•Chapitre 24• «She gives me up...»

Jeanne partit au moment oû le docteur Theffrey entra pour ma séance de kiné. Je ne pus que me renfrogner car je détestais cela, même si je savais que cela m'était indispensable. Sans même esquisser un sourire, elle se mit à psalmodier, sans aucune émotion dans la voix:

«-Au vue des bonnes réactions de son corps, je pense que vous pourrez sortir d'ici dans deux semaines.»

Je me renfrognai davantage en songeant que, si cela avait été Matt qui m'avait annoncé cela, il serait sûrement déjà en train de déboucher le champagne tout en me lançant des confettis. Ils n'avaient vraiment pas la même conception de l'attachement avec les patients. Ma mère sourit, avant de sortir de la chambre sous les ordres froids et peu cordiales de mon médecin.

S'entama alors une heure de véritable supplice, durant laquelle le docteur Theffrey exerça sur moi toutes sortes d'exercices, visant à "assouplir mes muscles blessés". Quand elle disait cela, j'avais plutôt l'impression qu'elle se foutait de ma gueule mais bon. Lorsque tout cela fut fini, elle lâcha, tout en inscrivant deux-trois remarques sur scalpin :

«-Ça serait bien que vous essayez de vous levez dans les jours qui viennent, pour voir comment votre corps réagit.»

Et vous ne pouvez pas le faire, faillis-je rétorquer, quelque peu piqué par son humeur exécrable à toute heure, mais je me retins à la dernière seconde, mon moi poli et responsable reprenant le dessus. À mon plus grand bonheur, Mme Theffrey s'en alla presqu'aussitôt et je pus de nouveau respirer une ambiance un peu plus... joyeuse.

Je tentai de retrouver la joie intense que j'avais ressentie quelques heures auparavant, lorsque ce fou rire incontrôlable m'avait traversé le corps et, lorsque j'y parvins enfin et que je goûtais aux saveurs délicieuses de l'apaisement, tout fut détruit par l'arrivée pimpante d'Anaïs, qui affichait un sourire ravi.

C'était mon père qui l'accompagnait et, visiblement, il appréciait bien plus que moi sa venue. Après lui avoir dit qu'elle pouvait rester tout le temps qu'elle voudrait à mes côtés -ce qui la fit sourire davantage-, mon père nous laissa, non sans me lancer un regard empli de sous-entendus et de menaces. Je me retins de soupirer lorsque la porte se referma définitivement. Je me mis presque à regretter l'humeur massacrante de Theffrey.

«-Salut, dis simplement Anaïs, jouant la carte de la fille intimidée et réservée.»

Je la détaillai rapidement et constatai qu'elle avait pris soin de mettre en avant sa poitrine avec un décolleté bien marqué. Je détournai les yeux, un peu gêné devant cette vue trop... plongeante.

Anaïs ne parut pas se rendre compte que cela me dérangeait, car elle s'approcha davantage et s'arrêta au bord du lit, légèrement penchée en avant.

«-Je t'ai apporté les cours de la semaine dernière.

-Merci.»

J'aurais pu être plus aimable, mais l'envie m'en manquait. Anaïs ne se laissa pas décourager et reprit, faisant mine d'être intéressée par ce qu'ils faisaient au lycée :

«-En maths, on vient de débuter un nouveau chapitre sur les probabilités. Tu sais, la prof a légèrement modifié l'ordre des chapitres pour que tu ne rates pas un des chapitres les plus importants de l'année.»

Je relevai un sourcil. Elle avait vraiment fait cela ?

«-C'est sympa, dis-je en esquissant un sourire franc.»

Anaïs me retourna un sourire et reprit, avec un peu plus de confiance :

«-En physique, le prof s'en fout que tu ne sois pas là et on travaille sur l'oxydo-réduction, je dois t'avouer que je n'ai pas trop compris ce que c'est.»

Si Zélina était à ta place, elle m'aurait aussitôt débité le cours entier, sans douter une seconde et aurait même enchaîné sur le chapitre suivant sur lequel elle aurait pris de l'avance.

«-Désolée.»

Je clignai des yeux et remarquai qu'Anaïs avait les yeux baissés et les joues en feu. Je mis quelques secondes à réaliser de ce que je venais de faire. Avais-je vraiment osé parler à voix haute ?

«-Désolée de ne pas être elle

Apparemment oui. Soudain, je me sentis totalement con. J'étais vraiment con. Anaïs prenait du temps pour moi et voilà comment je la remerciais ! Les mots de Zélina me revinrent à l'esprit : tu es l'homme le plus égoïste et le plus lâche que je connaisse. Elle n'avait jamais eu autant raison.

Comme elle était à portée de main, je posai délicatement ma main sur son menton et relevait ce dernier. Je constatai alors qu'elle pleurait. Un vif pincement au coeur m'empoigna et la sensation d'être vraiment le dernier des connards m'envahit. Je me mordis la lèvre.

«-Désolé, je ne voulais pas dire ça, je... je suis vraiment con.

-C'est clair, finit-elle par lácher, d'un ton détendu et parfaitement maîtrisé.»

Quelques secondes plus tard, elle explosa de rire et je ne pus que me mêler à son rire, soulagé de ne pas me l'avoir mise à dos.

