A propos d'un ange
Chapitre 3 - A propos d'un ange
Il était étendu dans son lit, les yeux clos, la respiration régulière. Sa poitrine se soulevait doucement seul signe visible de la vie qui continuait à l'habiter. Couvert d'une couverture, le mince corps était relié à diverses machines. Il ne dormait pas... Enfin pas vraiment. Il flottait dans un état d'inconscience provoqué par les médicaments censé l'aider à se remettre du choc subit par son corps quelques heures plus tôt. Il flottait loin, très loin au-dessus de ce monde. Reviendrait-il ? Le voudrait-il ? Choisirait-il la lumière ou les ténèbres ? Personne n'avait la réponse. Il était le seul à pouvoir faire ce choix.
Les doigts d'Otabek effleurèrent en un geste doux la peau d'albâtre de celui qu'il aimait. La culpabilité le rongeait. Un seul mot de lui aurait pu empêcher son ange de se brûler les ailes et de tomber dans cet enfer. Il était le seul à blâmer. Il était le seul qui méritait de souffrir. Seul à son chevet, il lui adressa une prière.
« Reviens parmi nous. Reviens s'il te plaît. N'abandonne pas. Ne m'abandonne pas. Je suis tellement désolé de t'avoir fait souffrir. Je suis tellement désolé de ne pas avoir su lire en toi, en ton cœur. Je l'ai brisé mais je ne le voulais pas. Je ne le voulais pas Yura alors s'il te plaît reviens et je te montrerai tous les trésors d'amour que j'ai pour toi. »
Une larme solitaire dévala sa joue. Il la chassa avec impatience. Non, il n'avait pas le droit de pleurer. Il n'avait pas le droit de se lamenter alors que c'était lui et uniquement lui le responsable de ce désastre. Une main se posa sur son épaule et il tourna la tête vers son propriétaire. Il croisa un regard d'un vert profond que le temps avait voilé.
« _ Merci d'avoir veillé sur mon Yuratchka, mon enfant.
_ Je... Non, je n'ai pas bien veillé sur lui.
_ Va prendre un peu de repos. Je reste avec lui.
_ Est-ce que je pourrai revenir le voir ?
_ Oui mais avant va te reposer. Yuratchka sera content de te voir à son réveil. »
Avec douceur, le vieil homme éloigna Otabek du lit et l'accompagna jusqu'à la porte. Le jeune homme regarda une dernière fois l'ange blond et partit. Nikolaï alla s'assoir près du lit et regarda son petit fils dormir. Il avait eu si peur quand Yakov l'avait prévenu. Il avait eu peur de perdre la seule personne qui comptait en ce bas monde pour lui. La seule personne qui illuminait sa vie depuis dix-huit ans. Après un moment, il se leva et réajusta la couverture. Il passa sa main ridée sur la joue de son petit-fils et lui murmura quelques paroles réconfortantes avant d'ajouter.
« Mon Yuratchka adoré, je t'aime tellement. Pourquoi ne pas m'avoir parlé ? Crois-tu que je n'ai pas deviné ? Crois-tu que je ne sais pas tes sentiments pour ce jeune homme ? Je ne t'aurais pas jugé. Je t'aurais soutenu de toutes mes forces. Alors pourquoi te taire au point de te rendre malade ? Peut-être la peur de me décevoir... Mais jamais tu ne m'as déçu. J'admire le jeune homme que tu es devenu. Maintenant, tu vas te réveiller et nous allons parler sérieusement tous les deux. Et quand tu seras prêt, nous parlerons tous les trois. »
❄️❄️❄️
Il était une fois, un pâle matin d'hiver qui se levait sur un lac. Une fée reposait en son centre figée dans des glaces éternelles. Le soleil éclairait doucement ses cheveux blonds la couronnant d'or. Sa peau étincelait d'un éclat nacré. La vision était bouleversante de beauté.
Le jeune homme voulut s'approcher mais un hoquet de surprise le prit quand il vit les yeux clos, les lèvres bleuies et le bout des doigts rougis par le froid.
Le jeune homme voulut se précipiter et tirer de ce faux paradis glacé la fée. Il fit quelques pas sur la glace mais celle-ci se fissura sous son poids. Il recula et fut en un instant de nouveau sur la berge.
Il regarda la fissure se rapprocher dangereusement de la fée. Impuissant.
