5. Le Royaume
Ils arrivèrent presque immédiatement dans une clairière. Encore étourdis par le voyage, ils mirent quelques secondes à voir clair. Et ils eurent le souffle coupé.
L'endroit était encerclé d'arbres assez grands aux feuillages vert émeraude. Chênes, bouleaux, tilleuls... Leur tronc, lisse ou rugueux semblait doté de vie. Le groupe d'adolescents ignorait si les ombres glissantes sur l'écorce était à l'origine de cet effet étrange.
Les rayons du soleil caressaient paresseusement le sommet majestueux des arbres.
Quant à la clairière, sa beauté surréaliste laissa les quatre amis bouche bée: les hautes herbes se mêlaient aux fleurs sauvages. Les coquelicots, les coucous, les pavots et autres plantes aux noms exotiques libéraient un parfum entêtant et rappelaient à chacun des balades faites en famille, en montagne ou dans la plaine.
De nombreuses statues en pierre précieuse (onyx, jade, opale entre autres) se dressaient autour d'eux, dans un cercle parfait. Elles représentaient toutes des femmes sublimes. Certaines tenaient une épée et étaient vêtues d'une armure par dessus une robe, d'autres portaient des tenues plus travaillées assorties de bijoux d'une délicatesse incomparable. Quelques unes possédaient un paire d'ailes semblablee à celles des anges. Et elles avaient toutes un tatouage similaire à Tala.
Celle-ci lâcha un hoquet de surprises.
- Mes ancêtres! s'exclama-t-elle en tombant à genoux.
Son protecteur l'imita, plus solennellement, suivit de son frère et de leur meilleure amie.
La sorcière se redressa et s'approcha d'une démarche impériale vers une des statues.
- La première Reine des sorcières, murmura-t-elle.
Puis d'une voix plus audible, elle se tourna vers ses accompagnateurs.
- Ici, vous pouvez voir Cléantha, la mère du monde dans lequel nous sommes actuellement et la première Reine des sorcières. Elle était Grec. Son nom signifie "fleur de la gloire". A côté, vous avez sa fille, Nyx. Elle pratiquait ses rites magiques le soir si bien que les Grecs l'ont désigné comme déesse de la Nuit.
Elle poursuivit ses explications, présentant ses ancêtres. A chaque fois qu'elle citait un nom, une pointe de fierté perçait dans sa voix.
- Là, c'est Jeanne d'Arc. Elle était la soeur cadette de la Reine Louise, seconde du nom. Mais une prophétie annonça que Jeanne devait partir vivre dans le monde humain. Sa mère de l'y envoya donc. Elle passa un marché avec une famille qui l'éleva alors comme si elle était leur propre enfant. Un jour, Jeanne eut une vision qui lui intimait de faire la guerre alors qu'elle n'avait que dix-sept ans. Sa magie lui permit d'enjôler gardes, prêtres et hauts monarques afin de rencontrer le dauphin Charles. Elle lui expliqua qu'elle avait entendu les voix de saint Michel et des saintes Marguerite et Catherine -qui furent également des membres de notre peuple. Et vous en connaissez tous le dénoument. A la mort tragique de sa petite soeur chérie, Louise, brisée, fit cette statue mortuaire à son égirie pour que chacune de nous se rappellent de son courage et de la bonté dont elle a fait preuve.
Tala marqua une légère pause, sentant sa voix fléchir. Cette histoire l'avait toujours boulversée. Elle prit une profonde inspiration, expira lentement et continua le récit du passé de ces sorcières qui avaient marqué, chacune à leur manière, l'histoire des humains et de leur propre peuple.
