•Chapitre 51• «We're all broken...»
Nous sommes tous touchés. Quelle que soit la vie que nous menons, elle finit toujours par nous envoyer un coup, et nous sommes plus ou moins parés à le recevoir. On nous assène dès la naissance que la vie est injuste et qu'il faut apprendre à vivre avec. Mais, je ne veux pas d'une vie injuste. Je ne veux pas tout ce qu'il m'est arrivé. Je veux juste vivre simplement. Je veux être Lylian Johnson, le basketteur qui a marqué un panier face au lycée du Parc, pas Lylian Johnson, celui qui a assisté à la mort des parents de celle qui l'aime, sans savoir si cette dernière est sa demi-soeur ou non. Je ne veux pas vivre en sachant que j'ai peut-être participé à la mort de mon père. Je ne veux pas avoir un autre père que celui que j'ai considéré comme tel pendant toutes ses années, celui avec lequel j'ai construit cette cabane pendant les vacances, je ne veux pas... Je veux être un miracle.
Je déposai le stylo sur le bord de la feuille plus tout à fait blanche maintenant et poussai un soupir. Posant mes deux coudes sur monbureau, je me pris la tête dans mes mains. Ma vie était tellement chamboulée depuis que nous avions déménagé ici. J'aimerai tellement remonter le temps et insister auprès de mes parents de ne pas déménager, mais, en même temps, je ne le souhaitais pas vraiment, parce que ce serait renoncer à ces quelques mois les plus heureux de ma vie.
Je sortis de ma chambre, histoire de me dégourdir les jambes. Mes pas résonnèrent dans la maison qui était totalement vide. Ma mère avait grandement hésité à me laisser seul aujourd'hui, avec tout ce qu'il s'était passé. Elle m'avait même proposé de poser un jour de congé pour moi, offre que j'avais décliné. Il était hors de question que sa vie professionnelle en prenne un coup pour moi et mes caprices, surtout que je savais très bien qu'elle n'était pas en véritable paix avec son patron, alors il ne valait mieux pas qu'elle demande des jours de congé comme bon lui semblait.
Je n'avais pas reparlé à mon "père" depuis qu'il avait prononcé ces mots qui avaient chamboulé une seconde fois ma vie, la plongeant dans un chaos le plus total, et je ne savais pas si un jour j'en serais de nouveau capable. Hier soir, il était rentré assez tard. Les tentatives de ma mère pour nous rapprocher (en prétextant une envie pressante pendant le repas par exemple) avaient été vaines. Mon père n'avait pas décroché un mot de tout le repas et je ne m'en sentais pas plus capable. Nous restions tous les deux enfermés dans notre bulle de douleur et d'indécision.
Une fois dans la cuisine, je réchauffai le plat de pâtes que ma mère m'avait conseillé de manger et l'engloutis en quelques minutes. Il n'était que dix heures, mais j'avais faim. Et, après tout, pourquoine pas manger à dix heures. Le temps, ce n'est que des chiffres. Je rangeai mes affaires et retournai dans ma chambre où je pensais y passer le restant de la journée. J'aurais pu retourner à la cabane, mais deux choses m'en empêchaient : 1) il pleuvait et 2) mes jambes refusaient de faire plus d'effort que l'aller-retour chambre/cuisine.
Durant l'après-midi, je ne fis pas grand chose. Je jouai un peu de la basse, mais l'envie me manquait, j'écrivai, mais l'inspiration me manquait, je rattrapai les cours, mais la motivation me manquait, je mangeai, mais l'appétit me manquait.
Vers le milieu de l'après-midi, la porte s'ouvrit. Croyant que c'était ma mère, je sortis de ma chambre, sachant bien qu'elle détestait que je n'aille pas la voir quand elle rentrait du travail. Mais ce n'était pas elle, c'était mon père. En même temps, il était quinze heures et ma mère ne rentrait pas si tôt le vendredi. Ni mon père normalement.
Dès que nos regards se croisèrent, l'ambiance se glaça et une barrière invisible se forma entre nous deux. Je m'apprêtai à retourner dans ma chambre, quand la voix de Tim m'arrêta :
«-Tu m'aides à ranger les courses ?»
Sa voix avait étrangement changé depuis la dernière fois qu'il m'avait parlé. Elle n'était plus agressive et emplie de colère. Elle était calme et emplie de remords.
Sans parler, je m'emparai d'un des sacs de course et me dirigeai dans la cuisine. En soupirant, Tim m'y suivit. Je vidai le contenu sur la table et commençai à ranger les différents ingrédients dans la place qui leur était assignée. On voyait bien quand ce n'était pas ma mère qui faisait les courses, parce qu'elle, elle rangeait tout dans les sacs de manière à ce que tous les sachets de pâtes se trouvent au même endroit, que tout ce qui ne se range pas dans la cuisine soit dans un sac fait pour, que tout soit ordonné et prêt à être rangé. Là, les sacs étaient désordonnés, selon ce que mon père avait acheté en premier ou en dernier. On pouvait même suivre les rayons du magasin à travers l'ordre des choses entassées dans le sac.
Cela mit un peu plus longtemps que d'habitude à ranger, mais ce fut terminé au bout de quelques minutes. Une fois le dernier sac plié et rangé sur la petit commode près de la porte d'entrée, je me dirigeai vers ma chambre, mais, à nouveau, mon père me retint :
«-Lylian, s'il te plaît...»
Je me stoppai, mais ne me retournai pas pour autant. J'avais tellement de mal à le regarder en face, alors que je savais très bien qu'il n'y était pour rien. Enfin, si. Peut-être un petit peu. S'il ne s'était pas disputé avec ma mère ce soir-là...
