"À plaidoirie et à bataille, nul ne gagne rien qui vaille"

"À plaidoirie et à bataille, nul ne gagne rien qui vaille"

Proverbe allemand

Il faisait bon dans le bureau et la douce chaleur qui se dégageait de la cheminée réchauffa Isobel dans son corps et dans son cœur. Alors qu'elle se trouvait au cœur du danger, elle ressentait une paix qu'elle n'avait pas ressenti depuis le début de son aventure. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres et une douce euphorie l'envahit.

L'endroit était magnifique. On aurait dit un vrai musée. Entre chaque étagère pleine de livres et de dossiers, qui habillaient les murs, se trouvait une œuvre d'art différente. Tantôt une sculpture, tantôt un tableau. Le fond comprenait une baie vitrée qui donnait sans doute sur un jardin que l'on distinguait à peine dans la pénombre. Un lustre de mille diamants descendait du plafond, diffusant sa lumière autour de lui en une multitude d'étoiles illuminant la pièce.

Mais la plus belle œuvre d'art se tenait derrière le bureau. Adam Asarov. Il était impressionnant. Immense même, comme toutes les personnes qu'elle avait rencontrées depuis qu'elle était arrivée, d'ailleurs. Au milieu de tous ses gens, elle avait l'impression d'être une lilliputienne au pays des géants.

Continuant sa contemplation, elle remarqua plusieurs détails. La moitié de son visage était intacte, l'autre était déformé par la cicatrice d'une brûlure. Mais au lieu de l'enlaidir, cela lui ajoutait un charme sauvage. Ses yeux bleus semblaient aussi froids que la glace et l'on pouvait y voir la folie se disputer avec une vive intelligence. Il ressemblait à un tigre ou un pirate.

Son imagination débordante l'emmenait déjà sur un bateau ballotté par une mer déchaînée, dirigé d'une main de maître par l'objet de ses fantasmes. Héroïne de sa fiction, elle s'imaginait noble lady, capturée par ces forbans dans le but d'échanger sa vie contre une rançon. Un mouvement à sa gauche attira son attention faisant éclater l'illusion que son esprit venait de créer.

Secouant légèrement la tête pour reprendre ses esprits, son regard se porta sur un troisième protagoniste. Un oriental à n'en pas douter. Lui aussi était beau. Mais moins ... magnétique que son chef ou même Sevastian. Elle sut sans l'ombre d'un doute qu'il devait s'agir du garde du corps dont son ami lui avait beaucoup parlé. Suzaku était son nom, si ses souvenirs étaient bons.

Elle releva les yeux vers Sevastian qui ne l'avait quitté et lui offrit un léger sourire. Elle lui indiquait ainsi que ses compagnons ne l'effrayaient pas pour le moment. Il sembla un instant surpris, voir déstabilisé, mais finit par l'inviter à avancer. Ils s'assirent sur les fauteuils mis à disposition devant l'imposant bureau en bois massif.

Adam et Isobel se jaugèrent du regard. On n'entendait pas un bruit, si ce n'est le crépitement du feu qui brûlait dans la cheminée. Elle était fascinée par son adversaire, envoûtée même. Elle avait l'habitude de négocier avec les grands de ce monde mais aucun d'eux n'avait eu le charisme de cet homme. Voyant qu'il attendait qu'elle parle, elle choisit avec soin ses mots avant d'engager la conversation sur le sujet qui intéressait tout le monde.

« Je suis en possession de quelque chose que vous recherchez.

— Quelque chose qui m'appartient. »

Seigneur, sa voix ! Elle était si grave, si profonde. Presque un rugissement. L'adrénaline pulsa dans ses veines et l'euphorie fit place à une soudaine excitation qui s'empara de tout son corps. Elle s'humecta les lèvres qui s'étaient asséchées. Cette bataille n'allait pas être facile à mener mais elle ne perdrait pas face à cet homme. Elle n'avait plus rien à perdre si ce n'était sa fierté. Et elle allait tout miser pour l'avoir de son côté.

« Faux. J'en suis à présent sa propriétaire et je ne compte pas la remettre sans rien en retour. »

Évidemment qu'elle allait demander un échange. Adam sourit intérieurement. Il allait enfin pouvoir récupérer cette maudite rose. Et il était riche. Plus qu'elle ne pourrait jamais l'imaginer. Sans doute beaucoup plus qu'elle, toute duchesse qu'elle soit ! Et il était déterminé. Très déterminé.

Il l'avait observé depuis son arrivée. Elle ne semblait pas effrayée. Ce qui était une expérience assez unique pour qu'il décide de ne pas la brusquer et lui laisser le temps de s'imprégner de son nouvel environnement. Ça et aussi le regard noir que lui lançait son meilleur ami.

"Tiens, tiens, son bras droit se serait-il entiché de la petite duchesse de Galloway ? " avait-il pensé. Il espérait que non. Cela rendrait les choses trop compliquées. L'amour n'avait pas de place dans leur vie. Il en avait déjà payé les frais.

