3

Alexis. 

Les paumes à plat sur la porte, je supplie Kiera de m'ouvrir. Ses cris résonnent de l'autre côté et je soupire alors, avant de coller mon front sur la porte.

—Kiera, ouvre.

—Va te faire foutre, merde !

Mes mains se referment, mes poings sont prêts à tambouriner. Mais avant que je ne martèle la porte, un vacarme me fait sursauter, suivi de cris de rage.

Putain... Et la revoilà cette foutue crise de merde. Le mobilier va encore en voir, notre vie de couple ne va pas être épargnée. Je hais cette maladie qui la bouffe de l'intérieure, je hais voir ma femme aussi mal, aussi haineuse pour ensuite la ramasser à la petite cuillère.

Kiera est une personne formidable en dehors de ces épisodes, vraiment. C'est une concubine exceptionnelle, une maman attentionnée et attentive, et une femme bourrée de talents et de qualités.
Sauf que voilà, elle est malade. Je l'ai su quelques mois après notre rencontre, il y a six ans quand je m'étais ramené chez elle, dépité de son mutisme. Cela faisait quinze jours qu'elle refusait de me voir, de répondre à mes appels. Je me rappelle de l'avoir retrouvée dans son lit, son doux visage noyé par les larmes.
Et là, elle m'avait tout expliqué. Les épisodes hypomaniaques, les maniaques et les dépressifs.

J'étais légèrement impressionné mais je ne l'en aimais pas moins. Malgré tout cela, Kiera restait la femme qui faisait battre mon cœur.

—Putain mais dégage ! hurle-t-elle. 

Mes mâchoires se contractent et je recule, pour au final m'assoir sur une des chaises de la salle-à-manger. Il n'y a malheureusement rien à faire à part attendre qu'elle se calme. Ma présence ne peut que l'énerver un peu plus, pourtant elle sait que je ne partirai pas dans des moments comme ceux-ci, même si sa violence est impressionnante.

Au même instant mon téléphone vibre dans la poche de mon jeans. Je l'attrape, le déverrouille du pouce.
Madison... Putain, elle tombe mal, là.
« Salut bébé, j'espère que la journée au boulot n'est pas trop longue. Courage, bisous ».

Je regarde vers la chambre, où les meubles semblent toujours servir de punching-ball à Kiera et réponds en vitesse.

« Salut... Merci pour ton courage... Je vais en avoir besoin, en effet ».

Je range mon portable, soupire longuement. Je sais que c'est pitoyable de parler à une autre femme sur le net, mais Madison me sort un peu de ce quotidien. Evidemment, des mensonges il y en a entre nous. Par exemple, elle ne savait pas que j'avais fermé le garage aujourd'hui, juste pour passer une bonne journée avec ma femme. D'un côté je m'en veux de faire ça à Kiera, mais ça s'est fait comme ça, sans rien calculer ni prévoir. Tout est parti d'un délire avec mon frère, Louis. On était mort bourrés et du coup, je l'avais inscrit sur « 2gether » pour qu'il puisse rencontrer quelqu'un. En guise de vengeance, il m'y a inscrit. Quand quelques jours plus tard, mon téléphone a vibré la première fois, m'annonçant l'arrivée d'un message privé, je me suis mis à vaguer sur le site.

Madison est « entrée » dans ma vie depuis déjà trois mois. On ne s'est jamais rencontré et je ne suis pas prêt à le faire.

 Faire l'amour à une femme par message est encore bien différent que de lui faire en vrai.Suis-je capable de franchir cette étape ? De posséder une autre que celle que j'aime ? Je ne crois pas, non. Le virtuel me suffit amplement, et c'est déjà assez culpabilisant ainsi. 

J'aime Kiera, de tout mon être. Elle est celle pour qui je me lève chaque matin, elle est la mère de mon fils et représente tellement pour moi... Mais je n'arrive pas à m'arrêter de chatter. Madison apporte la légèreté qui manque dans ma vie. Elle est drôle, et intelligente, a toujours les mots que j'ai besoin d'entendre. Pour le physique, nous nous sommes interdit l'échange de photo. Donc j'imagine, et je la rêve pour qu'elle soit à mon image.

Le calme est revenu dans l'appartement et je me lève, me dirige vers la porte. Des sanglots étouffés se font entendre et je frappe doucement.

—Ouvre-moi, ma puce.

—Laisse-moi tranquille... S'il te plait.
Savoir sa femme dévastée par la crise qu'elle vient de vivre est difficile, surtout que c'est la première d'une longue série. Celles-ci durent environ une semaine, voir deux. Avant elles duraient un mois, si pas plus. Alors je ne désespère pas, et me dis qu'un jour, elle en sera quitte.

Dans la cuisine, je déballe les fleurs que je lui ai prises en revenant de chez mes parents et qu'elle a sauvagement lancées dans l'évier. Je les mets dans un vase avant de le poser sur la table du salon. J'espère que ça lui a quand-même fait plaisir, même rien qu'un peu.

Je continue le diner qu'elle était en train de préparer. Je coupe méticuleusement le reste des poivrons et les fais revenir dans l'huile d'olive.

Quand le repas est prêt, j'installe la table, pose les couverts. Je prends une brève goulée d'air, hésite à frapper à la porte. Je sais qu'elle va m'envoyer chier mais il faut qu'elle mange.

—Tu viens manger ?

Les secondes passent tandis que je suis toujours là, à espérer une réponse. C'est quand je retourne à table qu'elle répond.

—J'arrive...

J'ai déjà commencé à manger quand Kiera apparait. Son long t'shirt noir la couvre jusqu'à mi-cuisse et je souris en pensant à la douceur satinée de ses jambes. Ses cheveux noirs volent dans tous les sens alors que ses yeux sont gonflés d'avoir trop pleuré.

—Tu es belle, dis-je quand elle s'assied.

Elle ricane froidement et attrape sa fourchette.

—Mais bien sûr.

Le sarcasme dans sa voix m'énerve. Bien sûr qu'elle est belle, elle est magnifique même. Et encore plus comme ça, quand elle est simplement elle-même.

—Kiera... Tu es belle, insisté-je.
Ses yeux se fixent aux miens et j'arrête de mâcher, incapable d'avaler ma bouchée.

—Tu veux bien arrêter de me dire des conneries, oui ?

J'avale difficilement et bois une gorgée d'eau pour faire passer le tout plus facilement.

—Excuse-moi.

Elle souffle bruyamment, dépose ses couverts sur la table, avant de se prendre la tête entre les mains.

—Je... Je veux juste manger. Tranquillement. S'il te plait.

Je ne réponds pas mais ne peux pas empêcher mes dents de grincer. J'essaie de me dire que ça va aller, que je l'aime et que je ne peux pas baisser les bras alors que dans un mois, la vraie Kiera sera là, avec son amour et ses sourires. Mais j'avoue... C'est dur. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top