- On descend par où? demanda June.

Tala la vit blemir en raison de la raideur de la pente. Elle prit l'initiative d'envoyer deux personnes à chaque extrémité de l'endroit pour tenter de trouver un passage praticable. Elle prit James avec elle, laissant June et Tomas ensemble. Elle se sentait rassurée de voir le protecteur au côté de son amie. Il pourrait la protéger en cas de problème. Elle donna rendez-vous dans une demi-heure aux deux groupes à l'endroit où les avait laissé Andameís.

Ils s'engagèrent donc chacun dans la bordure de la forêt, où les arbres et les fougères se faisaient plus rares. La sorcière vit le ciel se tenter de rose et d'orangé et se délecta de la douce caresse des rayons du soleil couchant. La nuit tomberait certainement dans une bonne heure et même s'il ferait assez clair, Tala se devait d'atteindre le village avant ce délai. Ses amis avaient besoin de se reposer et elle aussi. Elle avait remarqué les cernes sous les yeux de James et se devinait les mêmes.

Il faillait également qu'ils mangent. La faim leur tenaillait le ventre et ils auraient besoin d'un maximum de force pour leur longue marche du lendemain. Elle se promit que ce soir, ils mangeraient comme des rois.

James s'arrêta soudain.

- Tu entends?

La sorcière se tut, mais ne perçut aucun bruit.

- Il n'y a rien, dit-elle, les sourcils froncés.

- Justement, répliqua-t-il, la mine soucieuse. Depuis quand les forêts sont-elles silencieuses?

La sorcière frémit. L'adolescent avait raison. Pourquoi le pépiement des oiseaux ne résonnait pas dans ces bois? Pourquoi n'entendait-elle pas le craquement des sabots d'animaux mystérieux sur les brindilles? La méfiance s'insinua en elle, tel un serpent se glissant à travers les failles de sa carapace mentale, pour se lover autour d'un cœur glacé par la terreur.
Par réflexe, elle saisit la main de son meilleur ami, qui la prit par la taille et la serra contre lui. Ils se tenaient donc là, l'un contre l'autre, leur visage tourné vers les bois silencieux.

Une légère brise caressa leur chevelure, glissant sur leur nuque, se faufilant entre leurs doigts. Tala laissa l'énergie du vent l'envahir et ferma les yeux. Elle inspira lentement et expira. Elle laissa la sérénité pénétrer en elle et son esprit divaguer. Elle s'apprêta à ouvrir les yeux quand elle sentit une légère douleur au milieu de son front.

"Oh non! pensa-t-elle en s'accrochant désespérément au tee-shirt de James. Pas maintenant!"

Elle sentait ses pieds décoller du sol et son corps ne plus répondre présent. Elle voyait à travers ses paupières closes un kaléidoscope de couleurs diverses et de formes étranges.

- Tala!

Elle redescendit brusquement sur Terre en sentant deux mains puissantes saisir ses épaules et la secouer dans tous les sens. Elle entendait sa respiration haletante et sentait son coeur heurtait sa cage thoracique de façon rapide et brutale. Tous ses membres tremblaient. La sorcière n'osait pas ouvrir les yeux et se blottit contre son meilleur ami.

Ils restèrent dans cette position quelques minutes avant que l'adolescent ne lui caresse tendrement la joue. Elle leva son visage vers le sien.

- Que c'est-il passé? demanda-t-il, l'inquiétude perçant dans sa voix.

- J'ai faillit avoir une vision, expliqua Tala. Ça survient quand j'ai des moments d'absence ou quand je rêve. Quand ça arrive, mon esprit quitte mon corps pour une durée indéterminée. Ça va d'une poignée de seconde à une demi-journée. Je ne voulais prendre aucun risque: tu imagines la tête de ton frère et de June si tu revenais avec une fille inconsciente dans les bras?

- Pas sûr que Tomas puisse me pardonner de ne pas avoir su te protéger, glissa-t-il avec un clin d'oeil. Maintenant, quittons cet endroit, il me fout la chair de poule.

Les deux amis se prirent la main et poursuivirent leur chemin. Ils discutaient de tout et de rien en veillant de ne pas glisser sur les quelques pierres qui encombraient le sol près du vide.

- Faut qu'on commence à repartir, lança James.

Tala hocha la tête. Alors qu'ils faisaient demi-tour, elle se mit à penser à Tomas. Elle ne pouvait s'empêcher de se souvenir de la douceur de ses caresses ce fameux soir qu'il avait oublié... À ces baisers qu'ils avaient échangé, à leur coeur qui battait à la chamade... À tous ces mots doux qu'il avait susurré à son oreille... De la brûlure de son regard sur son corps... De son souffle contre son cou...

La sorcière sentit un frisson parcourir sa colonne vertébrale. Elle se rappelait aussi l'heure précédant ce moment de secrets, de plaisir charnel... Ce moment où ils avaient dansé ensemble.

