12 : La Cruella du café de Jules.
JULES
On a toujours dit de moi que j'étais quelqu'un qui m'attachait très vite, qui pardonnait assez rapidement et qui était tellement gentil que plus tard, dans la vie active, je me ferais marcher dessus. Les gens considéraient que j'étais naïf et que je ne comprenais pas qu'il fallait se battre pour pourvoir obtenir une place dans notre société. En réalité, ils se trompaient. J'étais peut-être même plus conscient qu'eux. Je ne le montrais pas, tout simplement. Je préférais garder mes forces pour le jour où j'en aurais vraiment besoin. D'ailleurs ma mère l'avait compris bien avant moi. Elle ne cessait de me répéter : « Tu en as encore sous le pied ». Et elle avait raison. J'étais certainement bien gentil avec tout le monde et pas du tout rancunier pour qu'on aille jusqu'à me faire les pires crasses du monde, mais il y avait des limites. Savoir que les gens me pensaient trop bons et trop cons me motivait et me donnait envie de leur prouver le contraire.
Cependant, il y avait une chose qui était vrai. Je m'attachais à une vitesse impressionnante. Je m'en étais bien rendu compte grâce à Athéna. J'étais complètement accro à elle et je ne supportais pas la savoir loin de moi. Je redoutais le jour, où à mon plus grand malheur, notre relation prendrait fin. Je mettrais certainement beaucoup de temps à l'oublier tant elle comptait pour moi. C'était fou pourtant nous étions ensemble depuis pas si longtemps. Mais j'étais comme ça, une personne qui s'attachait beaucoup trop vite et qui, ensuite, en subissait les conséquences.
Cela faisait maintenant deux jours que je m'étais disputé avec Athéna et je n'avais pas de nouvelles d'elle. J'avais vu en elle, une colère que je n'aurais jamais soupçonnée. C'était comme si, après tant d'années de retenues, elle déballait tout ce qu'elle avait sur le cœur. Les mots qu'elle m'avait craché à la figure m'avait fait mal. Je voulais seulement bien faire et je m'inquiétais pour elle. Mais le pire d'en tout cela était que je m'en voulais et que je souhaitais faire le premier pas, tant elle me manquait. J'avais envie de m'excuser, de lui dire que je regrettais d'être parti. Mais ma raison me l'interdisait. Elle me rappelait que je n'avais pas mérité qu'elle me parle de cette façon et que je cherchais seulement à l'aider. C'était à elle de revenir, pas à moi.
— Jules, dépêche-toi, on t'attend ! s'est écriée ma mère depuis la cuisine.
Nous partions chez la sœur de mon père, ce week-end. J'avais supplié Chloé de venir car je savais pertinemment que j'allais m'ennuyer sinon, mais elle ne pouvait pas venir.
— Pourquoi tu lèves ton téléphone vers le ciel comme ça, m'a interrogé mon père.
— Il est à la recherche de réseau à mon avis. Sa déesse venue tout droit de la mythologie doit sûrement l'appeler d'ici ce soir.
Ma mère a rigolé avec mon père. Elle n'avait pas tout à fait tord, Athéna devait m'appeler. Non pas pour me demander si je ne m'ennuyais pas trop dans ma cambrousse, mais plutôt pour me présenter ses excuses. Sauf qu'elle ne l'a pas fait.
Deux semaines se sont écoulées. Nous nous approchions dangereusement de mois de novembre et le froid commençait à tristement pointer le bout de son nez. Athéna ne m'avait pas reparlé. Ça m'emmerdait. J'avais cru qu'elle m'aimait bien. Mais peut-être qu'elle ne m'aimait pas assez pour me laisser m'occuper de ses affaires.
— Hé ho ! Tu m'écoutes Julio !
Je suis redescendu sur terre et j'ai relevé la tête du verre que j'essuyais pour rencontrer le regard de Chloé qui attendait une réponse.
— Tu disais ?
Elle a roulé des yeux, soupiré puis elle a répété :
— Je vois Paul ce soir.
J'ai arrêté d'essuyer mon verre, je l'ai brusquement posé sur le comptoir.
— Et tu me le dis seulement maintenant !
Elle a arqué un sourcil, puis m'a offert son sourire d'ange -celui qu'elle faisait pour que je ne lui fasse pas la tête.
— Oui.
— Bah raconte-moi ce que vous allez faire ! On dirait que je suis ton père. Je ne suis pas sûr qu'il connaisse la taille de ton calibre préféré.
— Jules ! s'est-elle offusquée.
J'ai pouffé de rire et elle m'a gratifié un regard meurtrier.
