Chapitre 2

Alors qu'elle était perdue dans ses pensées à ruminer sa rancoeur envers ce roi qui voulait faire d'elle une reine, elle releva la tête quand elle entendit une voix l'interpeller.

« Dame Leïla ! Vous voilà enfin ! Le travail de Beha a commencé et cela se présente mal. L'enfant semble mal positionné. »

La colère de Leïla s'envola aussitôt, tandis que l'inquiétude s'emparait de son esprit. Elle n'attendit pas d'en savoir plus pour s'élancer vers la maison. Elle avait suivi Beha durant toute sa grossesse et une solide amitié était née entre elles. Elle arriva à destination, essoufflée d'avoir couru aussi vite, et se précipita à son chevet. Elle la trouva allongée, entourée de plusieurs femmes qui l'aidaient dans son travail. Ses cheveux blonds étaient collés sur son visage, plus pâle que d'habitude, tant elle transpirait à cause de la chaleur et de l'effort. Elle lui sourit et fit une tentative d'humour pour alléger l'atmosphère déjà trop tendue.

« Alors, Beha, le bébé fait déjà des siennes ? »

La jeune fille leva ses yeux bleus vers elle et lui rendit son sourire faiblement.

« Dame Leïla, vous êtes là ... »

Renonçant à la contredire face à ce vouvoiement qu'elle détestait tant et qui ne faisait que marquer d'avantage leur différence de statut, elle se tourna vers les autres femmes sans cesser de sourire.

« Depuis combien de temps le travail a-t-il commencé ? »

Elle se positionna entre ses jambes pour déterminer où cela en était, mais ce fut Beha qui lui répondit.

« J'ai des douleurs depuis mon réveil ... »

Elle grimaça sous le coup d'une autre contraction. Quant elle apprit cela, Leïla releva vivement la tête, fusillant tout le monde du regard.

« Et pourquoi personne ne m'a prévenue ? »

Les femmes présentes baissèrent la tête face à la réprimande muette.

« Les accouchements, ça nous connaît, m'dame, mais on n'pensait pas qu'celui-ci allait se terminer comme ça. »

Elle poussa un grognement en guise de réponse, mécontente de ne pas avoir été mise au courant plus tôt. Elle reprit son examen avant de leur faire part de ses conclusions.

« Il n'est pas encore engagé dans le col, je vais essayer de le retourner avant qu'il ne commence la descente. Cela sera certainement douloureux, alors essaie de ne pas pousser quand une contraction arrive, il ne doit surtout pas s'engager tant qu'il n'est pas bien positionné, sinon on risque de vous perdre tous les deux.

- D'accord, faites ce que vous avez à faire, mais sauvez mon bébé, je vous en supplie.

- Je te le promets, Beha. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous sauver tous les deux. »

Elle plaça ses deux mains de part et d'autre du ventre rond et y effectua des mouvements circulaires pour inciter le fœtus à se retourner, sans qu'aucun changement ne soit visible. Elle aurait voulu passer par le col pour atteindre plus facilement l'enfant, mais la violence des contractions lui aurait brisé les poignets. Elle lança une plaisanterie dans le but d'alléger l'atmosphère.

« Eh bien, Beha, ton bébé a hérité de ton entêtement ! »

Il n'y avait malheureusement rien de joyeux dans cette situation. Un accouchement par le siège était terriblement risqué pour une mère et son enfant. Les chances de survie étaient considérablement réduites. Il ne restait plus qu'une solution pour espérer sauver leurs vies même si, encore une fois, le risque était considérable. Le désespoir commençait à la gagner.

« Je n'arrive pas à le retourner. »

Elle souffla de frustration.

« Je peux tenter autre chose, mais cela est très téméraire. Les chances de vous en sortir tous les deux en sont extrêmement faibles.

- Et si vous ne faites rien ?

- Vous mourrez tous les deux.

- Alors fais-le ! Sauve mon bébé."

Leïla sourit amèrement de la situation. Il aura fallu que Beha soit aux portes de la mort pour entendre enfin ce tutoiement tant espéré. Elle s'exhorta au calme pour ne rien laisser paraître de la peine qui l'habitait et lui expliqua la suite d'une voix douce.

« Je vais devoir ouvrir ton ventre, et cela sera horriblement douloureux.

