•Chapitre 46• «I need to know...»

Les paroles de Zélina résonnèrent plusieurs fois dans ma tête, tandis que je marchais dans la rue. Parle à ton père, dis lui de te dire ce qu'il m'a dit. Juste quelques mots qui avaient suffi à éveiller mon entière et intarissable curiosité. De quoi voulait-elle parler ? J'étais presque certain qu'elle faisait référence à la fois où mon père lui avait soi-disant "parlé". Cet épisode m'était sorti de la tête ces derniers jours. Tellement de choses s'étaient passées que j'en avais oublié les menaces de mon père, auxquelles on pouvait ajouter son comportement désagréable et distant. Je ne savais pas ce qu'il avait bien pu dire à Zélina, mais j'étais sûr que ce ne devait pas être agréable à entendre.

Je butai contre un caillou, l'humeur massacrante. Ce dernier roula sur le bitume du trottoir pour aller terminer sa course dans le caniveau. Belle représentation de la vie ! Je ne savais pas si j'avais envie d'entendre ce que mon père avait à me dire. Je ne savais même pas s'il avait lui même envie de me le dire. Pourtant, une part de moi me criait de sauter sur l'occasion et de lui demander une bonne fois pour toutes quelle était la cause de son caractère agressif. Perdu, je laissai mes pieds guider ma route.

Quelques minutes plus tard, je me trouvai devant la porte d'entrée de mamaison, à croire que mes pieds eux-mêmes souhaitaient connaître la vérité. Sur le pas de la porte, j'hésitai un moment. Mon père n'était normalement pas encore rentré du boulot, mais j'entendais d'ici la télévision qui proclamait des pubs à tout va, ce qui témoignait de la présence de ma mère à la maison. Cette dernière avait l'affreuse manie d'allumer la télévision au moment même où elle rentrait du travail. Parfois, elle la laissait en bruit de fond, tandis qu'elle vaquait à d'autres occupations dans une autre pièce. Je pense que cela devait la rassurer d'avoir un fond sonore dans la maison.

Je pressai la poignée de la porte et ma mère me tomba dessus aussitôt. Comme j'étais son seul enfant, elle surveillait toujours mes allées et venues dans la maison, surtout depuis le jour où la police l'avait appelée pour lui informer que son fils était actuellement en taule pour avoir dealer. Ce jour-là, mon père était arrivé en trombe au poste de police, les poings serrés, ma mère apeurée sur ses talons, les yeux rougis par les larmes en imaginant simplement que sa seule et unique progéniture était accusé de trafic de drogues. Mes parents avaient payé la rançon sans chercher à négocier. Je n'avais jamais vu ma mère aussi dévastée et mon père aussi déçu. Au départ, j'avais voulu leur expliquer la vraie histoire, mais je m'étais retenu, parce que je savais que sinon mon père irait aussitôt dénoncer Thomas à la police. Ce scénario serait juste, me diriez-vous, certes, l'amitié conduit-elle forcément à la justice ? Pas si sûr.

En tablier de cuisine, ma mère lança, les joues rougis par la travail, un sourire aux lèvres :

«-Comment ça s'est passé ton après-midi chez Anaïs ?»

Je m'apprêtai à répondre, quand elle perdit son sourire et posa une main sur ma joue.

«-Qu'est-ce qu'il est arrivé à ta joue ?»

Oups, je l'avais oublié celle-là ! Je répondis rapidement la première excuse qui me venait à l'esprit :

«-Je me suis pris une porte.»

Ok, ce n'était sûrement pas l'excuse la plus fine que j'aurais pu trouver, mais il n'y avait que cela qui me venait sur le moment.

Peu convaincue par mon excuse pas très crédible, je vis ma mère froncer ses sourcils, mais, à mon plus grand soulagement, elle n'insista pas et retrouva son sourire, bien qu'un peu moins solaire qu'auparavant. Elle s'écarta de l'encadrement de la porte pour me laisser entrer. Je me dirigeai aussitôt dans ma chambre où je déposai mes affaires de cours avant de me rendre dans la petite salle de bain. Je me stoppai devant le miroir en me rendant compte que Zélina n'y était définitivement pas allée de main morte. Ma joue gauche était d'une couleur rouge, virant vaguement au bleu. Je passai ma main sur ma mâchoire endolorie. Pas étonnant qu'elle se soit fait mal en me frappant !

