"L'école de la vie n'a point de vacances"
Proverbes Français
Isobel venait juste de se réveiller après avoir passer l'une des meilleures nuits de sa vie. La chambre qui lui avait été attribuée était une pure merveille. Elle était décorée avec des teintes rubis et ocre. Un lit baldaquin trônait au milieu de la pièce encadré par d'épais rideaux de velours qu'elle avait fermé pour se protéger du froid. Les draps de soie blanc caressait sa peau et l'épaisse couverture lui donnait un fort sentiment de sécurité. Le matelas moelleux et l'oreiller de plume accentuaient son confort. Elle était tellement bien dans son cocon qu'elle ne souhaitait pour rien au monde en sortir.
De léger coup à la porte la sortit de sa rêverie et elle s'empressa de répondre à la nouvelle venue.
« Mademoiselle, il est l'heure de se lever. »
Isobel faillit grogner à la commande de Garderobe, la femme de chambre qu'on lui avait attribuée pour la durée de son séjour. Elle entendit les volets s'ouvrir dans un chuintement silencieux. Quand la rondelette domestique tira sur le drapé qui la protégeait de la lumière et du froid, la jeune fille se réfugia plus profondément sous ses draps.
« Allez mademoiselle, nous devons vous préparer pour le petit déjeuner. Monsieur est très à cheval sur la ponctualité, il serait dommage de le contrarier pour si peu.»
Cette fois-ci, le grognement traversa la barrière de ses lèvres. Le maître de la maison était un maniaque des convenances. Au souvenir du dîner de la veille, un frisson d'horreur la parcourue. Décidant de faire preuve de respect pour cet homme qui l'hébergeait, elle prit son courage à deux mains et sortit de son lit.
La femme de chambre la recouvrit d'un plaid et la conduisit vers la salle de bain adjacente où un bain fumant l'attendait.
Dès qu'elle fut seule, elle se dévêtit avant de s'immerger lentement dans l'eau brûlante. Elle n'aimait pas être assister, c'est d'ailleurs pour cela qu'elle n'avait pas de femme de chambre dans son domaine. Elle demandait de l'aide uniquement en cas de besoin, surtout quand elle devait se rendre à des événements publics qui nécessitait une tenue impeccable et une coiffure sophistiquée.
Mais mademoiselle Garderobe s'était sentie insultée lorsqu'elle avait refusé son aide lors de leur première rencontre. Elle avait fini par céder et tolérait sa présence pour prendre soin d'elle sauf dans la salle de bain.
L'eau chaude et la fragrance des roses qui y avait été ajouté contribuèrent à apaiser son esprit. Elle n'avait pas spécialement envie de revoir son hôte. Elle avait l'impression d'être un lapin en présence d'une bête sauvage. C'était déstabilisant et fort désagréable.
Les souvenirs du dîner lui revinrent en mémoire. Après l'entretien avec Adam, Opereniye, une domestique du manoir, l'avait conduite jusqu'à sa chambre. Elle avait pu se laver et se changer, revêtant une tenue plus présentable. On l'avait ensuite conduite à la salle à manger ou une grande table était dressée. L'odeur alléchante avait réveillé son appétit et elle s'était réjouit de manger.
Malheureusement, Adam n'avait cessé de l'observer pendant la durée du repas. Elle avait eu le sentiment qu'il disséquait chacun de ses gestes, chacune de ses paroles. Cela avait été si inconfortable et éprouvant qu'elle n'avait presque rien pu avaler.
Seule la présence de Sevastian à ses côtés, roc inébranlable au milieu de sa tempête intérieure, lui avait permis de tenir. Mais dès le dessert terminé, elle avait prétexté être fatiguée à cause du décalage horaire et s'était enfuie dans sa chambre sans demander son reste.
L'idée de se retrouver à nouveau à sa table ne l'enchantait pas beaucoup mais elle devait tenir. Il était la clef de son plan. Si elle quittait cet endroit, Gaston la retrouverait et s'en prendrait à elle. Si pour son salut et celui de ses proches, elle devait supporter un grizzly acariâtre et maniaque, elle le ferait sans hésiter.
Sortant de son bain, elle s'empressa de s'enrouler dans une serviette chauffée.
Retournant dans sa chambre, la domestique l'aide à enfiler une des tenues qu'elle avait commandée la veille. La vitesse à laquelle son inventaire lui avait été livré démontrait de l'étendue du pouvoir que possédait son hôte sur le marché du pays. Elle était reconnaissante de profiter de ses avantages car elle doutait avoir pu tenir dans un froid pareil avec son dressing actuel.