La petite l'avait jaugé, semblant deviner ce qui était vrai et ce qui était faux sur ce qu'on disait de lui. Il en avait ri intérieurement. Si elle savait. Tout était faux, évidemment, la réalité était pire. Bien pire. Un monstre. C'était ce qu'il était. Et même là, cela semblait trop gentil pour le qualifier. Il était une bête, LA bête ! Le cauchemar que tout le monde redoutait tant.

Quand elle avait ouvert la bouche après ce petit duel des plus intéressant, sa voix l'avait surprise. Elle était grave et douce, rien avoir avec les pies jacassantes qu'il avait l'habitude de côtoyer parfois, surtout lors des soirées mondaines où il avait autrefois l'habitude de se rendre.

Même son allure ne collait pas avec son rang. L'ayant vu légèrement frissonner, il s'était rappelé d'où elle était originaire. Il avait compris que cela devait être sa seule tenue chaude. Si elle comptait rester ici, ils allaient devoir y remédier.

Reprenant rapidement ses esprits, il reporta son attention sur leur conversation.

« Combien souhaitez-vous ? Un million ? Deux millions ?

— Combien vaut-elle d'après vous ? »

Le silence qui suivit la fit sourire. Il avait raison, on ne pouvait pas quantifier sa valeur.

« Je suis d'accord avec vous ! Elle n'a pas de prix.

— Alors que voulez-vous ?

— Ma vie !

— Pardon ? »

Pas de doute, cette gamine était décidément complètement folle. Il en resta un instant abasourdi, puis un sourire carnassier étira ses lèvres. Il avait envie de s'amuser avec elle. Sortant son arme, il la pointa dans sa direction. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas eu d'adversaire à sa hauteur. La plupart se liquéfiait devant lui, obéissant à ses moindres désirs.

Isobel ne bougea pas. Elle cligna à peine des yeux, qu'à moitié surprise par son geste. Elle avait foi en Sevastian. Elle l'avait sentit se crisper à ses côtés mais voyant qu'il n'intervenait pas, compris qu'il s'agissait d'un test. Et dans le cas contraire ... Elle s'était résolu à mourir. Ce lieu n'était pas pire qu'un autre pour cela.

Il était impressionné par son sang froid. Elle avait à peine réagi, un léger battement de cils qu'il remarqua uniquement car il l'observait avec attention. Il voulait qu'elle réagisse mais elle continuait de le fixer, attendant patiemment qu'il se décide à ranger son arme. Aucun d'eux ne bougea. Elle reprit finalement la parole.

« Je ne parle pas de ce genre d'échange, monsieur. Si j'avais voulu en finir avec mes jours, je ne me serais pas autant compliqué la vie. »

Le ton neutre de sa voix l'alerta un instant. Elle parlait de la mort comme on faisait son marché. Il reconnut en elle une âme fatiguée. Il pensait qu'elle se maîtrisait. Mais la réalité faisait écho à sa propre réalité : mourir lui était tout simplement égale. Cela l'intriga. La petite duchesse serait-elle suicidaire ? La curiosité le taraudait.

« Que souhaitez-vous alors ?

— Une vie en échange de la rose. La mienne en l'occurrence. Je vous demande asile et protection et la fleur sera vôtre en retour.

— C'est tout ?

Oui.

— Contre quoi devons-nous vous protéger ? »

Elle se tourna vers Sevastian cherchant son approbation avant de répondre. Leur échange n'échappa pas aux deux autres hommes qui se demandèrent encore une fois la nature de leur relation.

« Mon fiancé et mes sœurs.»

Devant l'interrogation muette de ses deux amis, Sevastian prit la parole pour la première fois et leur résuma la situation rapidement.

Isobel se tue mais le regard éloquent qu'elle lui lança lui fit comprendre qu'elle aurait préféré gérer la totalité de l'entretien seule. Toutefois, elle le respectait suffisamment pour ne pas l'interrompre dans son récit afin de lui dire sa façon de penser. Quand il eut terminé, trois paires d'yeux se tournèrent vers elle.

« Qui aurait cru que la vie d'une duchesse serait aussi mouvementée, mademoiselle. »

Le ton moqueur d'Adam n'avait pas échappé à Isobel, mais elle préférait ne pas s'en formaliser. Après tout, elle se trouvait au pied du mur et son seul espoir reposait entre les mains de l'homme face à elle.

« Alors, acceptez-vous ? »

Adam devait admettre qu'elle avait beaucoup de cran. Il comprenait pourquoi son bras droit s'était entiché d'elle. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas eu quelque chose d'aussi divertissant à se mettre sous la dent. Avec la disparition de Nina, il avait désespérément besoin d'une distraction et la duchesse de Galloway tiendrait ce rôle à la perfection.

Il allait jouer avec ses nerfs et s'amuser avec elle jusqu'à ce qu'elle craque. Il avait hâte de commencer. Un lent sourire vint s'épanouir sur ses lèvres déstabilisant quelque seconde son interlocutrice.

« Il y aura des conditions.

— J'en aurais également de mon côté.

— Je vous écoute.