Lorsque j'avais vu ses larmes sur ses joues, je n'avais pas pu m'empêcher de repenser à cette scène dans le bus, où Zélina m'avait demandé si j'étais en couple, alors que j'avais juste embrassé ma cousine. Elle s'était mise à pleurer ce jour-là, parce qu'elle était jalouse et parce qu'elle s'en voulait d'être jalouse. Anaïs pleurait pour la même raison, sauf qu'elle n'était pas jalouse de quelqu'un de ma cousine, elle était jalouse de celle qui possédait mon coeur et elle devait savoir que le combat était tout à fait différent.

«-Bref. En SVT..., reprit-elle, plus sérieusement.

-Et si tu me parlais d'autre chose que les cours ? la coupai-je. Je sais bien que je n'ai pas été en cours depuis deux semaines, mais cela ne me manque pas trop tu sais.»

Elle approuva, tout en retrouvant son attitude renfermée. Je me demandai à quoi elle pensait.

Soudain, Anaïs brisa le silence et commença, hésitante :

«-Tu sais la dernière fois...»

Oups, sujet qui fâche. Je surpris mon cerveau en train de fonctionner à mille à l'heure afin de trouver un sujet de détournement. J'entrouvais un assez facilement :

«-Et si tu m'aidais à me lever ? Mon médecin m'a dit que je devais apprendre à marcher de nouveau.»

Je me félicitai d'avoir trouvé si vite une idée et d'avoir pu l'énoncer avec un naturel déconcertant, comme si elle ne venait d'évoquer quelque chose.

Anaïs approuva, sans rien dire et, à nouveau, je me sentis coupable. À nouveau, je venais de me comporter comme un con devant elle. Je refoulai ce sentiment de culpabilité tandis que je me redressai assez pour m'asseoir sur le rebord de mon lit. Anaïs me laissa faire, un peu en retrait. Mes pieds trouvèrent bien vite le contact froid du sol et un léger frisson me parcourut, partant de la plante de mes pieds jusqu'en haut de ma tête, se déplaçant comme une décharge électrique.

«-Tu m'aides ?»

Plus les mots sortaient de ma bouche, plus j'avais l'impression d'être idiot. Je ne savais pas ce qui la retenait de me planter là ou alors de me frapper. Ou alors si, je savais...

Elle posa une main sous mon aisselle et glissa mon bras droit sur son épaule, avec une délicatesse surprenante. De l'autre main, je m'appuyai de toutes mes forces sur le lit, afin de me lever. Lorsque ce fut le cas, je manquai de trébucher, mais Anaïs me soutint, cherchant la force de retenir mes soixante kilos je ne sais où. Même si j'avais beaucoup maigri ces dernières semaines, j'étais conscient que mon corps agissait comme un poids mort en ce moment, car il n'avait plus vraiment l'habitude de me porter.

Je tentai tant bien que mal de me retrouver debout et cela fonctionna. Quelques minutes plus tard, je tenais debout, toujours une main posée sur l'épaule d'Anaïs de peur de tomber, mais c'étaient bel et bien mes jambes qui me soutenaient. Un sourire se forma sur mes lèvres et je me tournai vers Anaïs pour qu'elle puisse le voir.

«-Merci.»

Pour une fois, j'avais l'impression de bien me comporter devant elle. Elle dut sentir ma sincérité, car elle sourit légèrement, le visage encore un peu tiré par la déception. Je posai ma deuxième main sur sa seconde épaule et demandai :

«-Tu m'aides à marcher ?»

Elle acquiesça et recula de quelques pas, lentement, avec une délicatesse maternelle, tandis que moi j'avançais, un pied devant l'autre, comme un bébé faisant ses premiers pas. Mon corps réagit plutôt bien à ce nouveau mouvement et je pus enchaîner une dizaine de petits pas, sans broncher. Je me rendis compte, en croisant le regard d'Anaïs qu'elle me dévisageait avec une certaine fierté, comme si elle était heureuse de m'aider. Je pris alors conscience qu'elle était une des seules à m'aider alors que je ne demandais que cela. Certes, j'aurais préféré que ce soit Zélina, mais Anaïs était là.

Soudain, sentant que je venais de fournir trop d'efforts d'un coup, mes jambes lâchèrent et je me retrouvai cramponné aux bras d'Anaïs. Celle-ci me serra fort dans ses bras, de peur de me lâcher ou peut-être aussi parce qu'elle n'avait pas envie de le faire. Je parvins à me redresser afin que ma tête se pose sur son épaule. Je demeurai quelque instants, le souffle coupé, les yeux clos à me demander comment j'avais pu en arriver là, dans les bras d'Anaïs plutôt que dans ceux de Zélina. La réponse me parut tout de suite évident et logique. Anaïs était là, elle avait décidé de m'aider. Zélina était partie, elle m'avait abandonné. Aussi horrible que j'ai pu être, aussi horrible que la situation était entre nous, elle m'avait lâché.

Sans trop réfléchir à ce que je faisais, je relevai la tête. Mon visage se retrouva à quelques centimètres à peine de celui d'Anaïs. Ses yeux se plantèrent dans les miens, toutes sortes d'interrogations les illuminant. Je me rapprochai dangereusement d'elle en ne répétant qu'une seule chose dans ma tête.

Zélina m'avait abandonné. J'étais abominable de penser cela, j'étais égoïste et très con, mais elle m'avait abandonné.

Les lèvres d'Anaïs accueillirent les miennes dans un symbiose parfaite et je demeurai quelques micro-secondes suspendu à la douceur de ses lèvres.

Zélina m'avait abandonné. Tu l'as trahie ! Elle m'a abandonné !

Déchiré, je ne pus que mettre plus de passion dans mon baiser qu'Anaïs me rendit avec fougue.

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