Otabek se réveilla en sueur et haletant. Il se redressa dans son lit et repoussa d'un geste impatient les couvertures. Il se leva et se précipita sous la douche dans l'espoir de faire passer ce sentiment de malaise. Il n'aimait pas faire ce rêve. A chaque fois, une catastrophe arrivait. A chaque fois, ce rêve était un funeste présage.
❄️❄️❄️
Je suis bien. Je n'ai pas mal. Je n'ai plus mal. Il n'y a plus d'éclairs dans ma poitrine. C'est douillet par ici. C'est comme dormir enfoui sous une couette de plumes quand il fait froid. Je crois que je vais rester ici. J'aime bien ne plus rien ressentir. Ca fait du bien de ne rien ressentir. C'est reposant.
Je suis fatigué de penser à mes sentiments. Je suis fatigué de l'aimer sans rien dire. Nan ! Ne pas penser à lui ! Ne pas penser à lui qui ne me voit pas. Je ne veux plus penser à lui, à elle, à leur baiser. Il l'a embrassé. Il a pressé ses lèvres contre les siennes. Il ne l'a pas repoussée. Il l'aime, elle. Et moi dans tout ça ? Ben je suis un pauvre type ! Je suis qu'un idiot ! Je ne dois pas penser à lui.
C'est quoi ce bruit au loin ? C'est un orage ? Ca recommence à me faire mal. Ca recommence à me brûler. Je ne veux plus avoir d'éclairs dans le cœur. Ou alors qu'ils m'achèvent et qu'on en parle plus. Je leur ficherais la paix à tous comme ça.
❄️❄️❄️
Une première alarme se déclencha tirant brusquement Nikolaï et Yakov de leur somnolence. Une seconde alarme se fit entendre alors qu'ils se précipitaient vers le lit du jeune homme. Yakov saisit la sonnette d'alerte et la pressa fébrilement. Il l'avait à peine fait qu'une équipe de médecins les poussaient lui et Nikolaï vers la sortie. La dernière chose qu'ils virent était un médecin penché le lit.
Yakov et Nikolaï patientaient dans le couloir depuis de longues minutes. Aucun ne parlait trop rongé par l'angoisse. Ils furent rejoints par Viktor et Yuuri qui arrivaient pour les relever de leur tour de garde. Inquiets de ne pas les trouver dans la chambre ils les pressèrent de questions auxquelles ils n'obtinrent qu'une seule réponse. Le cœur de Yuri avait de nouveau fait des siennes.
« _ Tout ça c'est à cause de ce foutu Kazakh !
_ Arrête Vitya. On ne sait pas pourquoi le cœur de Yurio a lâché la première fois.
_ Ah vraiment ! Il a commencé à aller mal après avoir su que Mila et Otabek avaient passé une soirée ensemble.
_ Non Vitya. Yuri semblait malade depuis quelque temps déjà. Tu te souviens comme il était pâle ces dernières semaines ? Je ne crois pas qu'Otabek soit responsable de quoique ce soit. Avant de tirer des conclusions peut-être qu'il faudrait attendre son réveil. Il nous dira peut-être ce qu'il a. Ou peut-être qu'Otabek le sait.
_ Mon Katsudon adoré, j'ai bien vu comme il a réagi quand il a vu Mila et Otabek s'embrasser.
_ On a déjà eu cette conversation et je t'ai dit qu'on ne devait pas tirer de conclusions hâtives. »
La petite dispute aurait pu se poursuivre longtemps si les médecins n'étaient pas sortis de la chambre, les interrompant par la même occasion.
« _ Nikolaï Vladimirovitch Plisetsky?*
_ Oui. Qu'est ce qu'il s'est passé ?
_ D'après nos examens, votre petit-fils a de nouveau été victime d'une crise d'arythmie. So coeur ne s'est pas arrêté ce qui est une bonne nouvelle. Toutefois, il faut que nous trouvions les causes de ces crises. Nous le maintenons endormi pour le moment. Son organisme doit récupérer. Nous reviendrons dans la matinée pour faire d'autres examens. En attendant, il lui faut du calme.
