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Chapitre 12: (publié le 26 juillet 2024)

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L'Inconnu. Ce garçon est L'Inconnu. Celui dont le visage, le touché et la voix s'étaient effacés de ta mémoire, celui qui a en partie été la cause de la blessure qui aurait pu t'être mortelle et qui t'a sauvé la vie il y a à peine quelques jours, ou peut-être bien quelques mois.

Tu n'es pas dans un de tes souvenirs mais dans l'un des siens. D'ailleurs, le cri que tu as entendu quand tu t'es réveillée n'était pas une création de ton esprit mais c'était lui qui t'obligeait à t'arrêter là et à ne pas aller plus loin. Quand bien même tu t'en étais rendue compte plus tôt, comment faire demi-tour? C'était trop tard. C'était impossible.

Tu es déconcertée comme tu ne l'as jamais été, mais malgré ce sentiment étrange, l'enthousiasme pointe le bout de son nez, et tu as encore plus envie de tout savoir de L'Inconnu maintenant que tu en as enfin la possibilité. Alors tu cherches et cherches encore des indices dans le vieux garage. Tu traverses la pièce pour t'approcher d'un calendrier décoré de photographies de nature accroché au mur. Et ce que tu y vois te laisse sans voix...

Tu ne pensais pas que L'Inconnu était resté si longtemps dans la Carte, si longtemps séparé du monde extérieur, sans voir personne – ni sa famille, ni ses amis, ni son groupe –, sans vie. Tu te rends à présent compte du brisement de cœur que ça doit être, chaque jour, de vivre et de respirer alors que des personnes cherchent encore à savoir où il est, ce qui lui est arrivé et, surtout, si on lui a fait du mal. Dans un sens non, dans un autre oui. On lui a volé sa jeunesse, on lui a volé sa vie et brisé ses rêves et tous les projets qu'il avait entrepris de réaliser. Rien de pire que de continuer à avancer en sachant cela, et en sachant que s'il arrive à sortir de cette maudite Carte, il se sera écoulé quelques décennies, et le monde aura changé, sans l'attendre, trop changé pour tenir.

Tes jambes tremblent et ont encore du mal à te supporter, et tu dois te tenir au mur pour ne pas tomber par terre.

Tu déglutis difficilement et regardes une nouvelle fois le calendrier pour t'assurer que tu n'as pas mal lu.

Avril 1989, et plus précisément le dimanche 2 avril 1989.

Cette nouvelle information te déroute horriblement, et il y a de quoi: tu as fait un bon de trente-trois ans dans le passé; mais tu ne dois pas t'arrêter là, tu ne peux tout simplement pas. C'est sans doute l'une des seules occasions d'en apprendre plus sur ton ami que tu verras passer dans ta vie, alors autant en profiter.

En passant entre les guitaristes et le bassiste, qui bougent et remuent de la tête sans arrêt, tu retournes vers la batterie et regarde le nom peint en vert décorés de jolis motifs noir et or, sur la grosse caisse de la batterie.

« LoSt In JuNgLe »

Perdu dans la jungle.

Perdu dans le vrai monde, plutôt...

Tu restes postée à côté de L'Inconnu en le regardant jouer, puis tu t'avances un peu, pour mieux l'observer, un peu plus pour que son visage reste gravé dans ta mémoire, encore plus, jusqu'à le frôler inconsciemment avec ton épaule.

Il frissonne et arrête brusquement de jouer pour se retourner vers toi, le regard apeuré. Également effrayée, tu recules vivement. Et s'il était capable de te voir?

– Eh E...

Le bassiste vient d'interpeller L'Inconnu, qui ne bronche pas. Tu n'arrives pas à entre son prénom, quelque chose t'en empêcher et transforme ce nom chaque fois qu'il est prononcé. C'est comme si le jeune homme venait d'hurler dans de l'eau. Ce son est semblable à de délicates bulles d'air venant frôler tes oreilles submergées.

Il l'interpelle une deuxième fois et ces bulles se font de nouveau entendre.

L'Inconnu se retourne vers son bassiste et tu vides enfin tes poumons, ayant retenu ton souffle dès que L'Inconnu a regardé vers toi.

– Tu vas bien, mec?

– Ouais, ouais John, ça va.

Le grand bassiste à lunettes et aux multiples chaînes autour de son cou, en guise de bracelets ou accrochées à son pantalon, s'appelle donc John. Il ne reste plus qu'à espérer pouvoir entendre les prénoms des deux autres garçons présents - les deux guitaristes, l'un aux cheveux en bataille et veste en cuir et l'autre aux cheveux bien peignées et chemise blanche impeccable.

– On reprend? Demande L'Inconnu au reste du groupe comme s'il ne venait pas de sortir d'une sorte de transe qui a terrifié tout le monde.

