"Un homme rempli de haine est plus méchant que cent tigres"

"Un homme rempli de haine est plus méchant que cent tigres."

Proverbe africain

À son réveil, Isobel se découvrit ligotée à un lit sur le ventre. Si au début la panique l'a saisit, elle inspira plusieurs fois pour l'endiguer et réfléchir avec plus de clarté à la situation dans laquelle elle se trouvait. Son ventre vide se manifesta en grondant bruyamment. Elle avait faim, et le stress qu'elle subissait n'arrangeait pas les choses. Elle avait envie ...

Stop! Ne pas pensez à la nourriture ...

Son champ de vision drastiquement réduit en raison de sa position, elle ferma les yeux pour se concentrer au maximum de ses capacités. Elle tenta de capter le moindre bruit qui indiquerait la présence d'un individu ou mieux encore, un indice sur l'endroit où elle se trouvait. La chambre était silencieuse, mais le son d'une conversation inintelligible s'élevait dans le lointain.

Ses geôliers étaient donc présents. Elle redoubla d'effort pour essayer de distinguer les voix qu'elle entendait, mais ne put déterminer à qui elles appartenaient. Le seul indice qu'elle avait, c'est qu'il semblait y avoir au moins une voix féminine et une masculine. Elle pouvait grâce à cela affirmer sans trop se tromper qu'il devait s'agir de Gustave, Gaston et ses sœurs ou en tout cas au moins deux d'entre eux. Bien qu'en y réfléchissant, ses attaquants ont pu aussi payer des acolytes. Moins probable, mais pas impossible non plus.

Isobel abandonna sa tentative d'espionnage et réfléchit au plan de ses ennemis. Elle constitua une arborescence mentale en commençant par leur objectif. Que voulaient-ils ? Sa fortune. Les seuls moyens crédibles de l'obtenir étaient soit que Gaston l'épouse, soit qu'elle leur lègue. L'héritage ne sera obtenu qu'à sa mort. Dans cette option, elle sera donc assassinée et son père aussi. Ferdinand, aussi, s'il ne l'était pas déjà.

Ne pas penser à sa mort, ne pas penser à sa mort.

Isobel repris une profonde inspiration.

Bien, soient ils me tuent, soit Gaston m'épouse .

Le plus simple serait de la tuer. Pas de trace, pas de témoins, et sans corps, pas d'enquête. Mais c'était aussi risqué car cela nécessitait une grande logistique et sa disparition et celle de son secrétaire, alertera sans doute les employés du manoir, surtout Finn qui ne restera pas sans rien faire sans nouvelle de son fils. Dans ce cas, l'autre solution : son mariage.

Un mariage, qu'est-ce que c'était légalement, un simple morceau de papier signé par les deux partis et un homme de loi. Elle ne doutait pas que ses sœurs connaissaient un maire facilement corruptible. Ou alors ... Non, non dans cette hypothèse son père ne sera plus simplement un moyen de pression sur elle mais deviendra son tuteur ! Sauf que, la déclarer inapte serait beaucoup trop complexe. Elle voulut écarter cette idée quand un souvenir lui revint... Le bal !

Isobel se maudit intérieurement. Ce maudit bal où elle s'était ridiculisée pour le plaisir de faire rager ses sœurs et son prétendu fiancé ne jouait pas du tout en sa faveur. Surtout qu'elle n'avait pas non plus une réputation irréprochable, la déclarer folle, ne serait pas si difficile et trouver un médecin certifiant de l'altération de ses capacités mentales serait sans doute plus facile que de falsifier un contrat de mariage. Et ça justifierait aussi un internement en hôpital psychiatrique. Reste à savoir, comment ils allaient expliquer l'absence de Ferdinand.

Elle y jouerait sans doute un rôle. Ou pire, on lui fera porter la culpabilité de tous les torts dans cette affaire. La plus simple hypothèse serait quand même qu'on la force à épouser Gaston et qu'avec leur fortune nouvellement hériter, qu'on la fasse éliminer discrètement ou mieux, déclarer folle. Bon, elle avait quand même une chance de s'en sortir vivante.

Maintenant, elle devait réfléchir à comment les empêcher d'arriver à leur fin. Si seulement, elle avait prévenu Adam, laisser une note, n'importe quoi ! Et sans son téléphone, il était trop tard pour le faire à présent. Elle se sentait vraiment idiote. Ses mains attachées dans son dos l'empêchait de se tirer les cheveux et les gargouillements de son ventre ne cessaient de la déconcentrer. Toute cette frustration, allait vraiment la rendre folle.

Au bout du couloir, à l'opposé de la chambre où elle était retenue, se trouvait Maurice en bien mauvaise position. Pieds et mains ligotés, il était assis sur un lit en face de ses tortionnaires, une table basse et des papiers les séparaient. Il n'était plus consumé par la tristesse mais par une colère ardente que l'on pouvait voir brûler dans ses yeux.

Il avait appris que sa benjamine était aussi retenue avec lui. Et le marché qu'on venait de lui proposer avait fini d'achever les derniers vestiges de la confiance qu'il avait un jour accordé à ses deux aînés.

