Chapitre 32
Trente-cinq jours après le début de la guerre, Rayhan et Leïla passèrent devant la tente du père de celui-ci alors qu'ils revenaient de leur baignade nocturne. Ils l'entendirent échanger avec son adjoint.
Piqués par la curiosité, ils décidèrent d'espionner la conversation.
« Le roi se trouve en difficulté, j'ai reçu une missive ce matin et je sais que les autres généraux ont reçu la même.
- Que dit-elle ?
- Le roi demande à ce que nous envoyons nos meilleures recrues, afin de renforcer les rangs de l'armée.
- Tu as déjà fait ta liste, j'imagine.
- Oui, je les conduirai à Jizé, c'est là-bas qu'est notre lieu de rendez-vous. Tu devras finir d'entraîner les autres seul.
- Oui, mon général. »
Les deux espions s'en allèrent rejoindre leur tente quand les deux hommes discutèrent des détails techniques et logistiques relatifs à ce changement de programme.
Perdus dans leurs pensées, troublés par ce qu'ils venaient d'entendre, ils se dirent rapidement bonne nuit avant de rejoindre chacun leur lit. Quand elle y fut arrivée, Leïla s'y allongea pour réfléchir à la conversation qu'ils avaient surprise.
Dans quelques jours, elle serait sur le champ de bataille. Elle savait que cette nouvelle allait en réjouir plus d'un. Mais comme l'avait fait remarquer Rayhan le jour de leur rencontre, personne n'était prêt à ce qu'ils allaient affronter.
La guerre n'avait rien de glorieux. La guerre c'était être confronté nuits et jours à la mort, à la souffrance, à la peur et à des atrocités sans nom. La guerre signifiait tuer ou être tué. Cela signifiait prendre la vie d'un inconnu, enlever à une mère un fils, à une épouse son mari, à un enfant son père.
Elle savait qu'elle serait sélectionnée pour partir en premier, car malgré son apparence chétive, elle était classée parmi les meilleurs. Mais elle doutait désormais de son choix.
Jamal et Rayhan avaient raison, elle n'avait pas sa place sur le champ de bataille. Mais comment aurait-elle pu rester assise sans rien faire, quand elle savait que son peuple se battait pour elle ? Quand son mari se battait pour protéger les siens ? Cela lui était tout simplement impossible.
Non, elle irait sur le champ de bataille et elle se battrait pour mettre fin à cette guerre au plus vite. Elle le devait pour toutes ces femmes qui attendaient le retour de leurs bien-aimés. Elle devait agir et trouver un plan.
Jamal lui avait dit un jour que le plus difficile était de pénétrer dans le camp ennemi. Elle savait aussi que Jizé se trouvait près de la frontière avec le royaume de Cheim. À quelques semaines de sa capitale, Ganesh. L'ennemi possédait une force militaire supérieure à la leur et c'était ce qui rendait cette guerre si difficile à gagner. Elle savait que Jamal était un excellent tacticien, mais elle savait aussi que le moral des troupes jouait beaucoup dans la balance. Il fallait trouver un moyen de leur redonner du courage et démoraliser l'adversaire.
Mais malgré sa bonne volonté et son intelligence stratégique, elle ne pouvait pas faire de plan à distance sans savoir ce qu'il se passait sur le front. Toutefois, elle savait qu'elle devait aller là-bas car elle avait la conviction que ses compétences et son savoir seraient utiles à son mari. Bien décidée à ne pas se torturer la tête davantage, Leïla décida de dormir pour être au meilleur de sa forme le lendemain.
La trompette du rassemblement sonna aux premières lueurs de l'aube. Toutes les recrues se levèrent et s'habillèrent en vitesse pour aller au point de rendez-vous. Malik bin Idir Muharib, le général, fit son annonce et c'est sans surprise que la jeune femme entendit son nom dans la liste, comme celui de Rayhan. Ils n'étaient qu'un tiers à partir.
