8. Le troupeau du Sud.
Tala attendit de voir disparaître complètement les ailes de la Peur avant de s'en aller à son tour. Les paroles de cette émotion personnifiée la troublait. Elle, qui se sentait seule dans cet endroit inconnu et potentiellement dangereux, se rendait soudain compte qu'en réalité des centaines -voir des milliers- de sorcières ou autres créatures magiques attendaient sa venue depuis longtemps pour pouvoir prendre place à ses côtés lors de la révolte qui ferait tomber sa tante.
Alors qu'elle approchait de leur camp provisoire, elle tomba nez à nez avec Tomas.
- Hey, ça va? demanda-t-il doucement.
La jeune fille opina.
- Je... Je peux te parler?
Le protecteur semblait mal à l'aise, il se tordait les doigts et son regard se faisait fuyant. Piquée par la curiosité, Tala accepta et laissa son ami l'entraîner à l'écart des autres.
- Bon écoute euh... J'ai vu un truc bizarre, enfin, surtout entendu. J'ai pas voulu prévenir les autres, je ne voulais pas les effrayer.
- Explique toi, ordonna la sorcière, les sourcils froncés.
Tomas déglutit et pâlit légèrement. Avait-il aperçu quelque chose d'assez effrayant pour le mettre dans cet état? Il souffla un coup et entreprit de commencer son récit.
- Après que tu sois partie, on a commencé à ranger nos affaires, histoire de pouvoir partir le plus vite possible, et ainsi gagner assez rapidement la Grotte aux Cristaux. Lorsque nous avons fini, je suis parti m'entraîner dans les bois. Il est hors de question que ton protecteur ressemble à un cure-dent. Et puis, il doit bien y avoir de jolies nanas par ici, ajouta-t-il en souriant de toutes ses dents.
La sorcière ne pût s'empêcher de lever les yeux au ciel en affichant un léger sourire.
- Tu es déseperant Tomas, je t'ai déjà expliquer que mes semblables ne peuvent tomber amoureuse.
- Tu as bien couché avec moi sans m'aimer, lança-t-il d'un ton qui se voulait désinvolte.
Pourtant, dans ses orbes noisettes, la jeune fille vit l'ombre de la tristesse. Elle s'en voulait toujours mais elle avait une bonne raison d'avoir agit ainsi: c'était pour que la prophétie se perpétue en cas d'échec de sa mission. Du moins elle essaya de s'en persuader. Une petite voix lui souffla à l'oreille: "N'y avait-il pas un peu d'amour dans cet acte tout sauf anodin?".
Tala se mordit la lèvre inférieure. Il ne fallait surtout pas qu'elle commence à penser à toute cette histoire. Du moins, pas maintenant. Heureusement pour elle, l'adolescent sembla vouloir mettre fin au malaise et poursuivit son récit de la matinée.
- Donc, j'en étais où... Oui, voilà. J'apprenais à manier mon épée avec mon bouclier quand j'ai entendu un bruit sourd. Assez confus. Comme si plusieurs dizaines de personnes avançaient ensemble. Il y avait également des voix et des henissements. Je me suis dirigé vers la source de ces sons et là j'ai vu des hommes torses nus et des licornes!
La sorcière ouvrit de grands yeux à l'entente de ce dernier mot. Des licornes? Elles existaient encore?
- Et c'est de ça que tu as eu peur? De jolis chevaux blancs avec une corne en guimauve? se moqua-t-elle.
- Une corne en guimauve? Tu parles! Tu les aurais vues... Non, ce qui était effrayant, c'est que les hommes gardant le troupeau possédaient des armes nombreuses et variées: des lances aux pointes épaisses, des lames acérées et des flèches aiguisées.
Le protecteur se tut, attendant la réaction de son amie. Qui réfléchissait. Elle se demandait que faisaient des hommes sur ses terres, et comment ils avaient fait pour trouver des licornes, alors que l'on racontait qu'elles avaient disparus du Royaume. Elle questionna Tomas sur l'endroit où il avait vu le regroupement.
Il pointa du doigt le Sud et lui parla d'un bosquet d'arbres et d'un petit cours d'eau. La sorcière prit la décision d'informer son groupe d'amis et d'aller voir de plus près ces animaux sensés avoir disparus. Les deux adolescents partirent en direction du camp déjà abandonné de toutes traces de leur passage. Tala interpella James et June, qui discutaient ensemble d'un sujet semblait-il assez drôle vu que la jolie blonde riait. Ce qui fit sourire son amie. Elle était heureuse qu'elle pense à autre chose que ses problèmes familiaux et la voir rayonner de bonheur lui faisait du bien.
La sorcière entreprit donc de leur répéter les paroles du protecteur et fit part de son idée d'aller voir de plus près les hommes et les licornes.
Contre toute attente, June fut beaucoup plus excitée que James. Voire plus courageuse.
- Oh oui, oui, oui! Je veux les voir! Tu crois qu'on pourra les caresser, hein Tala? Ce serait cool! Allons-y, et que ça saute!
