Chapitre 3


Si Stiles devait être honnête, il n'avait vraiment pas envie de se lever. Il aurait pu dire, en guise de mensonge, que le canapé était bien trop confortable à l'heure actuelle pour qu'il songe une seule seconde à le quitter. La vérité, c'était que la faim et la privation le rendaient faible. Stiles était fatigué et ne pas nourrir son corps autant qu'il en avait besoin était quelque chose de particulièrement difficile à supporter, que ce soit physiquement ou mentalement. Le corps en question était d'une faiblesse qui commençait sérieusement à être marquée et pas simplement parce que chaque mouvement lui demandait un effort un peu trop important. Il y avait sa tête, aussi. A ne penser qu'à la nourriture, il s'angoissait tout seul et sa technique de l'ignorance n'avait plus réellement d'effet puisqu'il était face à lui et non lointain. Alors, l'hyperactif hésita sincèrement à faire comme s'il n'avait pas entendu la sonnette de la porte d'entrée. En fait, sa réflexion fut si inhabituellement longue qu'il appliqua ce plan sans même le faire exprès... A tel point que la sonnerie se fit entendre, encore et encore, tant et si bien qu'il capitula et se leva mollement... Mais tout de même un peu trop vite du goût de sa tête, car il eut à subir un vertige qui obligea son potentiel visiteur à attendre un temps supplémentaire. Les mains agrippées sur le dossier du canapé, Stiles patienta quelques secondes, le temps que les étoiles dansant devant ses yeux disparaissent. Ainsi, il finit par se donner du courage et se diriger vers l'entrée de la maison. Il ne marchait pas très droit, mais... Il était le seul à le voir. Puis de toute manière, celui ou celle qui avait sonné ne devait être que le facteur, ou bien un vendeur de portes à portes, ou un témoin de Jéhovah... Il en passait de temps à autres, même si Stiles les virait à chaque fois avec plus ou moins de tact. Aujourd'hui, il ne se sentait pas d'émettre le moindre sarcasme, et pour aucune : il n'en avait ni le moral, ni l'énergie.

Ainsi, il déverrouilla puis ouvrit la porte.

Au départ, il ne réagit pas, se contenta de fixer son visiteur d'un air pour le moins... Absent. Et puis, ses traits firent écho dans son esprit. Avec lenteur, il finit par relier le visage qui lui faisait face au nom qui allait avec.

Et enfin, il s'étonna.

- Derek ? Fut-il seulement capable de dire.

- Tiens, lâcha simplement l'autre.

Stiles baissa le regard et le fixa sur la poche qu'il lui tendait. L'hyperactif l'attrapa et balbutia un pauvre « merci » lorsqu'il en découvrit le contenu. Deux paquets : un de pâtes, un de riz. Et même si c'était loin d'être assez, Stiles vit cela comme... Son salut. Dans un état tel que l'était le sien, il ne lui vint même pas l'esprit de le vanner sur sa gentillesse ou plutôt sa pitié. Stiles ne se faisait aucune illusion et se souvenait fort bien de leur échange par message. Cependant... Jamais il n'aurait cru voir le loup débarquer chez lui pour lui amener ce qu'il avait si pitoyablement demandé. Et juste comme ça, son cœur se réchauffa.

- Je t'offre un café ? Demanda-t-il plus par convenance qu'autre chose.

A vrai dire, il apprécierait ne pas rester en sa présence plus que nécessaire tant il se sentait misérable, tant la honte le submergeait d'avoir eu à lui demander de la nourriture, mais il pouvait au moins faire cela pour le remercier. Derek avait eu l'amabilité de répondre à ses messages – un évènement rarissime ! – mais surtout... Il s'était déplacé pour lui amener ce qu'il lui avait demandé et ça... Ce n'était pas rien. C'était même plus que ce qu'il espérait. Il imaginait pourtant très bien le loup venir et n'amener qu'un paquet. Et pourtant, il y en avait bien deux.

Néanmoins, il ne put s'empêcher d'espérer que Derek refuse et préfère que des ceux pauvres minutes suffisent à remplir son quota de sociabilité de la journée et...

- Va pour un café.

