•Chapitre 26• «Imagine if...»
ZÉLINA
Je passai une bonne partie de la nuit à discuter avec Elsa. Nous parlâmes de tout et de n'importe quoi, en évitant le sujet qui fâchait.
J'essayai de rigoler aux blagues (nulles) d'Elsa, mais je ne parvenais pas à chasser l'image de Lylian, s'effondrant sur l'herbe. Ça me hantait et je ne pouvais pas m'empêcher de me sentir affreusement coupable.
J'avais même hésité à prendre des nouvelles, rongée par la peur qu'il lui soit arrivé quelque chose sur le trajet à cause de son état, mais je me ravisai en songeant que ce n'était pas forcément une bonne idée et que, de toute façon, s'il lui arrivait quelque chose, je le saurais bien d'une manière ou d'une autre.
Mon cerveau était un véritable champ de bataille où s'affrontaient diverses émotions aussi opposées que complémentaires. Je n'arrivais d'ailleurs pas à mettre un nom sur toutes les émotions qui me traversaient. C'était un peu comme si j'étais face à une palette couverte de toutes les teintes de peinture possibles et que j'étais dans l'incapacité de trancher sur celle qui serait le plus adaptée à mon humeur.
Finalement, je m'endormis aux alentours de quatre heures du matin, épuisée et harassée.
***
Je fus réveillée vers midi, quand de l'agitation se fit entendre au rez-de-chaussée. Je me levai, les traits encore tirés par la fatigue. Je remarquai alors qu'Elsa n'était plus là, sûrement déjà levée. Elle était de toute façon réputée par se lever très tôt, même après une nuit plutôt courte.
Je m'habillai rapidement, en enfilant un jean noir et un sweat gris, couleurs qui reflétaient assez bien mon humeur actuelle.
En bas, Rika, Matt et Elsa, ainsi que les quelques invités qui étaient restés pour la nuit s'activaient pour remettre de l'ordre dans la maison et le jardin. Il était vrai qu'on avait presque l'impression qu'un ouragan était passé dans la propriété.
Dehors, les tables étaient encore couvertes d'assiettes et de couverts en tout genre. Des papiers voletaient un peu partout. À l'intérieur, la cuisine se résumait en un tas de vaisselle sale. Le salon était dérangé après avoir accueilli plus d'une cinquantaine de personnes.
«-Bien dormi Zéli ?»
La voix de ma tante me tira de mes contemplations. Je hochai la tête en baillant de manière pas très distinguée.
Je m'empressai alors d'aller aider. Je commençai par débarrasser les tables. Au moment de jeter les nappes, je tombai sur le dessin de Maëlys. Je sentis mon coeur se serrer et les larmes me brûler les yeux, mais je roulai en boule le papier et le jetai directement dans la poubelle.
Pendant plus de deux heures, nous rangeâmes, jetâmes, triâmes, lavâmes, balayâmes, récurâmes, jusqu'à ce que la maison retrouve son allure d'antan. Une fois le travail fait, nous préparâmes un repas (à deux heures de l'après-midi) avec tous les restes du banquet d'hier. Même après ce deuxième repas, il en restait toujours. De toute façon, il reste toujours des restes après un repas conséquent. C'est inévitable.
Après le repas, Elsa et moi prîmes deux heures pour faire nos devoirs du week-end (qui consistaient surtout en quelques exos de physique et un texte à lire en philo) et nous décidâmes de sortir nous promener.
Instinctivement, nos pas nous menèrent dans notre endroit, la cascade cachée dans la forêt. Je n'y étais pas retournée depuis les grandes vacances et cela me fit du bien de sentir à nouveau toute cette nature à l'état sauvage vivre autour de moi.
Comme il faisait bien trop froid pour se baigner, nous restâmes assises près du petit lac, Elsa comblant le silence en proposant des "Imagine si...". C'était un jeu qu'elle et moi avions créé quand nous étions entré au collège, histoire de s'occuper pendant les cours de latin, aussi ennuyeux qu'inutiles. Une d'entre nous proposait une phrase commençant par "imagine si..." concernant l'autre et celle-ci devait refaire le récit de sa vie en prenant en compte le changement opéré par la première. Cela donnait parfois des vies étranges, totalement différentes des nôtres. Comme quoi une simple chose peut tout changer.
«-Imagine si tu avais dit oui à Maximillien.»
Je rigolai avant de lancer un "Pfff" pas très convaincant. Elsa ne cessait de me rappeler ce moment assez embarrassant où Maximillien (un garçon qui était dans ma classe depuis la seconde) m'avait demandé de sortir avec lui pendant l'année de seconde. N'éprouvant rien d'autre que de l'amitié envers lui, j'avais refusé. Depuis, on ne traînait plus trop ensemble et lui sortait avec Leslie.
«-Déjà, commençai-je, ça n'aurait sûrement pas duré longtemps.»
