•Bonus 5• «I'm guilty...»

LOUP

«-Loup, s'égosilla ma mère, tu n'as pas préparé de discours ?»

Je soupirai, tout en levant les yeux au ciel.

«-Non, Maman, je n'ai pas préparé de discours, je n'ai pas besoin...

-Mais tu vas parler devant tout le lycée ! me coupa ma mère. Le proviseur a dit qu'il comptait sur toi !»

Pourquoi était-elle toujours obligée de tout dramatiser ?

«-Oui et il peut compter sur moi !

-Mais tu n'as rien fait ! Comme toujours ! s'énerva soudainement ma mère. Tu aurais au moins pu le faire pour elle

Un silence accablant tomba sur la maison et je sentis mes poings se serrer. Ma mère venait de s'attaquer à un sujet sensible et elle savait pertinemment qu'elle venait de me blesser en parlant de ma sœur.

«-Tu aurais au moins pu le faire pour Elizabeth, continua ma mère, mais d'une voix soudain plus faible et enrouée.»

Cette fois, c'en fut trop.

Les poings serrés et les larmes aux yeux, je déversai tout ce que j'avais en moi :

«-STOP !! ARRÊTE ! hurlai-je, hors de moi. Arrête de parler d'elle comme si moi je n'étais rien à côté ! Comme si tu aurais préféré que ce soit moi qui ait glissé de cette falaise !»

Le visage de ma mère prit une teinte blafarde, mais je ne m'arrêtai pas là.

«-Et arrête de l'appeler Elizabeth, tu sais très bien qu'elle déteste ce prénom, il n'y a que toi pour continuer de l'appeler comme ça !Tu pourrais au moins le faire pour elle

Ma mère dut se retenir à la table pour ne pas que ses jambes se dérobent sur elle. Je sentais que mes mots la blessaient, mais je ne pouvais pas me contrôler. J'avais entassé trop de sentiments néfastes depuis tout ce temps. Je n'en pouvais plus.

«-Et puis arrête de me dicter le moindre de mes comportements !! repris-je. Je sais que le proviseur compte sur moi pour faire ce discours en hommage à Elsa, je sais !! Mais je n'ai pas besoin de préparer un discours tout fait ! Tu sais pourquoi ? Tu sais pourquoi ?!»

Je me rapprochai d'elle, d'un air menaçant. Ma mère secoua la tête, tétanisée :

«-Parce qu'Elsa ne mérite pas qu'on parle d'elle avec des mots déjà écrits, répondis-je. Elsa est ce genre de fille spontanée, qui réagit au quart-de-tour, qui fait tout à la dernière minute. Alors pour une fois, laisse-moi faire mes choix, laisse-moi lui rendre hommage à ma façon !»

Sur ce, je courus en direction de ma chambre, tout en essuyant des larmes de rage qui coulaient avidement sur mes joues. Je claquai violemment la porte derrière moi et m'effondrai sur mon lit, tremblant.

Aussitôt, je me sentis coupable. Coupable d'avoir déverser toute ma colère sur ma mère, alors qu'elle peinait déjà à retenir la sienne. Coupable de me sentir si triste d'avoir perdu ma sœur, alors qu'elle aurait voulu qu'on se souvienne d'elle en souriant. Coupable d'avoir ces crises de colère, qui étaient devenues mon quotidien depuis qu'Elsa était partie. Coupable de tout.

Je passai le reste de l'après-midi allongé dans mon lit, à regarder mon plafond, songeur, ressassant mes paroles, me sentant chaque seconde un peu plus coupable. Ma mère n'était pas passée me voir et cela me rendait encore plus malade. Je détestais me disputer avec elle, surtout quand ma petite sœur, Romane, était dans les parages et pouvait nous entendre. Elle n'avait pas à entendre ce genre de dispute entre ma mère et moi.

Lorsque j'entendis l'église sonner les six coups, indiquant dix-huit heures, j'hésitai à sortir de ma chambre. Tout était confus dans ma tête et j'avais l'impression d'être vide. Je ne savais plus si j'étais capable de mener un discours devant tout le lycée, pour rendre hommage à Elsa. Je n'étais plus sûr du tout.

Une demi-heure passa, puis une heure. J'étais toujours allongé sur mon lit. Le proviseur devait m'attendre.

Une demi-heure de plus s'écoula. Un dilemme s'installa en moi, me rongeant de l'intérieur. Devais-je y aller ?

Alors qu'une autre demi-heure menaça de s'écouler, mon téléphone sonna, laissant se diffuser dans ma chambre A Million Dreams, une chanson du film The Greatest Showman. Puis, ce fut le déclic. Je devais y aller.

Sans plus hésiter, je me levai, attrapai mes clés de voiture et une veste, et sortis de ma chambre. Une minute plus tard, je roulai (un peu vite) en direction du lycée. Mon cœur tambourinait contre ma poitrine et une sorte d'excitation me gagna. J'allais le faire. Pour Elsa.

Lorsque j'arrivai, le gymnase, qui accueillait le bal de fin d'année, était déjà en effervescence. Ce qui était sûr, c'était qu'ils ne m'attendaient plus pour faire l'hommage à Elsa. Qu'importe. Elsa n'était pas organisée, ni ponctuelle.