_ Je vous remercie docteur. »
Le praticien s'éloigna du petit groupe plongé dans l'angoisse. L'état de Yuri ne s'améliorait pas. Il n'était toujours pas stable non plus. Nikolaï s'assit lourdement sur la chaise la plus proche et prit son visage entre ses mains. Il était mort de peur. Il risquait de le perdre. Il risquait de perdre celui qui durant toutes ces années avait été sa seule fierté, sa seule lumière. Depuis la mort de son épouse et la disparition de sa fille, Yuri avait été tout pour lui. Il ne pourrait jamais se remettre de sa perte. Yuuri posa doucement une main sur l'épaule du vieil homme qui en quelques heures s'était un peu plus vouté et semblait écrasé par le poids des ans.
« _ Allez vous reposer Nikolaï Vladimirovitch. Nous allons veiller avec Viktor sur Yuri.
_ Merci jeune homme mais je vais rester avec lui. Je ne peux pas le laisser tout seul.
_ Il ne sera pas seul. Nous sommes là. Nous vous prévenons dès qu'il y a du nouveau. Et si Yuri vous voit épuisé à son réveil, il va s'en vouloir terriblement. »
Nikolaï hocha la tête. Bien qu'il n'ait pas le moins du monde envie d'aller se reposer et d'être loin de son petit-fils, il devait reconnaître qu'il était épuisé.
❄️❄️❄️
Otabek remuait nerveusement sa cuillère dans sa tasse. Il se passa la main sur le visage essayant de chasser la fatigue et l'angoisse. Geste vain. Rien ne parviendrait à le sortir de cet océan de peurs et de douleurs. Il se sentait s'y noyer petit à petit et il avait beau se débattre il ne parvenait à s'en tirer. Il s'y était précipité seul et seul il se noierait. Un sourire amer se forma sur ses lèvres gercées. Encore un fois, il se mentait. Il n'y était pas seul. Ce n'était pas une noyade solitaire. Il avait entraîné avec lui un jeune homme qu'il aimait par-dessus tout. Il l'avait plongé lui aussi dans ces courants contraires qui les dévoraient férocement, impitoyablement. S'il avait été seul peut-être qu'il aurait pu abandonner mais maintenant le pouvait-il vraiment ? Avait-il le droit d'abandonner cet ange au milieu de la tempête ?
Lentement, il se leva et abandonna son café sur la table sans l'avoir bu. L'amertume de la boisson ne faisait que trop écho à l'amertume que lui inspirait ses actes. Il avait cru être raisonnable en maintenant à distance ce que son cœur lui criait depuis des années. Il s'était muré dans le silence, bâillonné son cœur, empêché ses oreilles d'écouter et clos ses yeux pour ne pas voir. Il avait bâtit une forteresse où emprisonner son amour. Il avait mis des garde-fous et leur avait intimé de ne rien laisser filtrer. Bien à l'abri derrière son masque il avait joué le douloureux jeu du carnaval. Il avait déguisé, il avait menti, il avait nié et pour quel résultat ?
« Je suis tellement désolé Yura. Je suis tellement désolé de t'avoir fait souffrir. Je suis un idiot doublé d'un lâche. Mais je ne pouvais pas supporter l'idée de te perdre. Et au final je t'ai perdu. »
Machinalement, il appuya sur un bouton de la télécommande. Une chanson fut lancée sur la chaîne hi-fi du salon. Ses yeux s'agrandir de surprise tant celle-ci lui rappelait Yuri et tous ses moments passés ensemble. Il l'avait adoré dès la première écoute et ses yeux, parfois, pendant un bref instant, brillaient de larmes contenues. Otabek resta figé au milieu de son salon transformé en statue de sel. Le sel des larmes ou de l'océan de tourments, nul n'aurait pu le dire.
We know full well there's just time, / Nous savons bien que nous avons juste le temps,
So is it wrong to dance this line ? / Alors est-ce une erreur de danser ?
If you heart was full of love, / Si ton cœur était rempli d'amour,
Could you give it up ? / Pourrais-tu l'abandonner ?
Coz, what about, what about angels ? / Qu'en est-il, qu'en est-il des anges ?
They will come, they will go and make us special. / Ils viendront, ils passeront et nous rendront spéciaux.
Don't give me up. / Ne me laisse pas tomber.
Don't give me up. / Ne me laisse pas tomber.
It's not about, not about angels. / Ce n'est pas à propos, pas à propos des anges.
Angels. / Anges.
