" Qui aime bien, châtie bien "

" Qui aime bien, châtie bien "

Proverbe Français

Adam observait Isobel depuis la baie vitrée de son bureau qui donnait sur le jardin enneigé. Elle était assise sur un banc, emmitouflée dans un épais manteau violet, un bonnet assorti vissé sur son crâne. Il lui fallut plusieurs minutes pour reconnaître le motif qui habillait son vêtement : de petites têtes de cochons.

Il rit en silence devant cette pique évidente. Il lui avait dit la veille qu'elle avait un caractère de cochon et qu'elle ferait mieux d'être un peu moins têtu qu'un âne sinon, il la renverrait en Lapanzie. Il était persuadé qu'elle portait un T-shirt à motif d'âne en dessous ou quelque chose qui s'y référait.

Observer ses tenues était devenu son attraction quotidienne. Elle était incapable de porter quelque chose de classique. Il fallait toujours qu'il y ait moult fioritures ou motifs étranges cousus ou imprimés sur le tissu. Sans parler des couleurs ! Il ignorait que l'on pouvait en posséder une aussi large palette dans une garde-/robe. Surtout pour quelqu'un comme lui qui ne portait que des jeans et T-shirt noir.

Néanmoins, en tant qu'amateur d'art, le soin qu'elle portait à sa toilette quotidienne était un vrai plaisir pour ses sens. Autre chose qui le satisfaisait, c'était l'observer à son insus, comme présentement, en train de lire un livre. Elle semblait passionnée par le contenu et une multitude d'expressions passait sur son visage. Il pouvait presque imaginer le sujet de l'œuvre rien qu'en l'observant la lire.

Elle l'avait abandonné au profit de ses ouvrages après qu'il lui ait fait découvrir sa bibliothèque et l'immense collection qu'elle refermait. Et de ce fait, il avait renoncé à la convaincre de partager son bureau avec lui. De toute évidence, il avait perdu face à une pile de bouquins poussiéreux. Si au début, il en avait été vexé, il s'en était fait une raison depuis. Surtout quand elle lui offrait ce genre de spectacle.

Il râlait pour la forme et lui envoyait de petites piques lors de leur dîner commun. Mais c'était juste pour la taquiner et voir ses joues se colorer de rouge. Il aimait aussi débattre avec elle et la titiller dans son positionnement. Il avait senti dès le début qu'elle n'avait pas l'habitude d'être contredite ou bien confronter dans ses choix.

Elle semblait détester cela autant qu'il l'affectionnait. Elle se vengeait en se donnant en spectacle sous sa fenêtre ou en arborant des tenues ostentatoires. Adam avait remarqué qu'Isobel communiquait énormément au travers de ses vêtements, même s'il ignorait si c'était fait de manière consciente ou non. Mais une chose était sûre, si elle savait combien ce jeu lui plaisait, elle irait immédiatement s'enfermer dans sa chambre.

Il soupira avant de se détourner de cette distraction bienvenue. L'enquête qu'il menait contre le réseau de trafiquants qui avait eu le culot de le voler piétinait. Ils avaient réussi à remonter à la source de plusieurs branches mais trouver l'origine de tout cela s'avérait bien plus délicat que cela ne paraissait au premier abord.

Au début, la tête pensante semblait évidente mais au fur et à mesure de leur recherche, ils avaient compris que c'était beaucoup plus complexe que cela. Il y avait plusieurs leaders qui agissaient selon leurs propres intérêts et qui semblaient évoluer de manière indépendante. Les coincer tous était donc mission impossible tant que leur but commun n'avait pas été identifié.

Les ramifications de leur entreprise prenaient racine partout dans le monde et semblaient touchées toutes les sphères de pouvoir et les différents corps de métier. C'était une véritable fourmilière qui semblait indestructible. Mais Adam savait que rien n'était jamais éternel. Toutes civilisations avaient connu son déclin après son apogée,et il en était de même pour tout.

Si cet empire semblait intouchable aujourd'hui, il suffisait d'un grain de sable dans les rouages pour que tout se casse la figure demain. Et il comptait bien devenir l'origine de leur chute. Il allait leur faire payer l'affront qu'ils avaient commis et s'assurerait de les manger tout cru. Il était la bête de Strania, il était temps qu'ils le comprennent.