« Allons, père, tu sais bien que tu n'as pas le choix d'accepter. On pourrait tout aussi bien tuer Isobel, tu sais ... »

Jade. Il avait compris qu'elle était le cerveau de toute cette opération. Il avait cru pouvoir raisonner Laura, mais elle était aussi machiavélique que sa jumelle, bien que plus raisonnable, comme toujours. Seul Gustave, qui transpirait à grosse goutte, semblait ressentir quelques remords.

« Non, vous avez besoin d'elle vivante, et de moi aussi. Vous ne me tuerez pas, tant que vous n'avez pas obtenu ce que vous voulez. »

De cela, Maurice en était certain. Le rire de crécerelle de Laura l'allarma.

« Oh papa, tu as toujours été si doué en affaires. Mais vois-tu, la tuer n'est pas le seul moyen de te menacer. Jade, a un peu trop pris goût à tout cela, Ferdinand a été si facile à tuer que s'en était presque ennuyeux. Non, Isobel doit perdre bien plus que son héritage ! Elle va souffrir. Mais jusqu'à quel point ? Cela ne dépendra que de ta coopération, très cher père. »

Son sang se glaça dans ses veines. S'il signait ses papiers, il en était finit de sa fille. Mais s'il ne signait pas, elle allait souffrir. Un terrible dilemme s'offrait à lui.

« Hum ... visiblement ce n'est pas suffisant. Les garçons, et si vous nous cherchiez Isobel ? »

Avant même que Maurice, n'est pu protester, Gustave et Gaston sortir accomplir l'ordre de Laura. Et dans les yeux de Maurice, on pouvait désormais y lire de la peur.

Isobel cria et tenta de se débattre quand on vint la chercher. Mais elle abandonna bien vite à cause de la douleur. Elle avait l'impression qu'on lui avait disloqué l'épaule. Les deux hommes la traînèrent jusqu'aux pieds de ses sœurs sans un mot. Elle les trouvait trop silencieux.

Jetant un regard sur sa droite, elle observa le visage de Gustave. Il semblait sur le point de vomir. Bien, lui au moins donnerait tout pour partir d'ici. Il y avait peut-être encore un peu d'espoir. Quant à Gaston ... L'éclat de malveillance et le désir ardent de la faire plier lui firent froid dans le dos. De ce côté-là, elle pouvait oublier toute aide éventuelle.

Alors elle sut, qu'avant de mourir, elle allait souffrir. Beaucoup. Elle ferma les yeux et ravala sa peur et son angoisse. Elle devait être forte et courageuse. Laura s'avança et la gifla. Fort. Mais, elle ne lui donna pas la satisfaction de crier. Sa sœur lui attrapa le menton en enfonçant ses longs ongles manucurés dans sa peau.

« Alors petite sœur, ça fait quoi de ramper devant nous après nous avoir regardé de haut depuis tout ce temps ? Ici, ta fortune et tout ce beau monde qui obéissent à tes ordres tel des petits chiens ne pourront rien faire pour te sauver. Tu es seule. »

Jetant un coup d'œil vers son père, Isobel comprit qu'elle n'obtiendrait aucune aide de ce côté-ci non plus. Il était tétanisé, figée dans une immobilité quasiment parfaite, un masque d'horreur sur son visage. Laura avait raison, elle était seule, désormais.

Elle savait qu'ils cherchaient à la faire réagir. Ils voulaient qu'elle pleure, qu'elle crie, qu'elle les supplie d'arrêter. Mais en son fort intérieur, elle hurlait de rage. Qu'ils aillent tous au diable ! Elle choisit la bravade. Elle cracha au visage de sa sœur qui recula en hurlant, la lâchant par la même occasion.

Laura brûlait de rage. Elle essuya la bave de son visage, tout en regardant sa sœur si fière d'un œil mauvais. La cupidité et l'avarice l'aveuglant, elle ne souhaitait qu'une chose détruire celle qui ne cessait de se mettre au travers de son chemin, de ce qui lui revenait de droit. Elle était l'aîné, c'est à elle que devait revenir le titre, les terres et la fortune. Pas au cochon qui lui servait de sœur. Elle sourit d'un air mauvais.

« Gaston ! Frappe-la !»

L'homme s'exécuta et écrasa son poing sur le visage d'Isobel. Il la frappa encore et encore, sous les cris et les suppliques de Maurice qui promettait de signer le papier. Perdu dans sa colère, il enchaînait les coups de poing et les coups de pieds, évacuant sa haine et sa frustration sur cette gamine qui n'avait eu de cesse de le prendre de haut et de l'humilier devant ses pairs. Au bout d'une minute, qui avait semblé une éternité pour la jeune fille, Gustave intercepta son poing pour le stopper.

« Arrête ! Tu vas la tuer. »

Isobel, qui s'était recroquevillée tant bien que mal pour se protéger de la débâcle de violence qui venait de s'abattre sur elle, releva la tête pour foudroyer ses adversaires du regard. Son père sanglotait sur le lit, au bord de la syncope. Sans l'intervention de Gustave, elle se serait sans doute évanouie, elle aussi.