La chanson se termina et il lui fallut un long moment avant d'émerger, de reprendre contact avec la réalité. Quand il baissa les yeux vers le sol, il s'aperçut que sa vue était brouillée de larmes.
❄️❄️❄️
Il s'assit à son chevet tel un gardien solitaire sur le sommeil du jeune homme étendu dans le lit. Il semblait paisible, le visage dénué de toute émotion. Peut-être dormait-il, peut-être pas. Un bruit résonna puis se tut. Une mèche blonde fut remise en place. Petite excuse pour le toucher. Petit mensonge pour une fois sans conséquence. Otabek se pencha doucement vers l'avant et il lui murmura des paroles tendres et des encouragements.
❄️❄️❄️
C'est toi qui murmure ? C'est pour qui tous ces mots d'amour ? Elle doit être là, avec toi. Si c'était pour vous compter fleurette, vous n'étiez pas obligés de venir roucouler ici. Foutez-moi la paix avec votre amour tout dégoulinant. Vous êtes pire que le vieux et le porcelet. Barrez-vous et laissez-moi mourir en paix. Pourquoi personne ne veux me laisser partir ? Ca serait plus simple pourtant. J'ai pas envie de me battre. J'ai pas envie de rouvrir les yeux et de vous voir vous aimer. Ca fait trop mal. Laissez-moi crever. J'ai envie de flotter loin d'ici et de ne plus jamais rouvrir les yeux. Pour une fois, je veux abandonner et ne plus me soucier de rien.
Un battement d'ailes.
Ouais mais si je fais ça, grand-père ne va pas s'en remettre. Bordel, même crever en paix j'y ai pas le droit ! Faut que je fasse un effort pour lui. Mais j'ai pas envie d'ouvrir les yeux et de voir la déception et le dégout que je lui inspire. Je vais lui dire comment que j'aime un garçon ? On dit ça comment qu'on aime quelqu'un du même sexe que soi... Je suis pas censé aimer Otabek. Je suis censé aimer une jolie petite russe bien comme il faut. Ca me prend la tête.
Un battement d'ailes.
Merde ! Il se passe quoi là ? Pourquoi j'ai les yeux ouverts ? Je veux pas me réveiller. J'ai décidé de dormir à tout jamais. Pourquoi j'arrive pas à les refermer ? Je suis où là ? C'est tout blanc ici. Ca fait mal aux yeux. Si je me retourne peut-être que ça ira mieux.
Un battement d'ailes.
Il pivota sur lui-même se rendant par la même occasion compte qu'il était debout dans une chambre d'hôpital. Etait-ce sa chambre ? Il fit quelques pas vers la fenêtre. Il neigeait à gros flocons aujourd'hui. Yuri avait toujours aimé la neige. Tout paraissait plus simple recouvert par le manteau blanc de l'hiver. Il tenta de toucher la vitre recouverte de givre pour mieux ressentir le froid.
Pourquoi c'est pas froid ? Ca devrait être froid. Il neige et gèle dehors. Je devrais ressentir le froid mordre la paume de ma main.
Le jeune homme se pencha et posa son front contre la fenêtre. Il inspira lentement et s'attendit à frissonner à ce contact. A sa plus grande surprise rien ne se passa. Il recula, interloqué. Perdu, il papillonna un instant des paupières. Il s'approcha de nouveau de la vitre et fit une nouvelle tentative. Toujours rien. Aucune sensation. Il recula doucement visiblement égaré.
Mais qu'est-ce que je fais debout ? J'étais pas allongé dans un lit ? Attends, j'étais sous une couverture et allongé dans un lit. Le matelas était pas top en passant. Et puis, il y avait des bips. C'était saoulant. Alors je fous quoi debout ici ?
Il pivota sur lui-même et eut un hoquet d'effroi. Dans un lit, couvert par une couverture, un mince corps relié à diverses machines était allongé. Il avait de longs cheveux blonds ramenés d'un côté de sa tête et maintenus par un élastique. Il était pâle et ses yeux semblaient enfoncés dans ses orbites. Son visage au teint cireux lui faisait penser à un masque mortuaire. Yuri s'approcha du lit et tendit la main pour prendre celle du jeune homme. Il fut devancé par une autre main qui pressa les doigts entre les siens. Quand Yuri tourna la tête, il vit un jeune homme qu'il n'avait jusque là pas remarqué. Celui-ci murmura quelques paroles qu'il n'entendit pas.