- Ici, vous pouvez voir Elisabeth Bathory, surnommée la Comtesse Sanglante. Elle est née vers dans les années 1560 en Hongrie il me semble. Comme beaucoup de sorcières en ces temps obscurs, elle vivait dans le monde des hommes le jour, et la nuit elle revenait à ses racines. Cette femme avait basculé dans la magie noire. Après avoir tué son mari grâce à un sortilège d'une puisssance inégalable et avec la complicité de certaines sorcières, elles assassinèrent plusieurs jeunes filles et femmes qui n'avaient aucun ascendant magique. J'éviterai de vous parler de ce que cette folle faisait avec les cadavres de ses victimes... Croyez-moi, ça pourrait vous terrifier pour le restant de vos jours. Bref, Elisabeth fut emprisonnée. Evidemmment, dès que les ces géôliers avaient le dos tourné, elle s'évaporait pour rejoindre le Royaume.
- Pourquoi ne s'est-elle pas tout bonnement enfuie de sa prison? intervint June. Elle en avait les capacités, non?
- Elle aurait pu, c'est vrai, reprit l'adolescente aux cheveux noirs. Mais ce qu'elle appréciait par-dessus tout, c'était d'effrayer le peuple. Alors de temps à autre, elle revenait le soir dans sa cellule vers minuit et se mettait à hurler comme une démente. Il parait qu'entendre ses cris pouvait rendre certains fous. Puis, à l'âge de cinquante quatre ans, ellle en a eu assez de ses allés-retours si bien qu'elle quitta sa prison pour de bon. Je ne sais pas comment elle s'y est prise pour qu'on la déclare morte. Après tout, un sort de manipulation mentale peut très bien faire l'affaire.
Un long silence s'ensuit que James brisa en demandant pourquoi avait-on alors rendu hommage à un tel monstre en lui fabriquant une statue mortuaire.
- Parce que, comme pour les humains, ses abominations font parties de notre Histoire. Et nous devons les porter.
A ces mots, une bourrasque fit claquer les vêtements des quatre adolescents et volter leurs cheveux. Elle cessa immédiatement lorsque la jeune sorcière leva une main en l'air. Elle soupira en voyant les regards émerveillés que lui lançaient ses amis. A les voir, risquer de mourir toutes les deux minutes grâce des pouvoirs extraordinaires avait l'air d'être une expérience merveilleuse. Mais après tout, ils seraient moins joyeux une fois que... "Non, ne pas penser à ça."
- Qui est-ce? demanda brusquement Tomas en se dirigeant vers une des statues.
Elle était sculptée dans du rubis et représentait une femme assez jeune. Un diadème reposait sur ses longs cheveux lisses qui descendaient jusqu'au creux de ses reins. On discernait dans ses traits fins une douceur candide, souligné par des grands yeux expressifs. Son sourire chaleureux illuminait son visage et son nez en trompette ainsi que ses oreilles légèrement pointues lui donnait un petit air de lutin. Son petit corps fragile aux formes presque inexistantes était couvert d'une longue robe qui découvrait ses épaules et qui s'évasait au niveau de ses hanches. La mysterieuse femme tenait en coupe contre son ventre un petit coeur peint en or.
- Ma... Maman, s'étrangla Tala, soudainement les yeux baignés de larmes.
Elle courut vers le statue et caressa chaque parcelle du visage de celle qu'elle n'avait jamais vu, de celle qu'elle voulait serrer dans ses bras depuis sa plus tendre enfance. Celle qui avait donné sa vie pour sa fille.
- Comment peux-tu être sûre que c'est ta mère? souffla June, subjugée par la beauté de la mère de son amie.
- Je n'en ai aucune idée... C'est comme si je l'avais toujours eu en mémoire mais que jamais je n'arrivais à le visualiser. Et que là tout à coup, la barrière qui m'empêchait de la voir s'est brisée.
La jeune fille posa un baiser sur la joue de la personne qui représentait tout pour elle.
Quand soudain, elle sentit quelque chose
vibrer. C'était la statue tout entière.
- Que...
Le coeur doré se recouvrit alors de petits entrelas et de symboles anciens. Une étoile à l'intérieur d'un cercle apparut au beau milieu de l'objet. La même étoile que celle de la fille de Sélémé. Le coeur se fendilla alors avant de s'ouvrir totalement. Une petite boîte noire s'y trouvait. La main tremblante, la jeune sorcière la saisit. En lettres argentées y était gravé Tala.
