Chapitre 16
La fin du premier mois accueillit la première épreuve. C'était un examen théorique où une situation de crise leur avait été exposée. On leur avait demandé d'expliquer ce qu'elles feraient si elles étaient, un jour, confrontées à une attaque de rebelles alors qu'elles se pensaient en sécurité à l'intérieur du château. Toutes avaient répondu qu'elles devaient obéir au protocole de sécurité mis en place, à savoir, se laisser guider calmement vers les refuges sûrs aménagés au sein du château et attendre que l'attaque soit maîtrisée. Mais Leïla avait répondu différemment.
« Je me travesti en servante et je m'assure que tous ceux qui ne savent pas se battre soient mis en sécurité, ensuite, je me bats au côté du roi pour repousser nos opposants. Et si ce sont réellement des rebelles, je suggère de les emprisonner et d'écouter ce qu'ils ont à dire. »
Elle s'était ensuite tue et avait regardé chaque membre de l'assemblée un à un, dans les yeux, se tenant droite devant son public, sans cillé une seule fois devant eux. Beaucoup avaient cherché à la déstabiliser, mais elle avait tenu bon, se rappelant sans cesse pourquoi elle était là et surtout pourquoi elle devait à tout prix remporter la compétition.
Jamal s'était attendu à une réponse de ce genre venant de sa part. Il avait dû prendre sur lui pour ne pas sourire et maintenir un visage impassible. Il était néanmoins curieux de comprendre pourquoi elle souhaitait parlementer avec l'ennemi.
« Pourquoi pensez-vous que nous devrions les écouter ? Ce ne sont que des rebelles après tout, méritent-t-ils de vivre et qu'on entende ce qu'ils ont à dire ? D'autant que la plupart ne possèdent aucune éducation, qu'auraient-ils à nous apprendre que nous ne sachions déjà ? »
Elle avait compris qu'il la testait. Il attendait qu'elle aille au bout de son raisonnement et qu'elle développe ses arguments. Elle s'était de nouveau adressée à l'assemblée, d'une voix forte et maîtrisée, brisant le silence qui s'y était installé.
« Un gouvernement qui ne se remet jamais en question devient incapable d'évoluer et finit par sombrer dans l'obsolescence. Si des rebelles existent, c'est que la politique proposée ne convient pas à tout le monde, et de ce fait, étant tous humains et donc imparfaits, nous nous devons de les écouter afin de savoir si ce qu'ils proposent pourrait être envisageable et surtout bénéfique au bon fonctionnement du royaume. Ils ont beau être, comme vous dîtes, dépourvus d'éducation, ils n'en restent pas moins intelligents. De plus, ce n'est pas dans les livres que vous comprendrez la dure réalité du terrain à laquelle ils sont sans cesse confrontés. Comme chacun le sait, il y a la théorie et il y a la pratique. Les dirigeants connaissent la théorie, le peuple la pratique. Malheureusement, trop souvent, les deux ne concordent pas. Ne dit-on pas que c'est toujours par la pratique que se vérifie la théorie ? De ce fait, il me semble capital d'écouter ce que la populace a à nous dire afin d'entrer dans un processus de perfection et d'amélioration au lieu de sombrer dans l'orgueil et la désuétude. »
Sa réponse avait provoqué une cacophonie au sein des ministres. Tout le monde s'était mis à parler en même temps, exprimant les uns leur désaccord, les autres leur avis. Elle n'avait pas bronché et avait continué de se tenir fièrement devant eux.
Jamal avait admiré son calme apparent et la pertinence de sa réponse. Lassé d'entendre leurs chamailleries, il avait donné l'ordre de se taire. Sa voix avait claqué au milieu du vacarme ambiant, obtenant rapidement satisfaction. Quand le calme s'était fait, l'un d'entre eux avait demandé à prendre la parole. Le roi avait accédé à sa requête.
« Enfin, voyons ! Ces bougres sont tout juste bons à nous servir, comment diable ces pauvres gens qui n'ont jamais utilisé leur cerveau, pourraient-ils nous dire ce que nous devrions faire ? »
Sa répartie avait provoqua l'hilarité de l'assemblé, faisant exulter celui qui avait voulu se moquer d'elle. Néanmoins, Leïla n'était pas en reste et lui répondit avec assurance sans se démonter.
« Laissez-moi reformuler votre question afin que je sois sûre d'avoir bien compris vos propos. Pour vous, seuls les nobles acquièrent une intelligence et les « bougres », comme vous les avez appelés, naissent sans la capacité de raisonner et ne sont bons qu'à exécuter des tâches qu'on leur a confiées ?
