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Nous nous étions présentés dans les formes, plus tard qu'il ne l'aurait fallu, puis n'avions plus parlé pendant plusieurs minutes.

Mais il fallait partir, alors je lui expliquai rapidement la situation. Il ne parut pas étonné d'être ainsi mis à la porte. Il se redressai lentement, sans me regarder.

J'avais pris ma décision, pourtant je ne lui fis pas tout de suite part de mes projets. Sûrement qu'à ce moment-là, il ne se doutait pas le moins du monde de ce que je comptais lui proposer. Je ne savais quelle serait sa réaction. Mais je savais en revanche qu'il fallait que je me prépare aux éventualités. À la manière dont il réagirait, à son possible refus, et savoir comment le contrer. Car je ne comptais fondamentalement pas lui laisser le choix.

Nous ne parlâmes pas non plus lorsque que je l'aidai à se revêtir, et toujours pas lorsque, légèrement frissonnants, nous attendîmes un taxi devant le bâtiment gris.

J'avais alors presque cru que c'était une évidence pour lui, qu'il s'était fait à l'idée de rester à mes côtés, sans même que j'eus à évoquer cette idée.

Mais je me trompais.

Le soutenant toujours par la taille, nous montâmes dans le véhicule qui avait fini par s'arrêter.
J'annonçai mon adresse au chauffeur, et sentis son regard se poser sur moi. Je feignais de l'ignorer, inquiet de ce que je découvrirai dans ses yeux.

Lorsque le taxi eut atteint le centre-ville, il s'adressa au conducteur d'une voix rauque et faible, fatiguée.

- Déposez moi à l'angle de la prochaine rue.

C'était ce que j'avais redouté.

Souhaitant par-dessus tout ne pas déclencher d'esclandre dans l'habitacle étriqué, je n'avais pas réagi.

Lorsque la voiture se stoppa à l'endroit qu'il avait indiqué, il ne me jeta pas le moindre regard, et ouvrit la portière avec difficulté. Aussitôt qu'il eut posé un pied sur le bitume du quartier douteux, je donnais au chauffeur une liasse de billet, plus qu'il n'en fallait, et m'engouffrai au dehors.

Il n'avait même pas remarqué que j'étais descendu à sa suite. Dos à moi, chancelant et à pas difficiles, il s'éloignait doucement sans un regard en arrière.

Le voyant ainsi, traçant sa route d'une désespérée détermination, rien n'aurait pu laisser deviner qu'il avait frôler la mort il y avait à peine quelques heures.

Et je l'en admirais davantage. Comme mon inquiétude qui, elle aussi, s'accentuait.

Je n'eus pas de mal à le rattraper, tant il semblait lutter contre sa propre faiblesse.

Je fixais sa nuque, anxieux, et doucement, saisissais son avant-bras de mes doigts moites.

Surpris, il se retourna aussi vivement que sa condition le lui permettait, puis m'observa avec des yeux ronds.

- Où tu vas ? Demandai-je calmement.

- Ce n'est plus ton problème.

C'était faux, incroyablement faux, et il ne le comprenait pas. C'était le Parfait contraire. J'avais choisi qu'il soit mon problème. Je voulais oublier les miens, je voulais porter les siens à sa place, le soulager de ses fardeaux.

Je voulais sa souffrance, sentir ma gorge se serrer quand il me regardait, et mon estomac se tordre par le son de sa voix.

Il tenta de se défaire de ma prise, mais je serrais davantage. Manquant de force, il abandonna vite sa médiocre lutte, et se risqua à me dévisager.

Je vis ses traits se détendre imperceptiblement, ses lèvres pincées s'affaisser. Et je compris qu'il était en train de flancher, de baisser sa garde. Pas complètement, mais juste assez pour me donner la chance d'argumenter pour le convaincre.

- Je sais que tu n'as nulle part où aller.

Je prêchais le faux pour avoir le vrai. Quand il resta muet, je sus que j'avais vu juste.

- Viens pour cette nuit, repose-toi chez moi. Et demain nous aviserons.

Il semblait analyser ma proposition, méfiant et l'œil vitreux. Et j'avais l'impression de tenter d'apprivoiser un chat sauvage.

- S'il te plaît ... Tu vois bien que tu peux à peine marcher...

C'était un piètre argument, mais je m'y essayai maladroitement.

Auparavant à demi tourné vers moi, prêt à s'enfuir, il s'était alors tenu droit devant moi. Puis dans un soupir, suivi d'un léger hochement de tête, il m'avait donné son accord muet.

~

J'avais franchi
la première barrière.

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