— Bon, plus sérieusement. C'est un rencard ?
— J'en sais rien, a-t-elle répondu en haussant les épaules.
— T'as anticipé ma question. Ça, c'était la réponse de la question « est-ce que tu l'aimes ?». Donc on va reprendre. Est-ce que c'est un rencard ?
Elle a rigolé en rejetant sa tête vers l'arrière, nous attirant les regards curieux des clients du café. J'ai souri et le bruit d'une porte qui s'est ouverte, m'a fait relevé la tête.
— Bon, je te laisse y réfléchir, j'ai Madame Dupiemont qui vient de faire son entrée, ai-je soupiré.
— Tu veux que je m'occupe d'elle ?
J'ai secoué la tête, connaissant Chloé, elle aurait remballé cette bonne femme – bien que j'adorerais qu'elle le fasse – sauf que j'avais extrêmement besoin de sa visite hebdomadaire pour ma fiche de paye.
J'ai donc laissé Chloé avec ses pensées, face à son café au comptoir et j'ai accueilli Madame Dupiemont comme il le fallait. Aujourd'hui, elle n'avait pas ramené son espèce de caniche. Tant mieux, je détestais cette boule de poil.
— Ah Jules ! C'est vous aujourd'hui ? Victor n'est pas là ? a-t-elle hasardé en regardant par dessus mon épaule.
Ça, c'était la façon qu'elle avait de me dire qu'elle ne m'aimait pas trop et qu'elle préférait largement Victor. Je m'en foutais. En plus de ça, mon meilleur ami la détestait.
— Non, il a des examens aujourd'hui.
Elle ne m'a pas écouté et est directement partie s'assoir. J'ai soufflé et j'ai tourné la tête vers Chloé qui se moquait de moi.
J'ai donc suivi ma cliente jusqu'à sa table. Elle a enlevé son manteau de fourrure et s'est tourné vers moi. Elle me faisait penser à Cruella, j'étais sûr qu'elle adorerait tuer son caniche pour en faire un manteau de fourrure.
— J'aimerais les beignets à la banane là, ça fait extrêmement longtemps que je n'en ai pas mangé et j'adore ça. Rajoutez un thé. Et puis, dépêchez-vous, arrêtez de me fixer comme ça, vous me faites peur on dirait que vous n'avez pas dormi depuis des lustres. Voyons Jules ! Reprenez-vous !
J'ai roulé des yeux et j'ai pris sur moi pour ne pas m'énerver. Cette bonne femme était agaçante. Elle jouait la bourge, voulait nous montrer qu'elle croulait sous l'or, pourtant ce n'était pas le cas. Je suis retourné à mon comptoir après avoir indiqué la commande en cuisine.
— Alors ? Elle était comment aujourd'hui ? Plutôt insupportable, agaçante ou énervante ?
— C'est possible les trois en même temps ? ai-je dis en me tapant gentiment la tête contre le bois du comptoir.
Un rire moqueur s'est échappé de la bouche de ma meilleure amie puis elle a haussé les épaules.
— Avec elle, tout doit être possible.
Elle n'avait pas tord.
— Bon, j'imagine que pendant tout ce temps tu as pu réfléchir à mes questions, ai-je répliqué en souriant de toutes mes dents.
Elle a soupiré.
— J'ai cru que t'allais oublié. T'es vraiment comme ta mère, a-t-elle fini par dire.
Elle avait raison, je ne lâcherais jamais l'affaire tant que je n'aurais pas obtenu une réponse suffisamment correcte.
— Oui, c'est un rencard. Enfin, je pense. Il m'a dit que c'était une surprise. Je ne sais même pas où on va. La deuxième question c'était...ah oui ! Est-ce que je l'aime ? J'en sais rien. Il est drôle, je passe de bons moments avec lui et j'adore notre complicité. Mais je veux pas me jeter dans ses bras et je crois que c'est pareil de son côté, on prend notre temps.
Un sourire niais s'était dessiné pendant qu'elle parlait. Elle ne s'en rendait peut-être pas compte pour le moment, mais moi si, elle était amoureuse de lui. J'étais heureux pour elle malgré le fait que j'avais peur qu'il lui fasse du mal. S'il était aussi indécis et compliqué qu'Athéna, elle allait souffrir. Vu de l'extérieur, Chloé semblait être une dur à cuire, protégée par une armure contre les chagrins d'amour. Mais c'était tout le contraire, elle était sensible et se jetait corps et âmes dans une relation. On se ressemblait dans le fond.
— J'espère que tu vas t'éclater, tu m'appelles pour tout me raconter demain ?
— Juste après ta mère du coup, a-t-elle dit en mordant sa lèvre inférieure.
