"On voit qu'un ami est sûr quand notre situation ne l'est pas."
"On voit qu'un ami est sûr quand notre situation ne l'est pas"
Cicéron
Elle traversa la moitié de la ville avant de trouver l'emplacement idéal pour sa chère Bertie : un petit parking dans un quartier résidentiel. Suffisamment loin de chez elle pour qu’on ne la retrouve pas trop vite mais pas non plus trop loin pour que Ferdinand vienne la chercher quand elle lui aurait envoyé les coordonnées.
Elle récupéra son sac et sa valise, ferma à clef sa précieuse voiture avant de composer le numéro d'un taxi. Une fois son correspondant en ligne, elle lui donna l'adresse d'où elle se trouvait et attendit patiemment son arrivée. Elle envoya un message codé à son secrétaire pour qu’il puisse la contacter à ce nouveau numéro et qu’il sache où chercher Philibert.
Quand la chauffeuse se gara devant elle, elle lui offrit un léger sourire. Elle espérait que son ange gardien continuerait de veiller sur elle, à défaut, elle appréciait tout de même qu'il lui ait envoyé une femme plutôt qu'un homme pour la conduire vers son destin.
La conductrice s'empressa de lui faire la conversation, lui posant plusieurs questions auxquelles elle répondit tant bien que mal. Elle n'aimait pas vraiment mentir, elle restait donc le plus près possible de la réalité tout en déviant des sujets sensibles vers des banalités dès que cela devenait trop inquisiteur. Finalement le trajet se passa sans encombre.
Une fois descendue du taxi, un poids vint s'abattre sur ses épaules. Parler de tout et de rien l'avait détournée de son véritable objectif et de l'angoisse qui l'accompagnait. Maintenant qu'elle se retrouvait seule, elle se sentait proche de perdre tous ses moyens. Se retenant d'abandonner son projet, elle s'exhorta à pénétrer dans l'enceinte, traînant sa valise derrière elle.
Elle repéra le jet sans mal. Un groupe de techniciens s'affairaient aux vérifications d'usages. Elle décida d'attendre la nuit venue pour agir. Elle allait se faire enfermer dans le hangar et quand les lumières seront éteintes, elle pénètrera à bord. Possédant elle-même son propre avion, elle savait d'expérience que c'était possible. Après tout, qui voudrait voler un jet ?
Familière des lieux, elle réussit à pénétrer dans la bâtisse sans se faire repérer. Elle se dirigea silencieusement, sa valise dans les bras, vers une zone de stockage et se dissimula derrière de grosses caisses en bois. Tentant tant bien que mal de trouver une position confortable, elle attendit.
La première heure, elle maudît intérieurement le sol d'être aussi dur. Pourquoi ne pouvait-elle pas être coincée sur un tas de … de matelas, par exemple? Ou du moins quelque chose de plus confortable que ce ciment dur et froid. La deuxième heure, elle fit un concert de grognement avec son ventre. Elle ne cessait de se répéter mentalement à quel point elle était idiote de ne pas avoir penser à prendre à manger.
La troisième heure, elle avait tellement faim qu'elle était prête à sauter par-dessus sa caisse pour supplier le personnel de lui donner quelque chose à grignoter. La quatrième heure, elle avait mal aux fesses, faim, froid et une envie pressante de faire pipi. Finalement, au bout de la cinquième heure, quand elle pensa qu'elle allait craquer pour de bon, les lumières s'éteignirent la laissant seule et dans le noir.
Entreprenant de se lever doucement, elle s'étira avant de faire quelques pas pour se dégourdir les jambes et se libérer des fourmis qui l’enkylosaient. Elle attendit encore une demi-heure avant de se décider à pénétrer enfin dans l'oiseau de fer. Arriver en dessous, elle se réjouit intérieurement.
La chance lui souriait encore, l'escalier était toujours devant la porte. S'élançant quatre à quatre, elle atteignit rapidement le sommet. Ouvrant la porte tout doucement, elle pénétra à l'intérieur. Promenant le faisceau de la lampe de son téléphone, elle examina chaque recoin dans le plus grand des silences.