Stiles retint de peu un soupir de frustration. Soit. Il fit signe à son invité d'entrer, ferma derrière lui et l'enjoignit de le suivre dans la cuisine. De là, il sortit une tasse, une cuillère, qu'il déposa sur la table. Ensuite, il ouvrit la boîte contenant les dosettes et constata qu'il n'en resta pas beaucoup non plus. Noah aurait un tas de courses à faire en rentrant...

- Tu n'as pas de nourriture, mais tu as du café, entendit-il.

Il s'agissait d'une simple remarque un tantinet accusatrice, qui aurait dû piquer Stiles au vif. Le manque d'énergie le rendait passif. Si la phrase de Derek l'énervait dans un sens, il ne réagit pas. Trop fatigué. De même, il ne fit aucune blague et sortir la moindre forme de sarcasme ne lui vint même pas à l'esprit. A la place, il prépara le café et répondit par automatisme :

- Mon père en achète toujours une tonne, mais il n'est pas si souvent que ça à la maison. Il est le seul à en boire. Moi, je ne peux pas.

La raison à cela ? Il s'agissait bien sûr de son hyperactivité, mais Stiles jugea inutile de le préciser. Derek était intelligent, il en viendrait à cette conclusion tout seul, comme un grand. Une autre pensée, bien plus concrète et dérangeante, lui traversa l'esprit. Qu'est-ce qu'il avait faim... Comme pour jouer avec ses nerfs, son ventre se mit à gargouiller de manière extrêmement bruyante, rappelant son principal problème de manière... Efficace. L'hyperactif, conscient que le loup avait certainement entendu la manifestation claire de son estomac, se crispa, avant d'essayer au mieux d'agir comme s'il ne s'était rien passé, histoire que Derek ne lui pose pas davantage de question. En déposant devant lui la tasse fumante de café, Stiles arborait un air tendu et un sourire forcé qui, il l'espérait néanmoins, feraient un minimum illusion... Disons qu'il ne voyait pas vraiment le loup aller farfouiller dans ses émotions ni s'intéresser à son cas plus qu'il ne l'avait déjà fait. Sans doute avait-il atteint son quota de gentillesse et Stiles n'avait pas besoin qu'il aille au-delà. Disons que la honte le submergerait bien trop pour qu'il soit capable de quelque dissimulation que ce soit...

- Voilà voilà... Lâcha-t-il simplement, gêné. Un sucre ?

- Non.

Le côté taciturne de Derek ne gêna pas le moins du monde Stiles qui, pour une fois, n'avait pas envie de parler, d'épiloguer d'une quelconque manière. Il n'aimait pas cette sensation : celle de devoir quémander parce qu'il n'avait rien. Mentalement, il maudit son père de ne pas avoir pensé à lui. Il vivait une deuxième jeunesse grâce à sa nouvelle amourette, la première depuis des années, mais... Il restait un père. Et il avait un fils. Un fils qui faisait tout pour lui et qui ne demandait rien de plus que de quoi tenir en son absence. Un fils qui connaissait l'étendue des dettes de son père et qui, par conséquent, n'arrivait pas à se résoudre à lui demander de lui faire un simple virement. Un virement qui lui aurait évité de faire appel à Derek. Oui, mais les dettes en question étaient là à cause de lui. De ses problèmes passés. De sa possession par le Nogitsune. En outre, s'il ne pouvait pas encore l'aider à la rembourser, il pouvait au moins éviter de lui sucrer le peu d'argent qu'il arrivait à garder.

Et Stiles détestait cette situation. Il la détestait parce qu'elle était compliquée.

Ainsi, il se satisfit du silence de Derek qui buvait la boisson caféinée avec une lenteur à laquelle Stiles ne fit pas attention. Mais il en profita pour s'empêcher de céder à son appel de la faim. Ainsi, il trouva que ranger les deux paquets, l'un de pâtes, l'un de riz, n'était pas une mauvaise idée. Il se forçait ainsi à attendre l'heure du repas de midi et donc, à ne pas gaspiller le peu qu'il avait grâce au loup. Stiles sortit donc les deux paquets de la poche. En ouvrant le placard adéquat qui était on ne peut plus vide, il calcula mentalement combien de repas cela lui faisait. Il n'avait rien à faire avec, mais tant pis. Stiles n'allait pas se plaindre alors qu'il aurait de quoi manger dès midi. Des paquets de deux cents cinquante grammes chacun... En continuant de se rationner, de se restreindre, il pourrait...

