"Le serpent change de peau, mais garde sa nature "

"Le serpent change de peau, mais garde sa nature "

Proverbe français

Laura, Jade, Gustave et Gaston se trouvaient dans le fumoir du manoir Lemarchand. Les deux femmes portaient une robe empire, l'une était rose poudré, l'autre or, qui mettaient en valeur leurs attributs de manières très révélatrice. Leur chevelure était lâchée en une cascade de boucles blondes. Des pendants en diamants et or encadraient leur visage. Elles étaient face à face avachies chacune dans un canapé, fume-cigarette aux doigts, un verre d'alcool dans l'autre main. Elles étaient séparées d'une simple table basse sur laquelle se trouvaient quelques collations qu'elles venaient de commander chez un traiteur renommé.

Quant au deux hommes, Gaston portait un costume trois pièce gris anthracite associé d'une chemise blanche, mettant en valeur le noir de sa peau. Gustave portait un costume dandy aubergine avec son éternel chapeau haut de forme, habituellement vissé sur son crâne, qui était délicatement posé sur la patère à l'entrée. Ils disputaient une partie de billard, vestes enlevées et manches de chemises retroussées jusqu'au coude.

Suite à la désertion de tous les employés de la demeure, qui s'étaient réfugiés au fief des Galloway, les jumelles devaient à nouveau se débrouiller seules. Si l'absence de domesticité commençait à se faire ressentir à la vue du sol qui s'encrassait, cela n'empêchait pas les quatre comparses de continuer à profiter allègrement des commodités qu'offrait le manoir d'Isobel.

Jade prit la parole la première, soufflant la fumée qu'elle venait d'aspirer.

« Mes amis, nous sommes tous réunis ici, car la situation est grave. »

Gustave leva discrètement les yeux au ciel, appréhendant quelque peu la conversation. Il croisa les bras et s'appuya sur la table du billard, montrant par son langage corporel le peu de motivation qu'il avait à se joindre à la discussion. Cela faisait presque une semaine depuis le bal et le réveil de leur père. Il avait cru, à tort, qu'elles avaient enfin lâché l'affaire face au silence de leur paternel. Visiblement, il avait eu tort.

Gaston posa la queue de bois sur le tapis de feutrine vert et prit place dans l'un des fauteuils jouxtant les canapés. Il s'appuya sur ses coudes, les yeux rivés sur son amante. Son meilleur ami serra les dents. Il n'aimait pas l'attraction qu'exerçait la plus fourbe des jumelles sur lui, c'en était au point qu'il lui mangeait dans la main et se pliait à tous ses désirs.

Pour ne rien arranger, il avait l'amère impression, qu'au moment où ils seraient pris, car cela ne faisait plus aucun doute que ce serait le cas, les demoiselles allaient faire tout ce qui était en leur pouvoir pour qu'ils portent le chapeau. Elles useraient sans doute de leur talent d'actrice et profiteraient de leur bonne réputation pour minimiser leur peine.

Personne, excepté leur jeune sœur, ne savait à quel point les anges que tout le monde connaissait était en réalité de redoutables démons. Mais Gustave ne comptait pas les laisser s'en sortir à si bon compte. Glissant sa main dans la poche de son costume, il appuya sur le bouton de l'enregistreur qu'il y dissimulait.

Il avait commencé à collecter des preuves de leurs implications depuis déjà plusieurs jours, montant un dossier irréfutable sur leur culpabilité à chacun. Il n'avait plus l'espoir de sauver sa peau, ni Gaston de leurs griffes, le bonhomme était perdu depuis trop longtemps, et il était hors de question pour lui qu'il le laisse aller seul en prison.

Pour Gustave, leur relation était "à la vie et à la mort". Il était disposé à faire n'importe quoi pour lui. Il était à ses yeux, la personne la plus précieuse au monde. Et il le suivrait jusqu'au bout, même si ce bout-là signifiait vendre son âme au diable.

Il préparait secrètement le transfert des actions et responsabilités qui lui incombaient aujourd'hui à sa petite sœur. Marguerite avait beau être là plus jeune de la fratrie, elle était de loin la plus mature et la plus à même de sauver l'entreprise familiale. Il regrettait seulement de ne pas l'avoir réalisé plus tôt. Elle ferait un chef de famille formidable et devant l'échec de sa vie, il était content de l'avoir.