Des voix le sortirent de ses réflexions et la porte s'ouvrit sur Sevastian et Suzaku. Les deux hommes souriaient. Il y a quelques jours seulement, cela n'aurait pas été possible. Mais depuis l'arrivée d'une certaine duchesse chez lui, tout dans le manoir semblait revivre. Le vent de fraîcheur et de joie qui l'accompagnait suffisait à redonner un souffle de vie à cette grande bâtisse figée dans des temps obscurs.

Elle avait su conquérir un à un chacun de ses employés, d'Opereniye, sa pimpante femme de ménage, à Chasy, son acariâtre majordome. Sans oublier Pech sa cuisinière, un dragon qui crachait ses ordres comme du feu sur ses pauvres subordonnés, même elle semblait s'être adoucie. Ce renouveau n'était pas pour lui déplaire, il n'avait jamais aussi bien mangé depuis, mais cela l'agaçait et l'ébranlait plus que de raison.

Il n'aimait pas le changement et elle en était l'incarnation. À son contact, il se prenait à apprécier les petites choses de la vie quotidienne, ce qui avait le don de le déstabiliser. Cela pouvait être dangereux pour quelqu'un dans sa position. Cela pouvait devenir une faiblesse. Et après, il ne pourrait plus s'en passer. Si elle devenait indispensable à sa maisonnée, il n'était pas sûr de pouvoir la laisser repartir.

Ses compagnons s'assirent en face de son bureau et il prit place dans son fauteuil. Il croisa ses mains sur le plateau et posa son regard sur ses hommes. Suzaku lui tendit un épais dossier. Il en balaya le contenu rapidement et un sourire carnassier naquit sur ses lèvres. Bien, il était temps de partir en chasse.


Isobel leva les yeux des lignes qu'elle lisait. Elle avait senti le regard du fauve qui se terrait dans sa tanière depuis le début de la journée. Elle ignorait si son manège l'amusait ou l'agaçait, mais elle prenait plaisir à le faire. Il lui était très difficile de communiquer avec Adam. Agir ainsi lui permettait de garder un contact avec lui, sans trop se mettre en danger.

Adam ... Elle soupira en pensant à lui. Elle ignorait quoi penser de lui. Elle n'arrivait pas non plus à se situer entre la part réelle de sa réputation et ce qui avait été inventer. Elle savait avec certitude qu'il pensait être le monstre que tout le monde voyait.

Mais, un vrai monstre ne suscitait pas de loyauté chez les autres. Et pourtant, c'était ce qu'elle avait remarqué dès les premiers jours dans son domaine. Le dévouement de ses employés ne trouvait pas son origine dans la peur mais bien dans leur désir sincère de le servir.

La plupart d'entre eux portait les traces sur leur corps de l'enfer qui s'était déroulé des années plus tôt. Ils avaient accepté de rester à ses côtés et de porter son fardeau. Beaucoup se sentaient coupable. Lorsqu'il avait laissé son cœur s'obscurcir dans son désir de vengeance, personne n'était intervenu pour l'en dissuader.

Elle prenait aussi en compte le dévouement de Sevastian et Suzaku à son égard. Elle respectait et commençait à connaître suffisamment les deux hommes pour savoir qu'ils n'accordaient pas leur loyauté à n'importe qui. Qu'ils l'aient fait pour Adam en disait long sur lui. Chacun d'entre eux, du petit personnel aux responsables, avaient de la compassion pour lui et leur vœux le plus cher était qu'il réapprenne à vivre à nouveau.

Beaucoup avaient déjà tenté plusieurs petites manigances afin de faire éclore la fleur de la passion entre eux. Isobel avait d'ailleurs dû s'entretenir en privé avec plusieurs d'entre eux pour leur expliquer que forcer ces choses n'étaient pas bon. Et qu'elle n'était pas prête pour une quelconque romance pour le moment.

