10 : Le sourire des larmes de Jules

JULES

Un mois était passé, la température s'était refroidie et les feuilles des arbres commençaient à prendre des couleurs automnales. Nous étions vendredi soir et exceptionnellement, je travaillais jusqu'à vingt-deux heure car Mathias était malade. Étant donné que Victor était parti sur les coups de dix-sept heure, Athéna m'avait proposé de venir me tenir compagnie.

Cela faisait plus d'une semaine que nous nous n'étions pas vu et elle semblait très fatiguée. Elle avait enchaîné les journées où elle travaillait plus de dix heures par jour, ainsi que les gardes de nuit. De plus, en ce moment elle s'occupait d'une adolescente anorexique et j'arrivais à percevoir que l'état de sa patiente, la touchait.

— Jules Folati pourrait-il arrêter de me fixer, ça me perturbe, a-t-elle réclamé.

J'ai cligné des yeux et je lui ai offert à un sourire niais. Elle m'a fait un clin d'œil puis elle a croqué dans son croque-monsieur.

— T'en veux un bout ? Je ne vais pas tout manger toute seule, m'a-t-elle confié la bouche pleine.

Je n'ai pas eu le temps de formuler une réponse, qu'elle m'avait déjà glissé un morceau de son sandwich entre les doigts. Je l'ai donc porté à ma bouche et j'ai continué de l'observer. Elle était concentrée sur son assiette. Elle avait attaché ses cheveux en une queue de cheval et elle portait encore sa blouse d'hôpital. Elle lui allait bien, sa blouse.

— Tu fais quoi ce week-end ? m'a-t-elle finalement demandé en relevant les yeux vers moi.

— J'ai un vaccin à faire, ai-je grimacé.

Elle a pouffé de rire, amusé par le peu d'enjouement que j'avais, d'aller chez le médecin.

— Tu sais, c'est super important les vaccins. Ça active la mémoire préventive, et cela permet de lutter contre les antigènes.

Je me suis arrêtée au début de sa phrase, je ne comprenais déjà plus rien. Je n'avais jamais aimé les cours d'SVT. Le seul court de sciences qui m'avait intéressé durant toute ma scolarité, était celui sur la reproduction sexuelle. Je me souvenais, j'étais à côté de la petite intello de la classe ce jour-là, et elle était devenue toute rouge quand je lui avais demandé si elle préférait les grosses bites ou les petites. Elle m'avait même foudroyé du regard et elle avait demandé à la prof de changer de place. Rien qu'en y repensant, j'avais envie de rire.

— Pourquoi tu souris comme ça ?

J'ai repris mes esprits et j'ai répondu :

— Pour rien, je repensais à un de mes anciens cours d'SVT.

Elle a fait mine de s'y intéressée quand je le lui ai conté, en rigolant, mais elle a vite repris son discours :

— Grâce à la mémoire préventive, les lymphocytes B produisent des anticorps et la réaction est plus spécifique, plus rapide et plus efficace lors d'un nouveau contact avec cet antigène. Donc ne grimace pas comme ça, c'est super important.

Je ne me suis pas du tout concentré sur ce qu'elle m'apprenait car j'étais complètement hypnotisé par sa bouche. Elle bougeait rapidement et elle m'appelait à la goûter.

—  T'es vraiment sexy quand tu fais la prof d'SVT, ai-je susurré.

Ses joues ont pris une teinte rosée et elle s'est mordue la lèvre inférieure, ce qui n'a pas aidé à ramollir le bâton qu'emprisonnait mon jean. Je me suis donc penché par dessus le comptoir et je l'ai embrassée.

C'est pourquoi, le lendemain je suis allé faire ma piqûre de rappel. J'aurais bien appelé le médecin pour annuler mon rendez-vous, mais Athéna m'a obligé à y aller et m'a promis qu'à mon retour, elle serait chez moi.

Elle ne m'avait pas menti sur ce coup là. Quand je suis arrivé chez moi, elle discutait avec ma mère autour d'un thé et d'un gâteau, qui provenait d'une pâtisserie. Chloé était là, elle aussi. Elles riaient toutes les trois et cela m'avait fait sourire. Si elles ne m'avaient pas entendu rentrer, j'aurais pu les observer discuter pendant des heures.

—  Alors Jules, le médecin ne t'a pas traumatisé, a plaisanté Chloé.

