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Kiera

Le bruissement que provoque le vent dans les feuilles des arbres m'apaise légèrement. Les enfants crient autour du toboggan, d'autres jettent du pain aux canards, surveillés par leurs parents. Je m'assois sur un des nombreux bancs métalliques et souris devant cette ambiance plaisante avant de culpabiliser. Voir les bambins courir en riant par éclats me rappelle à quel point je suis une mère pathétique.
En période de calme, je suis moi aussi cette maman qui joue, qui grimace devant un objectif et qui s'endort d'épuisement pendant l'histoire du soir. 

Mais là... Voilà, c'est dur. Tellement dur d'être celle que je suis et de ne pouvoir que de supporter cet état. 

On pourrait me dire de faire un effort, de me contenir mais c'est impossible. Les nerfs à vifs, le stress qui me ronge et cet état d'excitation constante me poussent à dire ou faire des choses que je regrette quelques heures plus tard. Je comprends que mon comportement soit néfaste pour mon couple, qu'Alexis supporte énormément de choses quand d'autres seraient déjà partis en courant. Mais ça ne pardonne en rien cette infidélité.

Depuis hier, les messages que j'ai découverts tournent dans mon esprit, me narguent, me rendent malade. Et je ne peux m'empêcher de l'imaginer en train de se donner du plaisir dans notre canapé alors que je dors, et je ne peux m'empêcher de remettre en doute toutes les excuses pour ces retards, pour ces absences.

 Où se rejoignent-ils ? Est-ce qu'il va la baiser une fois par semaine ? Ou plus ? Ont-ils des jours réservés pour se retrouver ? Est-ce qu'il va bien au tennis chaque jeudi soir ou la voit-il ? Ou pire ! Si ça se peut, elle va l'encourager dans les gradins et je me fais passer pour la grosse conne cocue de service !


Mon sang s'échauffe dans mes veines, mes larmes jaillissent et je les essuie d'un geste furtif, énervée d'encore craquer.
Si jamais il l'amène partout et qu'au final je sois la seule à ne rien savoir, je leur explose la tête à tous les deux. Je ferme les yeux, laisse le soleil réchauffer mon visage et me concentre sur le chant des oiseaux, sur le rire des enfants. Je laisse le calme m'envahir, profite de cette accalmie en moi avant que la colère ne revienne avec force et puissance.

Je m'allume une cigarette, tire une longue taffe dessus et recrache la fumée dans le ciel magnifiquement bleu.

J'attrape mon portable, vérifie l'heure. A quinze heures trente je dois être chez mon père, comme chaque dimanche, à cette heure-là. Il est onze heures, ce qui me laisse le temps de profiter un petit peu, avant les longues discussions ennuyeuses.

Une notification attise ma curiosité et je retiens mon souffle quand je remarque qu'il s'agit du site de rencontre.
Est-ce qu'Alexis m'a déjà repérée ? Ou est-ce que mon profil l'intéresse ?

Non. Il s'agit d'un certain Am001. Le cœur battant la chamade, j'ouvre le message privé.

Am001 : Bienvenue à toi, Lovamour69.

Je ne sais pas trop si je dois répondre, ou ce que je suis censée dire. Ce n'était pas dans mon plan, ça.

Moi : Merci.

Voilà au moins je reste polie. Je respire, dépose mon téléphone avant d'enlever mon pull beaucoup trop chaud pour ce mois de juin brûlant. Quelques secondes plus tard, sa réponse arrive.


Am001 : Tu as le temps de discuter ? Ton profil m'a l'air assez sympa.


Oui, j'ai le temps, mais je n'en ai pas envie. Et puis forcément que mon profil est sympa puisqu'on y voit une paire de nibards et que le reste n'est qu'un tissu de mensonges. Je mettrais nana folle à lier et bipolaire ayant un énorme penchant pour la pâte à tartiner et que cela se remarque sur ses hanches, mon profil le serait beaucoup moins ! 

Am001 : Je ne vais pas te manger ;) Je m'appelle Amaury, je suis de Tournai et je trouve ça cool de pouvoir échanger avec des jeunes femmes qui vivent près de chez moi.

Je soupire, regarde autour de moi, mal à l'aise. Mes mains sont moites et la sueur de mon front coule le long de mes sourcils.

Moi : Je suis en couple...

Merde, pourquoi je lui dis ça ? Et s'il connaissait Alexis ?


Am001 : Moi aussi, depuis dix ans mais nous sommes quand même là... Alors, qu'est-ce qu'il t'amène ici ? Manque d'excitation ? Infidélité récurrente ou piège ?


Mes dents s'enfoncent dans ma lèvre inférieure alors que mes doigts pianotent sur les touches de mon clavier.

Moi : Je pense que cela ne te regarde pas, je te le dirai quand on se connaitra un peu mieux.


Oh mais quelle conne ! J'essaie d'annuler l'envoi de ce message, qui sonne comme une invitation à se connaitre, en vain. C'est trop tard.


Am001 : Cool ;) Alors moi je suis ici parce que je suis un infidèle compulsif. J'aime ma femme, mais j'ai besoin d'autre chose. Mon quotidien manque cruellement de peps.


Je fronce les sourcils, retire sur ma clope qui s'est presque consumée seule. Ce mec est bizarre. Donc ça existe vraiment les infidèles « compulsifs ». Mais comment peut-il affirmer aimer sa femme alors qu'il la trompe à tout va ? Et si Alexis était comme ça lui aussi ? Oh mon dieu...