Les autres ne répondent même pas et ils recommencent à jouer, reprenant là où ils se sont arrêtés.

Aussitôt, une jeune femme d'une vingtaine d'années qui ressemble comme deux gouttes d'eau à John - pas de doute cette fois, c'est sa sœur -, entre dans le garage, où le silence s'installe à nouveau. Elle se tourne vers L'Inconnu en souriant tristement.

E... (nouvelles bulles), ta mère t'attend chez toi, il faut que tu rentres maintenant.

Il se lève en soupirant.

– Sérieux? Elle m'avait dit d'être à la maison à dix-sept heures, pas si tôt...

E..., reprend-elle en appuyant son prénom (les bulles se font plus fortes), il est dix-sept heures.

– Merde! S'exclame-t-il en fourrant ses baguettes dans son sac qu'il attrape à la hâte - et manque de te toucher - et enlace ses amis. À demain les mecs!

Il détaille le visage de la soeur de John du regard et lui adresse un sourire timide avant de sortir du garage.

Le plus logique serait de sortir à ton tour pour ne pas perdre de vue L'Inconnu, mais tu décides de rester encore quelques instants pour étudier les garçons et te souvenir d'eux.

– Vous ne trouvez pas qu'il était bizarre, aujourd'hui? Demande un des guitariste, celui à la chemise blanche bien plissée.

– C'est bon! J'ai compris qu'il fallait que je ne touche à rien ni à personne quand je suis dans cette putain de carte! J'ai compris! Hurles-tu soudain, ta voix muette pour les personnes autour de toi, contrairement aux objets tombés suite au coup de pied énergétique que tu as envoyé dans le meuble le plus proche, pour traduire ton agacement.

Les trois garçons et la jeune femme ont leurs yeux ronds comme des soucoupes tournés dans ta direction, ou plutôt vers le petit buffet appuyé contre le mur.

– Bordel!

Les objets valsent à nouveau dans le garage et tu quittes la pièce.

Tes grognements accompagnent ta marche dans la rue pour retrouver L'Inconnu, ayant laissé les autres perplexes, ou effrayés.

Tu le retrouves à une cinquantaine de mètres de là, appuyé contre un abribus. Il tape du pied sur le sol en rythme avec la chanson qu'il fredonne et il griffonne dans un carnet. Le carnet. Celui que tu as vu quand tu étais enfermée dans son placard lors de la visite des Astrals. Celui que tu n'as pas eu le temps d'ouvrir, que tu n'as pas osé feuilleter.

Tu rejoins L'Inconnu et te mets sur la pointe des pieds pour jeter un coup d'œil au contenu du cahier - le jeune homme fait une bonne demi-tête de plus que toi et il tient l'objet proche de sa poitrine, comme s'il craignait que quelqu'un le lise. Il contient des dessins et des petits paragraphes soigneusement écrits.

Sur la page ouverte, il dessine grossièrement un dragon rouge et noir avec son stylo quatre couleurs couvert d'encre séchée. Il a déjà écrit quelque chose d'intéressant:

« Dimanche 2 avril 1989,

Je me sens de plus en plus bizarre, tout m'échappe et je n'arrive à me concentrer uniquement quand je joue avec le groupe. En fait, c'est le monde qui est bizarre: ma mère ne me colle plus pour savoir où je vais, ce que je fais, à qui je parle; au lycée, les profs ne m'engueulent plus quand je parle avec les garçons ou que je n'écoute pas le cours; et puis il y a cet objet, que je vois tout le temps, chaque fois que je marche dans la rue. Elle est là, cette carte dorée qui scintille et m'attire. Je ne veux pas la toucher, j'en ai peur, maintenant. »

L'Inconnu frissonne et tu recules en te maudissant à voix basse; il rajoute une phrase:

« Et puis je n'arrête pas de frissonner, deux fois déjà aujourd'hui. »

Tu ne t'étais jamais réellement posé la question de comment L'Inconnu était passé de l'adolescent innocent au Capturé, mais tu as le pressentiment que tu vas vite avoir ta réponse.

Tu ne crois pas vraiment avoir envie de voir le moment où on a brisé la vie de ton ami. Tu ressens sa peur, et tu es terrifiée aussi; il sait que quelque chose d'anormal va arriver. Et si les "méchants" s'apercevaient de ta présence et décidaient de te capturer aussi?

Tes pensées sont balayées par l'arrivée d'un vieux bus dans lequel L'Inconnu monte. Tu te précipites derrière lui avant que les portes automatiques ne se referment. Par chance, ce bus est l'un des derniers à passer avant l'heure de pointe et il n'est pas bondé, ce qui facilite ton passage entre les gens sans les toucher pour ne pas leur glacer le sang.