- Ça m'est égal tant que tu arrives à le sauver. »

La détermination se lisait sur son visage. Elle était prête à tout pour donner une chance de survie à son enfant, même si cela devait lui coûter la vie. Leïla hocha doucement la tête et ordonna qu'on lui apporte de l'eau bouillante, des linges propres et une torche.

Elle mit son nécessaire à couture à bouillir et entreprit de passer la lame de son poignard au-dessus de la flamme de la torche pour la stériliser. Elle ordonna ensuite que quatre femmes se positionnent autour de Beha. Une à chaque bras et une à chaque jambe, afin de l'empêcher de bouger. Elle lui fit mordre sa ceinture de cuir pour qu'elle ne se casse pas les dents à trop les serrer sous le coup de la douleur.

Elle respira profondément et fit remonter à sa mémoire ce qu'elle avait lu sur ce type d'opération. Elle agit en même temps que ses souvenirs affluaient.

« Réaliser une incision au niveau du pubis de la patiente, disait son livre, une fois l'utérus atteint, entailler la poche protectrice pour retirer le bébé. Couper le cordon puis lavez l'enfant. Enlever le placenta en vous assurant qu'il n'en reste plus aucun bout pour éviter une hémorragie post-partum. Ensuite, vous devez recoudre la plaie. »

Elle se focalisa sur son opération, essayant tant bien que mal de faire abstraction des cris de douleur de son amie. Il y avait du sang partout et elle avait beaucoup de mal à y voir clair en raison de la faible luminosité dans la cabane. Ses mains tremblaient et des gouttes de transpiration coulaient le long de son cou à cause du stress et de la chaleur. Azia, qui avait déjà assisté à plusieurs de ses opérations, lui tamponna les tempes et le cou à l'aide d'une serviette humide. Elle la remercia silencieusement et tenta de respirer plus calmement pour ne pas céder à la panique et rester concentrée sur sa tâche. Elle finit par prendre le bébé et le tendit à sa mère, d'une main tremblante, lorsqu'il émit son premier cri.

« C'est un garçon. »

Elle laissa ses larmes couler, soulagée et émue d'avoir réussi. Elle aida la mère à placer le petit sur son sein pour qu'il tète. Cette dernière regardait son fils avec émerveillement.

« Magnifique ... »

Elle avait du mal à s'exprimer tant elle était faible.

« Il est vraiment magnifique ... Promets-moi de t'occuper de lui, en souvenir de notre amitié.

- Tu le feras toi-même, Beha ! Je vais te recoudre et veiller sur toi et tout ira bien. »

Elle secoua la tête en signe de négation.

« Promets le moi ... »

Leïla comprit que l'aiguillon de la mort allait frapper. Elle ferma ses paupières pour refouler son chagrin et lui offrit le plus beau sourire qu'elle fut en mesure de lui donner.

« Oui, je m'engage à veiller sur lui et de m'en occuper comme si j'étais sa mère.

- Merci. »

Elle regarda encore une fois son enfant avec un sourire, le visage baigné de larmes, avant de rendre son dernier souffle. Leïla prit le petit garçon et le lava. Il était magnifique. Il avait hérité des yeux bleus de sa mère. Ses cheveux étaient bruns et sa peau légèrement violette. Elle l'examina avec soin, s'assurant qu'il soit en bonne santé. Elle l'emmaillota ensuite dans un large lange de couleur claire. Elle posa son regard dans ses yeux et lui sourit.

« Je vais t'appeler Ejaz, mon fils, car tu es un vrai miracle. Bienvenu sur terre Ejaz ibn Leïla Khazar. »

Elle le serra contre son cœur et autorisa ses larmes à couler pour manifester sa peine. Elle pleura la perte de son amie avant d'ordonner qu'on organise ses funérailles.

On plaça son corps sur un bûcher de fortune. Tous ses amis vinrent lui dire un dernier adieu avant qu'on y mette le feu. Elle regarda les flammes consumer le corps et raffermit sa prise sur l'enfant qu'elle tenait toujours dans ses bras.

« Nous sommes nés de la poussière, et à notre mort, nous redevenons poussière, ainsi soit le cycle de la vie. Adieu, mon amie, puisse le Tout-puissant avoir pitié de toi dans son immense bonté. »

Quand le feu se fut éteint, ne laissant qu'un tas de braise et de cendre, elle retourna chez elle dans un état second, encore trop perturbée par l'échec qu'elle venait d'essuyer.

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