Une fois la robe de velours prune, les collants polaire et les boots enfilés, elle s'enroula dans un long gilet de laine fourré avec une capuche. L'esthétique de sa tenue était passable mais au moins elle avait bien chaud. Prête à affronter la bête dans sa tanière, elle suivit son guide jusqu'à la salle à manger.
Elle était encore une fois subjuguée par la décoration du manoir. Adam Azarov avait beau être vu comme un monstre, il s'y connaissait en art. Et rien que pour cela, elle serait tenté de l'apprécier. Au début, elle avait pensé que tout avait été pensé par un décorateur d'intérieur. Mais après avoir questionné le personnel, elle avait découvert que c'était l'œuvre du propriétaire. Elle n'en n'avait pas douté un seul instant, cet homme n'était pas du genre à déléguer quoique ce soit. Même quelque chose d'aussi trivial que la décoration de sa demeure. Il aimait bien trop contrôler son environnement pour cela.
La bonne odeur de la nourriture réveilla sa faim et elle dû se faire violence pour ne pas courir jusqu'à son siège. Le maître des lieux se tenait assis à la table d'honneur, un journal devant lui, sa tasse de café dans une main. À son entrée, il leva les yeux de son papier.
« Vous êtes en retard. »
Le grondement de sa voix lui procura une avalanche de frisson dans tout le corps. Elle lui sourit pour masquer sa réaction et s'assit dignement à la place qui lui avait été attribuée la veille.
« Je m'en excuse, monsieur, mais j'ai bien peur que le confort des lieux en soit la cause. J'ai eu grand mal à quitter mon lit ce matin.
— Veillez à l'avenir à ce que cela ne se reproduise pas ou je n'hésiterai pas à vous changer de chambre.»
La menace était très claire et le sourire d' Isobel se fanna quelque peu. Connaissant le personnage, elle était sûr qu'il l'enverrait dans un débarras avec seulement une couverture et un oreiller pour literie. Du moins, elle l'espérait posséder un minimum d'humanité pour lui fournir au moins cela.
Elle nota tout de même que acariâtre et maniaque ou non, il prenait soin de ses invités. Depuis qu'elle était ici on avait apporté un soin particulier à son confort. Que ce soit la chambre, les vêtements ou encore le repas adapté à ses habitudes alimentaires, tout était fait pour qu'elle se sente à l'aise. Excepté l'homme qui se tenait à ses côtés.
Isobel s'empressa de manger en silence toujours sous l'œil aiguisé d'Adam. Elle espérait voir apparaître son ami, mais la fin de son repas arrivait sans que Sevastian n'apparaisse. Quand sa dernière tartine fut engloutie, elle se décida à poser la question qui lui brûlait les lèvres.
« Monsieur, comme convenu dans notre accord, j'aurais besoin d'un endroit où travailler. Serait-il possible de m'indiquer où il se trouve ? »
Adam observait ouvertement Isobel. Il avait remarqué l'effet qu'il lui faisait et cela l'en réjouissait. Elle était si ouverte qu'il voyait passer chacune de ses émotions sur son visage. La veille, il avait remarqué la proximité qu'ils partageaient avec son bras droit. Et cela l'avait inquiété.
Sevastian avait toujours été très humain malgré son rôle. L'innocence de la duchesse, sa gentillesse et sa bienveillance était tellement rafraîchissante et hors du commun dans leur monde emprunt de violence, qu'il comprenait sans peine la réaction de son ami. Même lui, n'était pas indifférent à l'effet qu'elle dégageait.
Cela faisait si longtemps qu'un étranger ne l'avait pas considéré comme un être humain. Elle était polie et courtoise. Elle le traitait avec beaucoup de respect, non pas par crainte mais simplement parce que cela semble être la chose la plus normale à ses yeux. Oh, elle avait peur de lui, il le voyait. Mais malgré tout, elle s'efforçait de le considérer comme un partenaire contractuel et non pas comme un monstre.
Mais il ne pouvait pas s'empêcher de vouloir voir jusqu'où sa bienveillance s'étendait. Il s'amusait à tester ses limites. Et son agacement mêlé de méfiance le fit sourire intérieurement. Décidant de continuer dans son jeu, il lui offrit un sourire carnassier.
« Mademoiselle, je crains que je ne puisse mettre à votre disposition une pièce rien que pour vous, il vous faudra la partager.
— Cela ne me dérange pas. Puis-je savoir qui sera mon colocataire ? »
Il ne lui répondit pas tout de suite, prenant le temps de réfléchir aux conséquences de sa décision. Mais, il avait fait un choix, et il s'y tiendrait.
« Moi-même !
— Vous !? Mais n'avez vous pas insisté pour que je n'apparaisse pas devant vos yeux ?
