Battements d'ailes

Chapitre 4 -Battements d'ailes

Il tira sur le fil de sa perfusion. Quand il sentit l'aiguille dans sa main bouger légèrement, il grimaça et suspendit son geste. Il regarda les autres fils et en choisit un autre. Il s'en saisit et tira dessus. Quand il constata que ça ne lui faisait pas mal, il recommença. Les pensées embuées par les médicaments, c'était selon lui une bonne idée. Le voyant agir de la sorte, Nikolaï attrapa sa main et l'obligea à lâcher prise. La petite main se crispa mais la résistance fut de courte durée et il céda sans que son grand-père n'ait eu à prononcer un mot.

Cela faisait quelques heures que Yuri était réveillé. Il alternait entre phase de somnolence et réveil brumeux. Pendant ses phases de réveil, il grognait et tirait sur tous les fils à sa portée. Trop faible encore pour bouger, il n'avait pourtant pas hésité à tenter de se lever. Nikolaï et Yakov le surveillait constamment, intervenant au moindre mouvement. Yuri n'en était que plus grognon et les fusillait du regard.

« _ Doucement mon grand. Tu vas te faire mal. Repose-toi au lieu de t'agiter. Tu as encore besoin de repos.

_ Ton grand-père a raison gamin. Dors, ça te fera du bien. »

Un éclair traversa les yeux émeraude et un grognement mécontent leur répondit. Toutefois, épuisé par ses quelques minutes de combat, Yuri sombra rapidement entre les bras e Morphée.

« Et voilà. Dors bien mon chéri. Ca va te faire du bien. »

Le vieil homme caressa tendrement les cheveux de son petit-fils. Il dénoua l'élastique qui maintenait sa chevelure en place, le coiffa et fit une tresse. Une fois l'élastique de nouveau en place, il lissa entre ses doigts usés les quelques mèches folles qui s'en étaient échappées. Il se redressa et inspecta minutieusement son visage. Il soupira et prit le baume sur la table de chevet. Il déboucha le petit pot et en mit sur son doigt. Il le passa le plus délicatement possible sur les fines lèvres gercées et insista sur une zone à la commissure des lèvres. A cet endroit, il y avait une petite plaie qui avait été provoquée par l'intubation en urgence.

« _ Je vais aller nous chercher des cafés Nikolaï.

_ Merci Yakov. Je vais rester avec lui.

_ Je fais vite. »

Le vieil entraîneur quitta la chambre discrètement. Avant de passer la porte, il regarda par-dessus son épaule et vit que Nikolaï s'était saisi d'un tube de crème hydratante et en enduisait soigneusement les mains de Yuri. Il se détourna rougissant. Il se sentait comme un intrus, un espion, qui envahissait cette bulle d'intimité et de tendresse créée par un grand-père pour son petit-fils. Dans le couloir, il rencontra Lilia accompagnée de Viktor et Yuuri. Il les arrêta et leur proposa de le suivre à la cafétéria. Une fois installés, Yakov leur décrivit l'état de santé de Yuri et leur intima de ne pas trop le fatiguer quand ils iraient le voir.

« _ Il s'est réveillé c'est l'essentiel. Il a parlé un peu ?

_ Pas encore. Les médecins devraient lui retirer le tuyau qu'il a dans la gorge aujourd'hui maintenant qu'il arrive à respirer sans aide. Il y aura un masque à oxygène qu'il devra porter tout de même. Ca devrait lui éviter de se fatiguer.

_ On ne sait toujours pas pourquoi son cœur a...

_ D'après son grand-père, les membres de sa famille ont toujours eu le cœur fragile. L'épouse Nikolaï  a succombé à une crise cardiaque. Yuri va devoir être étroitement suivi.

_ Il pourra reprendre le patinage ?

_ Pour le moment on n'en sait rien Viktor. Le plus important est qu'il se remette et sorte des soins intensifs. On verra après pour le patinage.

_ On peut le voir ?