C'est toi Beka ? Tu fous quoi là ? T'es pas censé rouler des patins à Mila ? T'as une sale tronche tu sais. On dirait que t'as pas dormi. Remarque, si t'étais avec elle c'est vrai que t'as pas du dormir des masses. Hey ! Je te cause là ! Tu pourrais répondre. Ah d'accord, tu m'ignores maintenant. Si je t'emmerde t'es pas obligé de venir tu sais. Je me débrouille très bien sans toi. Réponds ! Mais parle-moi !
Yuri s'époumona un moment contre son meilleur ami. Il cria, se pencha à son oreille et lâcha une flopée impressionnante de jurons. Rien ne se passa. Pas une seule fois, le Kazakh ne tourna la tête vers le jeune tigre déchaîné à ses côtés. Un bruit leur fit toutefois redresser la tête au même moment. Ils virent un pic sur le moniteur de surveillance où s'affichait le rythme cardiaque du jeune homme blond. Au même instant, une piqûre fut ressentie par Yuri. Il porta la main à son cœur. Une larme roula sur sa joue en même temps qu'il réalisait l'horreur de la situation. Il releva la tête avec appréhension et examina le visage du dormeur.
Mais... C'est moi ! Dans le lit c'est moi ! Je ...
❄️❄️❄️
Otabek rentra chez lui après avoir veillé sur Yuri une partie de l'après-midi. L'état du jeune homme était pour le moment stable bien qu'il ait eu une petite frayeur quand il avait vu un pic sur le moniteur de surveillance. Mais, fort heureusement, il n'y avait rien eu de plus que ce pic solitaire. Quand les médecins étaient venus l'examiner, ils avaient été plus optimistes que la veille. Pourtant, Yuri restait endormi. Alors qu'Otabek empruntait le couloir le ramenant à son appartement, il eut la surprise de voir Mila qui l'attendait sur le perron. Lorsqu'elle l'aperçut, elle lui fit un petit signe de la main. Le jeune homme retint de justesse un grognement de déplaisir et s'arma de son masque d'impassibilité habituel.
« _ Bonsoir Otabek. Comment vas-tu ?
_ Aussi bien que possible vu les circonstances. Et toi ?
_ Ca va. Enfin j'essaie de me convaincre que ça va. On ne t'a pas vu à l'entraînement aujourd'hui. On pensait que tu viendrais avant d'aller à l'hôpital. On peut discuter à l'intérieur ? Je ne voudrais pas m'imposer mais on ne va pas rester planté là.
_ Oui bien sûr. Entre je t'en prie. »
Otabek ouvrit la porte et laissa Mila pénétrer en premier dans l'appartement. Elle défit ses chaussures** dans l'entrée et prit les chaussons qui lui étaient tendus. Ceci fait, elle entra et alla au salon comme Otabek le lui avait dit de faire. Il la rejoignit quelques minutes plus tard avec deux tasses et une théière fumante. Il s'assit à côté d'elle sur le canapé et attendit patiemment qu'elle prenne la parole.
« _ Comment va Yuratchka ? Je ne suis pas encore allée le voir.
_ Son état est stable selon les médecins.
_ Il s'est réveillé ?
_ Non.
Et il ne semble vraiment pas vouloir revenir parmi nous.
_ Et toi, comment vas-tu vraiment ? Tu semblais très affecté...
L'amour de ma vie a failli mourir donc à ton avis comment je vais ?!
_ Je me fais beaucoup de soucis pour Yura. Il n'a pas un petit rhume. C'est beaucoup plus sérieux. Il a failli mourir, Mila.
_ Je sais Otabek... Je n'ose pas aller à l'hôpital pour le voir. Ca me terrifie de le voir dans cet état. Quand j'irai, tu voudras bien m'accompagner ?
Bonne idée ! S'il ouvre les yeux à ce moment et nous voit ensemble ça risque de l'achever. Bonne technique pour éliminer la concurrence !
_ Pourquoi tu ne demandes pas à Georgi ? Il doit y aller demain matin.
_ Je sais mais... Otabek, il faudrait qu'on parle tous les deux.
_ Et de quoi ?
Je sais de quoi tu veux parler mais je n'en ai pas envie.
