17
Je serrais mon poing sur ce qui renfermait mes pires craintes, et ce jusqu'en m'en faire blanchir les jointures.
Essoufflé, j'avais rejoint mon appartement aussi vite que je l'eus pu. Je l'avais retrouvé là où je l'avais laissé, recroquevillé sous les draps et profondément endormi. Doucement, je m'étais approché, et j'avais attendu. Assis près de lui, je passais ma main sur son visage blême.
Comment avais-je pu me résoudre à faire une telle chose ?
Je me remémorais l'acte qui m'avait autrefois fasciné et effrayé. Le péché de s'infliger le mal pour se faire du bien.
Je me demandais si j'en serais capable, s'il ne serait pas plus sage de me défiler.
Je ne savais même plus définir ce qui était moral de faire ou non. Je voulais simplement amoindrir ses souffrances, et utopique idée, les faire disparaître.
Il avait fini par s'éveiller, fébrile et nerveux. Son regard s'était posé sur moi, je l'avais observé avec amertume et tristesse.
- J'ai quelque chose pour toi. Lui avais-je honteusement murmuré.
Il m'avait interrogé du regard, tandis que j'ouvrais ma main et vidais mes poches.
Il s'était redressé, agité par un regain subit d'énergie. Cette lueur dans son regard un peu fou, sa lèvre inférieure qui tremblait, ses doigts se crispant sur les draps.
Son impatience était palpable, presque dangereuse.
- Tu en as ? Demanda-t-il, avide.
Ses yeux s'agrandirent tandis que j'étalais le matériel devant lui. Il ne me demanda pas où ni comment je m'en étais procuré, et je ne m'en étonnai pas. Son obsession allait être comblée, son supplice abrégé.
Je me demande encore si je ressentais de la peine pour moi-même d'être si peu considéré, mais peut-être que la tristesse que je ressentais envers lui m'avait finalement dominé. Et mon amour inexplicable, dont je ne savais s'il était réciproque, me donnait assez de force pour deux.
Il commençait à saisir ces ustensiles familiers de ses mains tremblotantes, je le stoppai.
- Je vais le faire. Soufflai-je faiblement.
Je tentai de contrôler mes propres tremblements, et je lui demandai de s'asseoir face à moi. Le souvenir de l'injection dont j'avais été spectateur était si encré dans mon esprit, que je n'eus aucun mal à reproduire ses gestes.
Le garrot, le flacon, la seringue, son poing serré, sa veine bombée, la piqûre, le liquide dévastateur injecté avec lenteur et précaution.
Mes larmes, son râle de plaisir, ses yeux révulsés, ses sourcils froncés, son corps basculant contre moi, mes mains dans ses cheveux, son souffle sur mon torse. Et ma honte, cette honte insoutenable, et mon dégoût qui ravageait tout à l'intérieur de moi.
J'avais fait l'impossible à concevoir, comme si je n'avais jamais avancé, c'était un retour à la case départ, un échec de plus à ajouter.
Je pensais déjà au lendemain, quand la dose devra baisser, et aux jours suivants, et à ceux d'après. Je me demandais si cette horrible technique marcherait, ou si cette tentative serait vaine, tout comme mes efforts à l'aider.
J'avais atteint, même dépassé, les limites que je m'étais fixé. Pour lui, j'étais allé au-delà de toutes mes craintes et mes peurs, ma détresse avait fini par déteindre sur mes principes et le contrôle que je souhaitais tant exercer.
Je l'avais fait. Je lui avais administré ce qui allait le détruire.
Les heures s'écoulèrent, il se sentit mieux. Drogué, planant, mais calme et paisible. Nous pûmes même avoir une conversation presque normale, évoquant quelques-uns de nos goûts, et des bribes d'un passé trop lointain pour qu'il ait été déjà contaminé par le mal.
Il en fut ainsi jusqu'au lendemain, et le même schéma s'était reproduit.
Le manque était de nouveau là.
J'appliquais la consigne, je baissais la dose. Il ne le remarqua pas.
Les jours passèrent ainsi, je ne saurais dire combien, et j'arrivais enfin à la dose la plus basse. Ses crises pourtant ne s'estompaient pas, elles devenaient même plus violentes, et arrivaient plus rapidement. C'était ce dont je m'étais douté. Les doses diminuées, il était davantage en manque. Je me battais contre un monstre trop fort pour moi.
Je lui avais administré cette dernière dose, démoralisé et complètement abattu par cette constatation.
Je me sentais mal, au bord du malaise, tandis que la bile me montait à la gorge. Dans un dernier effort, je couru vers la salle de bain, le laissant seul sur le canapé.
Je surpris mon reflet dans le miroir un peu écaillé. Je ne savais pas qui était celui que j'observais. Méconnaissable, négligé, trop maigre, trop pâle.
J'avais pris son mal sur mes épaules, je m'étais battu contre ses démons, et je n'assumais pas cette défaite, je ne le pouvais pas.
Il avait malgré lui placé sa vie entre mes mains, j'avais eu l'espoir de le sortir de son enfer.
J'avais même oublié mon propre enfer, mes propres peines, mes douleurs.
Et finalement, je m'étais oublié.
~
J'avais dû sacrifier jusqu'à mon âme,
pour sauver la sienne.
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