_ Vous ne pourrez pas tous le voir. Il ne faut pas le fatiguer. Priorité à son grand-père et après on verra.

_ Je veux voir Yuratchka ! J'ai eu tellement peur pour lui.

_ Nikolaï et les médecins ont dit peu de visites. Nikolaï a dit à Otabek de passer aujourd'hui et pour...

_ Pourquoi Otabek aurait la priorité sur nous ?!

_ Vitya, s'il te plaît...

_ Quoi Yuuri ?! C'est vrai ! Otabek par ci, Otabek par là ! Et nous, on compte pour du beurre ? Je connais Yuratchka depuis qu'il est gamin. Je lui ai fait un programme. Je l'entraîne avec Yakov et Lilia. Il est comme un petit frère pour moi. Pourquoi je devrais laisser ma place à Otabek ?

_ Yurio et Otabek sont très proches. Ils tiennent beaucoup l'un à l'autre. Ca lui fera du bien de voir son meilleur ami.

_ Meilleur ami ? Son cœur a lâché quand son meilleur ami est venu le voir, je te rappelle ! On n'aurait pas dû le laisser le voir.

_ Vitya, stop ! »

Yuuri par la sécheresse de sa réponse cloua le bec à son époux. Jamais il ne perdait patience mais cette fois, il surprit tout le monde. Yakov et Lilia le dévisagèrent en silence tandis que Viktor semblait choqué. Les yeux lagons s'étaient agrandis de surprise et sa bouche s'était figée en une grimace grotesque. Yuuri, conscient de son éclat, reprit la parole, plus doucement, en un ton presque d'excuse.

« _ Excuse-moi Vitya. Je n'aurais pas dû te parler ainsi. Ce que je veux dire c'est qu'Otabek et Yuri sont proches depuis quelques années maintenant. Il sait comment parler à Yuri pour le calmer. En ce moment, il a besoin de calme et de sérénité, nous ne pouvons pas nous battre autour de son lit pour savoir qui a plus le droit d'être avec lui.

_ Mais, il est comme mon petit frère et j'ai envie de le voir.

_ Nous avons tous envie de le voir et de nous rassurer en le faisant. Mais ce n'est peut-être pas ce qu'il lui faut à lui. En plus, je pense que ces ceux-là ont beaucoup de choses à se dire.

_ Comment ça ?

_ Personne ne se dit qu'ils sont peut-être amoureux et que c'est parce qu'ils ne se parlent pas que le cœur de Yurio s'est brisé ?

_ Tu dis n'importe quoi mon Katsudon.

_ Au contraire Viktor. Ne me dis pas qu'un incorrigible romantique dans ton genre ne veut pas l'admettre. C'est toi même qui en as parlé le premier pour mémoire. »

Tout en toisant Viktor, Lilia porta tranquillement et de la manière la plus détachée du monde sa tasse à ses lèvres. Elle regarda tour à tour les trois hommes attablés à ses côtés puis soupira devant leur air ahuri. Il fallait donc qu'elle leur explique vraiment tout ?

❄️❄️❄️

Je suis de nouveau dans le coma ou je dors juste ? C'est bizarre avec toutes ces saloperies de médicaments, je ne sais jamais si je dors ou si je meurs. Je crois que finalement j'ai pas envie de mourir. Enfin pas avant de m'être un peu battu. Et puis, j'ai vraiment fait peur à papy. Je l'ai vu quand il me regardait me réveiller. Je suis coincé maintenant. Je suis obligé de guérir.

Il y avait Beka aussi quand je me suis réveillé. Enfin, j'crois. J'suis pas sûr. Il a marmonné des trucs incompréhensibles. Enfin s'il était vraiment là. Il avait une sale tronche si c'était bien lui. Faut dormir la nuit mec. A non c'est vrai, t'es trop occupé à faire... T'es avec Mila. Faut vraiment que vous veniez me casser les pieds jusque dans mon sommeil ? Et après les médecins viennent parler de sommeil réparateur bla bla bla mais j'aimerais bien les y voir ! Ils se prennent jamais la tête eux...