- Exactement, mademoiselle, c'est ainsi que fonctionnent les choses !
Il arborait un sourire, fier de lui, encouragé par certains de ses compatriotes.
« C'est un point de vue qui se défend. »
Elle avait placé ses mains derrière son dos et se tenait campée fermement sur ses deux pieds, le menton relevé, les défiant de son regard acéré. Jamal la trouvait magnifique. Elle s'était positionné en défenseur du peuple, telle une guerrière prête à rabattre le caquet des idiots qui l'entouraient.
« Maintenant, j'aimerais que vous m'expliquiez comment cultive-t-on la terre ? »
Le ministre avait jubilé, persuadé d'avoir enfin trouvé le moyen de la rabaisser et de faire asseoir sa supériorité.
« Il suffit de faire un trou dans la terre, de planter la graine et d'arroser, pas besoin d'avoir fait d'études pour savoir ceci. »
Quelques-uns avaient secoué la tête, désappointés de l'explication que leur collègue avait fourni. Mais la plupart avaient hoché la tête pour approuver ses dires et s'étaient moqué d'elle. Elle leur avait lancé un regard ironique, un sourire s'était dessiné à la commissure de ses lèvres. Elle s'était attendu à ce genre de réponse et avait été ravie qu'il soit si facilement tombé en plein dans son piège. Elle reporta son attention sur l'ensemble des personnes présentes et leur expliqua son point de vue.
« Sachez, messieurs, que si vous agissez ainsi, vos plants mourront, étouffés par les mauvaises herbes qui pousseront à leurs côtés. Et vous perdrez la globalité de votre culture. Ces bougres que vous jugez illettrés sont à l'écoute de la nature et ont réussi à développer des techniques et des méthodes assurant la production à l'origine de ce qui se trouve dans vos assiettes. Et c'est grâce à eux que vous ne mourrez pas de faim aujourd'hui. Les dénigrer en les considérant comme des outils capables d'accomplir uniquement des tâches ingrates que vous leur avez confiées est idiot et inconscient de votre part. En effet, ceci prouve que vous avez oublié qu'il vous est impossible de concevoir un projet sans prendre en compte la réalité du terrain. »
Elle avait fait une courte pause dans sa plaidoirie pour reprendre son souffle, leur laissant ainsi le temps de digérer ce qu'elle venait de leur dire.
« Afin de vous donner un exemple concret, en politique, vous vous devez de vous adapter en fonction de vos adversaires et des sujets que vous devez traiter. Pour les agriculteurs, c'est la même chose. Ils doivent prendre en compte la sécheresse, les conditions climatiques et météorologiques, les parasites qui ravagent les cultures, et tous autres facteurs susceptibles d'entraver le bon déroulement des récoltes. Toutes ces choses qu'il faut prendre en compte dont vous n'avez pas forcément conscience puisque vous ne cultivez pas la terre, influent sur la production de la nourriture, qui impactera sur l'impôt et qui au final déterminera toute l'économie du pays. Donc, oui messieurs les ministres, le peuple a des choses à dire. »
Elle s'était tue à nouveau quelques secondes, mais reprit très vite son discours avant de se faire interrompre.
« Néanmoins, revenons-en au sujet principal, l'attaque des rebelles. La plupart du temps, leur présence est révélatrice d'un peuple est en souffrance, si vous souhaitez éviter leur présence, soyez attentif aux besoins de ces « bougres » dehors que vous jugez incapables et vous ne souffrirez pas de ce genre d'attaque. »
Voyant qu'ils allaient encore une fois la contredire, elle anticipa leur réponse et leur coupa la parole.
« Avant que vous ne vous imaginiez que le peuple se rebelle car il en veut à vos postes, dites-vous que c'est une idée très prétentieuse de votre part qui témoigne d'une grande méconnaissance de ceux que vous gouvernez. En effet, les seules choses qui leur importent vraiment sont : être en sécurité, avoir assez d'argent afin de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles et avoir une vie heureuse et épanouie. Le reste n'est que superflu. »
Le silence s'était de nouveau fait dans la salle. Toutefois, les visages en disaient long sur ce qu'ils avaient pensé. Certains avaient le regard emprunt d'admiration voyant en elle une future reine, d'autres étaient chargés de haine la considérant déjà comme une menace à leur pouvoir. D'autant que Jamal ne dissimulait aucunement sa fierté qu'il ressentait à son égard. Elle venait de confirmer son choix et il était désormais sûr qu'elle ferait une merveilleuse reine. Et heureusement pour elle, son gouvernement ne comptait pas que des membres corrompus, il y avait aussi des sages qui avaient su voir en elle le potentiel qu'elle renfermait.
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