Ses compagnons qui avaient été choisis sautaient de joies ravis de pouvoir démontrer leur force et leur courage au combat. Les autres qui avaient été recalés, ronchonnaient et pestaient à l'idée de ne pas faire partit du voyage. Certains allaient même jusqu'à l'insulter par jalousie, mais elle ne réagissait pas, trop perdue dans ses pensées pour leur accorder un quelconque intérêt.
Elle savait qu'à l'instant où Jamal la verrait, il la reconnaîtrait immédiatement. Et cela l'attristait beaucoup, d'être si près de lui mais de ne pas pouvoir l'approcher. En effet, s'il découvrait sa présence, elle serait immédiatement ramenée à Siloé, sous bonne escorte, le privant d'hommes alors qu'il n'en avait déjà pas beaucoup. Et si un des commandants ou un des généraux venait à découvrir que c'était une femme, il se contentera d'appliquer la sentence sans poser de question, à savoir la peine de mort.
Enfin peut-être pas, Rayhan semblait enfin adhérer à son histoire et annoncerait aux autres qu'elle était la reine. Il ne la laisserait pas tomber. Du moins l'espérait-elle. Elle ne pouvait de toute façon pas prendre ce risque..
Elle espérait que l'équipe médicale soit en manque de personnel, car ainsi elle pourrait se joindre à eux, à condition que le général approuve la demande de son fils. Après avoir rassemblé ses affaires, elle partit rejoindre ses compagnons. On lui donna son cheval et ils partirent, tous ensemble, comme un seul homme, vers le front.
Le voyage dura trois jours. Comme elle l'avait redouté, les recrues n'étaient pas prêtes pour ce qui les attendaient. Si tout le voyage s'était fait dans la bonne humeur, l'arrivée à Jizé leur fit l'effet d'une douche froide. La neige tombait sur les collines étalant son long manteau blanc sur la terre aride de l'été et gelée en cette saison hivernale.
Il y avait trois collines au milieu de la plaine et c'est sur la plus proche du royaume adverse que Jamal et ses hommes y avaient établi leur campement. C'était une vraie forteresse entourée de douves et de pieux pointue derrière lesquels se tenaient des archers en embuscade. Ils gravirent la colline pour arriver au sommet, là où se tenait le campement.
Il y avait beaucoup de blessés et le moral était au plus bas. Un de ses compagnons vomit lorsqu'ils passèrent près de l'hôpital au moment où on allait amputer la jambe d'un homme. Elle regardait autour d'elle afin d'estimer où elle serait le plus utile.
Comme l'avait prédit Rayhan, l'équipe médicale était visiblement en sous effectif et il manquait de personnel pour aller chercher les blessés encore au front car ils n'étaient pas formé pour cela. Son ami lui fit un sourire. Elle comprit qu'il avait remarqué la même chose qu'elle.
Si effectivement on manque de gens à l'hôpital son père avait plus de chance d'accepter sa requête. Elle déposa ses affaires dans leur tente. Ils avaient, tous les deux, pris des couchettes côtes à côtes. Une fois la tâche effectuée Rayhan se tourna vers elle.
« Prêt Mayakrub* ? C'est le moment de vérité. »
Elle hocha doucement sa tête et le suivit jusqu'à la tente du général. Il gratta contre le tissus de la porte et les annonça.
« Monsieur, je suis la recrue Rayhan bin Malik Muharib, du premier bataillon d'infanterie, et je voudrais m'entretenir avec vous, m'en donnez-vous l'autorisation ?
- Entre mon garçon. »
Ils pénétrèrent dans la tente et trouvèrent l'homme torse nu, en train de se changer. Le rouge monta instantanément aux joues de Leïla mais elle se reprit très vite, se rappelant qu'elle était un garçon et qu'elle devait agir comme tel.
« Tu n'es pas venu seul.
- Non, Monsieur, c'est mon ami Leith qui souhaitait vous parler, je ne suis là que pour appuyer sa demande.
- Qu'il parle pendant que je me change, je dois aller voir le roi, ensuite je n'aurais plus de temps.
- Bien mon commandant, je souhaiterais changer d'unité. »
L'homme se retourna vers elle, surpris.
« Pardon ?