Ah mince faut que je me calme. Il y a le bruit de l'orage au loin. Ca serait bête d'avoir de nouveau des éclairs dans le cœur. Ca serait bête d'en avoir pour toi...

❄️❄️❄️

Il était une fois une fée qui doucement ouvrait les yeux. Elle papillonna des paupières avant de doucement relever la tête.

Il était une fois un jeune homme amoureux qui la regardait regagner doucement le monde des vivants. Il sentit dans son cœur une joie sauvage se gonfler. Il voulut la rejoindre, s'approcher d'elle et la prendre dans ses bras. Au moment de fouler la glace, il s'aperçut que le lac était en train de dégeler.

La fée regardait autour d'elle d'un air égaré. Elle ne semblait pas comprendre ce qu'il se passait. Un instant elle patinait et l'instant d'après... Un petit cri s'échappa de ses lèvres quand elle constata qu'elle était sur un ilot glacé et solitaire.

Otabek se réveilla encore une fois en sursaut. Il s'était endormi sur son canapé, épuisé, la veille. Courbaturé, il se redressa lentement. Puis, il se rappela son rêve. Sa fée...

❄️❄️❄️

Viktor tournait tel un lion en cage dans le couloir. Il avait obtenu de Nikolaï de pouvoir voir Yuri. Pas longtemps. Cinq minutes. Pas plus. Il patientait donc en attendant de pouvoir entrer dans la chambre. Il était impatient de pouvoir serrer dans es bras son petit fauve, son petit frère. Il avait eu peur de le perdre. Il se rappela sa terreur en entrant dans la chambre et en découvrant Otabek criant, Yuri dans les bras. Il l'avait cru perdu, il l'avait cru mort. Puis à la peur, la colère avait succédé. La colère de ne pas avoir pu ou su le protéger. La colère de ne pas s'être rendu compte de l'état de fragilité dans lequel il était. La colère contre celui qu'il tenait, il ne le savait trop pourquoi, responsable. Il soupira et rejeta au loin cette colère mais tel un boomerang elle revint le heurtant de plein fouet. Il était en colère oui mais plus contre lui-même que contre son entourage.

« _ J'aurai dû voir Yuratchka comme tu allais mal. J'aurai dû comprendre que tu étais malheureux. Mais, il est devenu tellement difficile de lire en toi ces dernières semaines. »

La porte s'ouvrit et Nikolaï lui fit signe d'approcher. Les deux hommes pénétrèrent dans la chambre et se postèrent près du lit. Viktor s'approcha du lit et dû mobiliser toute sa volonté pour ne pas fondre en larmes.

Il était là, pâle et endormi. Il était là, couronné par l'or de ses cheveux et inconscient au monde qui l'entourait. Un masque couvrait sa bouche et son nez donnant l'impression qu'il se cachait, une macabre partie de cache-cache. Des fils reliaient sa poitrine à des machines qui battaient la mesure tel un métronome. La perfusion sur sa main gauche faisait penser à un insecte qui lui dévorait la peau, la bleuissant par sa morsure.

« _ Il ... Il a repris connaissance...Depuis ce matin ?

_ Quelques minutes. Il a  ouvert les yeux puis s'est rendormi très rapidement. Il n'a pas repris connaissance depuis. Il est encore très faible.

_ Et il a parlé ?

_ Non. Il ne peut pas. Sa gorge est gonflée à cause de l'intubation.

_ Alors il n'a pas pu dire pourquoi... »

Une main sur son épaule, un geste de réconfort et les larmes coulèrent doucement. Viktor ne les retint pas. Il ne fit aucun effort pour les retenir et ne les essuya pas non plus. Elles étaient là, elles existaient et il ne s'en souciait pas. Il caressa du bout du pouce le dos de la main de Yuri et il se pencha pour lui murmurer quelques mots à l'oreille.