_ Ecoute, tu sembles faire comme si rien ne s'était passé mais, à la patinoire, je t'ai embrassé. Je n'aurai pas dû. Pas comme ça. Mais tu semblais tellement triste.
_ N'en parlons plus. Le sujet est clos.
_ Tu veux faire comme si rien ne s'était passé ?
_ Oui.
Oui, faisons donc ça. On oublie et on ne recommence plus.
_ Otabek... Je dois te dire que... »
Le téléphone d'Otabek sonna à ce moment et il bondit sur son sac avant de l'en tirer vivement. Il adressa une prière muette au Ciel pour que ce ne soit pas de mauvaises nouvelles en provenance de l'hôpital. Il soupira de soulagement quand il vit que c'était sa mère. Il décrocha et échangea quelques mots avant de raccrocher.
« _ Désolé Mila. C'est ma mère. J'ai oublié de l'appeler ces derniers jours et elle s'inquiète.
_ Pas de soucis. Je te disais donc...
_ En fait, je dois la rappeler d'ici cinq minutes. Il y a trois heures de décalage horaire avec Almaty. J'aimerai pouvoir parler à ma famille.
_ Ah oui... Pardon ! Je n'avais pas compris ! Bon je te laisse. On se voit demain ? »
Otabek hocha la tête d'un air distrait et se dépêcha de la raccompagner à la porte. Il ne l'avait pas totalement refermé la porte que déjà il appelait sa mère.
Il s'assit de nouveau sur le canapé et attendit que sa mère décroche. Une voix courroucée lui répondit ce qui le fit soupirer.
« _ Enfin tu te décides à appeler ta mère ! Tu pourrais au moins te fendre d'un message.
_ Je suis désolé maman. J'ai été occupé ces derniers jours.
_ Et ça t'empêche de m'envoyer un message pour me dire que tu vas bien ?
_ Maman...
_ Alors comment vas-tu ? Tout se passe bien à Saint-Pétersbourg ? Comment se passent tes entraînements ? Tu es sérieux ?
_ Doucement, une chose à la fois. Ca va, je vais bien. Oui mes entraînements se passent bien. Tout va bien à Almaty ?
_ Oui tout va bien ici. Ton frère travaille beaucoup et ne vient jamais nous voir et ta sœur va bien. Mais dis-moi comment tu vas, toi.
_ Je te l'ai dit, je vais bien.
_ Et avec ton ami, Yuri ? Il va bien ?
_ Yura... Ca va.
_ Tu me mens.
_ Comment tu peux savoir que je te mens ?!
_ Tu m'aurais déjà parlé de lui. D'habitude j'ai plus de nouvelles de lui que de toi. Qu'est-ce qu'il se passe ? Vous vous êtes disputés ?
_ Non. Pas vraiment.
_ Alors qu'est-ce qu'il se passe ?
_ Yura a quelques ennuis de santé en ce moment. On n'a pas pu se parler.
_ C'est grave ? Il va bien ?
_ Il est à l'hôpital. Il...
_ Il a eu un accident ? Tu me fais peur.
_ Non... Je... Maman... Je... C'est de ma faute ! Il.... Son cœur, il a lâché... Il... »
Otabek ne finit pas sa phrase et laissa les pleurs parler pour lui. Toute la culpabilité et la tristesse qu'il ressentait se frayaient un chemin hors de lui et s'écoulaient en gros sanglots. Sa mère garda le silence laissant à son fils le temps qu'il lui fallait pour reprendre contenance. Elle ne l'avait jamais entendu pleurer ainsi. Elle ne l'avait jamais entendu parler d'une voix ainsi brisée. Le cœur de son fils semblait s'être disloqué en une multitude de petits morceaux. Attendant patiemment qu'il se calme, elle lui murmura des mots tendres de temps à autre. Au bout d'un très long moment, Otabek semblant s'être un peu calmé, elle reprit la parole. Avec une douceur infinie, elle lui parla pourtant sans détours. La vérité, bien que parfois cruelle, était nécessaire et il devait l'entendre.