Il lui avait fait part de la situation. Elle l'avait écouté avec attention et lui avait demandé s'il souhaitait fuir ou prendre ses responsabilités. Il n'était pas un bon garçon : la fuite serait son option. Elle avait simplement hoché la tête avant de le prévenir que sa première action serait de l'enlever du registre familial. Cela avait été un gros coup pour lui, mais il avait compris.

Elle ne pouvait se permettre que le scandale qui allait éclater suite à la révélation de leur crime entache la réputation déjà bien fragile de leur nom. Mais elle lui avait ensuite gentiment tapoté la main, avait souri, de ce même sourire qu'elle partageait avec lui, pour ensuite lui dire que s'il avait besoin d'aide, elle répondrait présent. Cela avait suffi pour lui réchauffer le cœur.

Il avait fait son choix. Et son choix était Gaston. Mais savoir que sa sœur ne l'abandonnerait pas était pour lui un cadeau plus que bienvenu. La voix de rossignol de sa maîtresse l'arracha à ses souvenirs. Il retint difficilement un grognement contrarié, la malfaisance brillait dans ses yeux ce qui ne présentait rien de bon au sujet des mots qui franchiraient la barrière de ses lèvres.

Il regrettait tellement de s'être laissé piégé par le charme angélique des jumelles. S'ils n'avaient pas cédé à l'attrait du fruit défendu, ils n'en seraient pas là aujourd'hui, une épée de Damoclès à double tranchant planant au-dessus de leur tête. Quand Laura eut enfin l'attention de tous, elle poursuivit le discours de sa sœur.

« Il faut trouver un moyen pour nous débarrasser de Ferdinand. Il faut s'assurer que notre père ne parle pas à la police. Et surtout, il nous faut régler ce problème de détournement de fonds.»

Gaston fronça les sourcils, il était contrarié que tout ne se passe pas selon ses plans. Il maudissait Isobel pour ce qu'elle leur faisait subir. Sans les revenus conséquents qu'elle allouait à ses sœurs, c'était devenu bien compliqué d'entretenir leur train de vie.

Il s'adossa contre le dossier de son fauteuil en soufflant de frustration. Cela fit voler une légère couche de poussière tout autour de lui, provoquant immédiatement une série d'éternuement. Oh oui, il haïssait cette petite garce ! Et il ferait tout pour lui faire payer au centuple l'humiliation qu'il ressentait à présent. Il était comte non de non !

« Ah, si seulement Ferdinand ou votre père pouvait être tenu pour responsable de tous nos maux ! Cela nous faciliterait grandement la tâche. Bien que voir Isobel enfermée derrière des barreaux me procurait une plus grande joie. »

Gustave pinça les lèvres, la désapprobation visible sur son visage. Il n'aimait pas entendre son ami parler aussi facilement d'éliminer quelqu'un. Les jumelles se jetèrent un regard complice qui ne lui dit rien qui vaille. Laura se redressa, tel un serpent près à attaquer.

« Et bien, ce n'est pas comme si cela était impossible. Il se trouve que Jade et moi avons réfléchi à un plan qui pourrait nous sortir d'affaires. »

Gustave, resté debout, se décala discrètement pour être sûr que chaque parole qui sera prononcée à partir de maintenant soit bien enregistrée. Il les incita à parler.

« On vous écoute.

— Il se trouve que nous résidons actuellement dans une maison dotée de nombreuses chambres vides. Il nous suffit donc de mettre Ferdinand hors jeu. Jade opte pour la force brute, mais je me tournerais, pour ma part, vers une drogue comme de la Bombé ou le GHB. L'avantage de la première c'est une paralysie totale le transformant en un zombie décérébré qui nous faciliterait grandement la tâche, le point négatif, c'est qu'elle se fume et au dire des consommateurs, il sera difficile de lui en donner à son insue. Alors qu'à l'inverse le GHB est indétectable par la victime, malheureusement, il ne perdra pas entièrement tous ses moyens.

— D'où la nécessité d'utiliser la force brute, ma chère sœur.

— Exactement, on ne pourra pas utiliser le GHB seul.

— Mes demoiselles, avez-vous conscience que chacune de ses drogues peut conduire à la mort ?

— Gaston, toujours là pour nous faire la morale. Évidemment, que nous sommes au courant, mais la mort de Ferdinand ne serait qu'un avantage pour nous !

— Ce n'est sans doute pas ce que dira la police chargée de l'enquête.

— Oh mon chéri, mais qui le saura. Il suffira de graisser quelques mains et le tour sera joué.