La pénombre l'empêchait de distinguer parfaitement ce qu'elle voyait mais c'était suffisant pour se faire une idée du luxe et de la richesse qui s'en dégageait. Apercevant enfin la porte qu'elle cherchait désespérément, elle se dirigea droit sur elle, et s'enferma dans la pièce qu'elle dissimulait.
Le moteur étant à l'arrêt, elle se persuada qu'il n'y avait pas d'électricité, et garda donc son flash allumé pour s'éclairer. S'asseyant enfin sur la cuvette des toilettes, elle s'empressa de satisfaire au moins l'un de ses besoins du moment.
🥀
Sevastian avait décidé de dormir dans l'avion. Même s'il était persuadé que personne n'allait le voler, après tout, il se ferait arrêter avant même d'avoir réussi à décoller, ils n'étaient pas à l'abri d'un sabotage. La mafia avait de nombreux ennemis et en tant que second, il était une cible à abattre.
Il était près de 22h quand les techniciens et ses hommes avaient enfin fini d'inspecter l'appareil et de le remplir d’essence. Il ne manquait plus qu'à faire les dernières vérifications d’usage avant de décoller.
Il venait tout juste de se coucher dans la chambre qui se trouvait à l'arrière quand il entendit du bruit. Ses sens en alerte, il arma son arme et ouvrit doucement la porte pour voir ce qu'il se passait. Le faisceau d'une lampe balaya les recoins et une silhouette se glissa à l'intérieur.
L'intrus semblait chercher quelque chose. Il pointa enfin son faisceau en direction de la cabine de pilotage et s'y précipita. Prêt à bondir, Sevastian ouvrit plus largement la porte de sa chambre qui chuinta sans bruit. Quelle ne fut pas sa surprise de voir l'importun s'arrêter aux toilettes pour s'y enfermer.
Une sueur froide commença à couler le long de son cou. Que faisait-il à l'intérieur ? Il n'avait pas manqué de remarquer le bagage à main qu'il avait emmené avec lui. Y avait-il une bombe à l'intérieur ? Des explosifs ? Savait-il qu'il était à l'intérieur ? Non, impossible, il avait décidé de rester à la toute dernière minute. Et plus important encore, pour qui travaillait-il ?
Le bruit de la chasse d'eau se fit entendre, plongeant Sevastian dans une perplexité sans nom. Venait-il vraiment d'aller aux toilettes, pour simplement ... aller aux toilettes ? Pas de doute, il n'avait pas à faire à un professionnel. De toute évidence celui-ci n’en était pas un !
N'étant pas homme à tirer sur des novices, il rangea donc son arme et se tint à proximité d'un interrupteur.
Quand la porte s'ouvrit enfin, il alluma la lumière faisant hurler de peur son espion. Ou plutôt sa petite espionne ! La rage et la peur se mélangèrent en lui lorsqu’il la reconnue.
« Isobel ! Mais que fais-tu donc ici ? Te rends-tu compte que j'aurais pu te descendre à l'instant où tu as posé ton pied sur cette foutu moquette ? Tu veux mourir ou quoi ?
— Je ... Non... Je suis désolée... Pardonne-moi Sevastian. En fait, j'espérais que l'avion serait vide.
— Pourquoi ? »
Isobel se sentit tout d'un coup terriblement idiote. Son plan était voué à l'échec depuis le début. Après tout, elle ne connaissait Sevastian que depuis quelques jours. Elle avait désespérément besoin de lui faire confiance pour se sortir de cette situation et avait agit avec égoïsme.
Il l'avait effrayé. Sevastian le voyait dans ses yeux et dans sa posture. Elle était recroquevillée sur elle-même, les bras en avant pour se protéger, la peur luisaient dans ses grands yeux et sa lèvre inférieure tremblotait. Elle était sur le point de pleurer. Il prit une profonde inspiration et tenta de se calmer.
L'adrénaline pulsant dans ses veines avait décuplé sa colère et son angoisse. Bon sang, il aurait vraiment pu la tuer !
« Et si on reprenait depuis le début. Assieds-toi dans un des sièges et raconte-moi ce qui t'as poussé à pénétrer illégalement dans mon jet, tu veux bien ? »
Elle se détendit légèrement et prit place dans le siège le plus proche d'elle. Il la sentait toujours méfiante mais un peu moins apeurée.