J'ai haussé les sourcils avant de lâcher un rire. Mis à part le fait que mon bras était lourd, tout allait bien. J'ai accroché mon manteau au porte-manteau, puis je les ai retrouvé dans le salon. J'ai déposé un bisou sur la joue de ma mère, sur celle de Chloé, et j'ai embrassé ma déesse. Je me suis assis à côté de cette dernière et j'ai posé ma main sur sa cuisse qui était recouverte par un jean.

—  Athéna nous parlait de la Colombie, m'a informé ma mère. Elle nous a même proposé de nous apprendre à faire des empanadas colombiens.

J'ai tourné la tête vers ma copine et elle a timidement souri.

—  C'est super, ça. Tu ne m'avais pas dit que tu savais en faire, lui ai-je dis.

—  Je ne te dis pas tout, a-t-elle répliqué avec un sourire malicieux.

On s'est dévoré du regard pendant quelques secondes puis ma mère a décrété :

—  Jules, je vais sortir avec Chloé. On va aller se couper les cheveux, on vous laisse.

—  Tu vas te couper les cheveux, Chloé ! me suis-je exclamé.

Elle a rit puis elle a hoché de la tête. J'adorais les cheveux de ma meilleure amie, ils étaient magnifiques.

—  Ils sont trop longs, a-t-elle ajouté.

—  Tu ne te fais pas de teinture ou je sais pas quelle autre merde, hein ?

—  Jules ! m'a réprimandé ma mère.

—  Pardon, maman.

J'ai entendu Athéna étouffer un petit rire.

—  T'inquiète pas Julio, je t'envoie une photo dès que je sors de chez le coiffeur si tu veux.

J'ai hoché de la tête.

—  Athéna, c'était un plaisir de te rencontrer, nous a coupé ma mère.

— Le plaisir était partagé, merci de m'avoir reçue Isabelle.

Ma mère lui a gentiment souri puis son visage s'est illuminé et elle lui a dit :

— Tu pourrais rester manger avec nous.

— Non, je ne vais pas vous déranger.

— Mais tu ne déranges pas, Chloé sera là elle-aussi.

Ma copine a tourné la tête vers moi comme pour demander si je voulais qu'elle reste dîner. J'ai donc répondu à sa place :

— Elle va manger avec nous.

— Génial, s'est réjouie ma mère. À ce soir, les amoureux.

Puis elle est partie avec ma meilleure amie, me laissant seule avec Athéna. Je me suis approchée d'elle et je l'ai embrassée. Je ressentais le besoin de m'assurer que ses lèvres ne changeaient pas de goût.

— Ta mère est super gentille.

J'ai souri.

— Elle devait être trop contente de te rencontrer.

Elle a rit.

— Je vais pisser, je reviens. Tu peux aller dans ma chambre, si tu veux.

J'ai fait un rapide aller-retour et j'ai retrouvé Athéna dans ma chambre. Elle regardait quelque chose qui avait l'air d'être posé sur mon bureau. Cela devait sûrement être des photos de famille que j'avais encadré.

Je me suis raclée la gorge et elle s'est brusquement retournée. Elle a essuyé des larmes, qui avaient coulé, avec rage et elle a évité mon regard. Mon cœur s'est affolé, qu'avait-elle ?

— Désolée, c'est ma curiosité qui m'a poussé à regarder. C'est très beau, tu ne m'avais jamais dit que tu écrivais des poèmes.

J'ai froncé les sourcils ne voyant pas de quoi elle parlait.

Le sourire des larmes, c'est toi qui l'a écrit pas vrai ?

J'ai immédiatement compris et j'ai faiblement hoché de la tête. J'adorais écrire, mais plus particulièrement écrire des poèmes. J'étais passionnée par la poésie depuis mon année de troisième. Les poètes évoquaient des sujets sensibles, en les effleurant à peine et cela me fascinait. Personne connaissait l'existence de cette passion, pas même Chloé.

Je me suis approché de mon bureau et j'ai attrapé le cahier où j'écrivais tous mes poèmes. Ce poème était une poème en prose, je n'en avais jamais écrit auparavant. Mes yeux ont couru sur le papier, à la rencontre des mots, des métaphores, des accumulations et de la ponctuation.