— Ah oui ! Et avec quel argent ? Dois-je vous rappeler que votre sœur vous à couper les vivres ?

— Ne t'en fait pas Gaston, Sarrewerden paiera pour nous. Et qui nous oblige à faire tout le travail ? Il nous suffit de payer quelqu'un pour le faire. Guénolé connait du monde dans la pègre, tant que le prix est suffisant, mettre ce plan en œuvre, sans laisser de trace, ne sera pas difficile. Ferdinand doit venir dans la semaine pour nous interroger sur notre prétendue implication dans cette affaire, ce sera le bon moment pour agir. »

La colère noircissait les yeux de Gustave. Il serra les poings et contracta sa mâchoire. Ravalant du mieux qu'il le put ses émotions prêtent à exploser d'un moment à l'autre, il se força à opter pour une position nonchalante et regarda Laura dans les yeux.

« Et ensuite, que comptez-vous faire ?

— Une fois Ferdinand hors-jeu, on récupère notre père à l'hôpital. Comme nous sommes ses filles biologiques, cela ne sera pas difficile de le faire. On le ramène également à la maison pour qu'il devienne notre otage. Ensuite, on fait chanter Isobel. Elle est prête à tout pour notre père. Il nous suffit de lui ordonner de revenir seule, que si elle prévient la police ou qui que ce soit d'autre, père mourra. On n'aura pas besoin de la convaincre longtemps, elle sait que nous n'hésiterons pas à le faire. »

Gustave était sur le point d'exploser. Des anges ! Tu parles. De vraies démones ! Jade se leva pour venir se couler dans ses bras. Il lui fallut faire preuve de toute sa maîtrise pour desserrer un à un chacun de ses muscles et l'enlacer à son tour.

« Ne sois pas si tendu, mon cœur, le premier réflexe d'Isobel sera d'appeler Ferdinand. Mais c'est nous qui aurons son téléphone. A ce moment là, prétexter que nous avons frapper père en modifiant une image à l'aide d'un logiciel ne sera pas compliqué. Elle y croira et reviendra ici sans que personne ne soit au courant.

— Et si Ferdinand meurt, comment allez-vous gérer cela ?

— Et bien, nous paieront un nettoyeur avec l'argent d'Isobel. Avec père en otage, elle fera tout ce qu'on lui dira de faire. Et si cela ne marche pas, on passera par papa. Si Isobel lui est entièrement dévouée, la réciproque fonctionne aussi.

— Et pour ce qui est du détournement de fond ?

— Papa en assumera les conséquences.

— Par amour pour votre sœur ?

— Exactement ! Mais aussi par amour pour nous ! »

La vipère qu'il tenait dans ses bras lui offrit un sourire angélique. Elle était folle, il n'y en avait plus aucun doute pour Gustave. Il se tourna à nouveau vers Laura, toujours allongée dans son canapé.

« Et pour le mariage ?

— Elle signera. Sinon, papa le fera pour elle.

— Seulement si elle est mise sous tutelle.

— Une bagatelle mon cher. »

Elle balaya chacun de ses arguments d'un geste de la main comme si cela n'était pas un problème. Elles avaient vraiment pensé à tout ! Oh, comme il regrettait de s'être allié à elles. Mais avec les preuves qu'il venait de réunir, il pourrait les faire tomber, il ne lui restait plus qu'à convaincre Gaston.

Son regard se porta naturellement sur lui et son expression le choqua. Il regardait Laura avec une telle dévotion, se délectant de chacun de ses gestes, buvant chacune de ses paroles. Il ferma les yeux et inspira une grande bouffée d'air empoisonnée par la fumée de la cigarette. Il connaissait trop bien son ami. Il était perdu et ils allaient tous en payer le prix.

Foutu pour foutu, il lui fallait sauver leur peau. Prévenir Ferdinand, Maurice ou Isobel ne serait pas la solution. Les harpies trouveraient le moyen de passer outre cet obstacle. Non, il lui fallait prévoir une issue de secours. Au moment du danger, Gaston se tournerait vers lui, et tournerait le dos à son amante. Du moins, il l'espérait sincèrement. Car oui, la fuite serait leur salut. Il allait avoir besoin de faux passeports, d'une destination mais surtout de beaucoup d'argent.

Il existait une personne au monde qui pourrait l'aider et le protéger en même temps : Marguerite. Elle serait sa bouée. Il espérait simplement ne pas devenir sa perte... 

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