— Vous ne devrez pas recourir au meurtre pour assurer ma protection. Sauf si cela s'avère absolument nécessaire pour défendre votre vie ou celle de vos hommes.

— Ainsi donc notre vie vous importe un peu. Même celle de ces scélérats qui vous servent de famille et qui ne désirent pas mieux !?

— Evidemment.

— Votre nature vous perdra.

— C'est ce que Sevastian ne cesse de me répéter.

— Pourtant vous vous obstinez.

— Je ne puis me résoudre à porter le poids de vos morts sur ma conscience. Ni les vôtres, ni celle de mes ennemis.

— Alors même que nous sommes des monstres.

— L'êtes vous ?

— Ne cherchez pas la bonté en nous, vous n'en trouverez pas. C'est inutile puisque nous avons fait le choix, il y a bien longtemps, d'arpenter la voix de l'enfer en connaissance de cause.

— Il n'appartient qu'à vous de vous en détourner. Mais je ne suis pas là pour ça, ni pour vous convaincre de changer.

— Que souhaitez-vous exactement Isobel ?

— Une cachette. Un endroit où mes adversaires ne pourront ni me trouver ni m'atteindre.

— Pour quoi faire ? Cela ne fera que reporter l'inévitable.

— Pour trouver une solution à mon problème.

— Qui est ?

— Un mari ! Et à moins que vous ne désiriez tenir ce rôle, je me dois d'en trouver un. Et vite.

— Faites attention à ce que vous pourriez souhaitez, jeune fille, certaines paroles peuvent-être prises au pied de la lettre. Comment comptez-vous vous y prendre ?

— Pour le moment, j'ai besoin de m'éloigner et de réfléchir à ce que j'attends du mariage, plus précisément de mon futur conjoint. Quand j'aurais analysé tout cela, je mènerais une enquête pour trouver le ou les hommes qui correspondront le plus à mes critères. Après je les rencontrerai pour faire mon choix. Cela donnera le temps nécessaire à mes avocats pour trouver le moyens de rompre mes fiançailles et de modifier le testament de ma grande-tante afin que mon époux ne touche pas un sous de la fortune des Galloway.

— Donc si je comprends bien, vous souhaitez du temps.

— Me permettez-vous de rester ? »

Adam se tut un instant et observa ses compagnons. Ce n'était pas ces petites frappes qui l'effrayaient mais avec les ennuis qui leur étaient tombés dessus, ils n'avaient ni le temps ni les ressources pour jouer les garde du corps pour une duchesse en détresse. Il comprit dans le regard de Sevastian que quelque soit sa décision il en ferait une affaire personnelle.

Son ami était foutu et ça faisait de la petite une faiblesse. Pendant cette période, il avait besoin de l'entière attention de son second. Ce qu'il n'aura pas s'il la renvoie. Elle lui semblait tout de suite moins amusante. Grognant de frustration, il reporta son attention sur elle.

« J'ai dit qu'il y aurait des conditions.

— Je vous écoute.

— Vous ne quitterez pas le manoir, vous devrez nous obéir aux doigts et à l'œil, je ne veux ni vous entendre, ni vous voir durant tout votre séjour parmi nous.

— En somme, vous attendez de moi que je sois invisible, silencieuse, obéissante et docile.

— Exactement.

— Je refuse.

— Pardon ?

— Vous m'avez bien comprise, je refuse. Je ne suis pas un animal que l'on parc dans un coin. Si je suis d'accord pour rester ici et ne pas vous déranger, je refuse de vivre comme une ermite cloîtrée dans ma chambre sans jamais en sortir. J'aurais besoin d'air, de me balader dans les couloirs, de sortir dans le jardin. Je ne pousserait pas le bouchon en exigeant de sortir en ville ! Mais le confinement finira par avoir raison de moi.

— Bien ! Vous voulez jouer ainsi alors jouons. Vous devrez être présente à chaque repas, mes domestiques vous indiqueront l'heure. Au moindre retard, c'est l'expulsion. Vous souhaitez vous balader dans le manoir, soit, mais interdiction formelle d'aller dans l'aile ouest. Vous pourrez aller dans le jardin mais hors de question que vous mettiez un orteil dehors ! Est-ce bien compris ?

— Oui, monsieur.

— Parfait ! Faisons ainsi. Le dîner sera servi dans moins d'une heure, une domestique va vous conduire à votre chambre. N'oubliez pas ne soyez pas en retard. »

Elle se redressa avec grâce et le toisa avec orgueil. Elle était fière d'avoir réussi à lui tenir tête mais ne voulait pas pousser la chance trop longtemps de son côté. Titiler la bête sur son propre territoire serait mortel. Et même si la mort ne l'effrayait pas, elle ne comptait pas abandonner aussi vite. Elle n'était pas docile, et ne le saura jamais ... Toutefois, elle savait quand il fallait plier.

Elle avait gagné la bataille mais la guerre était loin d'être terminée. Sortant sans un regard en arrière, elle fut rejointe par une domestique qui l'attendait visiblement derrière la porte. 

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