•Chapitre 45• «How to end...»

LYLIAN

Sans que personne ne s'y attende, Zélina s'était mise à courir. Elle s'éloignait à une vitesse vertigineuse du cimetière, guidée par une pulsion qui lui dictait de fuir. Sans hésiter, je partis à sa suite.

Je ne savais pas vraiment comment m'était venu l'idée de venir à cet enterrement. La venue du médecin ainsi que le mot de Thomas avait déclenché une volonté de sauver ce qu'il me restait encore. Je ne m'étais pas rendu compte avant de lire le mot de Thomas que j'avais encore la chance de pouvoir réparer les choses que j'avais brisé. Zélina, elle, était toujours en vie, et c'était tout ce qui comptait maintenant.

«-Zélina ! l'appelai-je, sentant que ma jambe commençait à me faire défaut.»

Elle ne se retourna pas, et je n'étais même pas sûr qu'elle m'aitentendu. Je continuai de la suivre, ignorant la douleur qui commençait à irradier ma jambe droite.

Zélina, ayant sûrement remarqué qu'elle était suivie, bifurqua soudainement à gauche dans un sentier sinueux qui s'enfonçait dansune forêt peu accueillante. Je la suivis, ne voulant pas la laisser tomber dans un moment pareil.

L'expérience m'avait appris que la souffrance nous poussait à nous éloigner et à nous isoler alors que le seul remède était justement de s'ouvrir aux autres, de refonder un contact avec le monde extérieur.

Les branches libres des arbres m'écorchaient le visage et ma jambe me hurlait de m'arrêter mais je ne l'écoutai pas. Je n'écoutai pas ma raison, ni ma jambe, ni ma douleur. Juste mon coeur.

Zélina semblait infatigable. La douleur et la souffrance lui donnaient des ailes. Elle était dans une sorte de transe qui l'empêchait de ressentir la fatigue ou l'épuisement, tout ce qui comptait à ce moment-là, c'était de s'enfuir et de ne jamais revenir. De se perdre dans l'abîme de sa souffrance pour ne plus jamais en sortir. Il fallait absolument que je l'en empêche.

Le sentier jusque là plutôt net et dessiné finit par se perdre parmiles arbres, mais Zélina ne descellera pas. La faune devint plus dense et il fut d'autant plus compliqué d'avancer, parce qu'il fallait faire constamment attention de ne pas tomber. Les racines des arbres formaient pernicieusement des pièges naturels. La nature toute entière semblait s'être tue pour regarder notre course-poursuite mélodramatique à travers cette forêt.

Je gémis lorsque ma jambe lança une décharge à tout mon corps pour le forcer à s'arrêter. Cela faisait trop longtemps qu'elle n'avait pas eu à subir un tel effort.

«-Zélina, s'il te plaît ! la suppliai-je.»

Elle ne s'arrêta pas pour autant, pourtant, je fus persuadé que, cette fois, elle m'avait entendu.

Un courant d'air frais fit voltiger autour de nous une flopée de feuilles colorées par l'automne et tous les oiseaux cessèrent de chanter à notre passage, avant de reprendre leur train-train quotidien lorsque nous nous étions assez éloignés. Nous étions comme deux molécules d'air perturbées par le son, qui modifiaient temporairement et localement le milieu que nous traversions. Tôt ou tard, nous retrouverons notre position initiale.

Soudain, ma jambe se révolta et, refusant de me porter plus longtemps, cessa toute activité et je m'écroulai sur le sol, dans un râle. Je roulai plusieurs fois sur moi-même avant de terminer sur le dos, essoufflé et sonné. Je toussai plusieurs fois, puis finis par me relever, en pestant, persuadé que Zélina en avait profité pour filer.

Pourtant, sa silhouette se découpa devant moi, en contre-jour, sur l'expectative. Elle semblait être sur le point de reprendre sa course, tout en se demandant si c'était la meilleure chose à faire.

«-Zélina, commençai-je, en essayant d'avoir l'air calme et posé. Laisse-moi t'aider.»

Son corps entier tremblait.

«-Personne ne le peut.

-Laisse-moi au moins essayer, soufflai-je.»

Le vent apporta mes paroles à Zélina, dont les larmes coulaient silencieusement sur ses joues.

«-Je ne veux pas qu'on m'aide, rétorqua-t-elle.

-Tu en as besoin, objectai-je.»

Elle secoua la tête, négativement, autant pour me convaincre moi que pour se convaincre elle. Elle semblait totalement dépassée par les évènements.

Sa robe noire était toute froissée et son collant, pourtant épais et opaque, était déchiré à plusieurs endroits. Son maquillage avait coulé et ses cheveux, autrefois remontés en queue de cheval retombaient maladroitement sur ses épaules, voûtées, peinant à supporter le poids de sa souffrance.

Soudain, un éclair de colère passa dans ses yeux et elle cria :

«-Qu'est-ce que tu fais là hein ? Tu es comme eux ! Comme eux tous ! Tu es venu là juste pour regarder les autres souffrir ! Parce que la souffrancedes autres te fait momentanément oublier que tu mènes une vie totalement inintéressante et minable !»

Le souffle court, elle s'arrêta de parler. Ses yeux étaient animés par une sorte de folie qui la poussait à faire déferler tout ce qu'elle tentait de garder pour elle depuis si longtemps. Je la laissai parler, sachant que c'était le meilleur moyen de la faire évacuer.

«-Tu es là juste pour me voir souffrir hein ? reprit-elle sur le même ton. C'est bon, tu es content ? Tu m'as vu m'effondrer et tu es passé pour le héros qui était là pour me soutenir ! Mais la réalité, c'était que tu n'as jamais été là pour moi Lylian ! Tu m'as laissé alors que j'avais besoin de toi, tu m'as abandonné et tu m'a accusé d'avoir dénoncé ton père, alors que je n'ai rien fait. Tu as tout rejetté sur moi, parce que c'était trop dur d'accepter que tu étais faible. Tu...