Ça avait été magique: il la tenait contre elle, la faisait tournoyer.

Elle esquissa quelques pas de danse, revivant ce moment interdit... Et elle dérapa. Tala hurla de peur en se sentant tomber. Quand une main s'enroula autour de son poignet. Elle pendait alors dans le vide, seulement retenu par James, sûrement aussi paniqué qu'elle. Une larme perla au coin des yeux de l'adolescente. Elle tentait désespérément d'accrocher ses pieds à une quelconque prise sur le mur de terre et de pierre qu'était la pente. Elle vit ses genoux saigner, ce qui la fit pâlir.

Elle avait une peur bleue du sang. Surtout sur elle.

Son meilleur ami la tirait de toutes ses forces à lui.

- Appuie toi contre la paroi! lui cria-t-il.

Elle essaya d'obéir et tant bien que mal, parvint à y poser ses pieds. Ça lui rappelait d'une certaine façon les cours d'escalade qu'elle prenait plus jeune. "Jambes fléchies, fais toi légère" se repétait-elle inlassablement. Elle se sentait lentement remonter tandis que l'adolescent parvenait à grandes peines à remonter son amie. Quand elle posa enfin un pied à terre, il la prit contre elle et la serra à l'en étouffer.

- Ne fais plus jamais ça, articula James avec difficulté.

Elle hocha la tête, encore incapable d'aligner plus de trois mots cohérents à la suite. Le choc d'avoir frôlée la mort pour quelques pas de danse lui tordait les boyaux et l'empêchait de marcher. Ses membres, paralysaient, refuser de lui obéir. Elle tenta de se relever, mais sans succès. James, comprenant le message, passa un de ses bras sous ses genoux et enroula l'autre autour de sa taille. Il se mit debout et reprit leur marche, le plus loin possible du bord. Les mains de Tala agrippèrent la nuque de son meilleur ami. Elle laissa sa tête dodoliner et se rendit compte avec stupeur qu'elle était exténuée.

- TALA! hurla une voix féminine facilement reconnaissable.

La sorcière se tourna vers la fine silhouette de June qui arrivait en courant et lui adressa un faible sourire.

-Repose moi à terre s'il te plaît James, demanda l'adolescente.

Il obéit et elle posa prudemment un pied après l'autre sur le sol. Déjà, l'énergique blonde se tenait devant elle et l'interrogeait du regard. Tomas suivait, perplexe. Tala se demanda alors si son protecteur pensait qu'il pouvait y avoir une quelconque romance entre elle et son frère.

Et tandis que James racontait leur mésaventure, Tomas et Tala se regardait droit dans les yeux. Elle aurait voulu lui parler par télépathie mais elle savait ce que ça pouvait entraîner: s'il était moyennement réceptif, pas de problème, il n'entendait que les pensées qu'elle souhaitait lui communiquer. Mais s'il était réceptif, alors il pourrait entendre le coeur de la sorcière battre de plus en plus vite dès qu'elle songeait à lui, il pourrait voir ce souvenir qu'elle lui avait ôté...

- Eh oh, les amis!

Tala redescendit sur Terre et fronça les sourcils. Une lueur amusée brillait dans les yeux de James et de June. Cette dernière prit la parole.

- Je disais qu'on a trouvé un sentier qui descend jusqu'au village avec Tomas. Si on part maintenant, on pense qu'il nous faudra moins d'une heure pour arriver en bas. Mais la nuit commence à tomber. Je serai d'avis à ce qu'on y aille quand même. Vous en pensez quoi?

- Allons-y, dit simplement la sorcière.

Ils partirent donc, sortant une lampe de poche du sac de James, pour être assurer de voir quelque chose même dans l'obscurité la plus totale. Les garçons partirent en éclaireur, les filles traînant à l'arrière.

- Tu penses qu'on pourra se laver une fois arrivée en bas?

- J'en sais rien June, mais j'espère! J'en profiterai certainement pour me changer aussi!

L'adolescente hocha rapidement la tête.

- Oh que oui! Et ce soir, je te préviens, on mange. J'ai une faim de loup! Tiens, en parlant de loup, elle où ton amie?

- Je n'en sais rien à vrai dire. Pas loin sans doute.

- Tu veux dire qu'elle a changé de monde en même temps que nous?

Tala éclata de rire devant la mine ahurie de la blonde.

- Si tu veux, ma mère a relié une partie de mon essence vitale à cet animal au moment de ma naissance. Si je vais quelque part, elle y va aussi. D'une certaine façon, c'est ma protectrice. Elle apparaît souvent quand j'ai vraiment besoin d'aide.

June se tut quelques instants et reprit:

- Si cette louve était déjà ta protectrice, pourquoi faire de Tomas ton protecteur?

Ce fut au tour de Tala de se taire.