Le sourire des larmes

Je marchais dans le Quartier latin sur un trottoir étroit, mes bras se balançant au rythme de mon corps. Passa devant moi une femme au dos droit, au visage triste, au teint blafard, aux yeux larmoyants et à la pommette noire.
Tout à coup la vie s'arrêta et le ciel se mît à pleurer, à crier son désespoir.
J'imaginais au travers de cette femme la violence, ce qui me serra la gorge et me toucha au plus profond de mon être. Je n'arrivais plus à respirer. J'étais comme asphyxiée en l'imaginant sous les milliers de coups qui pleuvaient.
L'espace d'un instant, son regard éteint s'illumina lorsque je lui souris.
Peut-être avait-t-elle compris que je lui implorais de se défendre, de se battre et de croire en la vie ?
C'est en repensant à elle aujourd'hui, que je me dis peut-être qu'elle m'a aidée à être la femme libre que je suis.

— Cette femme, elle se fait frapper ? a-t-elle bafouillé la voix sanglotante.

J'ai lâché mon carnet et je l'ai prise dans mes bras, voyant qu'elle se remettait à pleurer. Je ne comprenais pas ce qu'elle avait.

— Oui, c'est à cause de ça que tu pleures mon trésor ? lui ai-je demandé en lui caressant le dos.

— Ça m'a rappelé le cas d'une patiente.

Je ne savais pas pourquoi, mais j'étais persuadé qu'elle me mentait. Je la connaissais bien maintenant, et j'avais remarqué que lorsqu'elle voulait éviter de parler de quelques choses, sa voix devenait promptement plus froide. Je n'ai pas insisté pour autant. Si elle désirait me parlait de quelque chose, elle le ferait.

— Je ne savais pas que tu écrivais des poèmes, a-t-elle répété en reculant la tête.

Ses yeux étaient rouges, malgré tout elle restait resplendissante. J'ai haussé les épaules.

— En réalité, personne ne le sait.

Ses yeux se sont écarquillés comme des pastèques.

— Mais pourquoi ! C'est super beau ce que tu écris.

— Je sais pas, c'est beaucoup trop personnel. C'est comme si j'étais nu. En lisant ses poèmes, tu découvres une partie de moi que je cache.

Un sourire est venu fendre ses lèvres, elle paraissait touchée de connaître cette partie de moi que j'essayais de cacher. Elle a attrapé mon visage en coupe, et a doucement posé ses lèvres. À chaque fois que je l'embrassais, j'avais l'impression de tomber de plus en plus amoureux d'elle.

— J'aime autant cette partie que tu caches, que celles que tu me laisses voir tous les jours.

Une bouffe de chaleur m'a surpris et mon cœur s'est mis à battre plus vite.

— Je suis censé comprendre que tu m'aimes ? ai-je osé lui demander.

Elle m'a souri, ses joues se sont empourprées et elle m'a répondu avec sa douceur habituelle :

— Je pense que oui.

J'ai souri et je l'ai embrassée, encore une fois. J'étais heureux. Je l'ai soulevée et je l'ai allongée sur mon lit en continuant de dévorer sa bouche. Ma main a glissé sous son débardeur et elle a commencé à titiller l'attache de son soutien-gorge.

— Jules ?

Je me suis arrêtée et mon regard est remonté jusqu'au sien.

— Je ne suis pas encore prête, je crois. Ça fait longtemps et j'ai envie d'attendre un peu.

J'ai acquiescé en lui souriant. Je comprenais parfaitement, et même si j'avais terriblement envie de découvrir son corps nu, je respectais ses volontés. Je me suis donc laissé tomber à côté d'elle et elle a entremêlé ses doigts aux miens.

— C'est quoi ton poème préféré ? m'a-t-elle demandé.

Le chat de Charles Baudelaire.

— Je ne le connais pas. Il parle de quoi ?

— Il compare le chat à la femme. Il dit que les femmes sont des êtres câlins et gentils mais qu'elles peuvent être destructrices et nocive.

— Il n'a pas tout à fait tord.

— Je pense que les femmes sont le simple reflet des hommes. Ils méritent ce qu'ils ont, tout simplement.

Elle a tourné la tête vers moi, un sourire aux lèvres.

— Tu as raison. J'espère donc que tu ne feras
jamais en sorte de me voir dévastatrice.

  
Ce jour-là, je n'ai pas compris pourquoi elle me disait ça. Elle me suppliait seulement de jamais lui faire du mal, bien que je n'en avais pas l'intention. Mais cela avait eu l'air plus profond que ça, comme si elle avait essayé de me faire part d'une faille de son passé.

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