— En effet, mais j'ai changé d'avis.
— Pourquoi ?
— Je ne vous fais pas confiance. J'aimerais vous avoir à l'œil et comprendre de quelle façon vous avez envouter mon meilleur ami, petite sorcière.
— Je ne l'ai pas envoûté !
— Je n'en suis pas certain ...
— Puisque je vous dis qu'il n'éprouve pas de sentiment envers moi ! Il a même refusé de m'épouser lorsque je lui ai proposé !
— Vous ... Vous souhaitiez l'épouser !?
— Pourquoi cela vous surprend-il autant ? Avez-vous si peu d'estime envers lui ? Il est beau garçon, aimable, gentil, attentionné et ...
— Pardonnez-moi mademoiselle, mais nous parlons bien de Sevastian ?
— De toute évidence ! À moins que vous ne m'accusiez d'avoir séduit la totalité de votre personnel !?
— Ils vous tiennent tous en haute estime et j'aimerais bien comprendre quel charme vous avez usé pour être capable de ce tour de passe passe.
— Si vous souhaitez satisfaire votre curiosité, soit, mais je demanderais un peu d'intimité lors de mes appels privés et confidentiels.
— Vous aimez avoir le dernier mot, n'est-ce pas mademoiselle ?
— Vous n'êtes pas le premier requin avec lequel je parlemente, monsieur, je ne suis pas aussi naïve que je le laisse paraître. N'oubliez pas ma condition !
— En effet, je ne l'oublie pas, et vous feriez bien de vous rappeler où vous vous trouver et la précarité de votre situation. Un mot et je vous retire protection et hospitalité. »
Isobel était agacée par la facilité avec laquelle il obtenait toujours le dernier mot.
« Toutefois, j'ai beau être surnommé "La bête", je sais faire preuve de courtoisie. Vous pourrez passer vos appels privés dans votre chambre. Mais ne cherchez pas l'entourloupe, jeune fille, ou vous finirez votre séjour dans un sac poubelle. »
Cette mise en garde claire et précise l'a fit frissonner. Elle ne cessait de se demander si elle n'avait pas commis une erreur en se réfugiant droit dans la gueule du monstre. Elle n'aimait pas la facilité avec laquelle il ne cessait de lui rappeler que sa vie se trouvait entre leur main. Ce jeu mortel commençait à la fatigué mais elle savait ne plus avoir le choix.
Elle avait foi en l'affection que lui portait Sevastian et elle se savait placée sous sa responsabilité. Il ne lui restait plus qu'à composer avec le propriétaire des lieux et à trouver une solution pour se sortir de l'enfer dans lequel Gaston et ses sœurs l'avaient placé. Quittant la table après avoir convenu de rejoindre l'homme dans son bureau, elle se dirigea vers sa chambre afin de faire sa toilette et téléphoner à Ferdinand.
Elle voulait avoir des nouvelles de son père et qu'il lui envoie ses dossiers à traiter urgemment. De plus, elle devait prendre contact avec le notaire de Meryl et ses avocats pour qu'ils se penchent sur la question de l'héritage et trouver le moyen de modifier le testament.
En dernier recours, elle devrait se rendre à la cour du Roi plaider sa cause auprès de sa majesté, afin d'être l'unique dépositaire du titre et de sa fortune qui se transmettrait alors à sa descendance uniquement mais pas à son mari. Mais cela nécessitera une bataille juridique et un argumentaire en béton qu'elle n'était pas certaine d'être en mesure de fournir à l'heure actuelle.
La lourde charge qui l'attendait s'abattit sur ses épaules en un poids mal venu. Elle commençait à se décourager et une envie de pleurer lui comprima la poitrine. Pourquoi ne pouvait-il pas simplement profiter de sa générosité sans avoir besoin de lui voler son héritage ? Pourquoi ne pouvaient-ils pas la laisser tranquille et vivre sa vie en paix ?
Elle était frustrée, fatiguée et énervée. Elle avait envie de rentrer chez elle, oublier ce qu'elle venait de vivre ses dernières soixante-douze heures. Mais la réalité était toute autre, et à la place, elle se retrouvait à des milliers de kilomètres de chez elle, dans la demeure d'un mafieux instable désireux de lui tirer une balle dans la tête à chacun de ses faux pas.
Elle rejoignit sa chambre d'un pas lourd et se jeta dans son lit à plat ventre. La douceur de la couette et la chaleur environnante suffirent à apaiser son esprit momentanément. Prenant une respiration, elle composa le numéro de son secrétaire, prête à mener un autre combat sur le champ de bataille qu'était devenue sa vie.
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