❄️❄️❄️

Ca c'est le vieux... Il fout quoi ici ? Il est quelle heure ? Il est pas censé entraîner Katsudon ? Il faut préparer la prochaine compétition et le Porcelet a bien besoin de s'entraîner. Sinon, je vais l'exploser sur la glace ! Je vais lui montrer que....

Je vais retourner patiner ? Je vais pouvoir continuer ? Hein ? Je...

Je ... Et pourquoi tu pleures le vieux ? Pourquoi ? Je suis mort en fait c'est ça ? Non, j'ai dit que je ne voulais pas mourir ! J'ai dit... Mais merde ! Pourquoi ça m'arrive à moi ? J'ai rien demandé à personne. J'ai jamais rien demandé à personne.... Je...

Un battement d'ailes.

L'impression d'être repoussé en dehors de son enveloppe charnelle.

Le jeune homme contempla la scène. Il vit les traits tirés de son grand-père, la mine défaite de Viktor. Il le voyait qui caressait le dos de sa main et lui murmurait à l'oreille. Il voulut s'approcher mais son corps ne lui obéit pas. Il grimaça de dépit. Il s'arracha à la contemplation du triste spectacle qui se jouait sous ses yeux. Il décida d'étudier l'écran des machines.

Pression artérielle.

Rythme cardiaque.

Débit du flux d'oxygène dans son masque.

Il y avait d'autres courbes, d'autres indicateurs mais il n'en comprenait aucun. Il nota que sa poche de perfusion semblait sur le point de se terminer. Il regarda sur la gauche et vit la porte s'ouvrir. Otabek entrait, la mine sombre et les traits tirés.

Un battement d'ailes.

Mais qu'est-ce que tu fous là ?! Va-t'en ! Je ne veux pas te voir. Ca me fait mal quand t'es là ! Ca me fait mal de savoir que tu ne m'aimes pas. Ca me fait mal de savoir que tu serres dans tes bras quelqu'un d'autre que moi. Bon sang Beka, va-t'en la retrouver et laisse-moi en paix. Je suis pas mort mais je sens que mon cœur se brise quand je réalise que jamais tu ne m'aimeras comme moi je t'aime. Je t'aime si fort... Allez, fiche-le camp et va aimer cette autre. Abandonne-moi à mon sort. Fais-le et ne le regrette pas. Tu ne sais rien car je n'ai pas su te parler.

❄️❄️❄️

Nikolaï accueillit avec un sourire bienveillant le nouveau venu. Il lui serra avec chaleur la main et l'entraîna au chevet de son petit-fils. Viktor le dévisagea et pour une fois s'abstint de tout commentaire. Il se contenta d'observer les cernes profonds, les traits tirés et le désespoir qui voilait ses yeux. Jamais il n'avait vu Otabek ainsi. Jamais, pas une seconde, il n'aurait pu imaginer voir le si stoïque Kazakh dans un état si pitoyable.

« _ Ca va Otabek ? »

Un simple hochement de tête lui répondit. Le jeune homme n'avait pas desserré les lèvres. Il n'avait même pas tourné la tête vers lui. Son regard était fixé sur Yuri et ne le lâchait pas. Viktor eut l'impression de le déranger, et, bien qu'à regret, il se poussa permettant ainsi à son homologue de se rapprocher du lit. Il alla se poster un instant près de la fenêtre et embrassa le triste tableau qui s'exposait devant lui.

Otabek s'était assis sur le rebord du lit. Il caressait le visage au teint cadavérique de Yuri du bout des doigts. Il lui murmurait de douces paroles en russe et en kazakh. Il sembla que sa voix s'était brisée sur la dernière phrase. Un instant de silence, puis Otabek se racla doucement la gorge avant de reprendre sa litanie. Quand Viktor vit une larme couler le long de la joue halée, il se détourna, honteux d'avoir osé regarder, détailler, analyser la scène. Il se dirigea vers la porte et sortit de la chambre. Arrivé dans le couloir, il se retourna pour faire face à Nikolaï. Hésitant, ne souhaitant pas commettre d'impairs, il pesa chaque mot. La scène à laquelle il avait assisté et les paroles de Yuuri et Lilia lui revenaient en tête. Il ne savait pourtant pas ce que Nikolaï pensait ou savait.