- Parce que je suis une idiote sans caractère qui se laisse marcher sur les pieds quand les garçons prennent des décisions?

- Eh les filles, appella James. La pente est super raide par ici, accrochez-vous à ce que vous pouvez et évitez de terminer la descente sur les fesses!

La blonde leva son pouce en l'air en signe de confirmation avant de reprendre son interrogatoire.

- Et tu ne serais pas un peu amoureuse de Tomas par hasard? Faut dire qu'avec votre échange de regard... Je me demandais qui embrasserait qui en premier.

La sorcière piqua un fard et balbutia qu'elle ne pouvait pas tomber amoureuse, que c'était contre les lois de son Royaume.

- Et alors, le monde change! Tu représentes une nouvelle génération de sorcières: adapte ce monde avec celui des humains! Tu peux bousculer les moeurs.

Là dessus, June lança un clin d'oeil complice à son amie et partit un peu plus en avant pour la laisser méditer sur ses paroles.

Ce que fit Tala. Elle ne pouvait s'empêcher de se dire qu'après tout, pourquoi ne pas changer certaines lois trop vieillottes si elle accèdait au pouvoir? Elle s'y voyait déjà, des conseillères à ses côtés, main dans la main avec Tomas, acclamée par un peuple aimant... Elle voulait cette vie là. Mais pour pouvoir la vivre, il faudrait avant qu'elle se batte contre sa tante et sa cousine. Quel programme rejouissant. Et puis avec cette quête à mener, la jeune sorcière savait qu'elle n'avait "pas le temps" de tomber amoureuse. Elle avait besoin de toute sa lucidité et de sa concentration pour mener à bien cette mission. Pour réaliser sa prophétie.

Le quatuor poursuivit sa descente vers les ruines. La fatigue et la faim commençait à se faire sentir, pourtant personne ne pipa un mot. Ils restaient concentrés sur leur trajet, petit chemin de terre battue encombrée de pierres et de végétations qui rendaient leur marché périlleuse. Quand enfin, ils se mirent à marcher sur un sol pavé délabré, ils comprirent qu'ils étaient arrivés.

Devant eux se dressaient les vestiges d'un village auparavant habité. Prudents, ils pénetrèrent dans cet endroit peu accueillant. On ne savait jamais, des créatures étranges pouvaient surgir de nulle part.

Partout autour d'eux, les ruines montraient les signes d'une bataille sanglante et acharnée. Des pans de murs entiers s'étaient écroulés. Des gravats jonchaient le sol. Des volets pendaient sur un de leurs gonds, grinçant sinistrement. Certaines portes avaient des marques de brûlure, comme si on les avait forcé avec un sortilège lié au feu.

L'héritière du trône grimaça de dégoût. Elle n'osait imaginer les misères qu'on avait infligé à son peuple. D'autant plus qu'autour d'elle, les vibrations magiques des sorts qui avaient été projetés bourdonnaient contre ses oreilles. Signe d'une lutte sans merci.

- J'ai mal à la tête, se plaignit June. On dirait que deux mains sont appuyées sur mes tempes et qu'elles m'opressent.

De son côté, Tomas semblait chasser autour de son crâne une mouche invisible. Seul James se montrait plein d'entrain et joyeux.

- Dépêchez-vous, j'ai faim! Et arrête de râler June, c'est juste la fatigue.

Le quatuor déboucha sur une grande place. Les vibrations magiques étaient encore plus nombreuses et plus importantes que dans les ruelles précédemment traversées. Ce qui fit grimacer de douleur la sorcière. Cette fois-ci, son expression n'échappa pas à son protecteur qui lui demanda aussitôt si elle se sentait bien.

Tala, qui avait le regard tourné vers la place, se sentit défaillir quand elle croisa les yeux emprunts d'une lueur inquiète de son protecteur. Elle se reprit et hocha la tête. Pas question de tomber dans le sentimental maintenant. Surtout dans cet endroit qui avait vu mourir peut-être des dizaines et des dizaines de sorcières.

L'endroit ressemblait d'ailleurs à un vrai champ de bataille contrairement
au reste du village: des cratères aux diamètres plus ou moins grands, des monticules de gravats, des objets abandonnés, des débris de vitres au sol... Tel était le bilan de la lutte qui avait eu lieu ici-même.

Mais nulle part il n'y avait d'être vivant.

Tala vit son amie frissonner d'épouvante. La sorcière ne comprenait pas la réaction de la blonde. Jusqu'à ce que cette dernière pousse un cri strident:

- Regardez, là bas!

Tout d'abord je m'excuse pour cette longue absence. J'avais énormément de boulot en cette fin d'année.

Simon, j'espère que le chapitre vous a plu. N'hésitez pas à me dire ce qui vous plaît ou pas. J'aime les avis objectifs!

Et comme les vacances débutent pour moi, j'aurai peut-être plus de temps pour écrire!

Je vous embrasse tous!