Chapitre 10
(Angelia)
Deux semaines sont passées depuis mon arrivée ici. J'hésite entre le temps passe vite ou lentement. Mon esprit s'embrouille. Des heures peuvent paraître des secondes comme des secondes peuvent paraître des heures. Tout dépend de ce à quoi je pense, de ce que je fais. J'ai déjà eu deux rendez-vous avec Mme Trempline, ma psychiatre. Elle est gentille et très patiente. Apparemment ça ne la dérange pas de parler toute seule durant une heure. Bien que parfois, je lui répond, mais seulement quand il s'agit d'un sujet neutre. Comme le déroulement de ma journée, où ce dont j'ai mangé la veille. Je n'aime pas parler de papa, il n'aimait pas non plus. Si je racontais quoi que se soit à quelqu'un, je savais ce qui m'attendait. Même si peu de personnes s'intéressaient à moi, dans l'immeuble.
Étrangement, quand je me concentre sur le monde réel, le temps passe un peu plus vite. Mais je n'y arrive pas. Du moins pas très longtemps.
Surtout depuis que Zachary ne m'adresse plus la parole. Non, plus un seul mot. Certes, je lui avais parlé un tout petit peu et je me disais qu'il allait continuer à le faire, mais je me suis trompée. Il me déteste comme l'avait prédit papa. Il ne fait que me déposer et me ramener au lycée. Là-bas il ne me parle pas, ce qui est bien dans un sens, mais dans l'autre je me sens seule. De toute façon je l'ai toujours été.
Ça y est, après le statue de nouvelle je suis passée au statue de la fille bizarre. Je ne ressens rien face à cette réputation. Oui les autres me regardent étrangement seulement parce que je mange seule et que je ne parle pas, mais c'est tout. Ca ne me dérange pas.
Carla par contre, ne me laisse toujours pas tranquille. Plusieurs fois, durant la première semaine, elle est venue me voir. Elle m'insultait et parlait de mon passé. Mais puisqu'elle ne connait rien de celui-ci, cela ne m'atteint pas.
Quand elle a vu que je m'en fichais, elle a décidé de passer au niveau supérieur et essaye désormais de me toucher et parfois même de m'agripper méchamment. Des millions de flash-back reviennent régulièrement à cause d'elle.
Les soirs je pleure, me remémorant certaines scènes atroces de ma vie. Les nuits je ne dors pas, ou très peu, sinon les cauchemars reviennent.
Je ne me suis toujours pas laissée aller et je fais tout pour ne pas le faire. Mais si elle continue je ne tiendrai pas longtemps. Je sais ce que vous vous dites. Si moi même je m'effraie lorsque je suis en colère, pourquoi je me suis laissée faire face à mon père? Et bien papa est quelqu'un avec une autorité absolument intouchable et ma peur envers lui est bien plus forte que ma haine, aujourd'hui encore. Je n'ai jamais osé me rebeller, les conséquences en auraient été terribles, peut-être même fatales pour mon frêle corps. Et puis il n'est pas comme Carla, loin de là, lui est fort et robuste, mes coups lui auraient été désagréables mais je suis certaine qu'il n'aurait même pas mis un genou à terre. Il m'effraie, terriblement, jamais, au grand jamais, je pourrai un jour porter la main sur lui.
Pour en revenir à Carla, je ne sais ce qu'elle me reproche. Je crois que c'est à cause de Zachary. Mais pourquoi? Il ne me parle même plus. Et moi non plus. Nous n'avons aucun contact, alors je ne comprends pas son problème avec moi. Peut-être est-ce juste comme ça. Comme dans les rares livres que j'ai pu lire, la fille populaire qui s'attaque à la fille innocente.
Seulement je ne compte pas me laisser faire éternellement. Il y aura des représailles, un moment où je craquerai. Et je crains ce moment plus que tout au monde, sauf après papa peut-être. Je sais que personne ne me verra comme avant. Moi-même je me déteste quand je suis dans cet état. Mais ça ne se contrôle pas, comme les excès de colère de Zachary. J'ai appris un peu plus tard qu'il en avait fait une au self à cause de Carla. Certaines rumeurs parlent que je serai la cause de leur dispute. Je n'écoute pas les rumeurs. Simplement quand je passe devant les élèves, ils ne savent pas être discrets.