Moi : Tu veux dire que tu couches avec pleins de femmes ? Juste parce que tu t'emmerdes dans ta vie ?


Am001 : Hum... Pas exactement.

                  ...

                J'aime le virtuel, tromper mentalement apporte une certaine dose d'excitation sans vraiment se mouiller dans la réalité.

Je suis dégoutée qu'on puisse penser ainsi, sans imaginer une seule seconde la douleur qu'on provoque à la personne qui partage notre vie. Et je suis certaine que des spécimens pareils, il doit y en avoir plein.

Am001 : J'en déduis que t'es là par vengeance...

Moi : Ce ne sont pas tes affaires !

Am001 : Exact ;) Mais si je peux t'aider à coincer ton mec, dis-le moi.


Je me déconnecte, énervée. Je ne compte pas lui demander quoi que ce soit à ce type ! Je ne le connais pas et puis, à quoi me servirait-il dans mon piège ? A rien. Voilà la réponse. Et il est hors de question que je sois une pute qui lui sert à tromper sa femme !
Comme quoi, les trois-quarts des hommes sont des porcs, à penser seulement au cul, au plaisir qu'ils peuvent soutirer d'une femme. Les sentiments et tout le reste, ils s'en balancent. Et c'est ignoble. Je me demande si Alexis dit cela aussi, ou le pense. J'ai un peu de mal à croire qu'on puisse aimer une personne et lui faire ça en même temps.

Mon téléphone se met à vibrer, et je soupire longuement quand je vois que c'est Alexis.

—Allo ?

—Comment vas-tu ma puce ? Je ne t'ai pas vue en me levant et je me demandais quoi...

—Ça va...

Je grimace quand un enfant de l'âge de Nico tombe au sol et hurle en se dirigeant vers sa mère.

—Kiera...
Un soupir.

—Tu vas chez ton père ?

—Comme tous les dimanches, je réponds platement.

—Ok... Hey... Je t'aime ma puce, tu sais que je suis là si tu as besoin.

—Je reviendrais à dix-neuf heures. Je t'aime aussi.

Ces mots me brûlent la gorge alors que je raccroche. Bien sûr que j'aime Alexis, mais depuis que je sais ce qu'il fait dans mon dos, je ne peux plus le voir comme avant, c'est un fait.

******

J'ai flâné dans le parc jusqu'à treize heures. Je sais que mon père n'est pas habitué à ce que je débarque aussitôt mais je le connais assez pour savoir qu'il ne se posera pas de question. Et c'est tant mieux, je n'ai pas envie d'étaler mes problèmes de couple, ni de lui dire que je fuis Alexis.

Quand je sonne à sa porte, qu'il vient m'ouvrir en trainant ses pieds dans ses vieilles pantoufles et que j'entre dans cette maison puant la nicotine, je me sens un peu mieux. Je suis de retour chez moi, là où j'ai vécu les années les plus difficiles de ma vie mais les plus belles aussi. Que ce soit le décès de ma mère, les débuts de ma bipolarité à seize ans, je n'oublie rien. Encore moins les fois où ma mère et moi dansions dans le salon sur de vieux morceaux de Charleston, ni même nos jeux de cartes pourris où tous les trois nous éclations de rire.

—Comment vas-tu ? me demande mon père en allant s'assoir dans son vieux fauteuil de cuir.

Je referme derrière moi et le suis, avant de m'assoir face à lui.

—Mal. Je suis dans une phase maniaque.

Mon père soupire, gratte de ses longs doigts ses cheveux gris avant de grimacer.

—Depuis combien de jours ?

—Hier. Tu crois vraiment que ça finira un jour ?

Mon père redresse ses petites lunettes rondes, croise ses jambes avant de me regarder droit dans les yeux.

—Je ne sais pas chérie, je ne sais pas. Mais je te le souhaite.

—J'en ai ras le cul, là !

Je me lève, irritée par sa réponse. Pourquoi personne ne sait ? Pourquoi ce foutu traitement ne parvient pas à faire disparaitre complètement ces putains de crises ? Pourquoi je lis sur le net tant de témoignages de patients bipolaires qui vont bien, qui n'ont plus que deux crises sur l'année alors que moi, des années de médicaments ne me les font pas disparaitre ?

J'en ai marre !

Je prends le paquet de clopes au fin fond de mon sac à mains, en allume-une en fermant les yeux. C'est bizarre que je ne fume que lorsque je suis en pleine crise maniaque. Même mon psy ne voit pas le rapport. Je dois être une nana carrément cinglée, je pense.

—Tu devrais envisager un nouveau traitement ou alors demander au médecin d'augmenter le dosage.

—Et me retrouver stone devant le p'tit... Je ne pense pas que ce soit mieux, tu sais...

—Alexis est quand-même là pour t'épauler, Kiera, tu ne mesures pas la chance que t'as de l'avoir.

Je m'étrangle presque avec la fumée de ma cigarette, me retiens de jurer et de l'envoyer chier.

—Ouais, si tu le dis.

Mon père souffle longuement, un peu trop à mon goût. Je prends le cendrier, vais me réinstaller dans le canapé.

—Kiera...

Je me mords la langue pour ne pas révéler ce que je sais, fais un effort surhumain pour taire ses quelques mots qui veulent sortir de ma bouche. Mais dire à quelqu'un qu'Alexis me trompe, c'est prendre le risque de faire foirer mon plan. 

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