Le reste de la fin de la journée, je terminai ma composition d'histoire à rendre pour vendredi et aidai ma mère à préparer le repas pour ce soir et ranger un peu la maison. Mon père arriva à neuve heures tapantes et nous pûmes passer à table dès lors qu'il se fut changé.

Mon père entama la conversation, comme à son habitude en parlant de sa journée et en prenant connaissance des nôtres. Malheureusement, dès que mon tour arriva de parler, mon père me coupa, comme l'avait fait ma mère quelques heures auparavant :

«-Lylian, qu'est-ce que tu as à la joue ?»

Je me mordis la lèvre intérieure, certain que mon père ne goberait pas aussi facilement mon excuse à trois francs six sous. Je ne me résolus cependant pas à dire la vérité :

«-Je me suis pris une porte.»

Devant l'air peu crédule de mon père, ma mère vint à ma rescousse :

«-Il a passé son après-midi chez Anaïs.»

Mon père plissa les yeux, toujours peu convaincu par mon excuse de ma joue rouge, mais ne dit rien. Je me retins de soupirer de soulagement.

«-Et vous avez fait quoi chez elle ?»

Le changement de conversation tombait à pic.

«-J'ai rattrapé les cours que j'ai manqué aujourd'hui comme je passais mon bac blanc.»

D'ailleurs, il faudrait peut-être que je songe à vraiment le faire, pensai-je intérieurement, tandis que mes parents embraillaient sur des questions sur le bac blanc, jusqu'à parler du bac en lui-même et des études supérieures. Je me glissai de temps en temps dans leur conversation, content que, pour une fois, mon père ne me pose pas de questions gênantes.

Soudain, la sonnette d'entrée retentit. Mon père fronça les sourcils, peu habitué à recevoir du monde à cette heure-ci. Il finit par se lever et dire :

«-J'y vais.»

Un mauvais pressentiment s'abattit sur moi, mais je tentai de le ravaler, sans en comprendre la cause. Ma mère me proposa de reprendre un peu de viande, ce que je refusai, rassasié.

D'ici, on ne pouvait pas entendre ce qu'il se passait à l'entrée, et mon père finit par fermer la porte. Il revint, un drôle d'air affiché au visage et quelques dizaines de papier sous le bras. Ma mère l'interrogea du visage, tandis que mon mauvais pressentiment revint en force. Mon père finit par jeter les papiers sur la table, non sans prendre soin de bien les claquer sur la surface en bois, plongeant la pièce dans un silence effrayant. Alors que les secondes passèrent avec une lenteur traître, mon père làcha, en s'humectant les lèvres :

«-C'était Anaïs, elle passait te donner les cours d'aujourd'hui.»

Il accompagna sa parole d'un geste de menton désignant le tas defeuille désormais posé sur la table à manger. Je déglutis difficilement. Ce n'était pas censé se passer ainsi.

«-Donc tu as rattrapé les cours chez elle cet après-midi, hein ? polémiqua mon père, alors que le visage de ma mère se décomposait.»

Mon cerveau fonctionnait à mille à l'heure, cherchant désespérement une autre excuse un peu plus solide que la précédante.

«-Et elle t'a frappé ? Parce que tu crois vraiment que je crois ton excuse de la porte ? Tu me prends pour une truffe ?»

Le ton était monté d'un cran dans la pièce et elle parut soudain bien plus sombre.

«-Où étais-tu Lylian ?»

Une excuse, une excuse, vite !

«-Heu... je... j'étais à l'entraînement de basket et... je me suis pris un ballon...»

Définitivement, je venais d'apprendre deux choses sur moi : 1) je suis un piètre menteur et 2) je suis nul pour trouver des excuses.