Son corps était tout endoloris mais elle refusa d'abandonner. Elle observa l'homme qui se prétendait son fiancé et lui adressa un sourire narquois en pouffant doucement.

« Alors, Gaston, tu montres enfin tes vraies couleurs ? C'est ça qu'il faut pour te faire bander ? Frapper une femme à terre ? »

Cette allusion à une potentielle impuissance de sa part l'atteignit tout droit dans sa masculinité le blessant dans son orgueil. Il voulut la frapper pour la faire taire mais son ami l'en empêchait encore.

« Lâche-moi ! Je vais tuer cette sa....

— Justement, on a besoin d'elle vivante ! Maîtrises-toi, penses au plan. Maurice est prêt à signer les papiers. »

Il se dégagea d'un mouvement de l'épaule rageur et se réfugia dans un coin de la chambre à l'opposé d'Isobel sous le regard de Gustave, toujours aux aguets, prêt à intervenir en cas de problème.

Jade attrapa le stylo et le donna à son père qui signa le papier. Elle le prit et le rangea soigneusement dans une pochette.

« Bien, maintenant que ce sujet est réglé, occupons-nous de la suite. »

Elle tendit un téléphone à Isobel.

« Appel ton majordome, dis lui que tu as assigné une mission top secrète à Ferdinand et qu'il ne sera pas disponible, ni joignable pendant plusieurs jours. Soit convaincante et pas d'entourloupe, sinon tu peux dire adieu à papa »

Elle hocha la tête prétextant la soumission. Elle n'avait aucun doute qu'elles allaient mettre la menace à exécution. Mais c'était aussi sa chance d'appeler à l'aide. Elle n'eut pas besoin de feindre la douleur en se mettant sur les genoux, tant elle avait mal.

« Ma voix, je dois avoir l'air normal, détacher mes mains, j'ai trop mal. »

Avant même que les autres réagissent, Gustave coupa la corde qui l'enserrait. Isobel tendit la main vers le téléphone, mais refusa de le prendre reconnaissant celui de sa sœur.

« Le miens, il devinera qu'il y a quelque chose de louche si j'appelle avec le tiens.»

Jade réfléchis quelque instant posant le pour et le contre, déterminant le risque faible, elle lui tendit le portable que la plus jeune avait soigneusement décoré dans l'avion. Tout en composant le numéro de l'homme, elle appuya discrètement sur le bouton qui alerterait Adam.

C'était risqué mais, elle devait faire savoir à l'homme qu'elle était en danger. Finn décrocha dès la première sonnerie. Elle fit semblant de riper son doigt et raccrocha immédiatement. C'était un code pour signaler un danger. Grognant et prétextant une maladresse, elle rappela immédiatement.

« Votre Grâce, que puis-je pour vous ?

— J'ai lu les nouvelles. Ferdinand est innocent, je l'ai envoyé enquêter sur la rose rouge, il ne sera pas joignable. Je ferais savoir à la police qu'il est innocent.

— Je vois, quand rentrez-vous ?

— Pas tout de suite, j'ai retrouvé la trace de mon père, je vais tenter de le raisonner.

— Pourquoi ne pas avoir demandé à mon fils de s'en occuper ?

— La rose rouge est une priorité. Et même si ton fils préfère s'occuper des pissenlits*, l'alerte doit être donnée. Je refuse qu'ils continuent à me menacer de la sorte. »

Voyant les autres s'agiter, elle comprit qu'elle devait raccrocher.

« Je dois te laisser, je ne veux pas que mon père soit lui aussi réduit à manger des pissenlits pour l'éternité, bien que, cuisiné avec soin, ils peuvent avoir bon goût.»

Elle raccrocha sans laisser le temps à son interlocuteur de répondre et rendit son téléphone à Jade, qui sifflait de rage.

« Qu'est-ce que cette histoire de rose et de pissenlit !?

— Tu m'as demandé de le convaincre, c'est ce que j'ai fait. La rose rouge fait référence à l'un de mes contrats qui me posent particulièrement problème. L'entreprise semble jouer double jeu et tente de nous doubler. Avant d'enquêter sur la tentative d'empoisonnement de papa, Ferdinand s'occupait de ce dossier.

— Et les pissenlits ?

— Ils font références aux emmerdes. Ferdinand semble jouer de malchance et père aussi. C'est tout. Si je ne m'étais pas adressé à lui en ces termes, il aurait suspecté quelque chose. Crois-tu que je prendrais le moindre risque de mettre mon père en danger en vous désobéissant ? »

Son argumentaire suffit à les convaincre et ils se détendirent tous les quatre. Maurice avait les yeux dans le vague. État de choc, diagnostiqua Isobel. Elle s'autorisa à relâcher sa pression intérieure. Et pria pour que son message soit passé.

Elle avait demandé à Finn de prévenir la mafia et lui avait fait comprendre que son fils était mort. De cela, elle en était désormais sûr. 

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* Pissenlits : dans le texte Isobel fait référence à l'expression : manger les pissenlits par la racine, qui signifie qu'on est mort. Elle essaie d'alerter Finn pour lui dire que son fils est très probablement mort.

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