Chapitre 3

La nuit était tombée depuis longtemps quand Leïla passa enfin le seuil de sa maison. Tous les habitants s'étaient fait un sang d'encre de ne pas la voir rentrer et les pires scénarios défilaient dans leurs têtes.

Aïla fut la première à l'accueillir. C'était une bonne femme ronde de petite taille. Elle avait les yeux verts et de longs cheveux blonds foncés qu'elle maintenait toujours tresser en un chignon serré. Son mari était mort depuis plusieurs années et elle n'avait jamais eu la chance d'avoir d'enfants. Quand les jumeaux avaient perdu leur mère, trop jeune pour se passer d'une figure maternelle, elle les avait élevés comme si c'étaient les siens. Elle était la seule domestique de la famille car les finances ne leur permettaient pas d'employer plus de monde, en raison des temps difficiles. Elle commençait à se faire vieille, mais gardait la forme pour assumer les besoins de la maisonnée. Elle avait tenté d'inculquer à Leïla le savoir nécessaire pour bien tenir un foyer, alors que cette dernière passait son temps à imaginer de nouvelles inventions qui révolutionneraient la vie des pauvres de Siloé qu'elle s'était donné pour mission de protéger.

La dernière fois qu'elle lui avait demandé de l'aide pour nettoyer la maison, elle l'avait retrouvée, deux heures plus tard, en train d'observer de la moisissure bleue, se demandant si elle ne pouvait pas lui trouver une certaine utilité. Aïla l'avait fortement grondée, mais cela ne l'avait pas empêchée de concevoir un remède révolutionnaire qui lui permettait de soigner à peu près n'importe quelles maladies.

« Leïla, mais que s'est-il donc passé ! Tu as vu l'heure à laquelle tu rentres ? Nous étions tous morts d'inquiétude ! »

Contrairement aux habitants des bas quartiers, la gouvernante avait depuis longtemps fait fi du vouvoiement envers les enfants de la famille, contrairement au patriarche envers qui elle vouait admiration et respect, l'empêchant de ce fait de se montrer familière envers lui.

Leïla ne lui répondit rien et continua d'avancer pour se rendre dans sa chambre. Sur le chemin, elle entendit son père la gronder pour son retard, mais elle l'ignora également, l'esprit accaparé par les événements qu'elle venait de vivre. Elle s'assied sur son lit, laissant libre cours à son chagrin. Elle ne cessait de se demander ce qu'elle aurait pu faire pour éviter cela.

Elle savait que c'était en faisant des erreurs que l'on pouvait avancer et ne supportait pas de rester sur un échec. Elle se remémora point par point ses souvenirs afin de déterminer ce qu'il aurait fallu améliorer ou changer. Elle se devait de trouver une solution pour que plus jamais cela ne se reproduise.

Sa conclusion fut la suivante : elle avait besoin de quelqu'un pour la seconder. Si un médecin se trouvait sur place, il pourrait intervenir plus rapidement et ainsi éviter un maximum de situations dans ce genre. Elle devait impérativement former quelqu'un. C'était devenu d'autant plus vital que durant tout son séjour au palais, elle n'était pas sûre d'être en mesure d'assumer ce rôle. Elle regrettait de ne pas l'avoir fait plus tôt. Elle n'avait désormais plus qu'un mois pour le faire et doutait que cela suffise pour transmettre tout son savoir. Elle déplorait que son frère n'ait pas la même passion qu'elle pour la médecine. Elle lui aurait laissé ses protégés en toute confiance.

Elle leva les yeux et observa sa chambre dans l'espoir d'y trouver une réponse. Située dans la charpente, celle-ci était de taille moyenne et composée du strict nécessaire. Une fenêtre près du sol, un lit en bois juste assez confortable pour y dormir, une armoire pour ranger ses vêtements et un bureau jonché de papiers où étaient dessinés les différents plans d'infrastructures qu'elle imaginait. Dans un coin, derrière un paravent, se trouvait un demi-tonneau qui lui servait de baignoire. L'autre moitié était dans la chambre de son frère. Elle devait le remplir d'eau à l'aide d'un seau à chaque fois qu'elle souhaitait prendre un bain car elle refusait de laisser Aïla s'en occuper. Elle était plus jeune et plus vigoureuse qu'elle et si elle tolérait son aide pour les tâches ménagères, qu'elle exécrait, elle ne souhaitait pas qu'elle l'assiste dans les choses du quotidien, qu'elle pouvait parfaitement accomplir seule, comme prendre un bain ou s'habiller.

Sa gouvernante la rejoignit dans sa chambre et la secoua. Voyant qu'elle ne réagissait pas, elle commença à perdre patience face à son mutisme.

« Leïla ! Que se passe-t-il enfin ? D'où vient ce bébé ? Pourquoi pleures-tu ? »

Elle continua de fixer le mur devant elle et souffla le nom de la mère d'Ejaz, les yeux désormais vidés de larmes, toujours perdus dans le vide.

« Qui est-ce ?

- Mon amie. C'est son fils. Je n'ai pas réussi à la sauver. Elle est morte ...

- Et le père ?

- Il n'y en a pas. C'était une prostituée.