« _ Otabek, écoute-moi mon chéri. Tu n'es pas entièrement responsable de cette situation et je ne veux pas t'accabler plus que nécessaire. Si Yuri avait une fragilité au niveau du cœur, tu ne pouvais pas le savoir. Là, où tu as ta part de responsabilités, est ton silence. Le silence peut parfois faire plus de mal que les mots. Je sais que c'est compliqué pour toi mais tu aurais dû lui parler et mettre les choses au clair dès le début avec cette jeune femme. Tu es homosexuel. Et avant que tu ne m'interrompes, je t'ai déjà dit que pour ton père et moi ça ne changeait rien. Nous t'aimons tel que tu es. Je sais que ce doit être compliqué, surtout vu le contexte, d'avouer ses sentiments à un autre homme mais il aurait fallu le faire. Ce garçon du peu que je le connais m'a l'air très gentil, très sensible et compréhensif. Tu m'as dit que certains de vos amis sont gays et qu'il ne les a jamais jugé pour ça. Alors de quoi as-tu peur ? Je ne pense pas qu'il t'aurait jugé ou violemment rejeté pour ce que tu es. Il aurait certainement repoussé gentiment ton affection et tes envies romantiques s'il ne les partageait pas. Pour le moment, temps qu'il est inconscient, tu ne peux rien faire mais dès qu'il ira mieux. Tu dois lui parler. Et je ne pense pas beaucoup me tromper en te disant que tu pourrais avoir une belle surprise.
_ Yura ne m'a jamais rien dit à propos de ses sentiments ou de son orientation...
_ Tu ne peux pas lui en vouloir de ne jamais t'avoir rien dit alors que toi-même tu as gardé le silence. Attends son réveil et qu'il aille un peu mieux, d'accord ? Ensuite, vous parlerez.
_ Et s'il me repousse ?
_ Au moins tu seras fixé. Mieux vaut une peine de cœur à des regrets éternels, non ?
_ Merci maman. Je... Il doit être tard à Almaty. Je vais te laisser.
_ J'ai tout mon temps pour toi mon garçon. N'hésites pas à m'appeler si tu as besoin. Je serai toujours là pour toi. Maintenant, je vais raccrocher et toi essaies de te reposer un peu. Donne-moi aussi des nouvelles de Yuri. Nous sommes avec lui par la pensée. A bientôt mon chéri, je t'aime.
_ Moi aussi je t'aime. Embrasse, s'il te plaît, tout le monde pour moi.
_ Ce sera fait. Bonne nuit mon chéri. »
La mère d'Otabek raccrocha et il soupira encore une fois. Lui parler de ses sentiments et de Yuri n'avait pas été facile mais ça lui avait apporté un peu de réconfort.
❄️❄️❄️
Il était une fois un jeune homme qui regardait une fée prise au piège des glaces au centre d'un lac. Il la regardait tout en marchant le long de la berge. Il essaya de marcher sur la glace encore et encore mais chaque fois de nouvelles fissures apparaissaient. Elles se rapprochaient dangereusement de la fée endormie.
Il tenta une nouvelle fois de la sortir de son sommeil en l'appelant. Il l'appela encore et encore jusqu'à ce que sa voix se brise. La fée gardait obstinément les yeux clos. Il l'appela une ultime fois et un instant il cru apercevoir les yeux émeraude de la belle endormie.
Otabek saisit la petite main blanche et froide de Yuri. Il n'avait pas encore repris connaissance. Les médecins avaient de nouveau revêtu leur masque d'inquiétude.
❄️❄️❄️
Qu'est-ce que tu fous là encore ? T'as pas mieux à faire ? Va donc rejoindre Mila. De toute façon, je ne vais pas me réveiller. Je crois... Je sais pas trop si j'en ai envie ou pas. Je vais prendre mon temps pour décider. Je crois que j'ai tout mon temps, hein ? Nous ne sommes pas à cinq minutes... C'est bizarre que tu sois là. Je te vois plus que papy. Papy...
Un battement d'ailes.
Ca me fait un peu mal quand je pense à toi papy. J'ai peur de te laisser tout seul ici. Je sais pas si c'est une bonne idée. Tu seras tout seul. Mais j'ai peur de te décevoir en revenant et en te disant pourquoi j'ai des éclairs dans le cœur. Faudra que je te dise que je suis amoureux et que je suis amoureux de lui, un homme. Tu m'en voudrais ? Tu ne préfèrerais pas que je meure ?
Un battement d'ailes.
