SECOND TAPE
Elle est assise là, à attendre que je lui pose les questions habituelles d'un entretien d'embauche. Quant à moi... Moi, je pianote du bout des doigts contre le verre du bureau. Pour la simple et bonne raison que je n'ai aucune idée de ce que l'on est censé demander durant ces interrogatoires ; après tout, je n'ai jamais eu à en passer, Papa s'en est assuré.
« Ce sont des Prada, non ? »
L'incompréhension peint son visage, alors que je désigne ses escarpins d'un coup de menton.
« Oh. Je crois, oui. »
Je hausse un sourcil. Elle « croit » ? À voir le reste de sa tenue, la mode n'est pas vraiment sa passion. Et un coup d'œil à son CV suffit à voir qu'elle est à la recherche d'un premier emploi. Donc ni une fashionista, ni une fille à la situation financière stable. Qu'est-ce qu'elle fout avec des escarpins hors de prix aux pieds. Si je ne me trompe pas, il s'agit de la collection de l'an dernier. Joanna m'avait tanné pour que je les lui offre, mais ils n'avaient plus rien d'assez large pour ses grands panards dans tout Paris. Il faut dire que mon ex avait des pieds particulièrement imposants... mais quel cul.
Un raclement de gorge attire de nouveau mon attention et je sors de mes rêveries.
« Bon... Je jette un regard à son dossier. Dove.
- C'est mon nom, oui. »
Mes yeux se plissent, et je pousse les papiers pour venir appuyer mes coudes sur les tables, joignant mes mains en l'observant.
« On fait de la finance, ici. La plupart des candidats sont des petits requins sur-motivés et m'auraient déjà déballé leurs plus grands accomplissements à l'heure qu'il est. Une question se pose donc : voulez-vous ce job ? »
La blonde grimace à ma question, passant une main dans ses cheveux avant d'afficher une petite moue. Ça serait presque mignon si je ne la voyais pas si floue...
Une petite claque me permet de me remettre les idées et la vue en ordre. L'idée de devoir recevoir une flopée de candidats après elle me donne la gerbe.
« Oui, j'imagine. »
Elle imagine ? Cette fille a autant envie d'être là que moi.
« Ok, je vais reformuler, pourquoi voulez-vous ce job ? »
La jeune fille m'observe un instant, et je peux très clairement voir dans ses yeux qu'elle hésite entre la sincérité et le politiquement correct.
« Parce que mes parents ne me laisseront pas l'accès à mon compte bancaire tant que je n'aurai pas un bon job pour prouver que je le mérite. »
Ah, la sincérité, donc. Je souris.
« Il y a combien, sur le compte ? Je demande, me penchant un peu plus vers elle, la curiosité piquée.
- En liquidités ou en épargne ?
- Au global.
- Quelques millions. Je crois.
- Ah, d'où les Pradas. J'aurais dû le savoir, entre gosses de riches, on se reconnaît. »
Il faut croire que son jean délavé et sa veste en viscose ne m'ont pas mis sur la bonne voie... Qui pourrait me blâmer ? Le visage présente bien, le reste laisse à désirer.
« Je ne crois pas qu'on fasse partie de la même catégorie de gosses de riches, remarque-t-elle, s'installant plus confortablement dans sa chaise. »
Elle semble plus détendue maintenant que la conversation ne tourne plus autour du boulot. Parfait, ça m'arrange aussi.
« Et pourquoi ?
- Montre ROLEX, chaussures Church's, costume Armani, tu pourrais faire la couverture d'un magazine masculin avec cette tenue. »
On passe au tutoiement, donc ? C'est drôle, mon mal de tête semble de plus en plus lointain. Me levant, je viens m'asseoir sur le bureau, croisant les bras en lui faisant face. De plus près, elle n'est pas si terrible.
« N'oublie pas le corps de mannequin qui va avec. »
Ma remarque lui arrache un sourire désabusé.
« Et l'égo de gamin privilégié. Bref, tu profites de l'argent familial. Moi, j'ai de quoi remplir mon frigo, pas mon dressing.
- Papa et maman sont durs avec toi ?
- Tu n'as pas idée. »
Poussant un soupir, je hoche la tête, compatissant.
« Bon, soyons honnêtes, je n'aurai pas le job, finit-elle par déclarer.
- Adieu le joli compte en banque.
- Donc je vais partir. Mais... »
Se levant à son tour, elle s'approche, les bras croisés. Je plisse les yeux.
« Quelque chose me dit que t'aimerais bien te barrer aussi.
- Ah ? Je pensais pourtant avoir l'air ravi d'interviewer tous les petits cons rêvant de me piquer mon job... »
Un instant de réflexion me fait secouer la tête, avec un rictus.
« Maintenant que j'y pense, ça ne me dérangerait pas tant que ça que quelqu'un m'en débarrasse.
- Et si on te faisait virer ? »
Mon attention revient à la blonde, et au sourire qu'elle m'adresse.
« A quoi penses-tu ?
- On se prépare tous les deux des entretiens qu'on préférerait éviter. Rien que ce matin, j'en ai trois autres dans des banques et autres fonds d'investissement... On sèche ? »
Son sourire semble contagieux, vu la façon dont il gagne mes lèvres sans que je n'ai mon mot à dire.
« L'escalier de service est à la droite du bureau.
- Alors dépêche-toi, avant qu'on me choppe avec un fugitif. »
Elle part vers la porte et je reste un instant là à la fixer pendant qu'elle s'éloigne. Mais finalement, elle se retourne vers moi, les sourcils légèrement froncés.
« Bon alors ? Tu bouges, l'athlète ? »
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