•Chapitre 41• «I have to find him...»

LYLIAN

À peine la boisson fortement alcoolisée fut-elle entrée en contact avec ma gorge, que je recrachai tout dans le verre, dégoûté. Je ne savais pas comment certaines personnes pouvaient supporter cette brûlure atroce que provoquait l'ingurgitation d'une telle boisson. Je passai une main sur ma gorge, persuadé que celle-ci était enflammée. Je me raclai plusieurs fois la gorge, essayant de me débarrasser du goût amer qui me parcourait le palet et tout l'œsophage. J'entendis quelques rires autour de moi, mais je les ignorai.

«-Hé, gamin ça va ?»

Encore le même serveur. Il allait finir par se dire que certains de ses clients étaient définitivement étranges.

Je hochai péniblement la tête et repoussai le verre loin de moi. Hors de question que je touche à nouveau à cette liqueur. D'une main tremblante, je sortis un billet de ma poche et le tendis au serveur. Il s'en saisit et s'apprêta à me rendre la monnaie, quand je lui dis :

«-Gardez la monnaie.»

Ma voix était rocailleuse et abîmée. On aurait dit qu'elle n'avait pas servi depuis des lustres.

Malgré sa surprise, le serveur opina du chef et rangea précieusement l'argent dans sa caisse électronique. Ignorant les regards simultanément outrés, amusés et sceptiques des clients du bar, je titubai jusqu'à la sortie.

Ce fut le contact avec le froid mordant de l'extérieur qui me réveilla entièrement. Ce fut un peu comme si l'on venait de me lancer un seau d'eau gelée sur la tête. Le choc fut le même. Un frisson me parcourut le corps et mes yeux clignèrent plusieurs fois, comme pour essayer de repérer leur environnement. Puis une pensée vint à moi.

Il fallait que je le retrouve.

Absolument.

Ne sachant pas où il était allé, je laissai mes pas décider de la direction à prendre. Je parcourus les rues tel un fantôme sans véritable but. Mes pensées étaient gelées, comme l'air environnant. Je n'arrivais pas à penser à quelque chose de cohérent. À vrai dire, tout était centré autour d'Elsa et de sa mort si brutale et inattendue. J'étais encore sous le choc et peinai à réaliser la terrible vérité. C'était comme si soudainement le monde était devenu plus sombre, plus effrayant.

Malgré le ciel dégagé, je me sentis oppressé et enfermé. J'avais l'impression de ne plus avoir le contrôle de rien. Tout m'échappait, toute once de maîtrise me fuyait. J'étais emprisonné par mes propres pensées.

Guidé par mes propres pas, je me surpris en train de courir sur le trottoir, bousculant sans ménagement tous ceux qui avaient le malheur de se mettre en travers de mon chemin. Les insultes des passants ne me touchaient pas. Mes oreilles ne les captaient pas. J'attirais les regards amusés ou énervés des passants, comme un aimant. Je savais que j'avais sûrement l'air d'un fou furieux, mais qui ne l'a jamais été ?

Je traversai une route, sans même prendre le soin de regarder si elle était libre. J'entendis vaguement un coup de frein aigu et un klaxon mécontent. Qu'importe. Je poursuivis ma route, sans regarder en arrière.

Une pensée m'obsédait. Et si j'arrivais trop tard ? Et si Thomas avait finalement décidé de ne plus supporter le poids que la vie venait de lui mettre sur les épaules ? Ma gorge se noua à cette pensée et la force de mes muscles n'en fut que décupler. Je foulai l'asphalte, en me frayant un chemin parmi les gens qui s'écartaient, effrayés. On se serait cru dans un de ces films d'action où le gentil flic poursuivait le grand méchant à travers New-York. Sauf que nous n'étions pas à New-York. Je n'étais pas le gentil flic et Thomas n'était pas le grand méchant. Et nous n'étions encore moins dans un film.

Je reconnus alors où me guidèrent mes pas. Chez Thomas. Je m'arrêtai à bout de souffle devant sa maison qui se dressait fièrement au bord de la route. Je n'étais même pas sûr qu'il était ici. Je n'étais sûr de rien.

Cependant, sans plus hésiter, je me précipitai vers la porte d'entrée et l'ouvris à volée, sans même prendre le soin de toquer pour signaler ma présence. Je pénétrai dans l'habitation sans descélérer et j'entendis vaguement le père de Thomas faire une réflexion étonnée. Je manquai de trébucher sur l'une des petites sœurs de Thomas et montai quatre à quatre les marches de l'escalier. Je ne réduisis mon allure que lorsque je fus devant la porte de la chambre de mon ami. 

Celle-ci était grande ouverte et je risquai un regard à l'intérieur. Thomas était là, allongé paisiblement sur son lit, les yeux clos. Il semblait être tellement bien, que j'hésitai à entrer. 

Soudain, mes yeux se posèrent sur une petite boite blanche déposée sur la table de chevet. Mon sang ne fit qu'un tour quand je m'aperçus qu'il s'agissait d'une boite de somnifères. Je m'empressai de m'en saisir et remarquai avec effroi qu'elle était vide.

Je courus jusqu'en bas et me jetai sur le père de Thomas.

«-Il en restait combien ? vociférai-je, en brandissant la boite de somnifères.»

Monsieur Janney demeura quelques instants immobile et silencieux, ses yeux faisant des aller-retours entre mon visage et la boite de médicaments.

«-Ah... Tu as retrouvé ma boite de somnifères ?»

La colère battait contre mes tempes. Je dus prendre sur moi pour ne pas me jeter sur l'homme qui se tenait négligemment face à moi. Je vous jure que si les trois petites sœurs de Thomas n'avaient pas été là à me regarder avec effroi crier sur leur père, je l'aurais frappé.