- Ton père rentre quand ? Entendit-il.

Plongé dans sa réflexion, Stiles répondit par automatisme sans même s'en rendre compte :

- Dans une semaine.

Mais dans sa tête, il comptait les repas qu'il pouvait se faire tout en se demandant comment il pourrait optimiser son organisation pour tenir un maximum de temps. Son regard dériva vers la petite boîte à côté de la cafetière et il en vint à une conclusion simple : il était profondément stupide. L'ouvrant sans hésiter, l'hyperactif en sortit un petit carré de sucre, qu'il glissa entre ses lèvres sous le regard brûlant de Derek, qu'il n'avait même pas remarqué. Le sucre ne le nourrirait pas mais au moins, il pourrait retrouver un minimum d'énergie et ainsi, faire quelque chose de plus constructif que de rester allongé, telle une larve royale, sur son canapé. Pourquoi diable n'y avait-il pas pensé avant ? Tout problème d'hypoglycémie était évité pour l'instant, c'était déjà ça de gagné... Mais un bruit à côté de lui attira soudain son attention. Stiles tourna la tête et... Regarda Derek ouvrir ses différents placards, les uns après les autres, enchaîner avec le frigo, qu'il fixa d'un air indéchiffrable... Et Stiles rougit de honte. Enfin, il se rendit compte de l'aberration qu'il avait dite. Il rougit d'autant plus et désira mourir sur-le-champ. Mais il n'empêcha pas le loup de mener son investigation à bien.

On pouvait aisément dire que la honte le tétanisait sur place. La fatigue, la faim et le manque d'énergie n'aidant pas, il n'agit pas, comme il l'aurait fait d'ordinaire. Il ne fit aucune remarque, ne reprit pas Derek sur son comportement, ne s'indigna pas face à l'intrusion claire dans son intimité. Stiles ne se reconnut pour ainsi dire... Pas. Il était passif. Tout ce qu'il réussit à faire fut de serrer les poings en baissant la tête, prêt à se faire juger. Ça ? Ce n'était pas lui. Et pourtant, il n'arrivait pas à faire quoi que ce soit d'autre que cela.

Par chance, Derek était du genre insensible. Un loup qui aidait, oui, lorsqu'on l'y poussait, mais puisque Stiles n'insistait pas... Il n'irait pas lui rendre service plus que nécessaire, d'autant plus que l'hyperactif savait qu'il l'avait toujours considéré comme une gêne. Sur ce point-là, il était lucide. Et cela ne le dérangeait pas dans la mesure où il le cherchait, purement et simplement. Stiles avait toujours aimé l'embêter, le provoquer et lui chercher des noises. Il y avait quelque chose de réellement risible à essayer de soutirer une émotion, quelque chose d'autre que cette froideur persistante, cette indifférence qui semblait lui coller à la peau. Parfois, il arrivait à le mettre en colère et il adorait ça.

Mais cette fois, il ne fit rien, n'esquissa pas l'ombre d'un geste, sans doute parce que Derek se trouvait dans son intimité. Chez lui. Dans sa cuisine. A découvrir la réalité de sa situation qu'il avait laissé s'étaler au fur et à mesure. Et juste ça, ça le bloquait.

Se retrouva-t-il soulagé lorsque Derek eut tout refermé ? Pas vraiment. Lorsqu'il s'en alla sans un mot, sans même un regard ? Pas beaucoup plus. Son ventre se remit à gargouiller et à le tirailler de part en part, lui rappelant ainsi le réel problème auquel il devait encore faire face. Il ferma les yeux un instant et prit appui sur le plan de travail. Puis, après les avoir rouverts, il soupira. Son regard dériva vers la tasse de café, vide. Au moins, Derek avait eu la décence de ne rien lui dire. De ne pas faire de remarque. Cependant et alors qu'il réalisait doucement ce qu'il s'était passé, Stiles ne savait pas s'il devait se sentir blessé ou rassuré par l'indifférence marquante de Derek. Stiles mit la tasse dans le lave-vaisselle et poussa un nouveau soupir.

Qu'importe.

Au moins, il était de nouveau seul, en tête à tête avec sa honte.

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