Un rire sortit de la bouche de mon père. Lorsqu'il se calma, il posa ses deux mains sur la table, l'air vraiment pas satisfait du tout. Je ravalai ma salive :

«-Je te laisse une dernière chance Lylian Johnson. Où étais-tu cet après-midi ?»

Je rassemblai tout mon courage pour avoir l'air sûr de moi.

«-Je te l'ai dit, j'étais à l'entraînement de basket et...

-Ça suffit !»

Je me tus, mais conservai mes yeux plantés dans ceux de mon père, malgré le regard brûlant qu'il me lançait.

Un nouveau silence plana dans la pièce, tandis que notre échange tacite s'enflammait. Ma mère ne savait plus où se mettre, ni qui croire. Elle trépignait sur sa chaise, mal à l'aise.

«Tu étais chez l'autre salope, hein ? relança mon père, toujours avec cette amertume dans la bouche.

-Je t'interdis de l'appeler comme ça, grommelai-je, en essayant d'avoir l'air agressif, ce qui ne marcha pas du tout.

-Donc tu étais avec elle, conclut mon père, désormais assis à sa place.»

Je ne rétorquai rien, sachant que cela ne servait à rien de démentir sespropos.

Mon père passa ses deux mains sur son visage, un air soudain fatigué gravé sur son visage. À ce moment-là, je me rendis compte qu'il faisait vraiment ces quarante-sept ans. Ma mère posa une main sur celle de son mari :

«-Tim, calme toi, c'est bon...

-C'est bon ?! hurla mon père, en se levant précipitament, renversant sa chaise derrière lui. Non, ce n'est pas bon ! Bordel Lylian ! Combien de fois devrais-je te dire de ne plus traîner avec elle ?»

Mes yeux, rivés sur mon assiette, se relevèrent et je tonnai :

«-Et pourquoi ? Maintenant c'est toi qui décide avec qui je dois traîner ?»

La tension était plus que palpable et je vis ma mère exploser en sanglots à côté de nous. Je ne comprenais pas comment ma relationavec mon père en était arrivé là. Nous étions si proches avant... Et maintenant, il ne se passait pas un soir, sans que nous nous disputions. Une boule se forma dans ma gorge, tandis que mon père fumina :

«-Mais parce que... Lylian, tu ne comprends pas !

-Qu'est-ce que je ne comprends pas ? demandai-je, la voix tremblante.»

Mon père resta silencieux, de la sueur coulant sur ses tempes. Il semblait être sur le point de dire quelque chose, mais ma mère l'interrompit :

«-Tim, s'il te plaît !

-Quoi ? rétorqua mon père. Il va bien falloir qu'il le sache un jour !»

Mon incompréhension redouble lorsque je vis que ma mère suppliait du regard mon père.

«-Que je sache quoi ? crachai-je en interrompant leurs regards entendus.»

Ma mère détacha son regard de son mari et le posa sur moi. Ses yeux étaient rouges et sa voix suppliante :

«-Lylian, s'il te plaît, va dans ta chambre, il faut qu'on parle...

-Oui ! Il faut qu'on parle ! grondai-je, tremblant.»

Voyant que ma mère ne me dirait rien, je reportai mon attention sur mon père.

«-Papa, qu'est-ce qu'il y a ?»

Les poings de mon père se refermèrent dangereusement, alors qu'il éclata :

«-Ne m'appelle pas comme ça !»

Le silence retomba dans la pièce. Toute colère me quitta instantanément. Je le dévisageai sans comprendre, tandis que les pleurs de ma mère redoublèrent.

«-Quoi ? Comment... ? De quoi tu parles ? parvins-je à balbutier, perdu.»

Le visage de mon père fut déformé par la douleur.

«-Papa..., commençai-je.

-Arrête avec ce nom ! Je...»

La vérité buta sur ses lèvres. Je savais ce qu'il allait dire. Ne le dis pas, s'il te plaît, ne le dis pas.

«-Je ne suis pas ton père.»

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Un chapitre assez conséquent, j'espère qu'il vous a plu.

Vous aurez des réponses aux questions que vous vous posez dans les chapitres à venir. ;)

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