Déjà, elle saisissait son sac et s'apprêtait à s'en aller. Ses yeux pétillaient.
- Si on a de la chance, je pense que oui, répondit simplement la sorcière.
Ils se mirent en route, essayant de se faire les plus discrets possible. Tala observait la mine réjouie des jumeaux à la vue de l'ancienne June, celle qui riait pour un rien et qui transmettait sa bonne humeur à chacun, même dans les pires moments. Enfin, la tristesse et la rancoeur dut à la séparation de ses parents l'avait quitté. Mais l'adolescente aux yeux bleus savait qu'au fond d'elle même, son amie souffrait encore. Mais son mentale avait prit le dessus et lui avait certainement dit "Maintenant, tu bouges tes jolies fesses June et tu souris!".
Après une bonne dizaine de minutes de marche, le quatuor parvint enfin au lieu décrit par Tomas. Et ils les virent. Une trentaine de chevaux à la robe immaculée dont la corne extrêmement pointue était faite d'or et de pierreries. Les équidés dépassaient tous le mètre quatre-vingts au garrot et grattaient le sol de leurs larges sabots nacrés à la recherche de quelques plantes comestibles. Quelques tresses auxquelles s'accrochaient des plumes de paon pendaient au milieu de leur crinière blonde et soyeuse. Des licornes.
- Oh... chuchota June, visiblement comblée par la vue des animaux.
Même les garçons restaient subjugués devant tant de beauté.
Et alors qu'ils s'apprêtèrent tous à approcher le troupeau de licornes, ils s'arrêtèrent en entendant des voix. Masculines, graves pour la plupart. Et ils apparurent. Des centaures au buste développé, aux longs cheveux lâchés au vent, à la barbe peu fournie et au regard vif. Leurs muscles frémissaient sous leur peau nue et tanée par le soleil et leur corps de cheval aux robes variées souffrait des assauts des mouches et autres bestioles. Chacune des créatures tenait une arme, que ce soit un arc, un javelot ou une épée.
La sorcière comprit alors que Tomas n'avait vu les centaures qu'à partir de leur torse. Les quatre amis se jetèrent un regard entendu. Ils ne pouvaient se permettre d'effrayer les semi-hommes, au risque de finir transpercé ou écrasé sous leurs sabots. Tala prit les devant et intima au groupe de rester discret. Elle contourna le bosquet d'arbres, rampa derrière les buissons, tout en veillant à craquer une brindille de temps à autre. Elle s'approcha du cours d'eau clair et le longea vers la clairière, pour arriver bien en vue des centaures. D'un geste de la main, elle écarta ses cheveux de son cou, permettant ainsi à quiconque de voir son tatouage et par la même occasion de laisser voir qu'elle était une sorcière utilisant la magie blanche.
Celles-ci, en voyant arriver le groupe d'adolescents, se mirent immédiatement sur leur garde et pointèrent leurs armes sur les nouveaux venus. La jeune fille aux cheveux noirs leva une main en signe de paix.
- N'ayez crainte. Nous ne sommes que des voyageurs. Je me prénomme Tala et voici mes amis James, June et Tomas.
Elle s'arrêta devant un centaure alezan et le fixa yeux dans les yeux.
- Nous venons car nous aussi nous luttons, avait-elle ajouté doucement.
Le semi-homme inclina sa tête en signe de bienvenue et invita les jeunes gens à le suivre.
- Je croyais votre peuple plus hostile, lança James, visiblement soulagé de ne pas s'être fait embrocher.
- Ce ne sont que des légendes populaires, répondit le centaure. Nous sommes accueillant envers les personnes au coeur pur. Ça se voit dans vos yeux à tous.
- Et comment vous appelez-vous?
- Yoghanslo mademoiselle June. Ce prénom me vient de mon père, qui le tient lui même du sien. Il vient d'une langue très ancienne, que l'on utilisait avant dans ce Royaume. Cela veut dire "porteur de bonnes nouvelles".
Tala suivit le centaure, se demandant bien où il pouvait les amener. Elle eut sa réponse presque immédiatement: sous un grand chêne reposait un semblable de Yoghanslo. Il devait avoir la cinquantaine. Sa longue chevelure grise striée de quelques mèches noires reposait dans son dos et caressait son visage aux traits grossiers, au nez en bec d'aigle et aux lèvres fines. Sa respiration lente et régulière suggérait qu'il dormait, à moins qu'il ne faisait semblant. Ses mains, grandes, larges et calleuses, posées sur son flanc tenaient un arc en bois sombre.
- Voici Februs, notre chef.
Yoghanslo émit un petit sifflement comparable au cri d'une bergeronnette. Son aîné ouvrit lentement des yeux d'une magnifique bleu. Qui regardaient obstinément droit devant eux. Les quatre adolescents comprirent aussitôt que le vieux centaure était aveugle.
- Bonjour, dit doucement la sorcière en se penchant au niveau du semi-homme.
- Tu peux nous laisser Yoghanslo, ordonna gentiment Februs. Et toi, approche toi de moi.
Tala obéit et s'avança vers le vieillard, suivit par ses amis. Ils s'assirent sur le sol, en demi-cercle.