Elsa pouffa et rompit la règle en continuant à ma place, hilare :
«-Tu auras été tellement dégoûté des garçons que tu serais devenue lesbienne.»
J'éclatai de rire et m'allongeai sur le sol, aussitôt imitée par Elsa.
Ça m'aurait évité bien des problèmes..., ne pus-je m'empêcher de songer.
Percevant mon malaise naissant, Elsa s'empressa de lancer pour détendre l'atmosphère soudain chargée :
«-Imagine si tu étais belle...»
Je me redressai, offusquée, mais Elsa fut bien plus rapide que moi. Elle s'était déjà enfuie en courant, entraînant avec elle sonrire enfantin et contagieux. Je me lançai à sa poursuite, sans pouvoir m'empêcher de rigoler.
Elle courut à travers la forêt, évitant soigneusement toutes les branches tombées au sol et toutes les racines sournoises. Je fis de même, la poursuivant en lui criant vainement de s'arrêter. À force de rigoler et de courir en même temps, j'en avais mal aux côtes, mais je ne m'arrêtai pas pour autant. Pour une fois que mes mercredis passés à courir avec ma tante me servaient à quelque chose.
Une fois sortie de la forêt, Elsa continua sa course le long de la route qui menait au village. Je la suivais, essayant de la rattraper, mais, malgré mes tentatives, Elsa restait plus rapide. Elle riait aux éclats, me lançant de temps à autres des regards moqueurs qui me forçaient à ne pas m'arrêter.
Je ne parvins cependant pas à la rattraper et elle arriva chez moi avant moi. Quand ma tante nous vit arriver couvertes de sueur et essoufflées, elle eut d'abord un regard inquiet, avant de se rendre compte qu'on affichait un sourire jusqu'aux oreilles.
«-Vous avez couru ? nous demanda-t-elle, un peu surprise.»
Incapable de répondre, car trop essoufflée, Elsa s'en chargea, reprenant tant bien que mal son souffle :
«-Ouais... Zéli... a... essayé de... de me rattra... rattraper... mais... elle... est trop... lente...»
Rika rigola et je fis mine d'être blessée.
Elsa partit un peu plus tard, une fois remises de nos émotions. Pour ma part, je filai sous la douche, encore un peu essoufflée par notre course à travers tout le village. L'eau chaude parvint à me faire reprendre entièrement mon souffle.
Tous les invités étaient repartis chez eux lorsque Rika posa les derniers restes sur la table. Cela faisait du bien de retrouver un peu d'intimité après un week-end bien chargé, autant en action qu'en émotion. Matt et Rika portaient leurs bagues de mariés, promesse d'un amour infini.
«-Alors ça fait quoi d'être mariée ? demandai-je à Erika, la même qui avait juré qu'elle ne serait jamais marié parce que cela engageait trop et que cela finissait toujours par blesser.»
Elle prit son temps pour me répondre.
«-Je n'ai pas l'impression d'être différent d'il y a deux jours. On ajuste... concrétisé notre amour, mais ça ne change rien au reste.
-Mise à part que je suis désormais relié par la loi à la plus belle femme du monde, sourit Matt, avec un petit sourire en coin.»
Je les laissai se dévorer mutuellement du regard et prétexta une fatigue intense (ce qui était à peu près le cas) pour monter dans ma chambre. Après m'être brossé les dents et avoir enfilé mon pyjama, je me glissai dans mon lit.
Je soupirai de contentement et, au même moment, mon téléphone vibra à la réception d'un message. Je poussai un second soupir, mais cette fois de dépit. Malgré mon envie d'ignorer celui ou celle qui m'envoyait un message à cette heure-ci alors que j'avais une profonde envie de dormir, je me relevai et m'emparai de mon téléphone.
Le message venait de Callum.
De Callum : Coucou, j'espère que je ne te dérange pas. Écoute, j'ai quelque chose à t'avouer. Je ne sais pas trop comment m'y prendre, alors excuse moi si je suis un peu maladroit.
Voilà, je ne te connais pas depuis si longtemps. Enfin tu connais Evan depuis bien plus longtemps, mais je dois avouer que ta présence me fait du bien. Vraiment. Je n'ai jamais vraiment eu quelqu'un sur qui compter depuis ma naissance. Je n'ai jamais su m'intégrer lorsque je suis entré à l'école, au collège, puis au lycée. Quand tu es entrée dans ma vie, j'ai tout de suite vu que tu étais différente. Tu n'avais pas le même regard que les autres. Peut-être que je me trompe, mais j'ai l'impression que tu ne me laisses pas indifférent.
Je ne pourrais pas te l'assurer vraiment parce que c'est la première fois que je ressens ça, mais je crois que je suis amoureux de toi. Je comprendrais très bien que tu ne répondes pas à ce message, mais je devais te le dire. Merci d'avoir lu jusqu'au bout, ça m'a fait du bien de t'avouer cela, même si ce n'est pas de la façon la plus courageuse possible. ;)
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