— Quoi ?! Ma mère était au courant avant moi ! C'est pas cool ça !
Elle m'a refait son petit sourire d'ange, et j'ai craqué. Je n'arrivais jamais à lui faire la tête plus de cinq minutes.
— Tu sais quoi ? Tu n'as qu'à passer nous voir pour tout nous raconter, lui ai-je suggéré.
— Bonne idée, je vous dirais quand je passerais.
J'ai hoché de la tête. Mon téléphone nous a coupé de notre discussion et Chloé a baissé la tête sur mon téléphone.
— Tu veux pas voir qui c'est ? Ça se trouve c'est important, a-t-elle dit, voyant que je n'avais pas l'intention de répondre.
Je m'apprêtais à attraper mon téléphone quand la bonne femme m'a appelé depuis l'autre bout de la salle en hurlant. J'ai soupiré, il fallait que je prenne sur moi, elle allait bientôt partir.
— Quelle chieuse ! Je te jure que j'ai envie d'aller lui lancer un verre d'eau à la tête ! a pesté la brune tandis que je m'éloignais vers la table de la concernée.
— Jules, que se passe-t-il ? Ça fait exactement sept minutes et trente secondes que j'attends mes pancakes ! C'est inadmissible !
J'ai roulé des yeux et j'ai eu une pensée pour sa fille qui devait avoir mon âge. Je la plaignais.
— Je vais aller voir ce qu'il se passe en cuisine, lui ai-je dit.
Je ne suis pas allé en cuisine et je suis retourné aux côtés de Chloé. J'ai sorti mon téléphone de ma poche et ma meilleure amie s'est penchée pour lire sur mon écran, en même temps que moi. Mon cœur a fait un bond dans ma poitrine lorsque j'ai vu son nom sur mon écran.
De Athéna :
J'ai un truc important à te dire. Cela pardonnera peut-être le fait que je suis la copine la plus nulle du monde. C'est urgeant. S'il te plaît...♡
Elle a relevé la tête vers moi et m'a offert un petit sourire.
— Elle est trop mignonne ! Je savais qu'elle n'était pas assez stupide pour gâcher votre relation.
J'ai souri. J'avais attendu son message pendant deux semaines, j'avais arrêté d'espérer et je m'étais même dit que c'était sa façon de me faire comprendre que nous avions rompu – si ça se trouve elle voulait réellement rompre et c'était peut-être même ça qui était si urgeant.
Malgré tout j'espérais que cela ne soit pas ça, je lui en voulais toujours et j'attendais des excuses de sa part. Elle ne devait pas croire que j'étais trop bon, trop gentil ou trop naïf.
— Tu crois qu'elle veut rompre ? me suis-je dépêchée de demander à ma meilleure amie.
Elle m'a souri avant d'exploser de rire.
— Julio parfois t'es trop con ! Paul n'arrête pas de me dire qu'elle parle de toi à longueur de journée et qu'il en peut plus d'entendre parler de toi. Tu vas lui répondre quoi ?
J'ai commencé à taper mon message à une vitesse lumière, puis je le lui ai envoyé :
À Athéna :
C'est la fin de mon service. Je gère une cliente chiante et je te retrouve.
— C'est un peu sec, non ? Même pas un bisou ou un petit cœur ?
— Tu crois qu'il était comment son "te mêle pas de mes affaires" ? Bien lubrifié ?
Elle m'a longuement regardé puis elle a explosé de rire.
— Écoute, fais comme tu le sens.
J'ai retrouvé Athéna après avoir fini de service Madame Dupiemont et laissé Chloé devant chez elle. Elle était assise sur un banc, enroulée dans une écharpe. Elle était fatiguée et je pouvais mettre ma main à couper qu'elle avait refait des cauchemars qui l'avait empêchée de dormir. J'avais envie de la prendre dans mes bras et de lui souffler que je l'aimais, mais je me suis retenu. Je ne voulais pas qu'elle pense que j'étais si gentil que j'en avais l'air.
Je me suis donc assis à côté d'elle, sans piper mot. Elle n'a rien dit, elle non plus. Nous nous sommes donc contentés de regarder les gens passer devant nous. Nous devions avoir l'air de deux débiles profonds.
— Merci d'être venu, a-t-elle soudainement dit. T'as réussi à gérer ta cliente ?
Je n'aurais pas cru qu'elle aurait été la première de nous deux à craquer.
— Celle qui est aussi agaçante que Cruella ? Oui. Tu voulais me dire quelque chose ? ai-je sèchement rétorqué.