Mais si c'est vrai, pourquoi se seraient-ils disputés par ma faute? Je n'ai rien fait. J'habite seulement dans la même maison que lui. Avec sa famille.
D'ailleurs cette famille ne me met pas mal à l'aise. Ils savent que je ne suis pas sociable et ne cherche pas à me faire parler. Ils font comme-ci tout était normal, comme-ci j'étais... leur fille, et j'aime beaucoup ça. Rachel, la maman, vient de temps en temps me voir pour être sûre que tout va bien. La plupart du temps je ne réponds pas. Mais parfois, quand je veux la remercier de s'occuper de moi, je hoche simplement la tête. Ça a l'air de lui faire plaisir que je lui réponde. Bien que pour moi, ça n'ai aucune importance.
La dernière heure de cours sonne et je range mes affaires. J'arrive un peu mieux à comprendre les cours quand je m'y mets. Les professeurs sont au courant que j'arrive très rarement à me concentrer, alors ils ne disent rien. Certains me soutiennent et me donnent des conseils pour faciliter ma scolarisation.
Je suis toujours assise à côté de Zachary, mais comme je l'ai dit, aucun contact. Il fait comme si je n'existais pas. J'ai l'impression d'être blessée de son comportement. Je n'en suis pas sûre à vrai dire puisque j'ai toujours été traitée comme ceci. Ignorée de tous, préférant leur petit quotidien tranquille à la réalité d'une enfant... Battue. Car oui, c'est ce que j'étais. J'ai encore du mal à l'accepter, depuis ces trois semaines on me l'a beaucoup répété, mais ça me semblait tellement... Normal. Oui, c'était ma vie.
Je ne m'en suis jamais plainte puisque je n'ai jamais connu une autre vie jusqu'à aujourd'hui. Mais désormais je sais ce que ça fait de vivre tranquillement, sans être constamment dans la peur. Et peut-être que j'aurai fait la même chose que toutes ces personnes quand elles ont découvert ce que mon père m'infligeait.
Dans cet environnement tout est si serein. Je ne vis plus dans la crainte de mon père qui, a tout moment, peut déferler sa colère sur moi. Bon a part Carla bien-sûr, mais comparée à papa, elle n'est qu'une perturbation. Mais ça ne fait pas partir mes angoisses, à tout moment je peux me mettre à paniquer en me remémorant certaines choses. Dans ces cas là je préfère m'enfermer dans ma chambre et me calmer en me balançant sur le rythme de ma musique. En revanche si je suis en cours, je quitte celui-ci et m'enferme dans les toilettes. Personne ne s'en inquiète, ils ont dû être mis au courant. Simplement le professeur prévient la CPE. Parfois elle me rejoins à l'intérieur et m'observe d'un air rassurant, le temps que je me calme. Mais la plupart du temps elle m'attend en dehors, me raccompagnant en silence jusqu'à ma classe.
Je marche dans les couloirs pour aller au parking quand, soudain, j'entends des cris. Je n'y fais pas attention. Après tout, ça cris toujours ici. Mais je remarque tout de même qu'il n'y a personne dans les couloirs, habituellement bondés. Je mets ça dans un coin de ma tête pour faire abstraction et continue mon chemin. Du moins jusqu'à ce qu'une fille se mette à hurler le prénom de Zachary. Alors ça le concerne. Je ne devrai pas m'y attarder. Continuer de marcher jusqu'au parking puis attendre qu'il me rejoigne pour partir. Voilà ce que je devrai faire.
Mais étrangement ce n'est pas ce qu'il se passe. Je me dirige vers ce boucan et vois dans le hall d'entrée un immense cercle formé autour de deux personnes. Forcément Zachary en fait partit et un autre garçon que je ne connais pas. Qu'a-t-il encore fait?
