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Dans la foule, je remarquai une figure familière, une ombre sombre qui se démarquait de la masse moqueuse. C'était Lucipilla. Elle était là, non pas pour aider, mais pour se délecter de la détresse de Tala, comme un animal. Mes poings se serrèrent mécaniquement. Sans réfléchir, je me frayai un chemin à travers la foule, bousculant les gens sur mon passage. Rapidement, je m'approchais de Lucipill. Mon cœur battait de plus en plus vite à mesure que je voyais son visage amusé nettement.
Finalement, je me tenais face à elle, et quand je vis ses yeux, je me figeai brusquement. Elle se rendit compte que j'étais là, prêt à la défier, et ses sourcils se froncèrent. Ses iris étaient déroutants. À travers, je me voyais moi, enfant, dont la souffrance des autres était la seule émotion qui me rendait suffisamment vivant pour ne pas mourir.
Cela décupla ma rage.
─ Sérieux Lucipilla. Crachai-je, ma voix tremblante de rage rien qu'en prononçant son nom. Tu te sens pas conne là ? T'es vraiment pathétique. Ça dure depuis la maternelle... Je te comprends plus.
Lucipilla tenta de garder son air suffisant, mais ses yeux trahissaient sa nervosité. Elle n'était pas habituée à être confrontée de cette manière.
─ Tu devrais me comprendre plus que les autres pourtant, continua-t-elle d'un ton méprisant. La vie est un jeu, et certains sont juste destinés à perdre.
Je secouai la tête, désespéré devant tant de froideur.
─ Non, tu as tout faux. La vie est précieuse, et personne n'a le droit de décider de la fin de celle d'un autre.
Elle ricana, tentant de se défendre.
─ Et alors ? On parle de Tala là ! Tu sais très bien tout ce qu'elle nous a fait. Elle n'est pas si innocente que ça.
─ Peu importe ce qu'elle a pu faire ! Putain même si t'es devenu une putain d'ordure tout le monde sait que personne ne mérite d'être poussé au bord du gouffre comme tu le fais depuis dix putain d'années. Et toi, tu es là à rire et t'es incapable de réfléchir avant d'agir ou de faire de la merde.
Les mots que je lui lançais semblaient percuter un mur infranchissable. Lucipilla ne montrait aucune once de remise en question, aucune lueur de compréhension. Et je compris rapidement la raison. Elle ne me considérait pas comme un noble ou un héros. Elle me considérait comme un chien qui retournait sa veste au moment opportun pour se sentir mieux.
─ Si elle meurt, tu seras aussi coupable que moi, me rappela-t-elle avec pitié. Arrête de te prendre pour je sais pas qui tu n'es pas innocent non plus, tu peux te faire passer pour le complice mais ça fait quand même de toi un meurtrier.
Ses mots me transpercèrent le cœur, mais je savais à quel point elle avait raison.
Je ne pus que lui rendre un sourire résilié et peiné. Je n'étais pas en mesure de lui faire comprendre sa malveillance.
Mais peut-être qu'Elle, je peux la sauver ?
J'accourus vers le bâtiment, gravissant les escaliers aussi vite que possible. Mon esprit était embrouillé, rempli de doutes et de toujours plus de regrets. Je ne pouvais pas laisser ça arriver. Je m'en voudrais toute ma vie si cela arrivait.
Lorsque je parvins sur le toit, le vent soufflait fort. On aurait pu croire qu''il voulait emporter Tala avec lui.
Elle était là, Tala, je la voyais de mes yeux telle que personne ne la voyait. Elle se tenait au bord, le regard fixé dans le vide. Tel un cygne déployant gracieusement ses ailes d'un blanc éclatant, elle semblait sereine, mais sous l'eau ses palmes brisées s'agitaient comme des rames pour ne pas sombrer.
Je m'approchai d'elle un pas après l'autre, hésitant, le cœur battant la chamade, plus je réalisais à quel point j'aurais voulu fuir. Les mots se bousculaient déjà dans ma tête. Je ne la connaissais pas aussi bien que je l'imaginais et cela me faisait peur. Je ne connaissais que sa voix dans ma tête, qu'une partie des souvenirs d'elle. Devant elle, pour de vrai, je ressentais à nouveau une impuissance dévorante. Comment pouvais-je la convaincre de rester en vie quand je ne savais même pas comment le rester moi-même ?