- Pourquoi je sens aux vibrations du sol que vous êtes plusieurs et que pourtant je ne perçois qu'une seule source de magie? Quoique, avec toutes ces choses étranges qui arrivent ici en ce moment...
La sorcière entreprit de les présenter, et de raconter leur périple, en omettant certains détails personnels. Comme sa conversation avec la Peur. Quand elle eut fini, elle fit remarquer au chef des centaures qu'il avait parlé de "choses étranges". Elle lui demanda de lui expliquer.
- Ces derniers temps, les âmes luttent entre elles. Des humains se perdent dans ce bois et finissent dévorés par des créatures maléfiques. Tout se dérègle. Il se passe quelque chose Tala. Beaucoup de forces sont en jeu. Plus que tu ne le sais déjà. Fais très attention aux apparences. Le masque de la confiance est plus difficile à enlever du visage d'un inconnu que de celui de ses proches.
Februs se tut et la sorcière sut qu'il ne dirait plus rien. Elle vit James lui jetter un regard inquiet et elle sentit la main de June se poser sur son épaule. Il faudrait qu'elle leur parle.
- Nous devons prendre la route vers la Grotte aux Cristaux, intervint Tomas. Pouvez-vous nous indiquer un chemin plus rapide pour y accéder?
Le vieillard hocha la tête.
- Andameís, appella-t-il.
Aussitôt, un jeune centaure apparut au grand galop. Petit, mince, sa peau était encore pâle contrairement à celle des adultes. De belles boucles brunes encadraient un visage enfantin aux iris noisettes. Des muscles en formation roulaient sous sa robe isabelle.
- Oui?
- Amène les vers l'Est, jusqu'au village abandonné que vous avez trouvé hier, ton père et toi. Puis tu leur indiqueras le chemin le plus court pour aller chez les prophétesses. Donne leur également quelques provisions supplémentaires. Et tâche de revenir avant le coucher du soleil.
Andameís acquiesça et d'un signe de la main invita Tala et les trois humains à le suivre. Il leur fit traverser le troupeau de licornes et June saisit cette occasion pour en caresser une. Son amie la vit faire et la rejoignit pour l'imiter. Cela l'apaisa et lui fit oublier momentanément ses problèmes qui la taraudaient souvent ces temps-ci.
L'équidé hénit de contentement et s'ébourra. Les deux adolescentes éclatèrent de rire mais furent vite rappeler à l'ordre par Andameís. Tala laissa donc l'animal et emboîta le pas aux jumeaux qui marmonnaient "Les filles et les poneys..." et râlaient à tout va.
Le jeune centaure, après avoir fourni quelques denrées indispensables (baies, noisettes, gourdes d'eau et feuilles de menthe) les guida à travers la forêt.
- Je peux porter vos sacs. Vous semblez fatigués et à ce que j'ai compris, vous allez avoir beaucoup de distance à parcourir. Pourquoi aller à la Grotte?
- Nous avons des questions, nous voulons des réponses, répondit simplement la sorcière avant de remercier Andameís pour sa proposition.
Elle et le reste du groupe attachèrent leur sac entre eux pour les mettre ensuite sur le dos de leur guide. Tomas fut le premier à rompre le silence qui s'était installé durant quelques minutes.
- Dis moi, pourquoi vous vous trimballez un troupeau de licornes avec vous? Et où allez-vous comme ça?
Andameís dit aussitôt:
- Si tu veux, les licornes sont en voie d'extinction. Y a les sorcières noires qui les tuent pour leurs différentes vertues caritatives. La corne prolonge la vie, le poil permet une cicatrisation plus rapide des plaies, le crin fait un tissu très beau et très agréable, les sabots réduits en poudre font de très bons somnifères. Alors nous les centaures, on les amène à la montagne de Chiwan et...
Il plaqua brusquement ses mains sur sa bouche, comme s'il venait de donner une information capitale.
- Elle est où cette montagne? demanda Tala, sentant que l'on n'abritait pas que des licornes par là-bas.
Mais le semi-homme resta muet. Ce qui énerva la sorcière. Pourtant, elle garda son calme. Elle avait l'intuition qu'elle saurait rapidement des choses au sujet de Chiwan. D'ailleurs, le nom lui était familier. Si seulement elle parvenait à s'en souvenir...
- Vous voilà arriver.
L'adolescente aux orbes bleu ciel faillit tomber à la renverse. Sous ses pieds, descendait une colline assez abrupte où s'étendait à ses flancs un petit village.
Le centaure pointa du doigt droit devant lui.
- Marchez jusqu'au prochain village, récita-t-il, comme s'il avait déjà indiqué ce chemin. Là, vous prendrez la direction des collines Alpha et Oméga. L'antre des prophétesses se trouvent entre elles. Sur ce bonne chance!
Il déposa les sacs à terre et s'en alla au triple galop sans plus de cérémonie. Tala s'humecta les lèvres avant de jeter un coup d'oeil aux maisons abandonnées. Elle sentait que cette halte n'allait pas être de tout repos.
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