« _ Otabek est très inquiet pour Yuratchka.

_ Il l'est, Viktor. Il tient beaucoup à lui.

_ Oui, ils sont proches. Otabek est le meilleur ami de Yuratchka.

_ Viktor, dis-moi ce que tu as sur le cœur. Tu sembles vouloir me parler sans oser.

_ Je... Auriez-vous un peu de temps à m'accorder ? J'aimerai vous parler de quelque chose. »

❄️❄️❄️

Mila arriva à l'hôpital un peu avant que l'heure des visites se termine. Elle se posta devant la chambre de Yuri mais n'y entra pas. Elle avait peur d'entrer et de découvrir son petit frère allongé dans son lit, inconscient. Bien sûr, ses amis qu'elle avait contacté plus tôt dans la journée avaient été rassurants. Bien que faible, Yuri semblait avoir repris des forces. Pourtant, il n'était toujours pas hors de danger. Elle soupira, posa sa main sur la poignée mais n'eut pas le courage de l'actionner. Après une hésitation, elle la retira et s'éloigna de quelques pas. Elle se sentait vaguement coupable. Coupable, oui, mais de quoi ? Elle avait toujours veillé sur Yuri. Elle avait toujours veillé sur lui comme le ferait une grande sœur. Alors pourquoi ce sentiment de malaise ? Elle fit de nouveau quelques pas dans le couloir puis se retourna déterminée cette fois à franchir le pas de la porte.

Quand elle entra, la pièce était calme et plongée dans la pénombre. Par la fenêtre, elle voyait la nuit tomber doucement. Elle tendit l'oreille et n'entendit que le bruit monotone des machines. Elle s'avança pour découvrir Otabek assis près du lit les yeux rivés sur le visage de Yuri. Sa gorge se serra. Il était là et semblait dévasté par une inquiétude sans nom. Elle s'approcha de lui et posa sa main sur son épaule le faisant légèrement sursauter.

« _ Pardon, je ne voulais pas te faire peur.

_ C'est rien. Tu es venue le voir finalement ?

_ Oui. Je n'arrivais plus à rester chez moi. Il fallait que je vienne. Comment va-t-il ?

_ Pas fort. Il a repris connaissance ce matin mais depuis le début d'après-midi il dort. Il ne semble pas vouloir ouvrir les yeux et revenir parmi nous.

_ Sacrée tête de mule. Je lui passerai un savon à son réveil. Rien que pour la frayeur qu'il nous a fait. Ca va, toi ?

_ Aussi bien que possible vu les circonstances. »

Peut importe que j'aille bien ou mal, ne crois-tu pas ? Il n'y a qu'une chose qui importe vraiment. Il faut que mon ange se réveille. Il faut qu'il ouvre ses yeux et me réchauffe de leur lumière. Je veux me perdre en eux et lorsque, enfin, je retrouverai mon chemin, j'aurai su lui dire comme je l'aime.

Un silence inconfortable s'installa qu'aucun des deux ne semblait vouloir briser. Ils restèrent donc silencieux à guetter le moindre petit signe pouvant indiquer que Yuri leur revenait.

« _ Tu veux que je reste avec lui le temps que tu te dégourdisses les jambes ?

_ Non. Je préfère rester ici. Il pourrait se réveiller à tout moment.

_ Beka...

_ Otabek, Mila. Pour toi c'est Otabek. Pas Beka ou Ota, juste Otabek.

_ Mais... Ecoute, je ne voulais pas te gêner mais comme Yuratchka utilise toujours un surnom avec toi. Donc... Tu vois, on se connait depuis quelques années maintenant. Alors je pensais que...