L'adolescente tenta de l'ouvrir mais sans succès. Elle fronça les sourcils. Elle lança une incantation mais rien ne marcha.
- Bouge pas, dit Tomas en faisant apparaître son épée.
C'était un pouvoir qu'il avait acquérit. Il suffisait qu'il pense à son épée ou à son bouclier pour qu'ils apparaissent. D'abord impressionné quand il l'avait découvert , le garçon avait ensuite frimé avant de reprendre son sérieux devant le regard exaspéré de celle qu'il protégeait.
Tomas saisit donc son arme, prit l'élan nécessaire et l'abattit sur la boîte. La lame ricocha, faisant pester le jeune homme. Il réessaya encore et encore, mais rien n'a faire. Épuisé et agacé, le protecteur de la Reine envoya valser son épée dans les hautes herbes. Tala saisit délicatement l'objet ensorcelé et le glissa dans son sac. Elle découvrirait bien un jour ce que cette mystérieuse boîte renferme. "Si je vis jusque-là" songea-t-elle.
- Commençons à avancer, déclara la sorcière. Et Tomas, ramasse cette épée et comporte toi comme un protecteur, c'est-à-dire fier et fort, et non pas comme un gamin écervelé!
Non sans grogner, le jeune homme obtempera et fit apparaître son arme entre ses mains. Les quatre amis se remirent alors en route après avoir fait une dernière prière pour la feu-Reine Sélémé.
Tout en continuant de marcher, ils ne pouvaient s'empêcher d'admirer le paysage: les arbres, toujours aussi majestueux; les cours d'eau et leur petit gazouilli; les fleurs colorés se prélassant sous les caresses du soleil. Ils virent également quelques animaux sauvages plus ou moins ordinaires: une biche s'abreuvant non loin d'une meute de loups sauvages sans frémir; des écureuils bondissant de branche en branche, ne laissant voir qu'une furtive boule de poils rousse; un paon multicolore faisant la roue; un groupe de pégase broutant tranquillement l'herbe verte et grasse.
Pendant ce temps, James, June et Tomas ne pouvaient s'empêcher de poser des questions à Tala.
- Tala, si vous avez eu des Reines qui venaient de tous les endroits possibles et imaginables sur Terre, vous appreniez une nouvelle langue chaque fois? questionna June.
- Non, nous sommes dans une dimension différente si tu veux. Quand tu mets les pieds ici, tu peux parler à quelqu'un qui vient de l'autre bout du monde, ton interlocutrice te comprendra dans sa langue et inversement. Ne me demande pas comment ça fonctionne en détails, je ne pourrais pas t'expliquer. C'est de la magie ancienne. Très ancienne.
- Tu nous avais dis que tu ne pouvais accéder à ton Royaume pendant le cycle de la pleine Lune. Pourquoi pas avant ou après?
- Parce que, dans ce cas là, je ne pourrais me déplacer que seule et de plus je ne serai même pas sûre d'arriver dans mon monde. La pleine lune facilité notre passage. Que se soit de jour comme de nuit. Tant qu'on est dans le cycle, tout va bien. Bien sûr, certaines sorcières peuvent se déplacer où elles veulent, quand elles veulent si elles ont un don de téléportation. Comme Arachné par exemple.
- Et toi, tu as un don particulier? enchaîna Tomas.
- Oui, répondit patiemment la jeune fille. Je peux parler aux animaux.
- Elles font quoi comme trucs, rituels ou je ne sais trop quoi les sorcières de l'Obscur? demanda June.
- Elles accomplissent des rites qui sont de pures abominations pour pouvoir posséder ce genre de magie. Comme... Égorger un jeune enfant avant de boire son sang, tuer toi-même à petit feu un couple amoureux en leur faisant subir les pires tortures... Et un tas d'autres "trucs" sanglantes et abominables.
Tala sentit sa meilleure amie frissonner à l'énonciation des rites. James changea immédiatement de sujet.
- Dit, comment ça se fait que tu saches autant de choses sur ton peuple et son histoire?