Sur ces pensées, je parcourus les quelques mètres me séparant de ma chambre et m'y enfermai le reste de l'après-midi.
***
L'arrivée de ma mère à la maison apporta un peu de chaleur. Je m'assurai qu'il s'agissait bien d'elle avant de sortir. Lorsque je lui fis la bise, je vis qu'une lueur de tristesse illumina les yeux de mon père et je me rendis compte de l'atrocité de mes gestes. Je lui avais pardonnée à elle, alors que c'était elle qui avait trompé mon père, elle qui avait tout déclenché. Je secouai la tête, épuisé par ces pensées. Je retournai presque aussitôt dans ma chambre et dès que ma porte se ferma, ma mère entama une discussion avec mon père. Je tendis l'oreille, curieux :
«-Tu as réussi à lui parler ?
-Non.»
La voix de mon père me parut plus étouffer que celle de ma mère.
«-Je suis désolée.
-Ce n'est pas de ta faute.»
J'entrouvris la porte assez pour voir mes deux parents s'enlacer. Ils avaient tous les deux les yeux fermés, comme pour mieux immortaliser le moment présent. Je remarquai que des larmes coulaient les long des joues de Tim Johnson, l'homme réputé pour ne jamais montrer ses sentiments. Le spectacle de mes deux parents me bouleversa et je sus d'ores et déjà que c'étaient eux les parents que je voulais avoir.
Leur étreinte terminée, ma mère vint me voir dans ma chambre, suivi de près par mon père, qui avait retrouvé son masque impénétrable et calme.
«-Lylian, comment s'est passé ta journée ?
-Très bien, dis-je, sans pouvoir contrôler ma voix froide.»
Elle acquiesça sans un mot, et finit par relancer :
«-Tu penses pouvoir emménagé de nouveau en haut ?»
Je mis quelques secondes à comprendre qu'elle parlait de ma chambre. Je hochai la tête, silencieux, évitant soigneusement le regard de mon père qui cherchait le mien. Ma mère commença alors à rappatrier mes affaires, en démarrant par mes habits, entassés dans la petite armoire au pied du lit. Une fois les bras plein d'habits, elle se dirigea vers les escaliers, nous laissant seuls, Tim et moi. Je m'empressai alors de me saisir d'un vieux carton où j'y empilai le plus d'affaires possibles traînants sur mon bureaux et me jetai à la suite de ma mère, fuyant le regard suppliant de mon père.
Ma mère tint absolument à ranger correctement ma chambre, pour selon ses dires, que "je me sente plus chez moi", comme si, avant, ma chambre était parfaitement ordonnée. Il valait peut-être mieux que je ne lui parle pas des nombreux caleçons qui devaient encore traîner sous mon lit, vestiges de ma flemme absolue dans certains moments.
D'ailleurs, ma mère tenait à elle seule toute la conversation de la pièce, tandis que nous nous affairions à parfaire frénétiquement les moindres détails de ma chambre. Dès que la conversation s'éteignait, ma mère reprenait de plus bel et je me demandai où elle allait chercher tous ces sujets de conversation. Ceux-ci s'étendaient du rangement des chaussettes à comment déboucher un pot de confiture avec le dos d'une cuillère.
À la fin, quand tout me parut bien rangé (heureusement qu'elle n'eut pas l'idée de soulever le lit pour enlever la poussière), ma mère finit par se taire. Elle me fit signe de m'asseoir sur mon lit et je me retins de pousser un soupir, sachant qu'on allait avoir droit à la "thérapie de famille". Tim Johnson se tenait dans l'encadrement de la porte, comme un vampire à qui on n'aurait pas donner l'autorisation d'entrer. Ma mère était debout entre nous deux, servant sûrement de conciliateur.
«-Il est grand temps d'arranger... ça...»
Elle nous désigna tous les deux et l'homme se renfrogna, comme un enfant pris en train de voler des friandises.
«-Ton père et moi avons décidé...»
Sa façon d'accentuer le "ton père" était pathétique, mais elle y mettait beaucoup d'espoir, comme si cela pouvait me convaincre d'oublier.
«-...de partir en vacances, tous les deux.»
Je fronçai les sourcils et, croyant sûrement m'avoir blessé, ma mère s'empressa de préciser :
«-Enfin, si tu veux venir, tu peux, c'est juste que je pensais que passer plus de temps avec Timou...»
Mon père tressaillit légèrement quand ma mère employa son surnom. Cela faisait très longtemps qu'elle ne l'avait pas utilisé, enfin du moins à ce que je sache.
«-C'est bon, Mum, je comprends.»
Elle hocha la tête, perdant instantanément son air inquiet.
«-Nous avons fait appel à quelqu'un pour te garder.»
Trop beau pour être vrai. Je faillis protester, mais je me tus. Après ma fugue, je comprenais tout à fait que ma mère ne tienne pas à me laisser tout seul. Elle avait sûrement peur que je fasse des conneries ou que je repasse à l'acte...
«-Je ne sais pas si tu te souviens, mais c'est ton médecin...»
Je manquai de m'étouffer. Allais-je vraiment devoir supporter Mme Theffrey pendant ces vacances ?
«-Le premier qui s'occupait de toi.»
L'espoir revint aussitôt.
«-Matt ? questionnai-je en relevant la tête.
-Oui, lui, j'espère que tu l'apprécies.»
Pour toute réponse, un grand sourire illumina mon visage.
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