- Oui, au risque que ma requête soit prise pour de l'insubordination, monsieur, je me dois de le faire pour le bien de notre unité. Je suis qualifié dans le domaine de la santé et ayant été formé pour aller sur le champ de bataille, il me semble plus judicieux de m'utiliser dans les forces médicales que dans l'infanterie.
- Quand tu dis que tu possèdes des capacités médicales cela va jusqu'à quel point ? »
Il était intrigué par sa requête d'autant qu'elle tombait à pique. La plus grosse faiblesse de leur armée résidait justement dans le manque de personnel qualifié dans ce domaine. Si bien que beaucoup de soldats mouraient à cause de cela.
« J'ai souvent secondé ma sœur dans les soins qu'elle prodiguait aux habitants de Siloé, je connais les geste de premiers secours, je suis en mesure de faire des opérations ou des amputations, je sais ...
- J'ai compris, mais tu es une trop bonne recrue pour que l'on se permette de t'envoyer jouer les infirmiers sur le front.
- Avec tout le respect que je vous dois, monsieur, si vous continuez à envoyer des infirmiers, sans formations militaire et incapable de se défendre, vous vous retrouverez bien rapidement sans infirmiers du tout. »
Il regarda l'ami de son fils pensivement. Il se félicitait de l'avoir mis dans sa liste. Il avait longuement hésité, au début, car il n'avait clairement pas le physique de l'emploi et il pensait qu'il serait le plus sensible aux atrocités qui les attendait.
Mais sa première surprise avait été de le voir observer le camp sans broncher, même quand ils avaient vu un homme se faire amputer. Il comprenait maintenant pourquoi, s'il avait déjà fait face à ce genre de situation, c'était normal qu'il n'en soit pas autant affecté que ses camarades.
Et il venait encore une fois de le surprendre avec sa requête. Ce garçon ne s'était pas contenté d'observer son nouvel environnement, comme il l'avait d'abords cru, non, il avait également essayer de voir et de comprendre comment tout le monde fonctionnait afin de déterminer où il serait le plus utile. C'était tout à fait remarquable.
« Écoutez monsieur. »
Elle était incapable de se taire devant son silence pesant.
« Je suis petit et chétif, tout le monde pense que je suis un enfant. Grâce à cela, je peux me faufiler partout et personne ne se doutera que je sois de l'équipe médicale, ce qui est un atout étant donné que ce sont les premiers visés. D'autant que je suis en mesure de me défendre et de protéger quelqu'un également. »
Il resta encore songeur un moment et finit par se résoudre d'accepter. Il pourrait toujours le changer d'unité si le besoin se faisait sentir. Mais il est vrai qu'à ce jour sa présence serait plus utile pour soigner que pour combattre. Il avait également entendu les rumeurs qui circulaient au sujet de sa sœur. On racontait partout que c'était un génie et qu'elle était capable de faire des miracles avec rien.
Si son frère possédait ne serait-ce qu'un dixième de son talent, cela pourrait faire la différence et leur permettre de remporter les combats. Ils avaient déjà eut suffisamment de pertes et si ça continuait ainsi, il n'y aurait plus personne pour former les rangs.
« Tu as raison. Je vais te présenter au chef de l'équipe. Tu resteras avec eux jusqu'à ce que ta présence soit nécessaire. Mais si le manque de soldats se fait ressentir tu reviens dans mon équipe, compris ? Tu pourras travailler de concert avec Rayhan. Il pourra t'aider à remonter les soldats du champ. »
Ils répondirent d'une même voix avec un salut militaire exécuté dans une parfaite synchronisation.
« Bien mon commandant.
- Suivez-moi, je vais vous emmener dans votre nouvelle équipe, ensuite je ferai part à notre roi de ce changement. »
Ils le suivirent jusque dans une tente où ils durent attendre à l'extérieur pendant que le général s'entretenait avec le chef de l'unité médicale. Ce dernier fut ravi d'accueillir de nouvelles recrues et ils furent mis immédiatement à contribution, sans qu'il ne se donne la peine de les rencontrer.
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*Mayakrub : Microbe
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