Je rentrai dans le gymnase presque en courant. Je sentis aussitôt quelques visages converger vers moi, puis ils furent de plus en plus nombreux. Sans en prêter garde, je me précipitai vers la scène où un DJ, payé spécialement pour l'évènement, faisait tourner des titres. Un silence gênant s'installa progressivement dans le gymnase quand les élèves m'eurent repéré et reconnu. Je demandai calmement au DJ de me passer son micro. Comme il me regarda sans comprendre, je le lui arrachai des mains et montai sur l'estrade. Je vis le proviseur se diriger vers moi, avec une tête de celui qui n'est pas content du tout, mais je n'y prêtai pas attention. Tout ce qu'il m'importait maintenant, c'était de rendre hommage à Elsa.

«-Excusez-moi de vous déranger ! Je...»

Je me tournai vers le DJ :

«-Tu peux baisser la musique, s'il te plaît ?

-Heu... on se connaît ? Parce qu'apparemment, tu me tutoies ! rétorqua-t-il, visiblement pas très satisfait que je lui ai piqué la vedette.»

Pressé et légèrement à cran, je lui tendis ma main :

«-Loup, enchanté, c'est bon maintenant, on se connaît. Baisse la musique !»

Choqué par mon comportement, le DJ s'exécutai en marmonnant quelques insultes tout bas. Je vis quelques élèves rigoler et me siffler. Le proviseur parlait activement avec le CPE et ne semblait pas vraiment emballé par mon intervention tardive.

Je reportai mon attention sur la foule d'élèves, qui, eux, semblaient pendus à mes lèvres :

«-Heu... Excusez-moi de déranger votre soirée. Je m'excuse de ne pas avoir été là à l'heure. Je... j'ai eu un... contre-temps...»

Je croisai dans la foule le regard de Zélina. Elle était au bras de Lylian et me sourit. Cela me redonna un peu confiance.

«-Vous ne connaissez pas tous Elsa, mais vous avez sûrement déjà entendu parler d'elle. Il s'agit de l'élève qui est morte cette année. Maintenant vous voyez de qui je parle, n'est-ce pas ? C'est fou, elle devient connue juste parce qu'elle meurt, ça craint.»

Quelques élèves rigolèrent à ma tentative de blague, d'autres froncèrent les sourcils, trouvant sûrement cela trop déplacé. Je vis Evan échanger un mot avec Callum et les deux jumeaux se mirent à rigoler.

«-Bref, repris-je. Je voulais juste lui rendre un petit hommage. Déjà parce que c'est ma sœur, mais aussi parce que c'est une fille géniale. Ceux qui la connaissaient pourront en témoigner. En plus d'être une personne à qui on peut faire confiance, Elsa est une personne toujours à l'écoute. Elle sait vous redonner le sourire, même dans les moments sombres. Elle a des idées bien ancrées, et elle déteste qu'on la contredise. Par exemple, elle adore le brouillard. Vous savez pourquoi ? Parce que, quand le brouillard tombe sur un paysage, on peut le découvrir à nouveau. On peut en imaginer un autre, meilleur, plus coloré. Derrière la brume, on peut découvrir un trésor. Cette phrase lui appartient. Je...»

Ma voix émit un trémolo et je dus me mordre la lèvre pour contenir mes émotions. Zélina, Lorrie, Lily, Evan, Lylian, Callum, Thomas,... ils me regardaient tous, attendant que je poursuive. Mal à l'aise, je repris :

«-Elsa... est très sociable, elle... elle aime se faire des amis. Elle déteste la solitude, elle trouve cela trop déprimant. Elle bouge tout le temps, elle n'aime pas se poser parce que pour elle, ce serait une perte de temps. Elle voulait tout le temps tout voir, tout essayer, avant tout le monde. Elle aime l'aventure et elle est un peu casse-cou aussi. Petite, elle ne s'arrêtait jamais, ne serait-ce que pour souffler.»

Je commençai à me sentir mal. Parler d'elle alors qu'elle ne m'entendait même pas me rendait nauséeux. J'avais presque l'impression de violer son intimité. Est-ce qu'elle aurait au moins voulu ce discours ?

«-Elle est aussi quelqu'un de très sensible. Elle tient beaucoup à ses amis et... il y a peu, elle est tombée amoureuse.»

Je vis Thomas baisser les yeux au sol, quand plusieurs visages se retournèrent vers lui. Je me sentis coupable.

«-Je... je... elle...»

Il faisait très chaud dans cette salle. Et tous ces regards pointer sur moi ne m'aidaient pas. Il y eut soudain un bruit violent et je me rendis compte après que c'était parce que j'avais lâcher le micro sur la scène. Le DJ me fusilla du regard et le proviseur affichait une mine sévère. Je n'aurais pas dû venir ici.

Quelques secondes plus tard, je sentis des bras m'enlacer et je compris que Zélina m'avait rejoint sur scène. Elle fut suivie bien vite par Lylian, puis Evan et Lily. Callum vint se rajouter, puis Thomas. Lorrie et son copain, Damien. Puis une fille que j'avais déjà vu traîné avec Elsa. Un garçon que je savais dans sa classe. Son prof de maths vint même nous rejoindre. Bientôt, nous étions tous serrés sur cette scène, qui commençait à devenir trop petite. Nous étions tous là pour rendre hommage à Elsa.

Un applaudissement se fit entendre dans la foule et je repérai la source du bruit qui n'était autre que le proviseur qui affichait un petit sourire. D'autres applaudissements prirent le relais et, d'un coup, tout le gymnase fut en effervescence.

Je souris. J'avais réussi. J'avais rendu hommage à Elsa. À ma façon. Et j'étais sûr que, quelque part, elle pouvait entendre tout le boucan que l'on faisait.

Juste pour elle.

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