard des autres, elle le fuyait. Les mauvaises paroles, elle les avalait. Elle les avalait tellement que j'avais espéré qu'un jour, ils finiraient par l'étouffer. Que mes paroles finiraient par l'étouffer...

J'étais un garçon ennuyé, seul et isolé. Oui, je me trouve des excuses, mais qui n'en a jamais cherché pour se faire pardonner ? Elle était si belle, personne ne pouvait l'ignorer. Quand elle entrait dans une pièce, le monde semblait tourner autour d'elle. Elle ne respirait pas la confiance, mais elle était riche de pureté. Et j'étais terriblement jaloux de ne pas être aussi fortunée qu'elle l'était.

J'étais le genre de personne à la regarder de loin en espérant qu'elle ait oublié toutes ces années de merde pour avoir le courage de l'aborder. En espérant qu'elle ait oublié l'idiot que j'étais en primaire. En espérant qu'un jour, je pourrais la regarder dans les yeux et lui avouer à quel point je regrettais.

Pardonne-moi Tala.