Je suis de nouveau allongé. J'ai regagné mon corps. C'est une bonne nouvelle ? Papy, Beka, j'ai peur ? J'ai tellement peur d'un seul coup. Je me sens tout petit. J'ai encore mal. Nan, nan, nan ! Je veux pas ! Je veux pas que les éclaires reviennent ! Ca fait trop mal ! Ca brûle si fort... Beka ! Beka ! S'il te plaît, serre ma main... J'ai tellement peur...
Un battement d'ailes.
Ne me laisse pas tomber.
Ne me laisse pas tomber.
S'il te plaît...
J'ai tellement de choses à te dire.
❄️❄️❄️
Le jeune homme s'assit près de lui et se pencha doucement sur le lit de celui qu'il aimait en silence depuis des années. Il se pencha et déposa ses lèvres sur les siennes en un chaste baiser. Il aurait aimé être dans un conte de fée et voir les yeux émeraude rencontrer les siens mais rien ne se passa. Il caressa tendrement la joue du bel endormi et le regarda.
Une petite toux dans son dos le fit se redresser et se lever précipitamment. Il s'éloigna du lit honteux de s'être fait prendre. Après un instant, il décida de faire face et releva les yeux. Il devait s'expliquer sur son geste et surtout protéger Yuri d'éventuels ennuis.
« Je suis désolé Nikolaï Vladimirovitch. Mon geste était déplacé. Ca ne se reproduira plus. Je vais vous laisser avec votre petit-fils. »
Otabek saisit sa veste et son casque de moto. Il s'avança vers la porte et alors qu'il passait près de Nikolaï Plisetsky celui-ci l'arrêta d'un geste. Otabek se crispa.
Ainsi tout est terminé. Il va m'empêcher de t'approcher mon ange. Je ne pourrai plus jamais te voir.
« _ Je crois que nous devons parler, jeune homme.
_ Je suis désolé. Je ne m'approcherai plus de Yura.
_ Avant de faire à nous avons des choses à nous dire. »
Je te perds.
Nikolaï entraîna Otabek hors de la chambre de son petit-fils. Le jeune homme n'opposa aucune résistance et suivit le vieil homme à la cafétéria de l'hôpital. Il lui fit signe de s'asseoir et d'attendre le temps pour lui d'acheter deux cafés. Il les posa sur la table et s'assit face au jeune homme qui semblait vouloir être partout sauf ici. Il sourit doucement.
« _ Es-tu amoureux de mon Yuratchka ?
_ Oui.
Pourquoi mentir ? Ca ne sert à rien de nier.
_ Alors nous devons parler sérieusement tous les deux. »
Le vieil homme but une gorgée de son café tout en dévisageant son vis-à-vis. Il prit son temps et ne se précipita pas.
❄️❄️❄️
« Bonjour Yura. Bienvenue parmi nous. »
Une main halée essuya sur la joue de porcelaine une larme solitaire.
« J'ai eu tellement peur pour toi. »
Des émeraudes croisèrent des onyx.
« Ne me quitte pas. »
Des doigts serrèrent doucement d'autres doigts.
« Je t'aime. »
Des paupières se fermèrent doucement.
* En Russie, les termes « Monsieur » et « Madame » ne sont pas utilisés. Pour s'adresser à une personne, on utilise dans un premier temps sont nom complet à savoir prénom + nom patronymique + nom de famille. Le patronyme se compose du prénom du père et du suffixe ovitch ou evitch pour un garçon, et, ovna ou evna pour une fille. C'est cette forme patronymique qui figure sur les papiers d'identité, l'acte de naissance, les documents administratifs etc. Donc, dans un premier temps on appelle la personne par l'identité complète, puis avec le temps nom + patronyme (par exemple Nikolaï Vladimirovith) puis par son prénom et enfin quand on connaît suffisamment la personne par son diminutif. Tous les prénoms russes ont un diminutif.
Petits exemples (il existe plusieurs diminutifs pour un même prénom) :
Lilia => Lili
Dimitri => Mitia
Alexandre/Alexander/Alexandra => Sasha
Yuri => Yura
Nikolaï => Kolia
Maria => Masha
** En Russie, on ne rentre pas avec ses chaussures dans un logement. Il est d'usage de toujours se déchausser et d'emprunter des chaussons que l'hôte prévoit pour les invités.
Première publication : 24 février 2020
Correction : 8 avril 2020
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