Je vois l'inconnu frapper Zachary au visage et le fait tomber au sol. Mais son adversaire, loin de se démonter, redouble d'énergie et envoie son poing dans l'estomac de l'autre. Celui-ci se met à cracher du sang. Des images de mon père me frappant s'enchaînent dans ma tête.
N'y pense pas Angelia, n'y pense pas.
Mais c'est impossible, les deux garçons continuent de se bagarrer et le public ne semble pas décidé à réagir. Je vois Zachary prendre l'avantage et commence à défigurer l'autre.
Mais les visages se remplacent bientôt par celui de mon père et le mien. Je panique, j'étouffe, je veux juste que tout ça s'arrête, s'il vous plait faîtes que ça se stoppe. Je ferme les yeux et couvre mes oreilles de mes mains. Alors sans même m'en apercevoir, un cri sort de ma bouche, mais sous la forme d'un prénom.
-ZACHARY!!!
Je hurle tellement fort que tout le monde se tait et se tourne vers moi. Ça me gêne, je n'aime pas attirer l'attention, mais je me concentre sur Zachary et fais abstraction des autres. Je vois le concerné s'arrêter immédiatement. Il lâche le garçon qui s'éloigne de lui en rampant le plus rapidement possible. Zachary se redresse lentement et se tourne vers moi. Il a l'air étonné mais sa haine est si puissante qu'immédiatement son visage reprend ses plis sévères. Encore une de ses crises de colère. Il est vraiment effrayant, d'ailleurs les quelques personnes au premier rang du cercle s'éloigne un peu en voyant la rage qui le possède.
Mais ses yeux sont différents, les autres ne le voient peut-être pas, mais moi si. Je suis comme hypnotisée par ses iris noirs qui me fixent intensément. Je m'approche doucement de lui, les personnes s'éloignant sur mon passage. Je n'y prête pas attention et reste figée sur le beau garçon qui me regarde. Je remarque que son visage se détend peu à peu. Quand j'arrive à sa hauteur, je descends mon regard vers ses mains. Elles tremblent encore.
Je veux juste les arrêter, ces tremblements, par tous les moyens.
Alors je décide de faire l'impensable pour moi. Je ne sais pas ce qu'il me prend, c'est une pulsion sûrement. Je ne réfléchis pas avant d'agir, c'est comme... Naturel. Et c'est bien ce qui m'effraie.
Je prends sa main dans la mienne et effleure très légèrement ses blessures. A force de frapper, celle-ci est ensanglantée. Je relève les yeux vers lui et tends la main vers son visage. Je frôle son œil qui vire déjà au bleu, son sourcil entaillé, sa joue égratignée et finis mon voyage par sa lèvre fendue. Je connais tellement ces blessures. La douleur qu'il ressent actuellement, je l'ai ressentie des milliers de fois. Lorsque je pose mes doigts sur ses lèvres chaudes, il retient sa respiration. Est-ce moi qui lui fais cet effet? Ou est-ce la douleur?
Au bout d'un moment il embrasse très discrètement la pulpe de ceux-ci, de façon à ce que les autres ne le voient pas. D'ailleurs en parlant d'eux ils sont comme figés dans la glace. Quelques uns murmurent mais le silence se fait roi.
-Qu'as-tu encore fait? Chuchotais-je.
-Te protéger. Répond-il sur un ton doux, que je n'avais encore jamais entendu venant de sa part.
Je me perd dans ses yeux ébènes et je ne sais combien de temps nous restons ainsi. Plus de contact physique, ma main ayant retrouvé sa place le long de mon corps. Seuls nos regards ne se quittent pas. Même si les mots ne servent à rien, tout est clair est incompréhensible à la fois.
J'entends les élèves continuer de parler tout en nous regardant où en nous pointant du doigt. Cela devrait me rendre mal à l'aise et pourtant, je ne vois que lui. Il est si beau. Ses cheveux sombres, couleurs corbeau, tombent avec grâce sur son front. Même les bleus sur son visage ne peuvent réduire sa beauté.
Je ressens comme une chaleur dans mon ventre. C'est la première fois! C'est si étrange et agréable à la fois.
Mais qu'est-ce qu'il a bien pu me faire en si peu de temps?
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