- C'est mon père qui m'a tout appris. Ma mère, avant de mourir, lui a beaucoup parlé du Royaume et lui a fourni quelques ouvrages. Elle souhaitait que je connaisse tous les endroits ou esprits susceptibles de m'aider dans la réalisation de ma prophétie et que je puisse me protéger des pièges qu'on pourrait me tendre.
- Et est ce que...
- Bon ça suffit maintenant! Je ne sais pas tout non plus! s'écria la sorcière.
Tout le monde se tut et un silence gênant s'installa. Une vingtaine de mètres après, Tala soupira en se disant qu'elle était peut-être allée trop loin. Mais après tout, elle n'était pas non plus une encyclopédie. Et ses amis commençaient à l'excéder avec leurs mille et une questions. Déjà qu'elle stressait d'affronter sa tante et sa cousine sur ce terrain qu'il lui était inconnu...
Et puis il y avait cet endroit. Où elle comptait amener le groupe. Qui risquait de la détester après ça. "C'est trop dangereux, ils ne peuvent pas venir avec moi. À la rigueur, j'arrive à m'en sortir in extremis, mais pas eux. Ils mourront dans d'horribles souffrances en plus".
- Bon les gars, désolée pour tout à l'heure, c'est juste que je pense à quatre-vingts choses à la fois et ça me rend malade, dit Tala, espérant au moins pouvoir se réconcilier avec ses amis avant de partir pour cette quête impossible.
- T'inquiètes, lança June, tu es pardonnée.
Les deux frères acquièrent et, tout sourire, ils avancèrent de plus belle.
Après quelques heures de marche intensive, le groupe fit halte près d'un immense chêne. Ils s'assirent au pied de l'arbre et mangèrent des cerneaux de noix accompagnés de fromage sec. La nuit commençait à tomber.
- Faisons des tours de garde par deux, proposa Tala. Nous sommes ici en territoire inconnu et je préfère être sûre que nous sommes tous en sécurité.
Chacun approuva. La sorcière prit le premier tour avec Tomas. Ils se mirent à quelques mètres de leur campement improvisé, prêts à surveiller les environs. Une première heure passa. Puis la deuxième se termina. Personne ne disait un mot et les deux adolescents écoutaient la respiration lente des dormeurs. Tomas se racla la gorge et demanda:
- Qu'est ce qu'il y a Tala?
Cette dernière le dévisagea en fronçant les sourcils.
- Rien pourquoi?
Le protecteur de la jeune sorcière soupira et répondit:
- Ne me mens pas. Tu paraissais préoccupée aujourd'hui.
La jeune fille se mit aussitôt sur la défensive en prétendant que se faire poursuivre par une cousine complètement folle et tomber sur une boîte qui refuse de s'ouvrir et qui lui était destinée avait de quoi la tendre un peu.
- Mais encore? dit-il d'une voix lasse.
La sorcière comprit alors qu'il serait inutile de lui cacher quoi que se soit. Elle se résigna.
- Il faut que je me rende à la Grotte aux Cristaux. Elle se situe dans un lac au centre du Royaume, pas très loin d'ici. Cet endroit fournit les réponses aux questions qu'on se pose et peut donner certaines armes pour combattre le mal. De plus, chaque future Reine ou fille de lignée royale s'y rend pour recevoir la bénédiction des anciens. Et il faut que je sache comment faire disparaître Arachné et sa mère. Seulement, c'est extrêmement dangereux. Peu de sorcières en sont revenues, et la moitié d'entre elles avaient perdu la raison. Alors quand je pense que je vous risqueriez votre vie... Je ne peux le supporter. Pourtant je vais devoir y aller. Et j'irai seule.
- Hors de question. On t'accompagne. Et ne discute pas. On forme une équipe. Et mon rôle est de te protéger. Nous savions tous les trois quels risques nous encourions. Si on a choisi de les prendre, tu ne peux nous l'interdire.
Il déposa un baiser sur le front de sa protégée puis se mit à faire des pompes. La jeune fille se dit alors que les choses allaient être bien différentes de ce qu'elle imaginait.
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