« Je ... Hum ... J'ai besoin de fuir le pays de manière incognito.
— Pourquoi ?
— Gaston …
— Qu'a-t-il encore fait !? »
La colère dans sa voix lui fit chaud au cœur. Peut-être qu'il tenait suffisamment à elle pour lui apporter son secours ? La journée avait été tellement longue qu'elle avait oublié qu'ils s'étaient vu le matin même.
« Après t'avoir laissé, Ferdinand m'a contacté pour me dire que mon père était à l'hôpital. Quelqu'un avait remplacé son safran par de l'œnanthe safranée...»
Le visage de Sevastian se durcit et pâlit légèrement. Il se leva pour mettre la jeune femme debout et la secoua légèrement pour lui faire entendre raison.
« Vraiment, Isobel, cet homme mérite de mourir !
— Je ... Je suis d'accord avec toi, mais …
— Je sais, je sais, tu préfères laisser faire la justice. Et donc, que fais-tu ici au lieu d'être auprès de ton père ?
— Ne comprends-tu pas ? Il n'abandonnera jamais. Il faut donc que je disparaisse avant qu'il ne soit trop tard. J'ai trois choix: soit je me marie avec un inconnu, soit je meurs, soit je fuis.
— Ou tu le fais assassiner. Problème réglé.»
Isobel pouffa contre son torse.
« On t'a déjà dit que tu étais têtu ?
— Trop souvent !
— Mais tu sais déjà que ce n'est pas une option envisageable pour moi. Je ne veux pas tomber aussi bas que lui.
— C'est un point de vue...»
Le ton de Sevastian était amer. Il lui fallut quelques secondes avant de comprendre la bavure qu'elle venait de faire.
« Oh ... je ne voulais pas dire que tu étais comme lui, juste que ... »
Gonflant les joues, elle détourna son regard, gênée. Savastian pouffa devant son malaise évident. Elle était vraiment trop gentille, cherchant dans cesse à ménager les sentiments d'autrui.
« Ne te fatigue pas Isobel ! J'ai compris ce que tu voulais dire. Je sais que mes choix de vie sont condamnables et ça fait longtemps que je les assume. C'est en ce sens que je t'admire. Toi et ton désir à agir selon ce qui est bien. »
Ils restèrent un long moment silencieux profitant d'un réconfort mutuel dans les bras l'un de l'autre. Isobel se détacha doucement de son ami pour se diriger vers sa valise. Elle la prit et la posa sur la table devant son siège. Sevastian se rassit en face.
« Pour ce que ça vaut, j'ai apporté la rose avec moi. J'aimerais l'échanger contre ma sécurité.
— Comment ça ?
— Je vous la rendrais en échange de votre protection. J'ai besoin de disparaître le temps d'étudier les différentes options qui me sont offertes. Et pour ça j'ai besoin d'un endroit sûr où personne ne pourra me trouver.
— C'est ton père qu'il a attaqué. N'as-tu pas peur qu'il s'en prenne à un autre de tes proches ?
— Ferdinand ramène tous mes employés à Galloway House où ils seront en sécurité. Et j'ai envoyé Odessa loin d'ici également.
— Je vois ...
— Est-ce que ... C'est du suicide n'est-ce pas ? Ton chef n'approuvera jamais ... Je suis tellement naïve. Tu sais quoi oubli tout ! »
Elle commença à ouvrir sa valise pour en sortir la rose et la donner à Sevastian mais il repoussa sa main.
« En réalité, c'est plutôt intelligent. Si Adam refuse de t'offrir sa protection, je connais un autre endroit où tu seras en sécurité. Mais je dois te prévenir Isobel, Adam n'est pas gentil. Oublie les histoires du mafieux qui tombe amoureux au premier regard de la naïve héroïne qui vient se jeter dans ses bras réveillant tous ses instincts protecteurs. Il est tellement blessé par la vie qu'il ne sait plus ce qu'aimer veut dire. Il peut se montrer dur, cruel et violent...
