•Chapitre 46• «Empty...»
ZÉLINA
Lylian et moi étions retournés au cimetière, silencieusement. Aucun de nous n'avait parlé pendant tout le trajet. Le silence m'allait bien, parce que j'avais plus besoin de réfléchir que de parler. Les mots ne pouvaient pas couvrir un centième de tout ce que j'aurais aimé exprimer.
La cérémonie touchait à sa fin lors de notre retour et seul un cercle restreint de personnes proches d'Elsa était toujours présent, pour assister, ensuite à l'incinération du corps. Cela m'allait bien. J'avais toujours l'impression que tous ces gens n'étaient venus que par pure hypocrisie.
Lorsqu'elle m'eut aperçut, Erika s'empressa de venir me voir, en pleurant, paniquée mais aussi soulagée de me voir de nouveau. La connaissant, elle avait dû s'inquiéter de pas me voir revenir immédiatement. Je la laissai me prendre dans ses bras, tandis que Matt s'entretenait avec Lylian, un peu plus loin.
Peu de temps après, nous nous rendîmes tous au crématorium. Seules les personnes connaissant le mieux Elsa furent autorisées à assister à la cérémonie. Matt, Lylian et Aaron restèrent à l'entrée du bâtiment morbide. Je ne me l'avouerai jamais, mais j'aurais aimé que Lylian reste avec moi ou, du moins, que je reste avec lui.
La crémation fut assez rapide. Les parents d'Elsa faisaient de leur mieux pour rester dignes, alors que Loup était totalement effondré. La petite sœur d'Elsa, Doris, demeurait silencieuse. La pauvre ne devait pas comprendre grand chose à ce qu'il se passait autour d'elle. Cela devait signifier beaucoup d'agitation et beaucoup d'inconnus.
Pour ma part, je ne pleurai pas. Mon quota de larmes avait été largement dépassé et mes glandes lacrymales ne prenaient plus de commande jusqu'au mois prochain.
Les cendres furent transmis aux Selly, qui s'emparèrent de l'urne, fébrilement. À cette vision, je ne pus m'empêcher de penser que c'était réellement terminé. Elsa ne reviendrait pas. Quand le corps est encore là, au sens matériel du terme, on ne peut pas s'empêcher de ressentir l'espoir impossible que la vie puisse le reprendre.
Sur le chemin du retour, personne ne dit rien. L'habitacle de la voiture était silencieux. Matt était au volant et Erika sur la place avant passager. Lylian et moi étions à l'arrière, séparés par Aaron, qui avait pris place au milieu de nous deux. Au bout d'un moment, Matt brisa quand même le silence, un peu gêné :
«-Hem...Lylian, tu comptes rentrer chez toi ce soir ou alors passer la nuit ici ?
-Je ne sais pas, je n'ai pas vraiment de plan, avoua ce dernier.
-Tu pourrais rester dormir chez nous, non ?»
La question s'adressait explicitement à Lylian et implicitement à moi. Je croisai le regard de Matt dans le rétroviseur et lui fis comprendre que cela ne me gênait pas. Il invita alors officiellement Lylian à venir chez nous.
Après cette petite discussion, le silence revint et personne n'osa le briser jusqu'à ce que Matt se gare devant chez nous. En sortant, les conversations reprirent peu à peu. J'écoutai vaguement ce qu'il se disait sans y prendre part. Matt s'entretenait surtout avec Lylian et prenait des nouvelles, tandis que Aaron et Erika s'étaient éclipsés pour faire je-ne-savais-quoi.
Je sortis mon téléphone de ma poche, chose que je n'avais pas fait depuis presque une semaine. Mis à part une bonne dizaine de mails, étant, pour la plupart, des pubs, j'avais quatre messages datant d'aujourd'hui. Un de Callum, un d'Evan, un de Lorrie et un de Solène.
Callum, Evan et Lorrie s'excusaient de ne pas avoir pu assister à l'enterrement. Les jumeaux étaient conviés au mariage de leur oncle qu'ils qualifiaient de "fasciste", tandis que Lorrie était chez son père, à Lyon. Je leur répondis machinalement. Le message de Solène me fit monter les yeux aux larmes, malgré la grève de mes glandes lacrymales. Je le relus plusieurs fois, en me disant que cette femme savait toujours trouver les bons mots et que si elle n'avait pas fini chanteuse, elle serait sûrement poète.
"Une étoile s'éteint, alors qu'une autre continue de briller. L'extinction de l'une ne doit pas interférer sur l'autre. Elle doit continuer sa route céleste, elle doit continuer de nous éblouir et de nous impressionner. Quant à l'autre, elle restera gravé dans nos mémoires, comme le soleil se graverait sur notre rétine après l'avoir regardé trop longtemps.
Courage à toi.
SH."