Mon esprit était un tourbillon de pensées, une cacophonie d'incertitudes qui me hantait. Je me sentais tellement bête, comme si je n'avais jamais vraiment compris qui elle était, elle. Ou même la vie. Quel est le sens de la vie ? Faire des erreurs, regretter et passer sa vie à vouloir réparer ses erreurs avant d'en refaire ? Des gens meurent. Ils meurent avant d'avoir pu réparer leur erreur du passé. Tala n'a pas fait d'erreur, mais toutes les nôtres pourraient lui coûter la vie. Comment la convaincre de vivre alors qu'elle se noie par notre faute ?
La foule autour de nous semblait lointaine, comme si le monde entier s'était évanoui, ne laissant que Tala et moi sur ce toit venteux. Les lumières de la ville scintillaient en arrière-plan, mais elles étaient floues, indistinctes. Rien d'autre ne comptait à cet instant. Sauf elle.
─ Tala... murmurai-je, ma voix à peine audible dans le vent qui sifflait autour de nous.
Elle tourna la tête vers moi ─ la peur se lisant d'abord sur son visage comme elle avait l'habitude de regarder les gens autrefois ─ et nos regards se croisèrent. Ses yeux étaient remplis de tristesse et de douleur, mais aussi de colère. Elle me reprochait tout ce qu'elle avait traversé. Je ne pouvais pas lui en vouloir. Je ne pouvais plus me mentir. C'était moi qui avait tout fait pour la poussée au bord du précipice.
─ Tala, je suis désolé (les mots s'échappèrent finalement de ma bouche, mais ils sonnaient creux, impuissants). Je ne sais pas comment j'ai pu être aussi aveugle, aussi...
Ma voix s'étouffa par la pression de son regard. Elle me regardait sans rien dire, mais je pouvais presque entendre de nouveau sa voix dans ma tête, répétant les paroles qu'elle avait murmurées autrefois, quand elle tentait de se défendre face à mes attaques. "C'est pour ne pas affronter tes problèmes que tu te mêles des affaires des autres..."
Et c'était vrai. Aujourd'hui, je l'avouais. Depuis l'enfance, j'évitais les miroirs pour ne pas croiser le regard du jeune garçon perdu que j'étais. Opter pour la voie de la tyrannie m'avait évité de confronter les ombres qui m'habitaient, me permettait de détourner les yeux de la lumière de mon miroir intérieur. Au fond, je le savais bien : si j'étais debout, c'était parce que j'avais écrasé Tala sous la lourdeur de mes pas.
─ Je sais que je suis la dernière personne avec qui tu veux passer tes derniers instants, avouai-je en priant pour qu'ils ne soient pas les derniers. Et je ne peux pas te promettre que tout ira bien après ça. Mais je veux te dire que je suis désolé. Pardon pour tout. Tout ce que je souhaite, c'est que tu sache que je veux changer, j'ai compris mes erreurs.
La tentation de fuir me soufflait de m'éclipser comme je l'avais fait tant de fois auparavant. Mais cette fois, je refusais de céder.
─ Désolé d'avoir tout fait peser sur tes épaules, continuai-je en m'avançant lentement.
Mais à mesure que j'avançais, Tala se recula jusqu'à ne tenir qu'au bord du toit. À un millimètre du vide.
Tala tourna la tête vers moi, ses yeux rougis par les larmes. Elle voyait la foule en contrebas, riant et la traitant comme une bête de foire, et je voulais lui crier de ne pas les regarder. De ne regarder que moi. Mais cela aurait été trop égoïste de ma part.
─ Tu les vois non ? Dis-je en faisant référence à la foule. Ils sont trop nombreux à être venus assister à ça. Ils ne comprennent pas, ils ne voient pas la douleur que tu portes en toi. Mais moi, je la vois. Je te vois. Et...