Je jetai la boite sur le sol, avec colère, et remontai les escaliers, sans prendre le temps de répondre à Monsieur Janney qui me demandait où j'avais retrouvé ces "précieux"médicaments.

De nouveau dans la chambre de Thomas, je pris son pouls, le coeur battant à tout rompre. Ce fut avec soulagement que je le trouvai, faible mais présent. 

Sans hésiter, je me saisis de mon téléphone et composai le numéro des urgences, frénétiquement. Une femme me répondit. Je lui exposai la situation, tandis qu'elle essayait de me calmer. Je parvins tout de même à être assez clair et elle m'assura qu'une ambulance allait arriver. Pendant ce temps, elle me conseilla de rester près de la victime et de lui parler.

Après avoir raccroché, je m'assis sur le bord du lit et attrapai la main de Thomas. Cette dernière était froide et semblait être faite de porcelaine. Je la serrai aussi fort que je pus, en essayant de me convaincre que tout n'était pas encore fini pour lui.

«-Tommy ? Tu m'entends ?»

La respiration apaisée de mon ami ne parvint pas à calmer la mienne. J'avais l'impression d'être totalement impuissant.

«-Tommy, je t'en supplie, reste...»

Je savais pertinemment que je me montrai totalement égoïste en lui demandant ça, alors que quelques mois auparavant j'étais à sa place. Mais c'était plus fort que moi. Je ne pouvais pas le laisser partir comme ça.

«-Tu te rends compte que tu deviens aussi con que moi à essayer de mettre fin à tes jours ?»

J'entendis un grognement presque imperceptible de la part de Thomas. Mon coeur bondit dans ma poitrine. Il était vivant ! Alors que l'excitation et l'appréhension me gagnaient simultanément, je continuai de lui parler :

«-Tommy, tu ne peux pas partir comme ça. Pense à Elsa, elle n'aurait pas voulu ça.»

La main de Thomas tressauta dans la mienne. Je ne savais pas s'il comprenait ce que je disais, mais en tout cas, il m'entendait.

«-Tu sais quand je t'ai dit que je ne savais pas qui était mon père, c'était vrai. Je n'aurais sûrement pas dû te l'apprendre dans de telles circonstances, mais je n'ai jamais osé te le dire. Je me disais que tu avais d'autres problèmes comme ça.»

Nouveau mouvement de la part de Thomas.

«-Ma mère ne sait pas de qui elle est tombée enceinte entre Tim et Edward. Ouais le père de Zélina. Ça craint.»

J'avais sûrement l'air d'un idiot à parler tout seul, mais cela me fit du bien. C'était la première fois que j'osai évoquer cela à voix haute et c'était assez libérateur.

«-J'ai fait des tests, tu sais. Pour savoir lequel des deux étaient mon père. Le vrai. Le biologique. Et puis, le jour où je les ai reçus, j'ai été incapable de lire ces foutus résultats.»

Sans même m'en rendre compte, j'avais haussé la voix, si bien que je n'entendis pas au loin retentir la sirène de l'ambulance.

«-À chaque fois que j'essaye, je n'y arrive pas. Pourtant, je m'étais promis que je l'ouvrirai le jour où je reverrai Zélina. Ce jour est arrivé et je n'ai pas pu. J'étais trop aveuglé par la colère. Je me disais que cela importait peu. Mais en fait si. Ça importe. Tu sais pourquoi ?»

J'avais le souffle court et je remarquai à peine que je m'étais mis à pleurer.

«-Tu sais pourquoi ? répétai-je, comme si Thomas allait me répondre d'une minute à l'autre.»

Soudain, la pression que Thomas exerçait sur ma main lâcha brusquement et le bras de mon ami retomba inerte sur le matelas. 

Au même moment, la porte de la chambre s'ouvrit en grand. Trois brancardiers, solidement bâtis, entrèrent et me poussèrent sans ménagement. Un médecin s'approcha de Thomas tandis qu'un autre expliquait la situation au père de mon ami qui semblait à peine concerné. 

Tout se déroula très vite par la suite. Et, quelques minutes plus tard, le calme était retombé sur la maison des Janney. La sirène de l'ambulance qui avait emmené Thomas s'atténuait à mesure qu'elle s'éloignait. Le père de Thomas était montée dedans après avoir demandé à la voisine de garder les enfants. Personne n'avait fait attention à moi.

Parce que je l'aime encore.

Je n'étais même pas parvenu à dire à voix haute ce que toute mon âme hurlait au fond de moi. J'étais pitoyable.

Je descendis les marches de l'escalier, comme dans une autre dimension. Accaparée par tous les enfants, la voisine ne prêta même pas attention à ma sortie de la maison. Je sortis dehors, sans qu'il n'y ait eu vent de ma présence dans cette maison.

Je marchai calmement jusqu'à chez moi, le coeur lourd et l'esprit inquiet. Étrangement, le trajet fut plus rapide que prévu. Quand je fus entré, ma mère me sauta dessus, déversant un torrent de larmes, me criant à moitié dessus, disant qu'elle s'était inquiétée toute la journée, qu'elle avait tenté de me joindre une centaine de fois, qu'elle avait hésité à appeler les flics. Puis, elle me demanda où était sa voiture. Ce fut à ce moment-là que je me rappelai qu'elle était encore garée près du café dans lequel Thomas et moi nous étions rendu cette après-midi.

Je repoussai ma mère, ses cris et ses pleurs me donnant la migraine, et me dirigeai droit vers ma chambre, toujours sans avoir prononcé unseul mot. Je m'assis sur mon lit et sortis du dessous du matelas une enveloppe blanche. Je l'ouvris, tremblant et sortis la feuille de l'analyse des résultats de ma prise de sang. Et cette fois, je la lus en entier.

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