— Mais pourtant tu l'aimes et le respecte. Ça veut dire qu'il n'est pas complètement mauvais.
— Tu as raison. Il a beau se comporter comme un monstre et être persuadé d'en être un, il n'est pas mauvais. Il fait simplement tout pour repousser les autres. Il ne s'ouvre qu'à Nina, Suzaku et moi . Et encore... Parfois, même avec nous, il joue à la "Bête de Strania".
— Je te promets d'être prudente et de ne pas chercher à le provoquer …
— Ce n'est pas ça qui m'inquiète ! C'est plutôt ton envie de l'apprivoiser.
— Et si …
— Oublis Isobel ! Je le connais depuis toujours, on a grandi ensemble, tu sais, et même moi je n'ai rien pu faire pour l'aider. Seule Nina arrive à toucher son cœur comme personne, mais là encore ça ne suffit pas pour le sauver. »
Isobel posa sa main sur celle de son ami. Elle ressentait toute la douleur que cette confession contenait. Elle avait envie de pleurer et de hurler devant cette injustice. Mais elle n'était qu'une simple humaine. Qui pensait-elle tromper en se prenant pour Dieu ? Sevastian lui sourit et pouffa légèrement.
« Tu recommences, Isobel. Garde ta compassion pour ceux qui en ont vraiment besoin. Nous avons choisi cette vie, il nous faut en assumer les conséquences. Allez, assez de sentimentalisme. Tu as mangé ? »
Elle lui fit signe que non. Il lui proposa une mal-bouffe qu'elle s'empressa d'accepter. Attrapant son téléphone, il composa le numéro d'un livreur auprès duquel il passa commande.
Ils attendirent l'arrivée de leurs plats à l'extérieur du hangar. Une fois la livraison effectuée, ils retournèrent dans l'avion pour manger. À la fin du repas, ils décidèrent d'aller se coucher.
« Il n'y a qu'un seul lit par contre, il va falloir le partager... »
Isobel sentit le rouge lui monter mais ne dit rien. Après tout, le matin même il lui avait certifié ne pas vouloir coucher avec elle. Elle prit dans sa valise un pyjama qu'elle se réjouissait d'avoir glissé tant sa composition avait été aléatoire. Elle s'habilla ensuite dans les toilettes.
Quand elle revint, Sevastian était déjà installé sous la couette. Il lisait quelque chose sur son téléphone. Isobel l'observa avec attention. Elle le trouvait splendide avec sa peau noire sans défaut apparent, son nez rond légèrement épaté, ses yeux brillants et son visage bien dessiné, souligné par sa barbe bien taillée.
Elle le compare à Gaston. Bien que leur physique soit assez similaire sur bien des points, la différence entre eux était flagrante. L'un avait une beauté superficielle, sculpté pour ne mettre en avant que ses avantages. Tandis que l'autre dégageait un sentiment de liberté grâce à son côté naturel et sa force de caractère. Elle se sentait bien en sa présence, protégée, aimée, avec de la valeur à ses yeux.
Sentant son regard sur lui, il releva les yeux vers elle et haussa un sourcil interrogateur.
« Un problème ?
— Non au contraire, tout va bien.
— Dans ce cas, viens te coucher. Demain, je t'emmène dans mon pays. »
Elle lui sourit et obtempéra rapidement. Épuisée par tous les événements qu'elle venait de vivre durant la journée, elle s'endormit rapidement.
Sevastian ressentit un élan de tendresse envers sa voisine allongée à ses côtés. Il était touché de la confiance qu'elle lui offrait. En réalité c'était la première fois qu'il se liait d'amitié aussi rapidement. Surtout envers une "civile" sans défense.
Et cela lui faisait peur. Car dans son monde, l'amour était synonyme de faiblesse. Si l'on venait à découvrir l'importance que la jeune femme avait pris dans son cœur, elle deviendrait une cible pour quiconque souhaiterait l'atteindre.
Face à cette prise de conscience, il se fit la promesse d'assurer sa sécurité. Si Adam refusait de lui offrir asile, il le ferait lui-même. Une fois cette résolution prise, il glissa à son tour dans un sommeil réparateur.
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