Je pris le temps de lui écrire en retour, sans vraiment trouver les bons mots, mais j'envoyai quand même ma réponse. Ensuite, je me rendis au rez-de-chaussée pour dîner. Lorsque j'arrivai près de la table, je me fis la réflexion qu'elle était bien remplie, avant de me rappeler que Lylian et Aaron mangeaient avec nous ce soir. Malgré la table entièrement emplie par les cinq couverts, je me sentais vide.
Le repas débuta avec le même silence que lorsque nous avions quitté la voiture. Personne n'osait vraiment parlé, comme s'il avait peur que ce ne soit pas approprié au contexte. On avait presque l'impression que l'âme d'Elsa rôdait dans la pièce, telle une menace fantôme. Pourtant, au bout d'un moment, Erika rompit le silence :
«-Hem... Matt et moi avions quelque chose à vous dire...»
Un silence accueillit sa déclaration. Pour ma part, j'étais encore perdue dans le message de condoléances que m'avait envoyé Solène. Il ne s'effaçait décidemment pas de ma tête.
Une étoile s'éteint, alors qu'une autre continue de briller...
«-Hem... bon... je..., balbutia Erika.»
Matt posa une main sur celle de sa femme. Perdue dans mes pensées, je ne remarquai même pas qu'une larme d'émotion roula sur sa joue.
L'extinction de l'une ne doit pas interférer sur l'autre.
«-Je suis enceinte, finit-elle par lâcher.»
Elle doit continuer sa route céleste, elle doit continuer de nous éblouir et de nous impressionner.
Aaron lâcha un cri de joie, avant de sauter sur Erika, pour la prendre dans ses bras, en criant :
«-Je le savais ! Je le savais !»
Quant à l'autre, elle restera gravé dans nos mémoires, comme le soleil se graverait sur notre rétine après l'avoir regardé trop longtemps.
«-Comment ça, tu le savais ? rigola Matt au comble du bonheur.
-Tu ne caches pas bien tes tests de grossesse ! s'exclama ce dernier.»
Lylian félicita les deux futurs parents, Aaron parlait déjà du sexe du bébé, Matt embrassa sa femme avec passion, Erika pleura de joie.
Et moi, j'étais totalement étrangère à cette joie. J'avais l'impression d'avoir quitté mon enveloppe corporelle et que mon corps ne réagissait plus à rien. Mon âme, elle, se baladait quelque part entre la Terre et la Lune, vagabonde.
«-Zélina ?»
Une voix lointaine me parvint et j'eus soudain envie d'échapper à tous ces regards sur moi.
Précipitamment, je me levai, expulsant ma chaise un peu plus loin et fuis. Je fuyai cette joie débordante, ces regards interrogateurs. Je fuyai mon égoïsme, mon vide. Je fuyai le regard blessé de ma tante, celui soudain triste de Matt. Je fuyai soudain ce monde auquel je n'arrivais pas à m'aclimater.
Ce fut une fois dans ma chambre que je me rendis compte que j'avais retenu ma respiration pendant tout ce temps. Je m'allongeai sur mon lit, mes yeux fixant le plafond, tout en ordonnant à mes poumons de reprendre de l'air. Peu à peu, j'eus l'impression de redevenir quelque peu maître de mon corps.
Quatre coups sur ma porte puis une voix :
«-Zélina ? Je peux entrer ?»
Erika. Dans sa voix se lisait une souffrance perceptible. Une souffrance qu'elle ne devrait pas ressentir à ce moment. Savoir que j'en étais la cause me fit encore plus mal.
Erika entra, malgré mon absence de réponse. Elle resta dans l'encadrement de la porte, puis finit par briser le silence :
«-Je n'aurais pas dû annoncer ça ce soir. Je... je sais que c'est encore tôt... et...»
Je ne la laissai pas terminer sa phrase et je vins entourer mes bras autour de ma tante. Si elle resta quelques secondes surprises, elle finit par me rendre mon étreinte, et je perçus nettement son soulagement.
Je me détachai d'elle et posai une main sur son ventre encore plat. Je ne savais si c'était parce que je venais de l'apprendre, mais je fus persuadé de sentir quelque chose remuer en elle.
«-Tu le sais depuis quand ? soufflai-je, d'une petite voix.»
Erika eut un sourire triste.
«-Lundi, mais je... je voulais attendre que tout ça soit fini... J'aurais mieux fait d'attendre encore...
-Non, murmurai-je, avant de reprendre plus haut : Non ! C'est... c'est génial, Rika ! C'est juste que... enfin, je ne sais pas ce qu'il m'apris... Excuse-moi.»
Erika secoua la tête et releva mon menton baissé avec sa main.
«-Non, il n'y a rien à excuser. Ta réaction était tout à fait normale. J'ai pensé que cela pouvait égayer cette journée et puis, je ne pouvais plus le garder pour moi, je suis tellement...»