_ Ce qui est permis à Yura ne te l'est pas. Il y a des choses qui n'appartiennent qu'à lui. Tu peux nous laisser maintenant ? J'aimerai être un peu seul avec lui avant que les visites se terminent. »

Je ne veux pas que tu sois là s'il ouvre les yeux. Qui sait ce qu'il pourrait penser ?

Mila pinça les lèvres et quitta la chambre furieuse d'être ainsi congédiée. Elle aurait voulu protester mais on ne se disputait pas autour du lit d'un ami malade. Elle regagna le couloir, s'adossa au mur et attendit bien décidée à avoir une petite discussion avec Otabek.

❄️❄️❄️

Que fais-tu ? Vraiment ? Dis-moi.

Qu'espères-tu au juste ? Que j'ouvre les yeux ?

Je ne les ouvrirai pas pour toi. Je pourrais mais à quoi bon ?

Tu vois, je suis seulement humain. J'ai mes faiblesses et quand je tombe je peux ne pas me relever.

Tu vois, je suis seulement humain. Je suis un lâche et parfois je préfère fuir plutôt que combattre.

Alors que fais-tu là ? Vraiment ? Dis-moi.

A quoi rêve-tu au juste ? Que je te parle ?

Je suis seulement humain. J'ai mes lâchetés et quand je fuis c'est pour être loin de toi.

Je suis seulement humain. Je ne veux pas faire face, je ne veux pas regarder dans les yeux mes démons et mes enfers.

Alors va-t'en.

Retourne à ta lumière.

Retourne à tes paradis.

S'il te plaît, laisse-moi m'en aller.

S'il te plaît ne m'oblige pas. Ne me retiens pas.

Je ne veux pas traverser mon enfer.

C'est trop sombre.

C'est trop effrayant.

S'il te pâlît, laisse-moi saigner mes larmes.

S'il te plaît, ne m'oblige pas à me soigner. Ne retiens pas mon cœur.

❄️❄️❄️

L'attente était longue et douloureuse. Son sommeil était profond, insondable. Il le connaissait bien maintenant. Il connaissait le jeune homme. Alors il savait que quelque chose n'allait pas. C'était comme si cette inconscience était un refuge lointain, très lointain.

« _ Il faut que tu reviennes parmi nous Yura. Je sais que tu es là. Quelque part. Tu flottes quelque part près de nous. Si je ne te connaissais pas, je pourrais croire que tu prends plaisir à nous faire attendre. Mais ce n'est pas toi. Tu n'es pas du genre à faire patienter. Non, toi tu fonces tête baissée et parfois tu te brûles un peu les ailes.... Ou tu te brises le cœur. »

Une infirmière entra et Otabek se leva. Ils échangèrent quelques mots puis elle sortit.

Otabek se pencha et embrassa avec tendresse le font de Yuri. Il se redressa doucement et écarta une mèche dorée. Il le regarda quelques instants et soupira.

« _ Je dois partir ma fée. Je te laisse seul pour la nuit. Je reviendrai demain. Pas de bêtise pendant mon absence. Pour une fois, soit un peu sage. Si tu m'entends, sache que tu me manques et que je t'aime. »

Il se pencha et déposa une dernière fois ses lèvres sur son front.

❄️❄️❄️

Assise sur son canapé, elle regardait dans le vide depuis des heures. Si le cœur de Yuri avait pu se briser, le sien n'était pas loin de l'imiter. Elle laissa les larmes emporter son chagrin et elle se recroquevilla pour mieux tenter d'apprivoiser la douleur. Elle ne chercha pas à masquer ses sanglots. Après tout, qui pouvait l'entendre ?

Elle avait poussé la porte de la chambre de Yuri. Les visites étaient terminées et Otabek devait partir. Elle voulait juste le prévenir. Elle savait que l'infirmière l'avait déjà fait mais le Kazakh tardait. Que pouvait-il bien faire ? S'attarder ne servait à rien. Il ne pouvait étirer le temps. L'heure était venue de laisser leur ami aux bons soins de l'équipe soignante et de son grand-père. Elle était entrée, déterminée à faire sortir de la chambre celui qui avait éveillé son cœur. Lui, cet homme inatteignable, à qui elle voulait confesser ses sentiments. C'est alors qu'elle l'avait entendu murmurer des paroles d'amour et qu'elle l'avait vu embrasser son front avec une tendresse infinie.