J'ai tourné ma tête vers elle, et mes yeux se sont accrochés à ses billes vertes qui m'avaient envouté dès le premier jour où je les avais vues. Elle tremblotait et je le sentais hésitante. Elle a lourdement hoché de la tête.
— Ne me coupe pas s'il te plaît, c'est déjà assez dur à dire.
J'ai froncé les sourcils, ça ressemblait vraiment à une rupture. Je l'ai laissé commencé après lui avoir promis que je ne l'interromprais pas.
— Je vais t'écouter et je vais aller voir un psy pour mes cauchemars. Mais avant d'en parler a une personne qui ne me connaît ni d'Eve ni d'Adam, je voulais en parler à la personne que j'aime. Parce que, oui je connais la raison de ces cauchemars et des crises de paniques qui les suivent.
Elle a reprit sa respiration et cela m'a laissé le temps de l'imaginer faire une crise de panique. J'ai rapidement effacé cette image de ma tête et je l'ai écoutée.
— J'ai rencontré Thomas quand j'avais dix-neuf ans. On faisait nos courses au même supermarché tous les dimanches et un jour je lui ai demandé de m'attraper un paquet de coquillette. Voilà comment nous nous sommes rencontré. Un an après, il m'a proposé de vivre avec lui. Notre relation se passait à merveille, j'allais quelques fois dormir chez mes parents, qui avait gardé ma chambre comme je l'avais laissée au cas où je reviendrai sur ma décision mais je passais la plupart de mon temps chez lui. Cette période de bonheur n'a pas duré et elle s'est vite transformée en cauchemar. Sans que je m'en rende compte, il commençait à m'éloigner de mes amis et de mes proches. Si bien que je ne les voyais quasiment plus.
Elle a arrêté de parler, sa gorge était comme noué et pendant un instant j'ai cru qu'elle allait faire une crise de panique. Elle a fermé les yeux et elle a continué :
— Il a commencé à être violent. D'abord verbalement puis physiquement. Ça lui prenait d'un seul coup. Nous pouvions passer une merveilleuse soirée et d'une minute à l'autre, il s'énervait et pouvait me gifler. Il n'a jamais abusé de moi, il ne m'a pas violé et je remercie encore Dieu pour ça. Il m'a tapé jusqu'à ce que je saigne, j'étais couverte d'hématome parfois. C'était horrible et c'est là que j'ai commencé à être angoissé. J'avais peur pour rien. Je me suis donc encore plus éloignée de mes proches, finalement je ne voyais que lui. Tu vas me demander pourquoi je ne l'ai pas quitté pas vrai ? Je me suis posée cette question un milliard de fois. J'étais seulement amoureuse de lui et j'étais atteinte du syndrome de Stockholm. Je ressentais de l'empathie, je banalisais tous ses actes et je finissais par me dire que tout ceci était de ma faute.
Des gouttelettes dévalaient la pente de ses joues et elle les a essuyé avec rage.
— C'était horrible, Jules... m'a-t-elle dit en éclatant en sanglot. A cause de lui, mon alimentation n'était pas stable, je suis même devenue anorexique. Je ressemblais à un fantôme.
Elle pleurait tellement que je n'ai pas résisté et je l'ai prise dans mes bras. Je l'ai consolé et elle a pleuré en silence. Je ne trouvais même pas mes mots tant j'étais en état de choc. Je n'aurais jamais cru qu'elle avait vécu un enfer pareil. Elle qui est si gentille, si douce, si parfaite. Elle ne mérite pas ça. Elle est courageuse et honore incroyablement bien son prénom.
— Je suis désolée...d'avoir voulu te cacher ça...je déteste en parler. Mais tu as raison...il faut que j'avance et pour ça il faut qu'on m'aide.
J'ai acquiescé puis je l'ai embrassé. Je l'ai embrassé pour lui montrer à quel point je l'aimais et à quel point j'étais fou d'elle. Il fallait qu'elle avance et qu'elle oublie ses démons du passé et j'étais près à l'aider. Je ne lui ai pas posé de questions. Je ne lui ai pas demandé comment son calvaire s'est arrêté, elle m'en avait déjà dit assez pour aujourd'hui.
— Je vais t'aider à avancer, je t'accompagnerais même à ta première séance chez un psy, si tu veux.
Elle a acquiescé et elle a enfoui sa tête dans le creux de mon cou.
— Je t'aime, m'a-t-elle dit.
— Je t'aime aussi Athéna.
J'étais peut-être trop gentil, trop naïf et je m'attachais certainement trop vite. Mais ce que je pouvais vous assurer, c'était que si je croisais cet enfoiré, il vous dirait certainement le contraire.
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