Elle chercha son mot.
«-Heureuse, conclut-t-elle.»
Je voyais bien qu'elle essayait de contenir sa joie, mais je ne pouvais pas lui en vouloir. Voulant faire pardonner ma réaction égoïste de toute à l'heure, je blaguai :
«-Où est passée ma Rika qui affirmait ne vouloir jamais d'enfants, ni de mari ?»
Je parvins même à décocher un petit sourire, tandis qu'Erika sourit franchement.
«-Une rencontre peut bouleverser tous vos souhaits, même les plus chers, expliqua-t-elle.»
Erika me reprit dans ses bras et nous restâmes ainsi plusieurs longues minutes, durant lesquelles je me sentis bien. Je commençai tout juste à comprendre le sens du message de Solène.
Elle doit continuer sa route céleste, elle doit continuer de nous éblouir et de nous impressionner.
***
Allongée dans mon lit, je ne parvenais pas à trouver le sommeil. Je n'arrivai pas à effacer de ma tête le regard blessé d'Erika, quand elle m'avait vu fuir la table. Un puissant sentiment de culpabilité me pressait le ventre et je ne parvenais pas à m'en défaire. J'avais l'impression d'avoir brisé le bonheur de Rika et cela me rendait malade.
Torturée par mes pensées sempiternelles, je finis par me lever, pour me passer un peu d'eau sur le visage. On avait beau être presque en hiver, mon corps était en feu. Je restai quelques minutes à contempler mon reflet sombre dans le miroir, puis je soufflai :
«-Egoïste !»
Ce fut alors que j'eus l'envie irrépressible d'aller parler à quelqu'un. Enfin, pas à n'importe qui. J'avais envie, j'avais besoin de lui parler.
Je descendis les marches de l'escalier le plus discrètement possible, afin de ne pas réveiller le couple de futurs parents. Autant qu'ils arrivent à faire des réserves de sommeil avant l'arrivée de l'enfant.
Dans le salon, le canapé avait été déplié pour Lylian. Ce dernier ne dormait pas. Il était assis sur son lit et ne parut même pas surpris quand j'arrivai près de lui. Il me fit signe de m'asseoir, ce que je fis. Je demeurai silencieuse quelques instants, avant de commencer :
«-Je suis désolée de t'avoir traité d'égoïste toute à l'heure. Je... je me rendus compte que je ne valais pas mieux...
-Si cela peut te rassurer, personne ne peut être pire que moi, rétorqua Lylian, avec un petit sourire triste aux lèvres.
-Dans ce cas, le monde serait bien beau.»
Alors que Lylian me regardait fixement, je me sentis rougir. Heureusement, l'obscurité masquait mon visage et Lylian n'était pas témoin du spectacle qu'offraient mes joues.
Alors que le silence s'était installé, Lylian prit la parole, d'une voix douce et protectrice :
«-Ça va ? Tu tiens le coup ?
-Je suppose, répondis-je, honnêtement.»
La main de Lylian se posa sur la mienne et je fus parcourue d'un frisson qui n'avait rien de désagréable. Ayant dû l'interpré terautrement, Lylian s'empressa de retirer sa main. La mienne paraissait désormais froide et seule, mais je me gardai bien de le dire à voix haute.
«-Je suis sûre que tu feras une parfaite grande soeur, admit Lylian.»
Malgré l'obscurité, je devinai un sourire s'étendre sur ses lèvres. Ne désirant pas vraiment parler de ça, je changeai de sujet :
«-Alors comme ça, ton père est Tim Johnson ?
-Ouais.»
Son "ouais" recelait de sentiments multiples, mais je fus incapable de les identifier. Sentant ce sujet sensible, je passai à nouveau à autre chose :
«-J'ai rencontré Julyan.»
Cette fois, Lylian se retourna complètement vers moi. Je lui narrai alors l'histoire en omettant le fait que Julyan m'avait avoué être amoureux de lui, jugeant cela trop personnel, d'autant plus que je n'étais pas la meilleure personne pour lui apprendre cela.
À son tour, Lylian raconta ce qu'il s'était passé de son côté. Il me narrait toute l'histoire avec Stanley Madeine, son voisin qui lui en voulait pour une raison obscure, puis celle de Thomas. Je fus horrifiée d'apprendre qu'il avait tenté de se suicider. Dans ma douleur, je n'avais même pas songé à celle des autres. Il eut beaucoup de difficultés à parler de cela mais je le soutins mentalement jusqu'à la fin de son histoire.
Lorsque le silence retomba enfin dans le salon, je me rendis compte qu'avec Lylian à mes côtés, je me sentais complète.
Fatiguée, je remontai me coucher dans mon lit, après avoir souhaité une bonne nuit à Lylian. Je m'endormis lorsque ma tête toucha mon oreiller, assommée par cette journée marquante.
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