-Zélina, soufflai-je.»

Mon coeur battait à tout rompre et ma respiration était saccadée. Les mots de Zélina me transperçait tels une quantité infinie de poignards aiguisés. La douleur de ma jambe n'était rien comparée à celle créée par la simple force de ses mots.

«-Tu es égoïste Lylian. Mais ça tu dois commencer à le comprendre, vu le nombre de fois où je te l'ai dit.»

Zélina éclata d'un rire amer et hystérique. Elle cédait petit à petit à la folie de sa douleur.

«-Zélina, s'il te plaît, écoute-moi..., plaidai-je.

-Quoi ? T'écouter ? Je ne fais que ça t'écouter ! Et à chaque fois, c'est la même chose ! Tu vas me dire que tu es désolé, que tu ne recommenceras plus... mais tu finiras par refaire les mêmes erreurs, Lylian.

-Je peux essayer de ne plus les faire, soufflai-je, les larmes aux yeux, abattu.»

Zélina ne dit rien et se tut soudainement, comme si elle avait un manque soudain d'inspiration.

Puis, aussi vive que l'éclair, elle fondit sur moi et commença à me frapper le torse, comme si sa vie en dépendait. Je tentai de la calmer, mais à chaque fois, elle se libérait de mon étreinte et recommençai. Malgré la douleur que cela me procura, je compris que je ne pouvais rien faire pour l'arrêter. C'était une façon de chasser ses démons.

Au bout d'un moment, Zélina stoppa, à bout de souffle, épuisée. Son corps devait petit à petit réaliser tout l'effort qu'il venait de fournir pendant les trente dernières minutes. Elle s'effondra, mais je la rattrapai et la déposai doucement contre un tronc d'arbre renversé. Ses yeux regardaient dans le vide. Alors que toute à l'heure, elle semblait possédée par une force surhumaine qui lui avait permise de courir des mètres sans s'épuiser, là, elle semblait totalement vidée de toute énergie, comme si se mettre en colère lui avait tout enlever, aussi brutalement que ça lui était venu.

Je m'assis à côté d'elle, en grimaçant quand ma jambe droite toucha le sol. Je l'allongeai sur le sol et essayai de penser à autre chose que la douleur de mon corps meurtri.

«-Tu as mal ?»

Zélina regardait ma jambe. Je haussai les épaules, puis finis par soulever :

«-J'imagine que je le méritais.»

Zélina resta silencieuse.

Autour de nous, la nature reprenait peu à peu ses droits. Il faisait froid, mais c'était supportable. Le silence commençant à prendre place, je murmurai :

«-Matt m'a dit un jour que la vie était toujours belle et qu'il suffisait simplement de trouver le bon point de vue.»

Zélina sembla méditer la phrase quelques instants jusqu'à ce qu'elle dise:

«-Comment on trouve le bon point de vue ?»

En effet, la question n'était pas de savoir si il était vrai que la vie était toujours belle, mais plutôt de s'interroger sur la manière de trouver ce point de vue.

«-Aucune idée.»

Un petit sourire, timide mais réel, alluma le visage de Zélina. Elle tourna ses yeux vers moi et je la fixai. Même si son maquillage avait coulé, Zélina restait toujours belle. Mes yeux descendirent sur ses lèvres, sans que je puisse m'en empêcher. Mon coeur rata un battement, avant d'entamer une course affolante dans ma cage thoracique. J'eus soudain beaucoup trop chaud.

«-Lylian, soufflaZélina qui avait deviné mes intentions. On ne peut pas.»

Je la dévisageai, tandis que la déception envahissait mon corps. Zélina dut à nouveau percevoir qu'elle m'avait blessé, car elle détourna son visage qui se ferma automatiquement. Je repris ma position, dos callé contre le tronc d'arbre, et regardai en face de moi, luttant contre une envie irrépressible de la regarder elle.

«-On ne peut pas oublier qu'on ne sait pas qui est ton père, murmura Zélina.»

À ce propos, mon rythme cardiaque se chargea de faire augmenter à nouveau ma température corporelle.

«-Si. Moi je sais, dis-je paisiblement.»

Je sentis le regard de Zélina se poser sur moi et elle retint souffle. Je luttai avec plus de ardeur pour éviter de la regarder.

«-J'ai regardé. J'ai lu la lettre. En entier.»

Je ne savais pas si elle avait envie de savoir. Elle devait se dire que savoir ou non qui était mon père biologique ne changerait rien, parce qu'elle avait réussi à tourner la page sur notre relation, contrairement à moi. Malgré tout, je le lui dis, parce que j'avais envie de m'entendre le dire à voix haute, pour le rendre plus réel :

«-Tim Johnson est mon père biologique.»

Zélina n'eut aucune réaction. Je gardai les yeux fixés devant moi, sur la forêt qui semblait ne jamais en finir.

Au bout d'un moment, je sentis quelque chose se poser sur mon épaule. Zélina venait d'y déposer sa tête. Je tressaillis légèrement, mais ne la repoussai pas. Je n'en avais pas envie. À ce moment-là, je n'avais qu'une seule envie : que le temps s'arrête.

ZÉLINA

Je ne savais pas comment terminer la lettre que je devais t'écrire, Elsa. Maintenant je crois que je sais. Alors voilà, un jour, quelqu'un m'a dit que la vie était toujours belle, il suffisait simplement de trouver le bon point de vue. Je vais faire ça pour toi, Elsa. Je vais trouver le bon point de vue. Je te le promets.

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