Sa vie était déjà le théâtre de suffisamment d'évènements pour qu'elle se rajoute encore en plus une histoire d'amour avec le sauvage Adam Azarov. De plus, si elle réfléchissait de manière raisonnable, c'était vers Sevastian que son choix se porterait. Il la traitait avec beaucoup d'égard et de gentillesse. Elle se sentait respectée et protégée. Tout le contraire de ce qu'elle ressentait en présence de l'autre homme.

Lui cherchait constamment à la pousser dans ses derniers retranchements et prenait beaucoup trop de plaisir à la voir sortir de ses gonds. Elle ressentait beaucoup de danger à son contact. Et Isobel n'aimait pas ça. Non, elle aimait le confort de sa petite vie et la maîtrise parfaite de son petit monde. Alors qu'il cherchait sans arrêt à la pousser hors de sa zone de confort à chacune de leur confrontation, et cela ne lui plaisait guère.

Elle avait aussi eu vent des paris qui avaient été lancés sur leur dos. Elle rit sous cape à se souvenir. Elle avait surpris Svet, l'un des valets, récolter l'argent de la mise et avait commencé son enquête. Faire cracher le morceau à Garde-robe n'avait pas été une mince affaire, mais son talent oratoire lui avait permis d'obtenir tout ce qu'elle avait voulu savoir.

Elle lui avait donné vingt zolors stranien, monnaie de l'empire, pour qu'elle mise contre elle. Et rien que pour ça, elle avait envie de tout faire pour les faire échouer. Car aussi beau soit-il, elle ne succombera pas à l'attrait du fruit défendu. Vraiment une idylle entre elle et le redoutable Krupny de la Krasnaya Roza était une idée tellement saugrenue qu'elle en était hilarante.

Un frisson la parcourue suite au vent frais qui souffla dans les arbres. Elle détestait vraiment la météo de ce pays. Bon sang, qu'elle avait hâte de rentrer chez elle. Elle jeta un regard menaçant au nuage gris qui arrivait, annonciateur de la neige qui ne tarderait pas à retomber. Le temps lui donnait des envies de meurtre. Si Gaston, Gustave ou ses sœurs s'étaient trouvés ici, elle aurait été capable de leur tordre le cou.

Courant se mettre à l'abri, elle alla se réfugier devant le feu de la cheminée qui crépitait dans la bibliothèque. Elle retira son gros manteau, ses gants et son bonnet pour les poser sur une chaise près de la fenêtre. Retirant au passage ses boots fourrées, elle s'enroula dans un épais plaid et repris sa lecture là où elle l'avait interrompue. Le sommeil finit par la gagner et elle se lova sur l'épais tapis pour se réfugier droit dans les bras de Morphée.

Elle se réveilla quand le soleil commença à décliner. Elle s'étira de tout son long et se leva difficilement, son corps encore engourdi par le sommeil. Elle observa le temps qui s'était encore assombris et observa un instant les flocons tomber sur le sol déjà blanc. Elle attrapa l'épais dossier qu'elle avait imprimé et retourna à sa place.

Elle tourna les page une à une, s'immergeant dans chaque biographie qui y était rapportée. Elle avait sélectionné plus d'une centaine de candidats potentiels pour son mariage mais jusqu'à présent, aucun ne lui avait tapé dans l'œil. Comme à son habitude, Ferdinand avait sut faire preuve d'efficacité et de rapidité. De leur généalogie à leur enfance en passant par leur goût et leur travers, tout y était. Elle avait même la photo de chacun d'entre eux.

Si certains avaient su attirer son attention, il y avait toujours quelque chose qui n'allait pas. Elle se rejeta en arrière, s'étalant de tout son long jambe et bras écartés. Un grognement de frustration sorti de sa gorge et elle tapa des mains et des pieds comme une enfant capricieuse.

« J'ignorais qu'une gorge humaine pouvait produire ce genre de son. »

Elle se retourna dans un sursaut vers la voix grave et vibrante qui venait de l'interpeller, tout en lâchant un couinement de peur dans la foulée.

« Celui-ci non plus n'était pas commun.

- De ... Depuis combien de temps êtes-vous là ?