Elle était partie loin et avait courut jusque chez elle. Elle avait fermé la porte à double tour et s'était écroulée. Elle avait cédé à la peine. Elle avait cédé aux larmes. Et maintenant ? Elle pourrait choisir d'ignorer sa douleur et continuer sa route ? Ignorer cette tristesse et faire comme si de rien n'était ? Elle le pourrait mais elle était blessée. Mais était-ce une blessure d'amour ? Et si c'en était une de quel amour parlait-elle ? Après tout, jamais il ne lui avait fait espérer quoique ce soit. C'était elle seule qui s'était convaincue qu'il lui portait un intérêt autre qu'amical. Il ne l'avait pas encouragée dans cette voie. Mais ça faisait tout de même mal.

Elle se leva et alla à la cuisine. Ruminer sur son canapé ne servait à rien. Elle se prépara un rapide repas et un fin sourire amer étira ses lèvres. Des pirojkis.

« Si mon cœur me fait mal ce n'est rien comparé à lui. Ton cœur s'est brisé petit frère... Et j'y ai aidé. »

❄️❄️❄️

Nikolaï avait obtenu de pouvoir rester auprès de son petit-fils en dehors des heures de visite. Etant donné l'état du patient, les médecins avaient consenti à le laisser veiller le jeune homme.

Le vieil homme prit un frugal diner tout en regardant une émission sur la tablette fournie par Viktor. Il arqua un sourcil et monta le son pour écouter ce que le présentateur disait.

« L'homosexualité est un vice qu'il faut faire disparaître. Des mesures ont été prises hier par le gouvernement en vue d'exclure des professions en contact avec des enfants toutes les personnes susceptibles de les corrompre avec leur idéologie... »*

Nikolaï poussa un grognement sonore. Il était écœuré par ce qu'il venait d'entendre. Ainsi, son pays, plutôt que d'accepter la différence voulait la bafouer et la rendre invisible. Il ne pouvait l'admettre et lui trouver la moindre excuse. De quel droit le gouvernement se permettait-il de s'immiscer dans la sphère privée des gens ? Ce qu'il se passait entre deux personnes, de même sexe ou non, ne regardait que lesdites personnes.

« _ Tous ces politiques se mêlent trop de la vie des gens si ton veux mon avis Yuratchka. Ils feraient mieux de penser à éduquer et ouvrir l'esprit de la jeunesse. On se croirait revenu trente ans en arrière... A croire que certains n'apprennent jamais du passé. »

Nikolaï éteignit la tablette pour ne plus avoir à entendre les inepties débitées par le journaliste. Il avait mieux à faire. Il se leva et s'attela à sa tâche. Il retira délicatement le masque à oxygène et étala délicatement de la crème hydratante sur le visage de Yuri.

« _ Ta peau est toute desséchée Yuratchka. Et puis tes lèvres ? Ca ne va pas être agréable pour Otabek de t'embrasser si elles sont gercées. Parce que tu vas enfin te réveiller et lui parler. Tu vas me faire ce plaisir à ton réveil. Ca suffit un peu les bêtises. »

Il replaça délicatement le masque à oxygène. Il reposa le petit tube qu'il avait en mains et considéra un instant son petit-fils. Il aurait juré avoir vu un tressaillement.

« _ Alors Yuratchka ? Est-ce que tu as terminé de faire ta mauvaise tête ? »

❄️❄️❄️

De quoi tu parles Diedouchka ? Je ne fais pas ma mauvaise tête ! Tu vas voir ! Je vais me réveiller ! Et puis c'est pas de ma faute si mon cœur déraille ! Enfin si un peu mais non. C'est à cause de cet abruti de Kazakh ! J'aurai jamais dû accepter son amitié il y a trois ans. J'étais très bien tout seul et puis vous me faites tous suer !