Je l'entends. Ta voix, celle qui me murmurait des regrets. Elle n'est plus là, mais ça me fait toujours mal. Je m'en veux d'avoir été la cause de ta souffrance.
─ Je ne te demande pas de me pardonner... Car je sais que c'est trop demandé. Mais je te demande de ne pas sauter. Ne laisse pas ces personnes te définir, ne leur accorde pas ce pouvoir sur toi. Tu es forte, tu es belle, tu es unique. C'est par jalousie qu'ils agissent comme ça. C'est pour ne pas affronter leurs problèmes qu'ils se mêlent des affaires des autres et c'est juste pathétique.
Tala resta silencieuse un instant de plus, puis elle détourna les yeux.
─ C'est trop facile pour toi de dire ça maintenant, dit-elle d'une voix cassée à peine audible.
─ Je le sais bien. Mais toi-même tu le vois : ils cherchent de l'attention comme des animaux. Tala, tu n'as pas besoin de te jeter dans le vide pour qu'ils réalisent leur erreur.
Le temps sembla suspendu. Mon cœur battait à tout rompre tandis que je priais pour qu'elle puisse trouver la force de m'écouter. De comprendre à quel point nous avions tous été stupides, aveuglés par notre propre méchanceté. Mais surtout, je voulais qu'elle réalise qu'elle ne devait en aucun cas se rabaisser à notre niveau.
Ils ne devaient pas gagner, car si elle venait à disparaître, ils se délecteraient tous de sa détresse, comme l'avait fait Lucipilla. Ils diraient que c'était de sa faute, qu'elle n'avait qu'à s'endurcir, qu'elle n'avait pas à être si différente. Mais je savais que c'était faux et il fallait qu'elle le sache aussi.
─ Tu sais que ce n'est pas ta faute, n'est-ce pas ?
Elle baissa les yeux vers moi, ses larmes se mêlant à la pluie qui tombait. Elle semblait hésiter, mais j'étais incapable de savoir ce qui lui passait par la tête. Je voyais juste que le mélange d'émotions qui traversait son visage était dominé par la tristesse et cela ne put retenir mes larmes de couler. J'étais si pathétique. La foule continuait de rire, mais elle ne les regardait plus. Et moi non plus. Ma vision était trop brouillée. Mais Tala était toujours là, face à moi, en train de prendre une décision. Elle n'avait plus à sauter maintenant, il lui suffisait de se pencher vers l'arrière, de se laisser tomber dans l'espoir de s'envoler comme un cygne. Je pris la décision de fermer les yeux, c'était trop dur. Faites qu'elle ne saute pas...
Tant que les harceleurs ne se rendaient pas compte de leur faute et continuaient leur moquerie, les victimes ne seront jamais en sécurité.
Ce n'était pas seulement à moi de la sauver, mais à tous ceux qui avaient contribué à sa souffrance.
Mais ils semblaient aveugles, incapables de la voir, de s'excuser. Alors je me trouvai là, seul, à tenter de l'aider.
Je n'ai pas réussi à rassembler le courage de la rejoindre et de la tirer loin du bord du toit. Mes larmes coulaient sans que je puisse les arrêter, témoins silencieux de la décision de Tala auquel j'étais impuissant maintenant. J'aurais tant voulu lui exprimer combien je regrettais mes actes passés, mais j'étais pétrifié. Peut-être que finalement c'était ça le prix à payer. Je pouvais enfin la regarder dans les yeux, mais j'étais impuissant. Je préférais les fermer. Ils ne pouvaient rien faire pour la sauver. Tala seule le pouvait.
Finalement, tout ce que j'entendis sortir de ses lèvres, c'était mon nom : Candide... En l'entendant, j'ouvris subitement les yeux. Mes yeux s'écarquillèrent, pourtant je demeurais là, en suspens, comme le temps lui-même. J'avais été incapable de déceler ce que Tala avait voulu me dire. Ni ce que le sourire sur ses lèvres, ses yeux reflétaient. Aujourd'hui, je ne comprends toujours pas. Si c'était un adieu désespéré...
ou un appel à l'aide.
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