- Depuis votre petite sieste. Je vous trouvais déjà très fascinante réveillée, mais j'ignorais que vous l'étiez aussi dans votre sommeil. Saviez-vous que vous prenez des positions très intéressantes ? Vous deviez être un chat dans une autre vie, c'est vraiment ... étonnant.

- Vous ... Vous m'espionnez !

- Allons, allons mademoiselle Lemarchand, tout de suite les grands mots. Je venais chercher un livre quand je vous ai entendu marmonner. Je pensais que vous me parliez avant de comprendre que vous étiez profondément endormie. »

Isobel rougit jusqu'aux oreilles. Odessa lui avait déjà fait remarquer plusieurs fois à quel point son sommeil était agitée, mais qu'Adam Azarov est pu en être témoin la mortifiait. Elle essuya sa bouche avec la manche de son gilet, soudain inquiète qu'un filet de bave puisse s'y trouver.

« Qu'est-ce qui vous met dans cet état ?

- Je ... J'ai toujours eu un sommeil agité.

- Je ne parlais pas de ça mais de votre petite crise de colère.

- Oh ! Ça !? Eh bien, je n'arrive pas à trouver un bon parti pour mon mariage.

- Je vois. Ce n'est pas ainsi que vous y arriverez, vous savez ?

- Comment ça ?

- Vous êtes une romantique Isobel, vous raisonnez avec votre cœur et non avec votre cerveau. Vous devez les rencontrer, vous faire une idée de visu plutôt qu'au travers d'une feuille de papier noirci par des mots vides de sens et d'une photo sans aucun doute retouchée. »

Elle fut surprise par ses mots. Non seulement, il s'adressait à elle avec une douceur empreinte de gentillesse, il l'avait appelée par son prénom pour la première fois mais surtout il avait pris le temps d'analyser sa situation. C'était la première fois, et c'en était étrange.

« Je ... Merci. Vous avez sans doute raison, je devrais peut-être les rencontrer en personne.

- N'oubliez pas d'emmener des lunettes de soleil.

- Des lunettes ? Pourquoi ?

- Parce que vous allez les éblouir. Et pas qu'intellectuellement ! »

Et voilà, Adam Azarov ne savait finalement pas être gentil. Isobel le regarda partir, lui et son sourire moqueur aux lèvres. Ha ! Il critiquait ses tenues, il allait être servi. Elle se réfugia dans sa chambre et en sortit une robe à manche longue jaune poussin. Elle l'associa d'un bandeau dans les cheveux et de boucles d'oreilles en diamant qui brillait de mille feux à la lumière.

Elle s'observa dans le miroir et sourit à son reflet. Elle ressemblait à un soleil ! Ou peut-être plutôt à un poussin difforme mais cela fera l'affaire. Son gros gilet blanc à capuche fourrée sur le dos, elle se rendit dans la salle à manger.

Adam l'attendait déjà. À son arrivée, il sortit discrètement sa paire de lunettes de soleil et la chaussa sur son nez. Elle rougit, vexée que son plan ait été déjoué. Sevastian et Suzaku qui était resté manger pour le souper les regardèrent tour à tour ne comprenant pas ce qu'il se passait.

« Bien, vous avez gagné cette fois-ci, mais la prochaine manche sera pour moi.

- Vous êtes trop jeune et innocente pour cela. »

On pouvait presque voir la fumée sortir des oreilles de la jeune fille. Sevastian lui tapota la chaise près de lui et elle vint s'asseoir dessus avec une mine boudeuse. Suzaku regarda son ami avec un léger sourire sur le visage. Eux aussi avaient pris les paris, et ils observaient l'avancée de leur relation avec beaucoup d'intérêt.

Adam rit en silence. L'échange silencieux entre les deux hommes ne l'avait pas échappé. Et la mise d'Isobel non plus. Il était au courant de tout ce qu'il se passait et en vieux renard qu'il était, prenait plaisir à voir dans quel sens cela avançait. Il était presque tenter de séduire la jeune femme simplement pour la voir perdre. Mais c'était prendre un trop grand risque.

Et lui non plus n'était pas prêt à se mouiller les plumes...

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