- Mais tu ne peux pas garder ce petit, voyons ! Enfin, pense à ta réputation, ma fille ! »

Elle se redressa d'un bond, piquée au vif par sa réaction.

« Peu m'importe ! J'ai fait une promesse et je compte bien la tenir. Même si pour cela, je dois mourir vieille fille.

- Et tu as pensé à l'honneur de ta famille ?

- Si je m'enfuis ...

- Non ! Un avenir radieux t'attend ! Donne-moi ce petit ! Je veillerai sur lui !

- Mais ...

- Il n'y a pas de « mais » qui tienne ! Je suis peut-être vieille, je n'en reste pas moins capable de m'occuper d'un enfant ! De toute manière, tu ne peux pas l'élever seule ! Comment comptes-tu le nourrir ? L'habiller ? Assumer son éducation ?

- J'ai promis de veiller sur lui, comme mon propre fils.

- Et pour tenir cette promesse, tu te dois de te marier.

- Je n'épouserai pas le roi. Il refusera de l'élever.

- Qu'en sais-tu ? Le lui as-tu demandé ?

- Non, mais ...

- Tais-toi, petite sotte. J'ignore ce que notre pauvre roi t'as fait, pourtant, il ne ressemble en rien à l'image que tu as de lui. Il est bon, juste et généreux. »

Sa remarque fit resurgir toute sa colère qui l'habitait.

« Alors pourquoi laisse-t-il les gens vivre dans la pauvreté ? Pourquoi ne fait-il rien pour les empêcher de mourir ainsi !?

- Parce qu'il y a des choses bien plus importantes à faire avant. Aurais-tu oublié l'état du royaume à la mort de son père ? D'autant que je le soupçonne de savoir pertinemment que tu veilles sur ces pauvres âmes, sinon pourquoi t'aurait-il choisie, toi, comme candidate, alors que tu n'as aucune noble ascendance parmi tes ancêtres ?

- Probablement pour remercier père de ses loyaux services ?

- Allons, tu n'y crois pas toi-même. Serais-tu devenue bête ? Car dans ce cas, pourquoi es-tu la seule fille d'officier à participer ?

- Je ... »

Aïla commençait perdre patience devant son entêtement. Mais elle savait comment la plus jeune raisonnait. Elle n'insista pas et tenta de la convaincre de l'importance qu'il y avait à ce qu'elle épouse Jamal ben Ahmad Al Shamseni. Depuis que les gens avaient eu vent de sa participation à cette sélection, beaucoup de femmes étaient venues la voir. Elles lui avaient dit que leurs familles comptaient sur elle pour la former au mieux afin qu'elle remporte la victoire. Tout le monde était convaincu qu'elle était la reine qu'il leur fallait, excepté la concernée qui se tenait en face d'elle, dévastée par la perte d'une prostituée.

« Ne dis rien ! Tu sais que j'ai raison. Écoute-moi bien, ma fille, tu te retrouveras dans une arène peuplée de dindes en chaleur. Elles n'ont toutes qu'un seul but, mettre le grappin sur le roi, pour la couronne et la fortune ! Elles possèdent des alliances stratégiques et bénéfiques dans leur dot. Toi, tu n'as rien, ni rang ni dot. La seule chose que tu peux lui apporter, c'est l'amour de son peuple. Mais c'est un atout non-négligeable et il le sait, car un royaume où le dirigeant est aimé de son peuple sera prospère. Et ce que ces dindes oublient, c'est que sans le peuple, elles ne sont rien. Tu as un don, petite ! Et ce don lui sera infiniment plus utile que toutes les alliances du monde. Tu veux sauver tes amis ? Très bien ! Deviens notre reine et ainsi, tu auras le pouvoir nécessaire pour les sortir de la misère et plus aucune Beha ne devra se prostituer pour survivre, car plus rien ni personne ne t'empêchera d'agir comme tu le souhaites. »

Elle reprit son souffle et la scruta sévèrement, la défiant de la contredire.

« Maintenant donne-moi ce petit, je vais prendre soin de lui, ne t'inquiète pas. Mais en échange, je veux que tu me promettes que tu feras tout pour être à la hauteur de la tâche qui te sera confiée pour faire honneur au nom de ton père, que tes ancêtres avant toi ont porté, afin que ta famille reste prospère pour les générations à venir. »

Leïla comprit qu'elle n'avait pas le choix. D'autant que les paroles d'Aïla trouvaient écho dans ses propres convictions. Oui, elle ne voulait pas épouser le roi et devenir reine. Mais elle souhaitait ardemment sortir son peuple de la misère. Et en cela, elle n'avait pas d'autre solution que de l'épouser et de régner à ses côtés.

« Je te promets de faire de mon mieux.

- Bien ! Maintenant, va te laver, tu es couverte de sang et de poussière. Ton père veut te voir. »

Elle lui obéit. Elle se dévêtit et se lava rapidement dans l'eau fraîche de son bain. Elle le prenait ainsi, car elle n'avait jamais la patience d'attendre que l'eau chauffe avant de s'immerger dedans. Une fois propre, elle s'habilla à la hâte d'une chemise de coton blanc et d'un pantalon noir, claquant des dents, tant elle avait froid. Quand elle fut prête, elle rejoignit son père dans son bureau.

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