D'ailleurs tu veux que je me réveille comme tous les autres mais pourquoi ? Yakov va me gueuler dessus, va falloir supporter le vieux et son porcelet et ... Ouais enfin va falloir les supporter !

Un battement d'ailes.

Je ne me réveillerai pas ! Ca vous fera les pieds !

Un battement d'ailes.

Et puis comme ça vous me foutrez la paix !

Un battement d'ailes.

❄️❄️❄️

Il était une fois une fée qui doucement se redressait, prenait de l'élan et s'élançait.

Elle trébucha.

Elle tomba.

Elle se releva.

Puis, après s'être assurée de bien tenir sur ses jambes, elle prit un moment. Elle offrit un instant son visage au soleil et se laissa pénétrer par sa chaleur. Elle savoura la douce caresse du vent sur sa peau. Elle n'était plus prisonnière des glaces. Elle avait vaincu et s'était libérée de ses chaînes.

Il était une fois un jeune homme qui admirait le plus beau des spectacles depuis une berge d'un lac. Il voyait une fée doucement revenir à la vie. Il la vit se redresser et s'élancer de nouveau. Il l'admira offrir son corps aux éléments. Il l'admira dans toute sa beauté.

Et puis, leurs yeux se rencontrèrent.

❄️❄️❄️

Il ouvrit les yeux tout doucement. Il les ouvrit avec une infinie lenteur. Il n'était pas pressé. Il avait tout son temps. Il les ouvrit lentement et ses prunelles accueillirent la pâle clarté d'un petit matin d'hiver. Il ne fit pas un mouvement, trop faible. Il put tout juste pousser un petit soupir.

Le vieil homme se réveilla. Son dos le faisait souffrir. Il se redressa et s'étira en soupirant d'inconfort. Il prit un instant puis se leva. D'un geste mécanique il réajusta la couverture qui n'avait pas bougée sur le lit. Sa main saisit celle de son petit-fils et il la serra. Il sursauta quand il sentit le petit mouvement des doigts. Il secoua la tête pensant que son imagination lui jouait un mauvais tour. Puis, il entendit un faible soupir et il regarda, enfin, le visage de Yuri et des larmes brouillèrent sa vue.

« _ Tu es réveillé. Tu es enfin réveillé. Tu nous à fait tellement peur Yuratchka. Si tu savais comme nous avons eu peur pour toi. »

Les émeraudes du dormeur fixaient le visage ridé de son aïeul. Il aurait voulu le prendre dans ses bras et le consoler. Il aurait aussi voulu se gifler pour se punir d'avoir ainsi fait peur à son grand-père adoré.

« _ Tu ne te rendors pas, d'accord ? »

Un tout petit mouvement de tête négatif lui répondit. Nikolaï lui caressa affectueusement la joue.

« _ Je vais aller chercher l'infirmière. Pas de bêtises en mon absence. »

❄️❄️❄️

Quand Otabek entra dans la chambre de Yuri ce matin là, il le vit les yeux grands ouverts. Quand leurs regards se rencontrèrent, il sentit une joie presque sauvage lui éteindre la poitrine. Sa fée aux yeux de soldats était réveillée.

❄️❄️❄️

Tu es venu... Tu es là... Et maintenant Beka ?

Tout ne se règle pas en un battement d'ailes.

❄️❄️❄️

* J'aimerai vous dire que ceci sort tout droit de mon imagination mais je ne le peux malheureusement pas. C'est tout à fait réel...

❄️❄️❄️

Un chapitre un peu plus court que les autres mais le principal est que Yuri a enfin décidé de revenir parmi les vivants. J'espère qu'il vous a plu malgré tout.

Et en ce 1er mars : joyeux anniversaire à notre Fée aux yeux de soldat j'ai nommé Yuri !!

Première publication : 1er mars 2020

Correction : 8 avril 2020

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