Au moment où tu trouves une place à peu près confortable, coincée entre le mur du bus, une paroi en verre et L'Inconnu, il descend du bus et tu n'as d'autre choix que de le suive en traversant quelques citoyens pour rester avec lui.

Tu cours après lui et vous dévalez des escaliers pour vous rendre dans un souterrain bondé, où des gens pressés se croisent sans même s'adresser un sourire ou un regard. Arrivé sur un quai de gare - ou plutôt de métro -, L'Inconnu s'arrête, jusqu'à ce qu'une rame arrive dans un fracas assourdissant. Poliment, les voyageurs laissent leurs collègues descendre du train avant d'y entrer à leur tour. Tu restes près de L'Inconnu, sans te préoccuper de ses frissons.

Le métro file dans les tunnels et vous passez plusieurs arrêts – tu ne prends même pas la peine de t'intéresser au nom de ceux-ci. Vous descendez de nouveau pour remonter rapidement à la surface.

L'Inconnu retrouve une allure normale dès que l'air frais caresse son visage et se glisse entre les mèches lâches de ses cheveux foncés. Tu prends le temps de respirer et d'observer ton environnement.

C'est alors que tu lèves la tête et aperçois un monstre géant et intimidant se détacher des immeubles par lesquels il est caché, des immeubles qui ne font pas un quart de sa taille. Un monstre de fer qui t'a toujours impressionnée.

La Tour Eiffel.

– Putain de bordel de merde... Marmonnes-tu, incrédule, les yeux levés vers le monument tandis que tu fais de ton mieux pour rester près de L'Inconnu sans faire des zigzags.

Vous êtes à Paris. La ville de l'amour et des Lumières. La capitale de la France. La ville la plus visitée au monde. Accessoirement, la ville sur laquelle tu as toujours fantasmé bien que tu ne t'y sois rendue que deux ou trois fois dans ta petite vie.

Après l'Australie, te voilà à Paris. Tu auras l'occasion de remercier L'Inconnu pour ton tour du monde gratuit. Pourquoi pas le Danemark ou le Canada, maintenant?

Vous marchez pendant quelques dizaines de mètres sur le trottoir puis tournez à gauche et traversez la route pour vous engager sur une promenade au bord de la Seine, en direction de la Tour Eiffel.

De ce que tu connais d'elle, Paris a changé.

Mais l'air que tu respires semble... différent. Et pas seulement parce qu'il y a moins de pollution qu'en 2022; l'ambiance semble modifiée. Pas meilleure, pas pire. Juste différente.

L'Inconnu habitait à Paris.

Tu viens de voyager dans le temps et de changer d'endroit sans réellement le vouloir. Tu as du mal à digérer toutes ces informations, alors qui te croira?

Un sourire serein sur les lèvres, L'Inconnu, lui, sort de son sac un baladeur et un casque qu'il met sur ses oreilles. Penchée sur lui, tu continues de marcher en fixant son visage. Un visage à la peau d'albâtre aux yeux sombres. Un visage d'ange, celui dont tu rêves chaque soir sans réussir à le capturer dans ta mémoire. Celui qu'on t'a fait oublier...

Un rictus amusé se forme sur ton visage. L'Inconnu remue la tête d'avant en arrière, de gauche à droite en fredonnant les paroles de la chanson qu'il écoute. Les gens l'observent bizarrement. Ils le regarde de la même façon qu'ils regarderaient une bête de foire trop heureuse, de la même façon qu'ils te regardent toi. Parce que quoi? Parce que vous êtes un peu différents?

Ton cœur se serre. Comme quoi... peu importe les époques, les gens restent les mêmes. Ils ne changent pas, leurs idées préconçues n'évoluent pas. Quel gâchis.

Un cri étouffé s'échappe de ta gorge lorsque que tu buttes contre le petit muret séparant la promenade de la Seine et que tu bascules en arrière.

À présent, ton cœur se soulèves et tu remues des pieds et des mains dans le vide, comme si ça pouvait t'aider à retrouver la terre ferme.

L'Inconnu ne réagit pas, il ne sait pas que tu es en train de sombrer, et il continue à sourire en profitant du morceau qui passe dans son casque. Son sourire est la dernière chose que tu vois avant que tes yeux se ferment. Ta respiration se coupe sous l'effet du choc lorsque ton dos heurte un poteau et que tu tombes la tête la première dans l'eau trouble du fleuve.

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Après plusieurs mois d'écriture, de réécriture, de casse-tête et de manque d'inspiration, et finalement de re-inspiration, j'ai enfin fini ce chapitre et je suis fière de moi!!!

2274 mots

Et non, pas de dédicace pour ce chapitre, mais je ne savais pas trop à qui j'aurais pu le dédicacer, et puis j'imagine que ce n'est pas nécessaire à chaque chapitre.

Dites moi ce que vous en pensez! >>>>>

See you in a few months <3

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